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Albanais 1900 – Vivre à la Belle Époque et les nuées de la guerre

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Dans l’Albanais à la Belle Époque

Vivre à la Belle Époque

LA SAVOYARDE

Lorsque j'avais vingt ans, à l'aube des dimanches
Ivre de joie et d'air, j'aimais à m'isoler
Du vain monde en allant, comme autrefois, fouler
Les champs où le ceuillais marguerites et pervenches.

Dans mes courses j'avais le plaisir de parler
À quelque femme ayant coiffe en dentelles blanches
Sur son fichu le cœur et la choix d'or ; des hanches
Prises par un jupon qui semblait les mouler…

Savoyarde d'antan, oh ! qu'es-tu devenue ?
Ainsi que tes atours et leur grâce ingénue
De ton corps faisant mieux ressortir la beauté.

Les filles de nos jours dédaignant le costume
Cher aux temps disparus, dans mon cœur attristé
Je sens grandir, hélas ! le regret, l'amertume.
J.-M. HÉRITIER.

71 Costumes de Savoie - Environs de Chambéry et Aix-les-Bains

Souvenirs épars de la vie d’autrefois

« Les garçons comme les filles portaient des robes jusqu’à ce qu’ils soient propres.

Le dimanche c’était le jour du Seigneur. Ma tante et ma grand-mère sortaient leur robe noire et leurs bijoux pour assister à la messe. Grand-père et mes oncles portaient quant à eux toujours le même costume et leur chapeau aussi. L’hiver à la veillée nous étions nombreux, nous triions les noix, les fruits, les pommes de terre qu’on vendait à des ambulants qui passaient chaque semaine devant la maison. Avec l’argent gagné on achetait des vivres, du savon, l’alcool à brûler pour la lampe et le petit réchaud.

La vie était simple, un rien nous faisait plaisir, malgré le manque de confort, il y avait beaucoup d’affection, de tendresse ».¹

La famille Pillet à Pégis (Albens)
La famille Pillet à Pégis (Albens)
On fait le bois (famille Pillet)
On fait le bois (famille Pillet)
J.-B. Pillet et sa fille
J.-B. Pillet et sa fille

Des modes venues de la ville

On pose en costume du dimanche
On pose en costume du dimanche
Les garçons aussi…
Les garçons aussi…

Le goût pour la petite reine, une certaine recherche dans la mise et l’allure. Les hommes ont très tôt abandonné les costumes traditionnels.

Harmonies, fanfares, et sapeurs-pompiers

Avant la Grande Guerre, il existait des fanfares importantes à Albens ou à La Biolle. Dans cette commune, la fanfare reprit de l’importance après 1925 grâce à l’énergique activité du curé Mermoz qui animait d’une main de maître la fanfare « La Gaîté ».

Des corps de pompiers existaient aussi dans les diverses communes du canton. Ils n’hésitaient pas à conjuguer leurs efforts au moment d’un sinistre important. L’incendie qui détruisit, le 14 juillet 1913, une partie des maisons qui bordent la place publique de Saint-Félix ne fut circonscrit que grâce aux efforts des pompes de Saint-Félix, d’Alby, d’Héry, de Saint-Girod, d’Albens et de Bloye.

« La gaîté » autour du curé Mermoz (La Biolle)
« La gaîté » autour du curé Mermoz (La Biolle)

Le temps des grands repas

La batteuse à Saint-Ours
La batteuse à Saint-Ours

L’arrivée de la batteuse était un moment important de la vie paysanne. Elle signifiait à la collectivité villageoise la récompense du long travail commencé l’année d’avant.

Un repas dans la cour de la ferme
Un repas dans la cour de la ferme

Mobilisant toutes les générations, elle donnait lieu à d’importants rassemblements où « pendant plusieurs jours, dans un travail collectif, on vivait dans la poussière et les débris végétaux ».²

Tout comme les hommes autour de la machine, les femmes s’activaient autour des fourneaux. Une véritable compétition gastronomique s’ouvrait alors pour faire de ces repas de véritables banquets plus que copieux : « Le repas, prévu depuis longtemps par la maîtresse de maison, selon des règles immuables, réunissait autour d’une table souvent montée avec des tréteaux et des planches accompagnées de bancs, tous ces ouvriers d’un jour.

Le service était certes, simple, mais correct, la réputation de chacun étant en jeu… Le rouleau salé de porc, fleuron de l’art culinaire de ces agapes, servi en entrée, était suivi de légumes de saison, de viandes et de fromages. Le tout, bien évidemment, très arrosé de vin rouge provenant des vignes que chaque petit propriétaire cultivait soigneusement, plutôt que ce vin de marchand cher et trop alcoolisé qui coupait les forces ».³

Une fête de la batteuse perpétue chaque été à Saint-Ours le souvenir de ces réunions paysannes estivales.

Les nuées de la guerre

La classe d'Alby 1910 sur le Pont Neuf
La classe d’Alby 1910 sur le Pont Neuf
RECRUTEMENT MILITAIRE. -- Classe de 1900. -- Itinéraire du Conseil de révision.

Nous, PRÉFET DU DÉPARTEMENT DE LA SAVOIE, Officier de la Légion d’honneur.

Itinéraire du Conseil de révision


SÉANCES                 DATES DES OPÉRATIONS        HEURES ET LIEUX
                                                    DES OPÉRATIONS
                                                    (heure légale)
1 Étrangers au dépt     Vend. 19 avril               9 h, du m. dans la salle d’audience du cons. de préfect,
2 Montmélian            Samedi 20 avril              8 h. du matin, à la mairie.
3 Aix- les-Bains        Lundi 22 avril               8 h. du matin,     id.
4 Ruffieux              Mardi 23 avril               2 h. du soir,      id.
5 Albens                Merc. 24 avril               8 h. du matin,     id.
6 La Rochette           Jeudi 25 avril               8 h. du matin,     id.
7. Chamoux              Vend. 26 avril               9 h. du matin,     id,
8 La Motte-Servolex     Samedi 27 avril              9 h. 1/2 du matin, id.
9. Yenne                Lundi 29 avril              10 h. 1/4 du matin, id.
10. Saint-Genix         Mardi 30 avril              11 h. du matin,     id.
11. Pont-Beauvoisin     Merc. 1er mai                8 h. du matin,     id.
12. Les Echelles        Jeudi 2 mai                  8 h. 1/2 du matin, id.
13 Le Châtelard         Vend. 3 mai                  9 h. 1/4 du matin, id.
14 St-Pierre-D'Albig.   Samedi 4 mai                 8 h. du matin,     id.
15 Chambéry - Nord
   et ajournés.         Lundi 6 mai                  9 h. du matin,     id.
16 Beaufort             Mardi 7 mai                 11 h. du matin,     id.
17 Moûtiers             Merc. 8 mai                 10 h. du matin,     id.
18 Bourg-St- Maurice    Jeudi 9 mai                 10 h. du matin,     id.
19 Aime                 Vend. 10 mai                 8 h. 1/2 du matin, id.
20 Bozel                Samedi 11 mai                8 h. du matin,     id.
21 Chambéry - Sud et
   ajournés             Lundi 13 mai                 9 h. du matin,     id.
22 Ugenes               Mardi 14 mai                 9 h. 1/2 du matin, id.
23 Albertville          Merci. 15 mai                8 h. 1/2 du matin, id.
24 Grésy-sur-Isère      Vend. 17 mai                 8 h. 1/4 du matin, id.
25 Aiguebelle           Samedi 18 mai                8 h. du matin,     id.
26 La Chambre           Lundi 20 mai                 2 h. du soir,      id.
27 St-Jean-de-Maur.     Mardi 21 mai                 2 h. du soir,      id.
28 Saint-Michel         Merc. 22 mai                 2 h, 1/2 du soir,  id.
29 Modane               Jeudi 23 mai                 8 h du matin,      id.
30 Lanslebourg          Vend. 24 mai                 9 h. du matin,     id.
31 Ajournés et clô-
   ture des listes.     Mardi 11 juin                9 h. du m., dans la salle d'au-
                                                       dience du cons. de préfect.


Art. 11. - Le présent arrêté sera publié et affiché dans toutes les communes du département ; il sera, en outre, inséré au Recueil des actes administratifs.
Fait à Chambéry, le 12 mars 1904.
Le Préfet de la Savoie,
A. du GROSRIEZ.
Itinéraire du conseil de révision, classe 1900

Être conscrit

La conscription remonte à la Révolution Française avec l’institution du service militaire.

Au XIXe siècle, elle donne lieu dans les campagnes à une véritable cérémonie de la part du contingent annuel de jeunes appelés qui s’emploient à « faire les conscrits ». « Les conscrits de l’année se réunissaient généralement le dimanche précédant le jour du conseil de révision, avec ceux de l’année suivante pour leur remettre le « crochon », c’est-à-dire les préparer à accomplir un acte de la vie que leurs aînés étaient en train de vivre. Ce rite était identique, dans l’esprit tout au moins, à la remise du « crochon » lors des mariages. Un banquet clôturait cette journée ».

Le jour du conseil de révision, les conscrits portaient leurs habits du dimanche. Il était très mal vu d’être réformé ; faire son service était un devoir mais aussi un honneur.

La Biolle : les conscrits de 1906
La Biolle : les conscrits de 1906

À l’issue du conseil, les conscrits du village se regroupaient souvent avec ceux des communes voisines pour partir faire une tournée. Ils arboraient alors toute une décoration chamarrée de cocardes, rubans ou ceintures.

Les Albanais dans la guerre

Ils partiront nombreux à la guerre de 1914-1918. Ceux qui survivront, en garderont d’amers souvenirs : « nous avons passé de sales moments, raconte L. Perroud en 1980, surtout au « chemin des Dames » et à Reims. On a perdu des troupes et du matériel, au « chemin des Dames », nous n’étions pas nombreux en ligne. Nous étions installés sur une crête. Nous sommes restés un mois en ligne sans que personne ne nous relève… Une fois, dans l’Aisne, nous sommes restés quatre jours sans manger, le ravitaillement n’arrivant pas. »

Ceux qui en revinrent ont pu se rattraper lors du banquet donné en leur honneur, le 5 octobre 1919 à Albens. Ils retrouvaient un monde bien changé : celui du XXe siècle.

Albens : les conscrits de la classe 1908
Les campagnes d'un poilu d'Albens
Les campagnes d’un poilu d’Albens
BANQUET DU RETOUR DES POILUS DE LA COMMUNE D'ALBENS

HORS-D'ŒUVRE
MELON
ANCHOIS A LA RUSSE
CERVELAS --- BEURRE

OMBRE-CHEVALIER SAUCE VÉNITIENNE
FILET DE BŒUF RICHELIEU
LIÈVRE SAINT-HUBERT
CHOUX-FLEURS CHANTILLY
POULETS DE GRAINS
SALADE PORTUGAISE

DESSERT
PIÈCES MONTÉES * FROMAGE
CORBEILLE DE FBUITS

CAFÉ * LIQUEURS
VINS A VOLONTÉ

ALBENS, LE 5 OCTOBRE 1919.
Banquet du retour des poilus de la commune d’Albens

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¹ D’après les souvenirs de Rolande Ray.

² Henri Blanc. Moisson de souvenirs : La batteuse. Le Dauphiné.

³ La batteuse. Les amis du vieux Rumilly. N° 8. 1990.

M. Germain. La Haute-Savoie Autrefois. Ed. Horvath.

Louis Perroud raconte la Grande Guerre. Kronos ° 1.

Les fanfares reprennent du service

Partout dans l’Albanais, quand la démobilisation des poilus s’achève et que s’ouvre le temps des monuments aux morts, on voit les fanfares reprendre du service.
Dès novembre 1919, la fanfare de Gruffy est de sortie pour le défilé en l’honneur des démobilisés. La situation est identique deux ans plus tard à Albens pour l’inauguration du monument aux morts, les sapeurs-pompiers ouvrant la marche, « la fanfare jouant des marches funèbres » comme le précise le Journal du Commerce. À Saint-Félix en 1922, c’est la fanfare d’Alby qui prête son concours et à La Biolle ce sont les cliques de la commune qui exécutent les sonneries.
Ces formations musicales avec tambours et clairons comme à Albens interprètent selon les circonstances des marches militaires, plus souvent des marches funèbres, parfois une « andante » et bien sûr à la fin de la cérémonie l’hymne national. On est loin de la Belle époque quand la fanfare d’Albens donnait concert place de la gare avec au programme valse, marche, polka et mazurka.
Il faut dire que le XIXème siècle finissant fut une époque propice à leur essor. Plusieurs photographies les montrent en action comme à Rumilly où la fanfare défile dans la Grande rue à l’occasion d’une procession. Pour Albens, c’est le photographe chambérien Grimal qui saisit la fanfare à la fin d’une répétition dans la rue centrale vers 1910. Son histoire est mêlée à celle du corps des sapeurs-pompiers dont une boucle de ceinturon témoigne de son existence en 1847 mais c’est à la fin du siècle que l’on trouve vraiment mention de la fanfare dont le règlement vient d’être adopté en 1892. La compagnie comporte des tambours et clairons et se produit lors de la fête patronale sous la direction de Constant Ginet. Ce dernier, natif d’Albens, avait fait partie de la fanfare militaire lors de son service militaire dans l’infanterie alpine.
L’armée au même titre que l’école joue un rôle important dans la formation des hommes et des citoyens (les femmes étant alors exclues du vote mais pas de l’instruction). Quelle que soit la durée du service, c’est l’occasion pour les soldats d’apprendre des chants de marche et pour certains de s’initier à la pratique d’un instrument.

Les musiciens du 97ème RI (archive familiale)
Les musiciens du 97ème RI (archive familiale)

Aussi n’est-il pas surprenant de voir Constant Ginet poser devant l’objectif du photographe avec son instrument à son côté, un tuba ténor, instrument de la famille des cuivres appelé aussi euphonium. Libéré de ses obligations en 1904, c’est lui qu’on retrouve chef de musique de la formation albanaise. Il le restera jusqu’à la mobilisation générale d’août 14. Tué au front en 1915, la commune évoquera son souvenir lors de ses funérailles en 1922, le maire rappelant alors l’époque où « il dirigeait avec beaucoup de compétence et un dévouement inlassable notre chère fanfare ».

Constant Ginet et son instrument (archive familiale)
Constant Ginet et son instrument (archive familiale)

Que deviennent les compagnies de pompiers et leurs fanfares durant la Grande Guerre ? On se doute que toutes ces formations furent affectées par le départ massif des hommes de moins de quarante ans. Pour autant, ne fonctionnèrent-elles pas malgré tout en faible effectif ? C’est dans un article du Journal du Commerce publié fin avril 1919 que l’on trouve ces éléments de réponse : « Albens. La compagnie de pompiers, désorganisée depuis 1914, par suite de la mobilisation de la presque totalité de ses membres, étant en voie de reconstitution, les habitants voulant en faire partie devront se faire inscrire de suite à la mairie ». La fanfare se reconstitue vite. On y trouve bien vite Jean Ginet, démobilisé en 1920, et qui revient à Albens avec dans son bagage un piston acheté à Albi pour 130F. La formation participe à nouveau aux grands moments du village, prêtant en particulier son concours dès 1922 à la fête de la Rosière qui vient d’être créée. Désormais la fanfare s’étoffe et prend de l’ampleur. À la fin de l’année 1927, on la retrouve donnant un concert sur la place centrale sous la direction de son chef M. Pignol. Lors de son assemblée générale de 1929, le Journal du Commerce rapporte les propos tenus par son président M. Jean Ginet, qui se félicite du regain d’activité d’une formation dotée de bons musiciens et qui bénéficiant de l’arrivée d’une douzaine de jeunes élèves formera « un groupe de 35 à 40 membres qui, sous la direction compétente de M. Lafargue, fera de remarquables progrès ».
Et que dire de La Biolle, où une belle fanfare voit le jour à l’instigation du curé Mermoz. Elle semble avoir pris la succession d’une ancienne formation qui existait avant 1914. Dans un numéro de la revue Kronos, on peut admirer un cliché de cette fanfare nommée La Gaité. Elle donnera son premier concert à Pâques 1926. De telles photographies peuvent se rencontrer aussi dans la presse ou dans les archives locales comme à Gruffy où la fanfare, réunie en 1929 pour son cinquantenaire, a posé au grand complet.

 La batterie fanfare d'Albens lors du 11 novembre 2018 (cliché Kronos)

La batterie fanfare d’Albens lors du 11 novembre 2018 (cliché Kronos)

Ces ensembles musicaux ont pu connaître bien des vicissitudes au long du XXème siècle mais on les retrouve toujours bien présents lors de nombreuses célébrations comme dernièrement celle du centenaire de l’Armistice.

Jean-Louis Hébrard