Lorsque la guerre commence pour la France, le 3 septembre 1939, la Troisième République est en place depuis 65 ans. Personne ne peut alors imaginer les bouleversements à venir : disparition de la république remplacée en 1940 par l’État Français, régime autoritaire de Pétain, puis retour aux valeurs démocratiques en 1944 avec le Gouvernement Provisoire de la République Française (GPRF) conduit par De Gaulle, aboutissant en 1946 à l’installation de la IVe République. Des changements de régime qui se lisent encore sur les timbres et les monnaies de l’époque.
Le 25 janvier 1941, le profil de Philippe Pétain, chef de l’État Français, s’affiche pour la première fois sur tous les courriers que les Français vont s’échanger tout au long de l’Occupation. Dessiné par Jean Eugène Bersier et gravé par Jules Piel, l’effigie du chef, véritable médaille, est posée sur un lit de feuilles de chêne. La référence à l’arbre vénérable venu du fond de l’histoire de France, le profil à l’antique de l’octogénaire sont là pour frapper les esprits de façon insidieuse. Toute référence à la république a disparu, laissant la place à la mention « Postes Françaises » très en lien avec la politique pétainiste de « Révolution Nationale ». Jusqu’à présent, seul Napoléon III avait figuré de son vivant sur les enveloppes. Pétain s’assoit à son tour sur une règle de l’Union Postale Universelle voulant qu’on ne puisse avoir un timbre à son effigie qu’après son décès. Pour s’inviter quotidiennement dans les foyers, il n’y a rien de mieux quand on sait que ce timbre, de couleur brun-rouge, au tarif de 1F50, sera tiré à 3 852 800 000 exemplaires entre janvier 1942 et juin 1944. C’est une rupture complète avec la IIIe République qui produisait des timbres à la gloire des dieux Mercure et Iris ou de la très célèbre Semeuse.
Comme on peut le voir sur ce très beau timbre de 1937, la République Française est inscrite en toutes lettres ou figure sous la forme abrégée RF. Point d’effigie du président de la république Albert Lebrun réélu en 1939 mais une belle évocation de la pratique du sport à Chamonix-Mont-Blanc voisinant avec l’allégorie de la semeuse.
Tout comme pour les timbres, la guerre des devises et des symboles se lit sur les monnaies.
La trilogie républicaine « Liberté Egalité Fraternité » surmontée par deux épis trône en lettres majuscules, façon antique, sur l’avers de la pièce de 10 francs de 1930. Autre trilogie sur la pièce de 1943. Vichy y proclame son « Travail Famille Patrie » vite transformé par les Français affamés en « Travail famine Patrie ». Au revers de ces pièces, le beau profil de la République Française cède la place à la francisque de l’État Français. Cette dernière a été conçue comme « symbole du sacrifice et du courage » pour une « France malheureuse renaissant de ses cendres ». Le médecin et conseiller privé de Pétain, Bernard Ménétrel, est à l’origine de cet « objet » conçu pour être une décoration et qui va devenir « l’emblème » du maréchal. Pour renforcer l’attachement au chef de l’tat, le bâton de maréchal de France couvert d’étoiles est substitué au manche de la hache. Cette arme fait-elle référence à une arme celte ou franque ? Dans un article de presse de janvier 1941 on lit « Voilà donc la francisque des Francs promue au rang de symbole national ». Une référence qui entre en conflit avec le mythe scolaire de nos « ancêtres les Gaulois ». Pour trancher cette question, l’arme est baptisée par le régime « francisque gallique ». Très vite cette « arme politique » va entrer en conflit avec une croix, celle de Lorraine, symbole de la France Libre.
Imprimée à l’été 1944, la série de timbres appelée « aux chaînes brisées » est emblématique de la Libération. Ce timbre d’usage courant, de format vertical, créé par André Rivaud, gravé par Henri Cortot, traduit l’esprit du moment. La France enfin libre célèbre la sortie des fers qui l’enchaînaient. La république est restaurée en majuscule. Au cœur du monde libre, l’écusson tricolore du pays vient d’être relevé sous l’égide du général De Gaulle. Les timbres de l’État Français sont démonétisés en août 1944. Certes l’effigie du maréchal circule encore quelques temps mais avec des surcharges du type « Chambéry FFI Savoie 1F50 » que le nouveau gouvernement autorise un temps. Bien vite, les courriers mal affranchis sont refusés ou renvoyés à l’expéditeur. La république est désormais affirmée tant sur les timbres que sur les monnaies.
Marianne au bonnet phrygien fait son apparition, le coq dressé sur ses ergots proclame haut et fort le renouveau républicain. Bientôt, la croix de Lorraine disparaîtra des timbres avec le départ du général De Gaulle du gouvernement et Marianne régnera seule sur les courriers de la IVe République.
Tout change aussi dans les porte-monnaie. C’est maintenant le règne de la grande pièce de cinq francs frappée dans l’aluminium, grâce à laquelle les générations du baby boom vont se régaler des friandises (rouleaux de réglisse, poudre acidulée…) que la nouvelle société de consommation offre désormais.
Jean-Louis Hébrard