Intitulée « Femmes et hommes dans la Résistance en Savoie », cette exposition composée d’une douzaine de panneaux est le résultat d’un projet collectif mené par quatre étudiant et étudiantes, sous la direction de Corinne Bonafoux, maîtresse de conférences à l’Université Savoie Mont-Blanc.
À cette occasion, nous avions parlé de quelques figures locales dont Marie Pétellat (Kronos n° 38) et Paulette Besson. Des exemples qui figurent en bonne place dans cette exposition qui leur a été commandée par l’Office National des Anciens Combattants et des Victimes de Guerre (ONaCVG).
Mardi 18 juin, dans le grand salon de l’Hôtel de ville de Chambéry, avait lieu la présentation de l’exposition qui a pour vocation de circuler dans tous les établissements scolaires de Savoie (collège et lycée). Les enseignants qui souhaiteraient recevoir cette exposition dans leur établissement doivent la réserver sur le site de l’ONaCVG de Savoie.
Nous sommes ravis d’avoir pu assister à la présentation de ce travail par ce groupe dynamique d’étudiant et étudiantes et souhaitons « bon voyage » à cette exposition bien documentée et largement illustrée.
Kronos relaie ici un appel à témoins d’un groupe d’étudiants :
Étudiants à l’université Savoie Mont Blanc (Chambéry), nous sommes un groupe de quatre étudiants (Lucille, Amandine, Lucas et Clara) qui réalisons un mémoire de recherche dont le sujet est Les femmes dans la Résistance en Savoie entre 1939 et 1945. Dans ce cadre, nous cherchons à entrer en contact avec des anciens/anciennes résistants/résistantes ou des descendants, voire connaissances, de ceux/celles-ci. Pour cela, si c’est votre cas ou si vous connaissez des personnes qui correspondent à ce profil, vous pouvez nous contacter à l’adresse suivante : projetmaster.resistance@gmail.com. Nous serons ravis de pouvoir échanger avec vous.
C’est une équipe dynamique que l’association Kronos recevait jeudi 9 mars à l’Espace patrimoine. Lucille Maurel, Clara Mazin, Lucas Papadellis et Amandine Tercero, en master « Métiers du Patrimoine », entreprennent un travail de recherche et de valorisation sur un sujet encore peu traité dans notre département : « Les femmes dans la Résistance en Savoie – 1939/1945 ». Un article sur la résistante Paulette Besson, publié sur le site www.kronos-albanais.org, les a incités à entrer en contact avec Kronos. Leur recherche initiée par l’ONAC (Office National des Anciens Combattants) devrait aboutir l’an prochain à la réalisation d’une exposition itinérante et d’une mallette pédagogique à destination des collèges et lycées mais aussi des associations et des collectivités qui pourraient en faire la demande.
Pour participer plus largement à leur recherche, nous faisons appel à toutes celles et à tous ceux (parents et proches) qui, d’une manière ou d’une autre, résistèrent. On peut leur communiquer des informations par mail à l’adresse suivante projetmaster.resistance@gmail.com Il est possible aussi de s’adresser à notre association qui fera suivre.
Novembre 1988 : Anniversaire de la victoire de 1918
N’aurait-on pas oublié quelqu’un ?
Cette ombre omniprésente, cette force de vie, ce combattant silencieux…
La femme !
Samedi 1er août 1914
« Nous sommes rentrées hier soir dans notre maison de campagne. Il nous a fallu quitter en hâte la vallée de Tarentaise où nous nous reposions. En hâte ? Hier la journée était si belle que les montagnes semblaient se prélasser dans la lumière comme des baigneuses dans une eau bienfaisante. Mes filles avaient cueilli des chardons bleus et des edelweiss. Le ciel était si pur et la terre si sereine qu’on ne pouvait croire à la guerre… »
Henry Bordeaux
« Histoire d’une vie »
La presse de l’époque (par exemple « Le Miroir » 1914/15/16/17/18), les nouvelles à la T.S.F., les affiches, les cartes postales sont autant d’hommages rendus au courage de nos « poilus ».
Cependant, les femmes auxquelles, dès la déclaration de la guerre, les responsables politiques lancent un appel pour « que soient terminées les récoltes et préparées celles à venir », ont relevé la tête et su oublier les malheurs du temps. Mieux que la « Wonder-Woman » de la télévision, la Française de 14-18 s’est révélée forte et capable de tout : « La France en guerre découvre sa moitié féminine. »
Elle nourrit la France
En Savoie, à Saint-Alban-de-Montbel, commune de Savoie qui a le plus souffert au point de vue victimes de guerre.
Témoignage (ses enfants) : Madame Grimontet et son mari tiennent un commerce de grains. Le mari fait ses livraisons sur Chambéry en char à bœufs. L’épouse reste seule à la maison une grande partie de la journée : commerce, enfants, ménage. Un domestique engagé la vole ; de nouveau seule pour tout assurer, sans parents ni amis pour l’aider. Elle meurt à la fin de la guerre, épuisée par un travail excessif.
La guerre de 1914-1918 en quelques chiffres
Plus de 8 millions d’hommes mobilisés. 1 400 000 hommes tués au combat (soit 17,6% du total des hommes mobilisés). Ce qui veut dire qu’un homme sur 6 n’est pas revenu de ce conflit. Un homme sur 3 avait entre 20 et 27 ans lorsqu’il a été tué.
C’est aussi : 900 000 ascendants privés de leur soutien. 600 000 veuves de guerre, femmes devant assumer un drame sentimental et une vie le plus souvent difficile et, seules, être responsables de plus de 700 000 orphelins de père.
Allocation accordée en 1914 : 1,25 F par jour et 50 centimes par enfant ; en 1917 : 1,50 F par jour et 1 F par enfant (le kilo de pain coûte 40 centimes, le kilo de viande au moins 1,50 F).
À Betton-Bettonnet
Témoignage : Après le départ de son mari pour le front, Madame Vouthier prend en main l’exploitation agricole, aidée par son beau-père. Elle abat le travail de deux hommes pour rentrer les foins, s’occuper du bétail, des vignes, du tabac, Ses quatre enfants participent à toutes les activités ; ils n’ont ni faim, ni froid mais les journées sont longues et harassantes.
La vie en campagne était rude. Il n’y avait pas le « confort moderne » dans les fermes et rien, pas le moindre robot ménager pour faciliter la vie des femmes ; pas d’eau sur l’évier, il fallait aller la chercher dehors, au puits. Pas d’électricité, uniquement des bougies, des lampes à pétrole. Une cheminée chauffait, si peu, quelques pièces, mais pas les chambres. Pour les femmes, couper, transporter et scier le bois était un travail exténuant. Les lits étaient réchauffés par des briques chaudes ou des bouillottes : « Les enfants allaient se coucher après avoir noué un vieux bas de laine autour de leur brique brûlante. » (Christian Signol : « Les menthes sauvages »).
Les moyens de communication étaient inexistants : les chevaux étant réquisitionnés pour l’armée, il ne restait que les bœufs pour labourer et tirer les charrettes ainsi que les bicyclettes pour se déplacer.
Les femmes cultivaient les champs avec des instruments rustiques qui n’avaient guère évolué depuis le Moyen-Âge : ni tracteurs, ni engrais chimiques. « On n’avait pas encore « inventé » les doryphores et le café torréfié, apparus seulement à la fin de la guerre. » (Christian Signol).
Elle élève les enfants
N’ayant pour seule compagnie que celle des vieillards, elle se bat pour assurer à ses enfants un minimum.
Témoignage : Madame François Dénarié (son fils) Chambéry. Lorsque son mari est mobilisé, elle reste seule, à 32 ans, pour élever ses cinq enfants âgés de 10 à 1 ans. En ville, la nourriture est chère, les enfants ont faim. Madame Dénarié est repasseuse et travaille jour et nuit pour nourrir ses cinq enfants et la grand-mère. Son mari François est porté disparu en Champagne en 1916. Elle a 34 ans, son mari en avait 38. La veuve espérera toujours le retour du soldat ; même après l’armistice. Son fils se souvient d’elle, courant au-devant du facteur, le guettant, gardant espoir, puis pleurant après son départ. Elle a réussi par son courage à assurer une bonne situation à tous ses enfants dont l’un était agent technique aux Ponts et Chaussés. Elle ne s’est jamais remariée.
Ces enfants de la guerre, amputés de leur père, obligés de le remplacer, de travailler comme des adultes, privés d’enfance, sont devenus trop tôt des hommes.
Elle fait marcher l’industrie
Chambéry. Ce sont les femmes qui font tourner les industries de la ville (usine d’aluminium). Travail pénible.
« Le plus souvent sans qualification professionnelle, elle sera quand même « mobilisée ». Dans les usines d’armement, c’est le travail des femmes qui permettra la fourniture d’armes indispensables aux combattants. » (La Voix du Combattant – novembre 88). On les appelle les « manitionettes ». On les voit même sur les toits, avec les petits savoyards qui ramonent les cheminées.
Elle soigne les plaies du corps…
Témoignage : Madame P., pupille de la Nation, se souvient de son père, blessé au bras droit en 1914, à qui sa mère refaisait le pansement. Elle, cachée, assistait à ces soins. En 1915, son père était tué en Belgique (l’aumônier de son régiment était le Père Teilhard de Chardin).
Infirmières, bénévoles, les hôpitaux de Chambéry fonctionnent grâce au dévouement de ces femmes. Les jeunes filles de la haute société participent activement aux quêtes de charité et aux œuvres de bienfaisance.
… et celles du cœur
N’oublions pas le rôle joué par les « marraines de guerre » qui ont eu une influence certaine sur le moral des soldats.
Témoignage : Madame L., pupille de la Nation, dont le père est mort en novembre 1914, épouse à 18 ans un grand mutilé de guerre, décédé en 1935 des suites de ses blessures. Elle a eu sept enfants. De la guerre, elle se souvient des hivers sans charbon, de la courses aux « nouvelles », puis de l’armistice, elle, auprès de sa mère toute de noir vêtue, de ses sœurs, de leurs pleurs.
Elle donne sa vie
Dans les territoires occupés (6% de notre pays) des « héroïnes », des vraies, pas celles de cinéma, ont souffert ou sont mortes… et ces milliers de jeunes femmes condamnées au célibat et qui ne connaîtront pas les joies de la maternité. Des vies manquées, des embryons de vie…
Témoignage : Madame Duport, jeune mariée. Son mari part pour le front, est tué en 1914 dans les Vosges et ne connaîtra jamais sa fille. La jeune veuve de 20 ans retourne à la ferme de ses parents. Situation privilégiée car la nourriture ne manque pas mais le travail non plus. Ne s’est jamais remariée.
Affectée par le deuil et la solitude, épuisée, la femme, à la fin de la guerre, retrouvera d’autres difficultés : en ville, elle cède la place aux hommes qui reviennent de la guerre, dans les campagnes : exode rural, chute des prix du lait, du blé, dévalorisation de la terre.
Ces années de privation n’auront même pas servi à améliorer leur sort.
Témoignage : Madame Palmier (sa fille), Bramans. Madame Palmier, veuve de guerre, assurait le fonctionnement d’une petite exploitation. Malgré le travail acharné, la pauvreté régnait dans cette famille où il y avait deux jeunes enfants. « On achetait uniquement du café et du sucre. On cuisait le pain une fois par mois et on le conservait dans un grenier. Il était dur comme du bois. »
Ces femmes-là, n’ont, pendant quatre ans, pas trouvé le temps de sourire. Pourtant l’amitié, la gentillesse des voisins et amis les ont souvent réconfortées. Tout le village « s’aidait », comme on dit chez nous, pour le bois, les foins. L’entraide et la solidarité sont les points communs à tous ces témoignages (excepté Madame Grimontet).
L’esprit de fraternité qui animait les habitants de nos villages a redonné du courage aux femmes abandonnées.
On parlait déjà de l’émancipation féminine, pour s’en moquer souvent. On oubliait que la femme avait quelques raisons de réclamer la reconnaissance de ses droits. Ceux-ci avaient été acquis par son courage, son patriotisme ou simplement par l’accomplissement du devoir quotidien.
Si « elle » n’avait pas été là…
Puisqu’il faut conclure, et qu’après tout je ne suis pas sûre de ce que sera la conclusion (je veux dire par là que les historiens me mettent dans l’embarras avec leur manie des chiffres. La 1re, la 2e guerre… quel est le numéro de la dernière ? Est-ce vraiment la dernière ?).
L’histoire est une longue guerre et elle est bien triste, les hommes ont tant souffert…
Je m’en tirerai donc par une pirouette et donne la parole à de plus sages que moi ;
« Les belles actions cachées sont les plus estimables. » B. Pascal.
« Quelquefois les plus petits ressorts font mouvoir les plus grandes machines. » J.P. Marat.
Odile Portier
Article initialement paru dans Kronos N° 4, 1989
Bibliographie sommaire
– Notre siècle – René Rémond – Éditions Fayard
– La Voix du Combattant
– Les Menthes Sauvages – Christian Signol
– L’Histoire en Savoie n° 84, « La Savoie 1914-1918 »
– Mémé Santerre – Serge Grafteaux
– Cartes postales d’un soldat de 14-18 de Paul Vincent – Éd. JP Gissero
– Chambéry à l’heure de la grande guerre – Société des Amis du Vieux Chambéry – Tome 14
Témoignage de Madame Clochet, Grésy sur Aix
Née en 1900, « Mémé » Clochet avait quatorze ans au moment où éclatait la Guerre.
En effet, en 1913, « Mémé » Clochet, munie de son Certificat quitte « l’ouvroir », où en compagnie d’autres jeunes filles, elle a appris la cuisine, la couture, la broderie, en fait tout ce qui peut servir à la tenue d’une maison ; ceci, sous l’œil vigilant des sœurs Saint-Joseph de La Providence.
La Guerre va faucher ses espoirs de joie et de liberté, lui voler son adolescence. Son père est mobilisé. Par chance, il est envoyé dans un service auxiliaire, ayant eu la main écrasée dans un broyeur à pommes ; pour cette raison, il ne participera pas directement aux combats et reviendra sain et sauf après l’Armistice.
Malgré tout, durant les quatre années de cette guerre, il n’obtient que deux ou trois permissions. Il laisse donc femme, enfants (quatre dont « Mémé » Clochet est l’aînée), et domestiques. Dès cet instant, les journées ne suffisent plus à abattre l’énorme quantité de travail. À 5 heures, il faut se lever, avaler son lait et ses tartines, puis, munie de sa lampe tempête, aller traire à l’écurie, porter le lait à la fruitière. À 8 heures, un bol de soupe redonne quelques forces pour continuer. La journée ne fait que commencer : le bétail, les volailles, les lapins, le jardin, les deux petits derniers, le ménage, et surtout les travaux des champs « sur-occupent » (utiliser le verbe occuper serait leur faire une injure, et donnerait l’idée fausse de personnes oisives qui s’occupent pour ne pas s’ennuyer), sur-occupent donc les deux femmes du foyer. Car il faut, non seulement nourrir la famille, mais encore fournir à l’armée : lait, œufs, farine, pommes de terre…
Ces provisions sont régulièrement portées en un lieu de ramassage (peut-être la Mairie).
Les travaux des champs sont pénibles, l’unique cheval a été réquisitionné par l’armée. La Famille Clochet cultive des céréales : blé, orge, avoine ; les récoltes sont maigres ; les bœufs sont lents, les domestiques sont des vieillards et les enfants ont de bien petits bras…
Cependant, puisque l’on cultive du blé, on porte le blé au meunier qui donne la farine, on donne cette farine au boulanger qui donne le pain et fait payer la façon. La famille de « Mémé » Clochet n’utilise pas le four communal car cela n’est pas facile pour elle : il faut transporter le bois, allumer le feu, surveiller la cuisson (c’était le travail des hommes).
À l’énumération de toutes ces activités, « Mémé » Clochet en ressent encore toute la fatigue ; se cachant les yeux, elle nous dit : « c’était si long, si dur, il ne semble pas que cela soit vrai… »
Plus le temps passe et plus la vie est dure. Tout est rationné : une carte d’alimentation donne droit à (cela paraît ridicule de nos jours) 1 kg de sucre, 500 g de beurre par mois.
Un bon permet également d’obtenir une paire de chaussures par an. « Mémé » Clochet porte des sabots qu’elle achète chez le sabotier au village des Couduriers.
Les lessives durent de longues heures. À notre grand étonnement, « Mémé » Clochet nous avoue : « C’était facile ! Il y avait une pompe à l’écurie, un évier dans la cuisine l’hiver, un bassin dans la cour l’été ; nous transportions des seaux d’eau » ; très simple en effet…
Le savon de Marseille étant rationné, on s’en passe la recette de famille en famille, afin d’en fabriquer. Une plante, la saponaire, sert à « laver » (cela rendait l’eau gluante) les lainages, le marc de café à laver les vêtements noirs. Comme les lessives sont peu fréquentes, leur volume est important. Le linge est soigneusement raccommodé.
Quant aux repas, ils sont rapides et simples : rarement de la viande (« si on mangeait les poules, il n’y avait plus d’œufs ; on n’avait pas le droit de tuer nos bêtes »), pas de dessert, à part quelques fruits, pas de gâteau d’anniversaire, pas de fête, même lorsque le père est en permission (« nous n’avions pas de raison de nous réjouir »).
Le café est rare et à la fin, pratiquement introuvable ; on le fait « maison » : en faisant griller blé, orge, glands dans un grilloir.
Des enfants des villes voisines viennent à pied, à vélo, demander quelques légumes, des pommes de terre surtout ; mais la plupart se font arrêter par les gendarmes qui surveillent les routes et qui confisquent les provisions.
Avec le retour de la paix, l’injonction faite aux femmes en août 1914 de remplacer « sur le champ du travail ceux qui sont sur les champs de bataille » devient caduque. Mais pour autant, tout peut-il recommencer comme avant ? Mères, épouses, jeunes filles qui ont traversé les terribles épreuves de ce long conflit aspirent tout d’abord à retrouver une vie familiale traditionnelle.
Le manque de confiance dans l’avenir qui avait poussé les couples à retarder leurs projets de conception pour éviter de faire des orphelins s’efface et partout les naissances sont plus nombreuses. Ainsi la commune d’Albens où de 1919 à 1922 on enregistre quatre-vingt-dix naissances soit exactement le double de toutes celles advenues durant le conflit.
Quant aux mariages, partout dans l’Albanais les « promises » qui avaient en accord avec le fiancé retardé leurs noces vont être nombreuses à convoler dès 1919. Durant les quatre années d’après-guerre, les unions représentent plus de 70% des mariages enregistrés depuis 1913.
Dans une société essentiellement rurale, encore proche des valeurs de la religion, fortement structurée par des élites masculines, le rôle de la femme doit être celui de la bonne épouse, de la mère attentive. C’est dans ce contexte rapidement brossé que s’inscrit en 1922 l’élection de la première rosière d’Albens. D’après les dictionnaires de l’époque, la rosière est « une jeune fille vertueuse à laquelle, dans certaines localités, on décerne solennellement une récompense, souvent une somme d’argent ». Celle que peut remettre en 1922 la commune d’Albens à la jeune fille choisie provient d’un legs que Benoît Perret a fait par testament quelques années auparavant. Reprenant les conditions du donateur, le conseil municipal fixe par une délibération « au jour de la fête patronale la remise de la somme de 1000 francs à une jeune fille de 18 à 25 ans née dans la commune et y habitant depuis sa naissance qui aura la meilleure conduite envers sa famille et la société ». C’est le conseil municipal qui choisit parmi quatre candidates Marie Félicie pour avoir, après le décès de sa mère en 1916, élevé ses sept frères et sœurs.
Le Journal du Commerce relate ainsi la cérémonie : « À onze heures eut lieu le couronnement de la rosière devant une grande affluence. La fanfare prêtant son concours, M. Philippe Charles remplaçant M. le maire empêché, entouré de tout le conseil municipal après avoir félicité en terme « délicat » Melle Rey, lui remit le legs. Celle-ci, en un compliment des mieux composé remercie le donateur et tout le conseil municipal de l’avoir choisie comme rosière. Le défilé en musique et un vin d’honneur clôturèrent cette simple et touchante cérémonie ».
Cette célébration de la « jeune fille méritante » très répandue à cette époque a souvent un notable ou une personne aisée à l’origine de sa création. Benoît Perret en est un bel exemple, lui qui construisit sa fortune à Paris dans les milieux boursiers où il avait été coulissier. C’est peut-être à ce moment-là de sa vie qu’il a perçu l’importance sociale de ces fêtes particulièrement nombreuses en région parisienne. Revenu dans sa région d’origine, il a pu également s’inspirer d’exemples proches comme ceux de l’Albenc ou Vinay en Isère.
Si l’image traditionnelle de la femme semble encore dominer, il est des domaines dans lesquels des éléments de modernité s’imposent peu à peu comme la mode.
Dans tous les villages et les petites villes on trouve de nombreuses couturières et modistes qui proposent à leurs jeunes clientes des modèles au goût du jour. Ainsi peut on à côté de chez soi pousser la porte de ces ouvrières du vêtement. Le choix est important puisqu’on dénombre neuf couturières à Grésy-sur-Aix, cinq à Albens où l’on trouve aussi deux modistes, un magasin de vêtement, l’établissement Jacquet. Rumilly n’est pas en reste avec la maison Janin-Gruffat dont les encarts publicitaires, publiés dans le Journal du Commerce, informent des dernières tendances. Il est loin le temps de la Belle époque avec ses tenues corsetant le corps, ses chapeaux immenses. Des vêtements moins contraignants, adaptés aux travaux que les femmes ont assurés durant la guerre, se sont imposés. Dès lors, il n’est pas surprenant de voir la maison Janin-Gruffat proposer à ses clientes des coupes droites, des robes confortables, plus courtes, la taille juste soulignée par une ceinture. Si les bottines à lacets rappellent encore la Belle époque, tel n’est pas le cas du chapeau porté bas sur le front et de la coupe de cheveux plus courte.
Le monde du spectacle va fournir une dernière figure de la modernité féminine en la personne de Marie Minetti née en 1892 à Albens où son père était ferblantier.
En 1914, on la retrouve en Angleterre où elle fera une carrière d’actrice de théâtre et de music-hall. On parle souvent d’elle dans la presse britannique pour une interprétation de la Marseillaise sur scène en 1916 puis au sujet de ses nombreux rôles dans « Tina », « Carminetta » ou encore « Here comes the bride » qu’elle joue en 1925 au « Piccadilly theatre ». À travers ses tenues de scène, cette trentenaire illustre bien, loin de son « Albanais natal », la femme des années folles.