Dès l’automne 1940, les jeunes enfants sont classés par l’administration de Vichy en catégories qui permettent de « gérer » la pénurie alimentaire. Ainsi apparaissent les J1 (3/6ans) suivis des J2 (6/12 ans) auxquels on octroie des « rations adaptées ». À cette pénurie s’ajoutent toutes les peurs qu’engendrent les violences de la guerre. Cette population enfantine n’a pu traverser les épreuves de ces années noires sans l’attention et les soins apportés par les adultes. Des entretiens et des témoignages recueillis dans la région vont « éclairer » ce sujet.
Alors enfants ou jeunes filles, ces témoins sont unanimes à dire « nous sentions bien que nos parents n’étaient pas rassurés », mais rajoutent-elles, « tout cela était diffus ». Dans un ouvrage publié par les anciennes élèves du Lycée de jeunes filles de Chambéry, l’une d’elle raconte : « l’ambiance générale incitait à une grande discrétion et, en tous cas, ce n’était pas des problèmes d’enfants ». Dans l’Albanais, le témoignage d’Henriette nous révèle que l’on pouvait rendre joyeux les jeunes enfants des années 40. Cette jaciste très active avait alors pris en charge une douzaine de « pré-jacistes » âgées de dix à douze ans qu’elle réunissait le dimanche après-midi dans une salle proche du Foyer albanais pour chanter ou organiser des jeux. « Les filles s’amusaient tellement », dit-elle, « qu’une amie venant nous rejoindre fut surprise par les rires et les exclamations qui s’entendaient depuis la place de l’église ».
Quand nous manquions d’idées, on pouvait toujours avoir recours aux carnets édités par la JACF comme ces « Chansons mimées » ou encore « Cent jeux pour veillées ». Des jeux simples et sans prétention tel celui qui demandait un peu d’adresse et de concentration pour arriver à transvaser un liquide dans le noir. On se divertissait en mimant des chants bien connus comme « Au jardin de mon père » ou « La laine des moutons ». Quand le temps le permettait, nous faisions de belles marches sur la route de Rumilly. À l’époque, ce n’était pas le trafic automobile qui pouvait nous déranger. Tout au plus rencontrions-nous deux ou trois voitures et quelques vélos. Réunions, jeux et promenades sont alors autant de d’occasions de rompre avec le « vide » des dimanches après-midi.
Souvent, à partir du milieu de la guerre, des enfants venus des villes voisines ou plus éloignées se retrouvaient hébergés par les familles du canton. Au Mazet, dans la ferme de mes parents, rapporte Henriette, on a reçu des enfants d’Aix-les-Bains, de Saint-Étienne et toute une famille venue de Modane après le bombardement de la ville en 1943. Elle se souvient particulièrement de « Violette qui lisait tout le temps et de son frère Claude qui était toujours dans l’atelier de mon père ». Enfants de réfugiés d’Alsace venus s’installer à Aix-les-Bains, ils souffraient du manque de nourriture.
« On a eu aussi des enfants des mineurs de Saint-Etienne » qui ont été hébergés par les familles de la commune. « Le petit Joseph qui est venu chez nous était bien pâlichon », mais bien vite « il a pris des couleurs ». La campagne, malgré les difficultés est alors bien plus nourricière que la ville.
Une ancienne élève du Lycée de jeunes filles de Chambéry se souvient d’un été à la campagne, loin de la ville : « Les possibilités de nourrir les enfants… étaient bien plus faciles à la campagne avec du lait, du fromage de ferme, des œufs, un jardin, les fruits du verger. J’allais regarder la traite des vaches à l’étable de la ferme voisine… Le ramassage des œufs pondus dans des petits paniers de bois garnis de paille me passionnait ; les poules nous jetaient des coups d’œil indignés… ».
Il n’y a pas eu que les enfants venus se refaire une santé pendant les mois d’été, raconte Henriette. Lorsque la Savoie a été bombardée, les communes du canton ont été sollicitées pour accueillir des enfants et leur famille. Après le bombardement de Modane se souvient-elle encore, « nous avons hébergé toute une famille, le père, la mère et leurs trois enfants. On les a logés dans l’atelier de mon père. On s’est organisé pour les faire dormir au chaud, bien enveloppés dans des couvertures et on les faisait manger ».
En 1944, dans le bulletin paroissial de La Biolle, une demande est adressée aux familles pour les mêmes raisons, écrit Henri Billiez dans le numéro 32 de la revue Kronos. « En mai 1944, il est fait appel aux foyers de La Biolle qui accepteraient d’accueillir des enfants, pour les mettre à l’abri des bombardements qui ravagent nos centres industriels et ferroviaires et nos ports. Un même appel avait été lancé quelques mois auparavant ». C’est que la guerre aérienne touche durement la Savoie depuis un an déjà : Modane est frappée deux fois, le 17 septembre puis le 10 novembre 1943, le 10 mai 1944 c’est Annecy et ses industries qui sont visées et enfin le 26 mai 1944 c’est Chambéry et ses installations ferroviaires sur lesquelles pleuvent les bombes américaines.
Accueil des réfugiés. Albens ? (archive privée)
« Nous savons aujourd’hui »i, écrit encore Henri Billiez, « que des enfants ont été souvent accueillis à La Biolle durant la guerre, comme dans d’autres communes ». L’Albanais très rural reste à l’écart de la guerre aérienne, il est en retour une zone d’accueil pour les sinistrés. Il a dû exister des centres d’hébergement que les communes ont mis en place dans l’urgence. Une photographie trouvée sur un site de vente en ligne porte au dos la petite note suivante « réfugiés 39/45 – Albens ? ». Il est difficile de localiser cette grande salle où l’on a installé de nombreux petits lits et organisé au centre une sorte de salle à manger. Mais quelque soit l’endroit et le moment, une chose est certaine, aider les enfants a été et reste toujours un impératif fort.
Dès l’automne 1940, cette >salle de cinéma et de spectacle qui anime depuis douze ans la vie culturelle locale doit brutalement s’adapter aux nouvelles conditions d’exploitation qu’imposeront successivement le régime de Vichy puis l’occupation allemande. Un temps de contraintes matérielles, morales et politiques s’ouvre alors qui ne connaîtra son terme qu’à l’été 1944 avec la Libération.
Pour traverser cette période, les courtes notices relevées dans le Journal du Commerce de Rumilly seront notre guide principal.
Les évènements tragiques de mai/juin 40 étant passés, la saison cinématographique débute dès le mois d’octobre. Avec elle s’ouvre le temps des pénuries, du contrôle exercé par l’occupant et par les autorités françaises. Dans le Journal du Commerce, l’ouverture de la saison est désormais accompagnée de cette formule explicite : « malgré les difficultés de l’heure, le Foyer a pu s’assurer pour cette saison de toute une série de beaux programmes ». Une simple phrase qui résume bien le carcan dans lequel les petites salles de cinéma se trouvent prises. L’historien du cinéma François Garçon dans son ouvrage « De Blum à Pétain 1936/1944 » nous apprend que ce contrôle se met en place très tôt lorsque « la Commission d’armistice, dès le 24 août 1940, remet à la délégation française une liste de films considérés par le gouvernement allemand comme films d’incitation à la haine contre l’Allemagne, soit cinquante-sept films américains, six anglais et quinze français ».
Aussi n’est-il pas surprenant que sur la quinzaine de films projetés par le Foyer albanais entre octobre 1940 et avril 1941, on relève une majorité de films français récents. Seuls le film soviétique « Tempête sur l’Asie » et « Ramona », film tourné aux Etats-Unis, échappent à cette « francisation » de la sélection.
Tous les films français retenus sont récents, tournés entre 1937 et 1939 avec des vedettes confirmées comme Larquey, Pauline Carton, Fernandel, Andrex et quelques jeunes premières comme Anne France ou Gisèle Préville. Les comédies sentimentales, militaires ou dramatiques dominent, souvent adaptées d’un roman de la fin du XIXème siècle. C’est le cas de « Mon oncle et mon curé » projeté en février 1941. Ce film, réalisé par Pierre Caron est un succès cinématographique du moment. Durant 1h25, on suit les aventures d’une jeune femme du nom de Reine (interprétée par Anne France) qui, avec l’aide de son oncle et celle de son curé, parvient à fausser compagnie à une tante acariâtre et à épouser l’élu de son cœur.
Réalisé par George Pallu en 1939, le film « Un gosse en or » est une autre de ces comédies dramatiques qui enchantent le public. « Avec Larquey, Ainos et le petit Farguette », précise le Journal du Commerce, « c’est une œuvre pleine de gaieté et d’entrain qui doit connaître un grand succès ». Il faut dire que les vedettes à l’affiche de ce film sont des « pointures » de l’époque. Gabriel Farguette est un jeune acteur qui a déjà tenu des rôles d’enfant dans des films de la fin des années 30. Il a été Tigibus dans « La guerre des gosses » et a déjà tourné avec Georges Pallu en 1937 dans « La rose effeuillée ». Pierre Larquey est un des grands seconds rôles du cinéma. Entre 1940 et la Libération il va être à l’affiche de plus de vingt-cinq films. Ses rôles les plus connus de l’époque seront ceux de Monsieur Colin dans « L’assassin habite au 21 » et du docteur Vorzet dans « Le Corbeau » sous la direction de H-G Clouzot. « Un gosse en or » va être
à l’affiche du Foyer le 9 mars 1941.
Une autre contrainte pèse sur la programmation et le choix des films, celle de leur contenu idéologie et politique. Comme l’écrivent certains, « En ce domaine, la politique prime l’art ». C’est bien le cas pour le film « Trois de Saint-Cyr » projeté les 29 et 30 mars 1941. Ce film patriotique sorti en 1939 célèbre d’abord la première école de formation des officiers avant d’aborder dans une seconde partie leur engagement héroïque en Syrie où la France de Vichy défend alors ses intérêts. Deux éléments de la devise de l’État français se lisent en filigrane. La « Famille » tout d’abord, lorsque Pierre Mercier, major de promotion, renonce devant l’insistance de sa mère à la prestigieuse institution, traduisant de la sorte son dévouement, son amour filial sans limite. La « Patrie » ensuite avec la mise en scène de l’héroïsme colonial des élites militaires en Syrie. Il faut bien faire oublier la défaite de 40 et continuer de glorifier le drapeau, l’armée et la nation.
Dès 1942, ce sont des restrictions matérielles qui à leur tour viennent entraver le bon fonctionnement de la salle de spectacle. Voici ce que l’on annonce dans le Journal du Commerce, début janvier : « Au Foyer : il n’y a pas de programme cette semaine pour raison d’économie d’électricité et de charbon. La semaine prochaine, soit samedi 17 janvier et dimanche 18 commencera une série de trois beaux programmes. Le premier de la série sera : ESPOIRS avec Constant Rémy et Larquey ». Cette comédie dramatique réalisée par Willy Rozier en 1940 est l’histoire de deux jeunes gens, amis d’enfance, dont l’amour naissant est contrarié par leurs familles à propos d’une affaire de champs mitoyen. Pour préserver leur amour, ils cherchent à fuir en barque et manquent de se noyer. Conscients de leurs responsabilités dans cette tragédie, les deux familles se réconcilient. Quelle pouvait être la réception d’un film plaçant la réconciliation au cœur de l’histoire au moment où Laval allait revenir aux affaires, avec les conséquences que l’on connaît. Réconciliation et collaboration plus affirmée allaient renforcer encore le pillage opéré par l’occupant sur toutes les matières premières, les produits agricoles et industriels de la France. La population allait durement s’en rendre compte.
Il faut disposer de cartes de ravitaillement pour pouvoir bénéficier des maigres rations octroyées par le gouvernement. Dans l’Albanais comme ailleurs, c’est avec une carte de charbon que l’on peut retirer le combustible indispensable durant les hivers très froids de 1942 et 1943. Le Foyer albanais, ne disposant pas de suffisamment de combustible pour chauffer la grande salle et devant aussi économiser l’éclairage, annule la séance prévue.
Le cinéma doit également prendre en compte la baisse du nombre des films en circulation du fait de la disparition des matières premières entrant dans la composition de la pellicule. « La diminution du nombre de copies positives contribue alors à ébranler le cinéma français » rapporte François Garçon dans son ouvrage, précisant ensuite que « les 60/80 copies par film d’avant guerre sont ramenées à 30/40 durant l’Occupation, pour n’être plus que 26 au printemps 1943 ».
Les films se faisant rares, le Foyer albanais mettra plus souvent à son programme de grandes soirées théâtrales, des spectacles de music-hall et des soirées concert. On fait appel à des troupes locales telles « La Scène » de Chambéry qui joue au profit de « l’œuvre des prisonniers » le 8 juin 1941. Le Journal du Commerce détaille longuement le contenu de la soirée avec au programme : « Un jeune homme qui se tue, comédie en quatre actes de Georges Berr, qui a obtenu dernièrement un grand succès au théâtre de Chambéry. Nous avons déjà eu, en septembre 1938, l’occasion d’applaudir cette sympathique compagnie et le souvenir du succès qu’elle a remporté ne s’est pas effacé. On peut s’entendre à un nouveau triomphe, la pièce étant d’un entrain fou et d’une gaieté débordante d’un bout à l’autre ».
La même troupe est reçue deux mois plus tard pour une grande soirée de music-hall. Un spectacle de trois heures avec « le concours du comique Morand, des merveilleux acrobates : Les Andrenas, du compositeur accordéoniste Daljan et des chanteurs : Mag Gill et Relgey », précise le Journal du Commerce.
L’année suivante, le journal signale le passage du « groupe artistique de la société chorale d’Aix-les-Bains » pour un concert vocal avec sketch comique et fantaisie puis la venue quelques semaines plus tard de « la sympathique troupe de P. Barlet avec son célèbre orchestre et toute sa joyeuse compagnie dans un spectacle entièrement nouveau » pour laquelle « en raison de l’importance et de la valeur du spectacle, les prix habituels des places seront exceptionnellement majorés ».
Les troupes professionnelles ne sont pas les seules à se produire au Foyer albanais. Les jeunes de la JAC et de la JACF assurent aussi des séances récréatives au profit des prisonniers de guerre. Voici ce que l’on peut lire dans la presse locale à propos du spectacle donné en juin 1942 : « Les spectateurs étaient venus nombreux, même des communes avoisinantes, applaudir et témoigner leur sympathie aux jeunes acteurs et actrices, qui manifestèrent un réel talent, dans la présentation du programme tour à tour sérieux, patriotique et comique. La recette produite par les trois représentations sera affectée à la confection d’un colis à chacun des 28 prisonniers de la commune. Bravo et merci les jacistes. Une fois de plus, vous avez donné la mesure de votre désintéressement, de votre dévouement et de votre esprit de solidarité fraternelle ».
Nous retrouvons ces soirées récréatives tout au long de la guerre. Peu avant le débarquement de Normandie, on annonce encore que « devant le succès remporté, les jeunes donneront une troisième et dernière séance, salle du Foyer, dimanche 4 juin, après midi à 15h30 ».
Les semaines qui suivent plongent à nouveau la France dans le tourbillon de la guerre. Ce sont les troupes débarquées le 15 août en Provence, appuyées par les Forces Françaises de l’Intérieur, qui libèrent tout le sud-est de la France. Désormais les temps changent, la république est restaurée, la figure du général de Gaulle domine la scène politique. La saison d’automne du Foyer albanais s’ouvre sans surprise par un grand gala FFI qu’un article du Journal du Commerce nous annonce ainsi : « Dimanche 29 octobre à 14h30 et à 20h salle du Foyer, grand gala FFI au profit des réfugiés de la Maurienne avec le concours de Salembier du Grand Cercle, de Micheline Guilland et des artistes amateurs d’Aix-les-Bains. Nous félicitons les F.F.I de l’initiative de cette manifestation qui étant donné son but de bienfaisance doit remporter un grand succès ».
Mais la programmation des films n’est suspendue qu’un instant. En effet, le Journal du Commerce s’empresse d’avertir qu’après le gala « un très beau film » sera proposé « la semaine prochaine, samedi 4 novembre et dimanche 5 » avec à l’affiche « Michèle Morgan, dans Les Musiciens du Ciel ». Une production en phase avec le contexte du moment. Ce film dramatique de Georges Lacombe sorti en 1940 s’appuie sur un scénario tiré d’un roman de René Lefèvre. Michèle Morgan tient le rôle central d’une officière de l’Armée du salut dont le dévouement tirera un petit malfrat de l’ornière. C’est le retour sur les écrans du Foyer albanais de cette grande actrice dont le dernier tournage en France remontait à 1939 avec sa participation remarquée dans « Remorques » au côté de Jean Gabin. En effet, peu après le début du conflit mondial, elle part s’installer aux USA où elle tournera cinq films peu marquants. Bientôt elle regagnera le haut de l’affiche pour son rôle dans la « Symphonie pastorale » pour lequel elle va recevoir le premier prix d’interprétation féminine de l’histoire du festival de Cannes en 1946.
La grande scène du Foyer albanais nous a permis de visionner quelques images de ces temps douloureux et de voir comment fut maintenue la lumière des écrans et de la scène apportant un peu de gaieté dans un quotidien difficile. Une nouvelle séquence historique commence qui verra le Foyer albanais reprendre un cours plus apaisé avec une programmation intégrant à nouveau des films produits par les grandes nations de la « planète cinéma ».
La politique du gouvernement de Vichy se caractérise par un intérêt tout particulier vis-à-vis de la jeunesse qui est soumise à une intense propagande visant à en faire le symbole de la France nouvelle. L’aspect le plus connu aujourd’hui reste la création des Chantiers de Jeunesse mais il ne faut pas oublier non plus la mobilisation des instances sportives. Pour cette jeunesse sous surveillance, il y a aussi le plaisir de pouvoir se retrouver dans les organisations catholiques créées avant la période de Vichy, comme la JAC (Jeunesse Agricole Catholique) et son pendant féminin la JACF. Nous allons voir, à partir des articles relevés dans le Journal du Commerce tous ces organismes à l’œuvre entre 1940 et 1942. Par la suite, la conjoncture politique et militaire devenant plus tendue nous sommes moins en mesure de suivre leurs actions auprès de la jeunesse.
Dans la France de l’époque, les jeunes sont fortement incités à faire du sport. C’est une tendance qui s’est mise en place dès les années 30 mais qui prend de l’importance après la défaite de 1940. Il faut préserver nos jeunes, affirme le pétainisme, « de ces causes de dégradation de leurs énergies » en leur insufflant « le goût de l’effort ». C’est la tâche qui est assignée dès sa création en juillet 1940 au Commissariat général à l’éducation générale et sportive avec à sa tête le célèbre joueur de tennis Jean Borotra. La « sportivisation de la société vichyste », comme l’écrit l’historien Christophe Pécout, dans « Le sport dans la France du gouvernement de Vichy » (consultable en ligne) se manifeste à travers l’importance accordée à l’obtention du brevet sportif. Le Journal du Commerce en 1941 consacre plusieurs articles aux épreuves qui se déroulent à Albens. Dès les mois de mai/juin on invite les jeunes à s’entraîner : « Tous les jeunes gens et jeunes filles du canton qui désirent passer les épreuves du Brevet sportif national sont priés d’assister aux séances d’entraînement qui ont lieu chaque semaine : mardi, jeudi et vendredi à 20h45 ». L’entraînement se déroule sur le terrain du champ de foire où les candidats sont pris en main par le moniteur de l’Union Sportive d’Albens.
Après deux mois d’entraînement soutenu, le temps des épreuves est venu : « Nous rappelons que dimanche 3 août à partir de 15h, se dérouleront sur le terrain du Champ de Foire les épreuves du brevet sportif national. Nous sommes persuadés qu’un nombreux public assistera à cette manifestation ». Ces épreuves donnent lieu à une véritable cérémonie officielle en présence des « autorités ». Sont présents, bien en place sur le champ de foire aménagé pour l’occasion, le maire d’Albens, le directeur des écoles, le vice-président de la légion. Sont aussi venus honorer « cette solennité sportive, Mme la Doctoresse, M. l’abbé, des membres de la municipalité, le chef de Brigade de Gendarmerie, le président de l’Union Sportive Albanaise », détaille le Journal du Commerce. À 15 heures, les quatre-vingt-six candidats « alignés sur le champ de foire … répondent à l’appel de leur nom. Puis, les couleurs sont hissées, pendant que retentit la sonnerie au drapeau ». Les épreuves terminées, vient le temps des remerciements officiels et du vin d’honneur puis celui du palmarès : « Sur 86 candidats présentés, 10 furent éliminés. Cette journée sportive laissera à tous un profond souvenir et un encouragement pour le développement physique des enfants… comme le veut le Maréchal Pétain ». Le sport est un devoir pour une jeunesse bien prise en main. Le gouvernement de Vichy décide souverainement ce qui est bon pour elle et ce qui ne l’est pas comme se sera le cas pour le foot. Nombreuses sont alors les rencontres organisées dans la région. Celles qui se déroulent à Albens, le dimanche 22 juin 1941 retiennent l’attention. Dans le Journal du Commerce est d’abord annoncée la rencontre qui opposera « l’Union Sportive d’Albens à l’équipe l’Espoir du Camp de Jeunesse de Rumilly ». La rencontre qui suit est plus étonnante puisque « pour la première fois un match féminin … opposera les Cyclamens de Rumilly aux Bleuets d’Annecy ». L’annonce se conclue par une appréciation bien dans l’air du temps parlant d’une « manifestation sportive qui ne manquera ni de charme ni d’intérêt ».
Il est à supposer que cette première rencontre dut être la dernière puisque le régime de Vichy allait interdire le foot féminin fin 1941.
Pour cette jeunesse qui vit alors sous le contrôle constant et étroit des adultes, il existe aussi les organismes de l’Action catholique qui proposent de nombreuses activités et occasions de s’investir. Depuis la fin des années 30, les organisations agricoles et ouvrières ont pris de l’importance dans tout l’Albanais. À Rumilly, on trouve la Jeunesse Ouvrière Catholique et dans les environs plus ruraux, la Jeunesse Agricole Catholique et son correspondant féminin la JACF. Voyez ces jeunes filles de la JACF locale qui posent en 1941 devant l’église d’Albens. Elles sont une trentaine portant la tenue des jacistes, béret noir, corsage blanc, jupe foncée, cravate avec l’insigne du mouvement. Bien au centre de la photographie, à l’arrière, on distingue le fanion. Adolescentes ou jeunes filles plus âgées, elles entourent une jeune femme en tenue de ville. Pourrait-il s’agir de Philomène Rogès, active formatrice du mouvement ? Serait-elle venue, à la demande de l’abbé Floret (à droite du cliché) pour guider le tout nouveau groupe jaciste d’Albens ?
C’est un engagement exigeant de la part de ces jeunes filles qui voient là une possibilité de rompre avec le cafard du dimanche après-midi mais surtout, en se formant collectivement, de pouvoir « s’affirmer » à travers d’innombrables activités, fêtes et actions. L’historien Christian Sorrel, dans son ouvrage « Les catholiques savoyards », rapporte cette très parlante remarque de Philomène Rogès : « Dans ce milieu clos qu’était le monde rural, ce fut une révolution ». On peut s’en persuader à la lecture de la devise des jacistes d’Albens : « Fières, Fortes, Joyeuses, Conquérantes ». En octobre 1941, un article du Journal du Commerce annonce qu’à « l’occasion de son entrée dans le mouvement national les groupes de jeunesse JAC et JACF organisent pour dimanche 26 octobre une grande fête ». Ce court texte est l’occasion de voir dans quel contexte va se dérouler cette « Fête de la Jeunesse » et comment les jeunes peuvent prendre certaines actions en main. Dans la première partie de la journée, l’Église et les autorités vont cordonner les cérémonies comme le précise le journal : « Dimanche à 9h45 place de L’Église, salut aux Couleurs, suivi à 10 heures de la messe des Paysans avec offrande des fruits de la terre ». On conserve quelques clichés donnant à voir la cérémonie au drapeau devant l’église ainsi que l’offrande des fruits de la terre. Sur l’un d’eux, quatre garçons de la JAC portent gaillardement sur leurs épaules un brancard sur lequel a été posée une charrue.
Pour le reste de la journée, les jeunes vont reprendre la main en organisant réunion et spectacle : « À 14h30 au Foyer une grande réunion rassemblera particulièrement la Jeunesse du Canton et des environs. Cette réunion sera constituée par une série de tableaux vivants des chants et des danses dans lesquels les Jacistes feront passer tout leur idéal et leur programme ». On voit là tout ce que ce mouvement apporte de nouveaux auprès d’une jeunesse rurale en lui donnant l’occasion de s’exprimer à travers des pièces de théâtre, des scénettes, des danses et des chants. Un cliché publié par l’historien Christian Sorrel dans son ouvrage nous montre « une danse jaciste à Massingy en 1942 ». Les jeunes s’inspirent aussi de brochures du type « Cent jeux pour les veillées » pour nourrir leurs animations. On y propose des jeux d’adresse, d’observation mais aussi des sujets de petites pièces à jouer comme Jeanne d’Arc et ses voix, Napoléon au pont d’Arcole, le serment des Horaces.
Cette jeunesse qui connaît un encadrement permanent dans ses loisirs comme dans la pratique du sport va devoir aussi répondre à l’appel obligatoire des chantiers de la jeunesse. Elle va y être soumise à un conditionnement orchestré par le gouvernement de Vichy comme on peut le lire dans un almanach de 1942 : « Les Chantiers sont devenus l’un des éléments essentiels de la Révolution Nationale en ce qu’ils insufflent à la Jeunesse de France l’esprit nouveau qui procurera le relèvement de la Patrie ». Une prise en main qui sera abordée dans un prochain article.