Nous sommes en 1923 lorsqu’un long article du Journal du Commerce relate le programme de la célébration du 11 novembre à l’Arc de Triomphe. Tout y est précisé, du cortège des drapeaux à l’arrivée du Président de la République en insistant sur la préparation de la commémoration dans toutes les communes de France. Comme l’indique cet article, c’est le corps enseignant qui va être en quelque sorte mobilisé « pour commémorer le 5ème anniversaire de l’armistice » et, « sur le désir de M. Léon Bérard, ministre de l’instruction publique et des beaux-arts, il sera donné le 10 novembre prochain, par les professeurs, instituteurs et institutrices, une brève leçon, dans tous les établissements d’enseignement secondaire et primaire publics ».
Instruire la jeunesse, transmettre le souvenir de la Grande Guerre, éduquer à la paix, telles sont les orientations que trace alors le ministre Léon Bérard. Élu en 1919 sur la liste d’union des différentes sensibilités républicaines appelée « Concentration républicaine », Léon Bérard est alors proche des deux grandes figures politiques, Louis Barthou et surtout Aristide Briand, ardent partisan d’une politique de paix et de coopération internationale.
Ministre dans le gouvernement de ce dernier de 1921 à 1924, Léon Bérard est resté célèbre pour l’introduction de l’étude du latin en 6ème et pour l’amélioration des rémunérations des instituteurs et des professeurs. Il a en charge les Beaux-Arts et l’Instruction publique. Instruction et non pas Éducation, l’intitulé de son ministère n’est pas innocent. L’éducation reste dévolue aux familles quand instruire, c’est-à-dire communiquer des connaissances, est la mission première de l’école.
Communiquer des connaissances pour faciliter « le devoir du souvenir… être fidèle à ceux qui tombèrent », pour cela l’école dispose, comme l’indique le ministre, de multiples moyens : les cérémonies, les lectures, les leçons d’histoire ou encore les héros pour édifier la jeunesse.
Élèves, instituteurs et institutrices sont toujours présents lors des inaugurations des monuments aux morts et des célébrations de l’Armistice, à Saint-Félix, Cessens mais aussi à La Biolle comme à Albens. Encore une fois ce sont les articles parus dans le Journal du Commerce qui constituent l’essentiel de nos sources. Nous voici fin septembre 1922 à Saint-Félix où le monument aux morts est inauguré, deux mutilés font l’appel des noms des 32 morts de la commune et « à l’appel de chaque nom, 32 jeunes filles… vinrent déposer au pied du monument une gerbe de fleurs en souvenir des glorieux disparus ». À La Biolle, la même année, c’est la participation du Sporting-club qui retient l’attention, on signale l’excellente tenue de cette « société de jeunes gens et d’enfants, admirablement organisée par M. Joannes Rosset et Bourbon, instituteurs ».
Quand en 1924 Cessens inaugure à son tour le monument aux morts, on félicite « les organisateurs de cette patriotique cérémonie et en particulier notre dévoué instituteur M. Mainier, ceux qui ont décoré le monument, les enfants des écoles… ». On retrouve le même type de participation pour le 11 novembre 1925 à Albens avec un monument « artistement fleuri par les soins des instituteurs et institutrices ».
De retour dans les classes, les maîtres et maîtresses d’école disposent d’ouvrages adaptés à l’âge des enfants, remplis d’histoires édifiantes. Parmi les succès de l’époque on trouve l’histoire du plus jeune poilu de France mais aussi les tribulations du jeune Peau de Pêche.
Engagé à quinze ans, Jean Corentin Carré est l’exemple le plus fort que l’on puisse donner aux jeunes classes nées au début de la guerre. Un court texte, agrémenté d’une image couleur présente ainsi son parcours militaire : « Né au Faouët le 9 janvier 1900, engagé au 41ème RI le 27 avril 1915, mort au combat aérien le 18 mars 1918 ». Il est accompagné d’un extrait d’une lettre que le jeune poilu avait envoyée à son instituteur : « Je ne pourrais pas vivre sous le joug de l’ennemi, c’est pourquoi je suis soldat. Eh ! bien, ce sentiment de l’honneur, c’est à l’école que je l’ai appris est c’est vous mon cher maître un de ceux qui me l’ont enseigné ! Je souhaite que tous les petits écoliers comprennent les leçons qui leur sont données de la même manière que je les ai comprises. La vie en elle-même n’est rien si elle n’est bien remplie ». On peut imaginer toutes les leçons de « morale civique » qui furent alors données.
Cette instruction passe aussi par les nombreux livres de lecture courante que proposent les bibliothèques scolaires. Les enseignants des années 20 plébiscitent alors l’ouvrage de Gabriel Maurière, inspecteur de l’Enseignement primaire. Comme l’indique l’avant-propos, c’est l’histoire de Peau de Pêche « jeune enfant de votre âge. Recueilli par un de ses oncles, fermier champenois, il prend peu à peu goût aux travaux des champs. La guerre vient brutalement frapper la maisonnée et la mort du fils désespère les pauvres parents qui reportent sur l’enfant adopté le trop plein de leur affection ». Deux cent trente pages illustrées de gravures permettent d’instiller sans cesse ce « devoir du souvenir ».
Quant aux élèves qui ont alors l’opportunité de poursuivre des études au lycée, les nouveaux programmes d’histoire élaborés en 1920 prévoient d’aborder longuement la Grande Guerre. C’est probablement l’ouvrage d’un célèbre tandem d’historiens, Jules Isaac et Albert Malet, qu’ils utiliseront. Une équipe brisée par la Grande Guerre avec la disparition d’Albert Malet en 1915 sur le front d’Artois. Blessé la même année, Jules Isaac sera toutefois en mesure de rédiger le nouveau manuel qui sortira an 1921 en gardant la double signature « Malet-Isaac ».
Abondamment illustrées, les quarante pages consacrées à la guerre furent rédigées par un historien qui avait fait plus que de l’étudier.
Jean-Louis Hébrard