L’engouement pour le ski débute quelques années avant la grande Guerre. « On ne peut ignorer les sports d’hiver » affirme alors un chroniqueur. Le plateau du Revard devient une destination à la mode. Chaque dimanche, plus de 1400 skieurs débarquent du train à crémaillère pour goûter les joies de la glisse. Après la guerre, outre la population aixoise, c’est une clientèle sportive et aisée qui n’hésite pas à venir par le train pour passer une semaine au Revard. « De passage à Aix-les-Bains, j’apprends que l’on skie encore sur le plateau » écrit en 1923 B. Secret dans la revue du Club Alpin Français « La Montagne ». Dans son article de trois pages, sous le titre « Neige de printemps, huit jours au Revard en mars », il laisse libre cours à son émerveillement : « De la neige skiable… ! J’ai voulu en avoir le cœur net. Je sautai dans le train. Une heure durant la machine haleta à travers sapins et rocs, tandis que le plus idéal paysage se déroulait à mes yeux. Un tunnel, une dernière rampe et l’éblouissement soudain, la féérie de la neige dans le soleil ».
Toutes les sorties de cette semaine sont passées en revue : « Revenus à Crolle un autre matin, nous nous enfonçons résolument à l’est, dans la forêt, tâchant de gagner la crête qui domine la Magne. Toutes traces de skis et de sentiers ont disparu. C’est la marche à l’aventure dans le sous-bois broussailleux ». Un vaste espace montagnard alors peu aménagé, voilà qui satisfait pleinement notre skieur et ses amis à condition de maîtriser un tant soit peu la technique : « Le Revard au matin, sous la neige fraîche, alors que tout ruisselle… c’est une telle heure qu’il faut choisir pour glisser au gré des vallonnements berceurs, vers le Nivolet… Un instant de contemplation et c’est l’idéale griserie de la descente sur les chalets, face au Mont-Blanc qui flamboie. Un arrêt, Télémark ou Briançon… selon les compétences ! ». Tout va évoluer dans les années 30 quand ces espaces skiables vont devenir accessibles à un plus grand nombre avec la réalisation de l’accès routier. Voici comment le Journal du Commerce rend compte de l’affluence nouvelle en décembre 1934 : « Le Revard a connu dimanche, l’animation des belles journées d’hiver… Sept trains sont montés par la crémaillère et ont déversé près de trois cents personnes. D’autre part la route a connu une belle animation. Le parc formé par toutes les voitures était imposant, et la foule qui circulait sur les pentes du Revard était non moins imposante ». Ce jour-là, se disputait la première course à ski de la saison : « elle remporta un joli succès et la descente du chalet du Sire à la Féclaz a-t-elle été dévalée à grande allure ».
Dans « La Savoie terre de défis et de conquête », le géographe Pierre Préau fait de la décennie 1925-1935 le moment d’un changement décisif « quand se constitue vraiment la clientèle des hivernants parmi les classes moyennes ». L’espace montagnard dédié jusque là à l’activité pastorale et touristique estivale s’anime désormais en hiver. Le grand linceul de neige qui autrefois figeait les activités se transmute alors en « or blanc ». Le monde des villes importe maintenant ses codes, ses modes vestimentaires à l’image de ce que l’on peut lire dans le Journal du Commerce : « Le Revard a revu avec élégance s’éparpiller les chandails multicolores mettant une note gaie sur la neige ».
Dans les mêmes années 1925-1935, apparaissent de nombreux clubs et sociétés qui organisent des concours et des sorties sportives. Ainsi, en janvier 1934, apprend-on dans un article du Journal du Commerce que la Société de Sports d’hiver de Cessens organise pour le dimanche suivant un grand concours de ski auquel sont conviés « le Club Montagnard Rumillien avec son groupe d’Albens et l’Amicale Sportive du Mont Saint-Michel, Curienne ». C’est au Sapeney que vont se dérouler les épreuves : course de fond de 7 kilomètres par groupe de quatre, course de vitesse avec virages. Lors de l’annonce du concours, tous espèrent que « la neige reste belle et poudreuse, que le temps soit favorable, car les organisateurs n’ont rien négligé pour satisfaire tous les visiteurs ». Mais la semaine suivante, dans le compte-rendu de la course, on apprend que celle-ci fut rendue difficile par le temps maussade et la neige détrempée par un dégel subit. C’est durant la course de fond que les concurrents montrèrent « leur ardeur en prenant le départ malgré les difficultés du parcours, accrues encore par le mauvais état de la neige ». Au final ce fut « l’Amicale Sportive du Mont Saint-Michel, Curienne, admirablement entraînée, d’une parfaite homogénéité » qui remporta la première place au classement par équipes. Ces conditions difficiles révélèrent aussi toute la motivation du Club Montagnard Rumillien qui « un peu handicapé par quelques jeunes recrues ne connaissant point les pistes, fut admirable de courage et d’endurance ». Les vingt et un concurrents de l’épreuve de vitesse participèrent à cette course maintenue de justesse. Tous furent récompensés par de nombreux prix. Les organisateurs remercièrent particulièrement « la Compagnie Générale du Lait de Rumilly pour sa généreuse offrande de produits Tonimalt ».
Les familles conservent encore le souvenir de ces sportifs des années 30 que l’on voit photographiés à Cessens lors d’un concours organisé en 1938. Le cliché nous montre une équipe de dix jeunes gens d’Albens, dossards bien visibles, posant à proximité du café restaurant du village. Tout est bien enneigé comme le précise une brève du Journal du Commerce « hauteur de neige à Cessens, 30 cm ; au col du Sapeney, 50 cm de poudreuse ; route peu recommandée ». Beaucoup de ces skieurs profitent des sorties organisées par les clubs pour parfaire leur technique. On trouve fréquemment dans la presse l’annonce de ces excursions comme celle du dimanche 7 février 1937 où « un car spécial partira du chef-lieu de Cessens à 6h du matin et amènera les skieurs à Aix-les-Bains où depuis là, ils monteront au Revard par le téléphérique. Les repas seront tirés des sacs ».
Pour les meilleurs skieurs locaux, il existe une autre façon de progresser sur le plan technique : passer son brevet de skieur militaire. L’un des inscrits de la sortie du 7 février 1937 va participer à l’épreuve qui a lieu ce jour-là au Revard. Malgré le mauvais état de la neige et son manque d’entrainement, Rémi Bontron va se classer 7ème sur 60 concurrents dont seuls 32 sont reçus. Dans la presse, on salue le jeune sportif « pour ses remarquables qualités d’endurance ».
Lorsque la Seconde guerre mondiale va éclater, ces jeunes sportifs se retrouveront dans les éclaireurs skieurs de l’armée. Certains vont peut-être participer à l’extraordinaire expédition de Narvik dans le grand nord scandinave en 1940. Une parenthèse douloureuse s’ouvrait et il faudra attendre les années 50 pour que le ski puisse à nouveau renouer avec la glisse heureuse.
Jean-Louis Hebrard