Un dossier aimablement prêté à un membre de Kronos par Monsieur le Conservateur du Musée de Chambéry, une vieille brochure de Monsieur le Comte de Loches, une visite au musée d’Aix les Bains, et diverses conversations, ont permis de rassembler un faisceau de renseignements concernant l’activité de la faïencerie de la Forêt, installée sur la commune de Saint Ours, et qui fonctionna de 1730 à 1814.
L’attention des chercheurs du passé de l’Albanais sera peut-être éveillée, et on souhaite que les uns et les autres examinent leurs vieilles faïences et porcelaines, fouillent les greniers, questionnent voisins et amis, peut être découvriront-ils plats ou assiettes portant au dos l’inscription : « la Forest »… Peut-être feront-ils quelque trouvaille plus intéressante ? Aussi cet article pourrait n’être que le premier se rapportant à une intéressante industrie de notre canton… Puisse-t-il amener nos amis à se passionner plus encore pour notre belle région…
Noël Bouchard, fils de Jacques Bouchard, quincaillier à Chambéry, fonda, vers 1730, à Saint Ours, au lieu dit « La Forest » une faïencerie dont les frais d’installation s’élevèrent à la coquette somme de 80 000 livres.
Le Roi de Sardaigne lui accorda, par lettres patentées du 23 Janvier 1730, le monopole de vente, l’exemption de nombreux impôts, ainsi que des facilités pour l’achat du sel et du plomb nécessaires aux vernis.
Noël Bouchard adjoignit un magasin de faïence à son commerce de quincaillerie de Chambéry. Après quelques années, son fils Jean Marc lui succéda, et les privilèges accordés par le Roi de Sardaigne furent prorogés en 1749 pour 15 ans, et en 1763 pour 10 ans…
Noël Bouchard n’avait que peu de compétences dans la fabrication des faïences ; aussi est-il probable qu’il utilisa les services de techniciens de Nevers, grand centre de fabrication, mais qui, à l’époque de la fondation de la Forest avait, par suite de la multiplication excessive de ses ateliers, été victime à la fois d’une crise de chômage et de la limitation du nombre des entreprises…
Il ne semble pas que l’on ait retrouvé des pièces attestant un style particulier à la Forest ; la faïencerie imitait des œuvres de provenances diverses (Nevers, Moustiers, faïenceries italiennes, etc…). La plus grande partie de la production était celle d’objets usuels, plats et assiettes, uniquement en faïence jusque vers 1770, parfois en porcelaine à partir de cette date.
Faïence « manganèse » (collection particulière)
En 1797, Pierre-Amédée Bouchard constitua, avec son beau-frère Jo Dimier et Marguerite Dimier, la Société Bouchard et Dimier, aux fins de poursuivre l’exploitation de la faïencerie… Mais cette société fut éphémère : le 21 vendémiaire an VII (13 Octobre 1798), Jo Dimier en réclama la dissolution.
Avait-il accepté de former une société avec son beau-frère pour connaître les « secrets » de fabrication ? Ou bien, les deux beaux-frères ne purent-ils s’entendre ? Toujours est-il que Jo Dimier s’installa à Hautecombe, ancienne abbaye devenue bien national, où il fonda sa propre faïencerie, qui fonctionna de 1799 à 1804, époque à laquelle il fit faillite, ce qui entraîna la disparition de la faïencerie de Hautecombe.
Un procès opposa Pierre-Amédée Bouchard, qui poursuivait l’exploitation de la Forest, et Jo Dimier.
Ce procès entraîna de gros frais, et fut, semble-t-il, une cause importante de la faillite de Bouchard, dont les biens furent saisis, et finalement vendus le 21 Novembre 1812.
Monsieur de Saint-Martin, notaire chambérien, se rendit acquéreur de la faïencerie, pour la somme de 44 425 Francs, tandis que Bouchard allait demander asile à un beau-frère, Monsieur Rosset d’Albens.
Faïence polychrome « Au Brochet » avec trois petits bonshommes pêcheurs (collection particulière)
La faïencerie fut alors dirigée par le notaire, aidé d’un « tourneur » (ouvrier faisant fonctionner le tour du potier) ; mais elle ne put se rétablir, et disparut promptement… Le musée de Chambéry possède en effet une assiette de faïence portant l’inscription « La Forest, 1814 »… Cette pièce constitue la dernière preuve de l’existence de la fabrique. D’autre part, vers 1816, Monsieur de Saint-Martin fit pulvériser les moules en gypse, pour engraisser ses champs de trèfles…
Actuellement, aucune trace de la faïence ne subsiste ; seule, la mémoire de certains habitants du hameau permet de situer l’endroit précis où se trouvaient les bâtiments.
Par contre, des traces de la production existent… Diverses pièces sont exposées dans les musées d‘Aix et de Chambéry.
À Aix, en particulier, on pourra voir quelques plats et assiettes, produits de la Forest. On admirera en particulier une très belle assiette en porcelaine ; toutes les pièces exposées sont soigneusement mises en valeur.
Une brochure, due à Monsieur le Curé de St Ours, et datée de 1980, permet de vérifier que des pièces plus « nobles » étaient produites :
– Une « Pesta » (Pieta) représentant le Christ mort, entre les bras de sa Mère ; le Comte de Loches lui trouve « un peu de gaucherie dans le modelage et l’attitude des personnages, mais les couleurs sont vives, l’émail bon, et l’on retrouve dans l’ensemble de la composition un peu de cette naïveté qui distingue les tableaux de Giotto et du Pérugin ».
– Un curieux petit moutardier, propriété de M. Rosset, notaire à Albens… « Ce moutardier est fait d’un tronc d’arbre, au pied duquel est un berger, dans une attitude peu pastorale, mais assez analogue avec le contenu du récipient » (Comte de Loches).
Enfin, et si l’on écarte provisoirement, dans cette étude, les pièces du musée de Chambéry, il faut ajouter qu’il y avait peut-être, suite à une campagne de fouilles menée il y a assez longtemps, des tessons provenant de la Forest, entreposés en musée d’Aix…
Plat à barbe en faïence (collection particulière)
Amis de Kronos et de notre belle région, n’entreprendrez-vous pas, avec nous, un travail de recherche, pour apporter votre contribution à la connaissance de pièces, plus ou moins belles, plus ou moins nobles, qui survivent vraisemblablement encore, peut-être dans les greniers, peut-être soigneusement suspendues ou précieusement posées sur quelque vieux meuble…
J. Caillet
Article initialement paru dans Kronos N° 2, 1987