La suspension de la cuisine vient d’être allumée, bientôt l’horloge annoncera19h30, l’heure de notre feuilleton préféré approche. Installés autour de la table, tout le monde attend avec plaisir le nouvel épisode de « la famille Duraton ». Ce feuilleton humoristique diffusé par « Radio Luxembourg » depuis 1948 a déjà une belle histoire. La série a commencé en 1936 sur les ondes de « Radio-Cité » avec pour titre original « Autour de la table ». Dix ans plus tard, elle est devenue le divertissement familial du soir par excellence, entraînant les auditeurs dans des histoires simples de français moyens. Les « Duraton » installés eux aussi à la table familiale, s’interpellent, se chamaillent, se disputent gentiment à propos des innombrables péripéties de la vie quotidienne. Ils y commentent aussi avec humour l’actualité. Au-delà du divertissement, l’émission exerce une influence extraordinaire dans des domaines aussi variés que la tenue vestimentaire ou les rapports familiaux. Cette « aura » se mesure à l’importance du courrier que des millions d’auditeurs expédient à la station radio dans lequel on relève ces propos surprenants : « C’est curieux, il m’est arrivé la même aventure qu’à vous ». La très forte audience du feuilleton attire les annonceurs à l’image du « Savon Palmolive » que célèbrent avec le sourire les « Duraton » sur un cliché de 1951. C’est que de célèbres comédiens participent au feuilleton comme Noël-Noël, Jean Carmet ou Ded Rysel auxquelles répondent Yvonne Galli, Jacqueline Cartier ou Jeanne Sourza qui tient ici le rôle de la Tante Gusta et que l’on retrouve aussi dans une autre émission radiophonique très suivie, dans le rôle d’une clocharde.
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Intitulée « Sur le banc », cette émission que diffuse aussi Radio Luxembourg, met en scène Carmen (Jeanne Sourza) et La Hurlette, alias Raymond Souplex. À midi, ce duo comique discute tous les jours, installé sur leur banc des quais de la Seine. En 1949, il renoue avec le succès après la longue interruption de la guerre. Il faut dire que ces « joyeux râleurs » apportent des instants de légèreté dans une France qui en a bien besoin. Carmen qui prend souvent un mot pour un autre est gentiment reprise par son complice La Hurlette qui prend le temps de tout lui expliquer. De toute façon, en bons clochards qu’ils sont, tout se termine par un verre de beaujolais. Dans les moments les plus comiques de ces dialogues, les adultes interdisaient aux enfants de parler et de chahuter. Un silence majestueux régnait alors autour du poste de radio.
À une époque où la télévision était encore peu répandue, la radio constituait encore le divertissement familial par excellence. Avec les nouveaux modèles qui arrivent sur le marché et avant la révolution du transistor, le poste à lampe rentre plus facilement dans tous les foyers, y compris les plus modestes. L’habillage en bois cède le pas au plastique moderne comme c’est le cas sur ce modèle « Boy » produit par Schneider Frères en 1959. Fini l’aspect tristounet des vieux modèles, place aux formes élancées et modernes, aux couleurs dynamiques. Avec trois gammes d’ondes, le petit poste Schneider permet d’écouter de nombreuses stations. Parmi les plus suivies, avant la Radio Nationale, on trouve Radio Luxembourg. C’est là que l’on écoute les meilleurs feuilletons et aussi que l’on suit le plus célèbre des jeux, le mémorable « Quitte ou double ». Le candidat pouvait garder son gain et s’en aller ou bien tenter de le doubler en répondant à la question suivante, au risque de tout perdre. En 1952, l’abbé Pierre devient un gagnant célèbre en remportant la somme de 512 000 francs. Sa figure marque les Français qui le retrouveront deux ans plus tard lors de son appel poignant en faveur des sans abris. La publicité tenait une place importante dans tous ces jeux ou ces feuilletons. Bartisol, un apéritif bien connu, offre alors une prime pour chaque capsule détenue par une personne rencontrée au hasard dans la rue et qui a reconnu au préalable « L’homme des vœux Bartisol ». C’est le savon Palmolive qui présente chaque soir « la famille Duraton » et la savonnette Cadum qui accompagne Carmen et La Hurlette « Sur le banc ». À la fin des années 50 de nouveaux feuilletons apparaissent, plus dynamiques, plus rythmés, sponsorisés par de nouveaux annonceurs. « L’Homme à la voiture rouge » mis en onde entre 1961 et 1963 entraîne le jeune public dans des rebondissements infinis.
Le héros s’appelle Steph Berrier, adore conduire son bolide à très vive allure, comme le souligne cette publicité : « Où va cet homme ? Dans quelles nouvelles aventures haletantes va-t-il encore se lancer avec Rubis son inséparable voiture ? Pour en savoir plus, écoutez chaque jour (sauf dimanche), l’étonnant « suspense » radiophonique offert par Esso ».
James Bond radiophonique, l’homme à la voiture rouge vit des trucs invraisemblables en dénouant des histoires d’espionnage dans le monde entier. Parmi les 600 épisodes, on le découvre entre autre comme le principal acteur du mystère des cadrans radioactifs BX 13. Une affaire qui le lance, et les auditeurs avec lui, à la poursuite de deux Brésiliens qu’il suit pied au plancher du Havre en Avignon puis à Paris. Le feuilleton, soutenu par une musique agressive, s’inscrit dans le monde de la vitesse qui séduit une jeunesse « yéyé » ne se reconnaissant plus dans l’univers de la « famille Duraton ». L’heure des années 60 vient de sonner.
Jean-Louis Hebrard