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Vélo, mobylette et vespa

Pour la jeune génération d’après 1945, la « petite reine » a bien moins la cote qu’au temps de Front populaire. Peut-être qu’elle veut oublier les temps difficiles de l’Occupation où elle était le seul moyen abordable pour se déplacer. À l’orée des années 50, on délaisse donc le « biclou » pour les nouveaux engins à moteur. Le premier Solex circule dès 1946, suivi rapidement en 1949 par la Mobylette de Motobécane. Encore quelques années et une guêpe, la Vespa, arrivera d’Italie avec ses couleurs attrayantes et son allure dans le vent.

Des vélos pour se déplacer (archives kronos)
Des vélos pour se déplacer (archives kronos)

Toutefois, une partie encore importante de la population reste attachée au vélo. Dans la famille cycliste, on relève ceux qui à la campagne n’ont pas d’autres moyens de déplacement, particulièrement les femmes et enfin ceux pour qui la bicyclette est un loisir. Le Chasseur Français, mensuel très populaire à l’époque, fourmille de publicités célébrant la robustesse des cycles Manufrance produits à Saint-Etienne : « Pour vos enfants, pas de bonnes vacances sans une vraie bicyclette », peut-on lire dans le numéro 642 d’août 1950. La publicité précise que ces bicyclettes : « ne sont pas des jouets, mais la copie en réduction des modèles pour homme et pour dame… toutes ont roue libre, deux freins, et sont livrées avec pompe et sacoche garnie ».

Une réclame du Chasseur Français (collection privée)
Une réclame du Chasseur Français (collection privée)

Dans le numéro de novembre 1950 de la même revue, ce sont les bicyclettes Hirondelle qui font l’objet d’une publicité en pleine page. On met en évidence « une présentation élégante et de bon goût », mais on insiste aussi sur leur solidité : « les bicyclettes Hirondelle durent toute une vie et conservent indéfiniment leur bel aspect de neuf ». L’achat d’un cycle reste un évènement important dans la vie, rendant possible une certaine autonomie. Dans le bourg d’Albens, les clients peuvent choisir les modèles qui leur conviennent chez Louis Rivollet après le passage à niveau, mais aussi chez Joseph Reithler ou Jean Lacombe dans le village. Avec l’essor du niveau de vie, il ne faut plus en 1957 qu’une cinquantaine d’heures de travail pour l’achat d’un modèle courant à 16 000 francs. Si la production annuelle diminue lentement durant les années 50, la bicyclette n’en reste pas moins bien présente dans les films comme dans les chansons. En 1947, Bourvil connaît le succès avec une chanson comique pleine de double sens, À bicyclette. En jouant sur le double sens du mot « coureur », il fait de cette composition d’Étienne Lorin et de René Laquier une chanson mythique. Le cinéma n’est pas en reste si l’on pense au célèbre facteur à vélo du film Jour de fête de Jacques Tati, ou de l’œuvre plus dramatique du cinéma italien Le voleur de bicyclette, un film néoréaliste de Vittorio de Sica sorti en 1948.
Si la bicyclette est encore bien présente dans les films, c’est un peu moins le cas sur les routes, où elle rencontre la concurrence des engins motorisés comme les cyclomoteurs. De petite cylindrée, consommant peu de carburant, ils font leur entrée sur le marché avec la célèbre Mobylette. Engin hybride dont le nom résulte de la contraction entre mobile et bicyclette, la mobylette est à l’origine un modèle et une marque déposée pour un cyclomoteur de chez Motobécane. De la bicyclette, on a conservé le cadre, la taille des roues et des pneus, la selle et le guidon. C’est le petit moteur d’une cylindrée inférieure à 50cm3 et le petit réservoir qui en font un engin motorisé capable de rouler à 35 km/h en ne consommant que 2 litres aux 100 kilomètres.

Manufrance produit le cyclomoteur Hirondelle
Manufrance produit le cyclomoteur Hirondelle

L’entreprise Motobécane, premier constructeur français du moment, se lance alors dans la production massive de Mobylettes pour faire face au succès du Solex. Elle organise un atelier de montage approvisionné par sa division bicyclette pour les cadres et pour les moteurs par celle des motos.

Motobécane 125 « dans son jus »
Motobécane 125 « dans son jus »

Très vite, trois cents Mobylettes sortent chaque jour de l’atelier qui montera en puissance pour fournir jusqu’à 6 000 machines par mois. Mais pour concurrencer durablement le Solex, il faut gagner la guerre du prix. En effet, le cyclomoteur « ultra minimaliste » qu’est le VéloSolex coûte 5 000 francs de moins qu’une Mobylette. La différence est impossible à surmonter. En 1953, on va produire 100 000 VéloSolex, trois fois plus dix ans plus tard. Très léger, le petit engin motorisé rencontre un large public féminin mais pas seulement. Le cinéma en est la preuve. Pour sa première apparition sur les écrans en 1952, on peut voir Brigitte Bardot circuler à VéloSolex, mais c’est avec Jacques Tati que l’engin revient régulièrement sur les écrans. Monsieur Hulot, son personnage mythique, ne se déplaçant qu’à VéloSolex dans Mon Oncle ou encore dans Les vacances de Monsieur Hulot.

Publicité pour le VéloSolex (collection privée)
Publicité pour le VéloSolex (collection privée)

Une nouvelle venue va faire son apparition sur les écrans comme dans les rues au milieu des années 50, la Vespa. Dans Vacances romaines sorti en 1953, ce scooter transporte dans les rues de la Ville éternelle la très souriante Audrey Hepburn avec sur le porte bagage un autre monstre du cinéma, Gregory Peck. Avec son allure fuselée, la Vespa, mise au point en Italie dès 1949 par l’entreprise Piaggo, va conquérir le marché européen car elle véhicule des images de liberté, de sportivité et de jeunesse. Toutefois, elle n’est pas à la portée de tous, son prix équivalant alors à trois mois de salaire d’un employé. C’est un engin très astucieux qui reprend des techniques venues de l’aviation. En effet, en ruine après la guerre, l’usine aéronautique Piaggo a dû se reconvertir. La Vespa rapidement mise au point va se distinguer des autres motocyclettes. Les concepteurs utilisent des procédés de l’aéronautique comme la fixation latérale des roues, employée pour les trains d’atterrissage. Mais ils innovent aussi en montant directement le moteur sur la roue arrière par l’intermédiaire de la boite de vitesses. De ce fait, la chaîne de transmission disparaît. Il est alors possible de dégager une place pour les pieds à l’avant et de protéger les jambes par un carénage. La Vespa possède ainsi une allure bien particulière qui fait dire à Enrico Piaggo : « Elle a l’air d’une guêpe ». Ce scooter (un terme signifiant trottinette en anglais) permet d’atteindre 55km/h avec son moteur 2 temps. Il va marquer la fin des années 50 et toute la décennie suivante. Aujourd’hui, pour de toutes autres raisons, le développement des mobilités douces semble nous faire replonger dans ces années d’après guerre.

Jean-Louis Hebrard

Réglisse et roudoudou

Les années 50 inaugurent l’ère des gentils matraquages publicitaires. Ceux de La Pie qui Chante comptent parmi les plus aboutis. Les auditeurs sont abreuvés de la célèbre petite ritournelle « Y’a une pie dans l’poirier, j’entends la pie qui chante… ». Ces publicités assurent la notoriété d’une marque dont les bonbons sont partout en vente. Son animal emblématique fait référence au monde des fables que tous connaissent, école oblige. On retrouve l’oiseau sur les buvards de classe qui affirme « Plus maligne que Maître Corbeau, la Pie qui Chante garde ses bonbons pour les enfants sages ».

Porte clé (collection privée)
Porte clé (collection privée)

Sur les paquets très colorés, une sympathique pie, au bec largement ouvert, laisse échapper un chant mélodieux, avertissant les enfants en pique-nique que maman vient d’ouvrir l’enchanteur paquet de bonbons. Le retour en force des sucreries sonne la fin de l’univers du manque qui fut celui des années de guerre et d’occupation. « Durant plusieurs années après le conflit mondial, le sucre fut une denrée rare. On le remplaçait par la saccharine » écrit Bernard Demory dans son livre de souvenirs, Au temps des cataplasmes. Point de véritables bonbons. Le premier que j’ai connu « s’appelait le chocolat enrobé. C’était une sorte de Carambar composé d’une pâte de fécule sucrée enveloppée d’une mince couche de chocolat. Je dus attendre l’été 1949 pour découvrir les véritables bonbons », introduits par les Américains. Des confiseries qui trônent bien en vue sur le comptoir des épiceries. Albens comme de nombreux villages de l’époque possède pas moins de six épiceries, dont le magasin Montillet Frères et la toute nouvelle Étoile des Alpes.

Publicité début des années 50.
Publicité début des années 50.

C’est un univers merveilleux pour les enfants qui peuvent dévorer des yeux les grands bocaux en verre remplis de sucreries ou le Pierrot gourmand en céramique portant son alléchant éventail de sucettes.

Buste Pierrot gourmand, dessin et collage.
Buste Pierrot gourmand, dessin et collage.

Pour consommer, les enfants, qui ne disposent pas encore d’argent de poche, doivent gagner les quelques pièces nécessaires à la satisfaction de leur gourmandise. Le pécule ne se composait que de quelques pièces gagnées ici et là. On est volontaire pour aller chercher le pain, pour ramasser l’herbe des lapins ou encore déconsigner les bouteilles et récolter ainsi quelque menue monnaie. Il y a aussi la stratégie qui consiste à quémander les restes de monnaies après les courses avec maman. Ceux qui avaient un franc étaient déjà fortunés car souvent c’était plutôt les pièces de 20 ou 50 centimes qui tintaient dans les poches. Aussi, posséder une belle pièce de cinq francs était une véritable aubaine, un graal rendant possible les beaux achats avec les copains.

Le sésame pour les bonbons (collection privée)
Le sésame pour les bonbons (collection privée)

En sachet, en bâton ou en rouleau, la réglisse a toujours des adeptes parmi les gourmands. Chacun avait sa façon de consommer le ruban de réglisse enroulé comme un escargot autour d’une dragée de couleur. On le partageait en petits morceaux entre copains mais on pouvait aussi le savourer en solitaire. Une façon très amusante consistait à saisir le rouleau dans ses dents puis à le laisser pendre doucement et le grignoter centimètre après centimètre. Les bombons Car en Sac étaient souvent consommés de façon compulsive en rassemblant dans sa main une bonne poignée de ces dragées colorées dont on se remplissait la bouche. Le bâton de réglisse en bois demandait une consommation lente et assidue. Il était mâché consciencieusement donnant à son extrémité jaunâtre une allure de pinceau touffu. On pouvait le laisser un temps pour en reprendre le sucement plus tard.

Des bonbons encore d’actualité.
Des bonbons encore d’actualité.

Le « bonbon coquillage » évoque alors les vacances au bord de mer que l’on voit dans les films ou que certains, plus chanceux, découvrent alors. Son nom qui relève des expressions enfantines n’est autre que le roudoudou. Édouard Bled, bien connu des écoliers décrit ainsi ce bonbon : « sorte de sucre mou, coloré en rouge, vert ou jaune ». Une sucrerie que l’écrivain Paul Vialar replace aussi dans un lycée de ses romans où « le concierge vendait des roudoudous et des chocolats fourrés ». Le contenant dans lequel il est coulé fait son succès, en l’occurrence un vrai coquillage de praire. « Tu te souviens comme on aimait le manger jusqu’au bout », raconte Françoise dans son blog, « ça coulait un peu sur le menton, qu’importe si on ressortait tout collant ». Qu’importe donc, puisqu’on pouvait garder ensuite ce petit coquillage blanc qu’on aimait tant. C’est pourquoi il bénéficiait d’un avantage sur les autres bonbons en sucre cuit comme les berlingots ou les sucres d’orge. Mais cet univers sucré allait connaître sa révolution américaine avec l’arrivée sur le marché des pâtes à mâcher, c’est-à-dire le chewing-gum. Les fines plaquettes vertes des Hollywood chewing-gum sont bientôt concurrencées vers 1958 par le double rouleau rose du Malabar.

Faire des bulles avec Malabar (collection privée)
Faire des bulles avec Malabar (collection privée)

Le chewing-gum à la menthe profite du nom mythique de la capitale du cinéma américain qui fait rêver avec ses films et ses stars. C’est l’époque où sort dans les salles La fureur de vivre avec l’extraordinaire James Dean. Aussitôt Hollywood chewing-gum lance le mot d’ordre de « la fraîcheur de vivre ». On entre dans une ère nouvelle, celle d’une jeunesse qui mâchouille sans cesse. Elle fait la désolation des maîtres et maîtresses d’école qui luttent avec courage contre cette invasion. L’arrivée des malabars inaugure les concours de bulles dans les cours de récréation. Ce n’est pas très esthétique mais follement amusant. C’est beaucoup moins vrai pour la manie qui consiste à coller le chewing-gum usagé sous les pupitres et les chaises, au risque d’une sévère punition. Cette pratique peu hygiénique entraînait en fin d’année scolaire une remise en état des tables et chaises avec une séance collective de décollage et grattage. Mais qu’importe, le vieux monde triste des parents et grands-parents se trouvait emporté par l’explosion d’une énorme bulle rose de chewing-gum.

Jean-Louis Hebrard

Le temps du plastique

Après la Libération puis durant les années 50, l’industrie pétrochimique, portée par le vent du modernisme, déverse en abondance sur la société toute la gamme des matières plastiques. Par leurs usages très variés, elles entrent « dans les petits objets de la vie de tous les jours ». Désormais, dans toute la maison et particulièrement dans la cuisine, les formes évoluent, la couleur entre dans le quotidien. Impossible d’imaginer à l’époque que cet univers allait devenir « vintage » un demi-siècle plus tard.
« Formica, c’est formidable ! », proclament à longueur de pages les magazines féminins. La publicité vante d’abord le côté résistance de cette matière merveilleuse : « la préparation de vos plats se fera à même le Formica qui ne craint ni les chocs, ni les graisses, ni la chaleur, car ce remarquable revêtement résiste à tant de choses ». Dans un univers qui semble accumuler les petites catastrophes, le Formica devient une assurance « tous risques ». Les réclames qui en énumèrent une liste sans fin vous rassurent : « Sans importance, le verre renversé, l’encrier répandu, la cigarette oubliée ». Dans un monde de maladroits ou de négligents, le Formica résiste aussi aux « frottements répétés, à l’eau bouillante, à l’alcool, aux acides usuels, à l’eau de mer, aux gribouillis des enfants ». Cette magie du plastique se heurte parfois à la réalité, comme en témoignent alors les marques de brûlures laissées sur le beau Formica par une malencontreuse cigarette.

Le monde magique du Formica (collection privée)

Supportant les agressions, le Formica a comme autre qualité sa facilité d’entretien : « d’un coup de chiffon humide, il retrouve tout son éclat », : mais « un coup de Spontex » peut tout aussi bien faire l’affaire. Mine de rien, tout un changement de mentalité est instillé par une publicité pleine « d’arguments » dont celui de l’amélioration de la vie de la ménagère « libérée de toutes les petites contraintes, de tous les soucis d’entretien ». Cette nouvelle matière fait enfin entrer la couleur dans les intérieurs domestiques avec plus de cinquante coloris en catalogue. Le liseré noir qui borde tables, chaises et buffets accentue par contraste des couleurs éclatantes : jaune citron, rouge framboise, orangé, bleu vif ou vert d’eau. Ces belles surfaces satinées et brillantes disqualifient le traditionnel mobilier en bois. Des surfaces dont le fini incomparable, affirme la publicité, qui s’harmonisent « à merveille aux lignes épurées du meuble d’aujourd’hui ». Les meubles peuvent alors adopter des formes nouvelles avec des courbes audacieuses ou des lignes épurées comme le donne à voir cet intérieur de la fin des années 50. Dans « Mythologies », Roland Barthes pointe en 1955 cette révolution du plastique dont il dit « c’est une substance ménagère, une matière artificielle, plus féconde que tous les gisements du monde ». La même année, Léo Ferré compose « Le temps du plastique », un texte dans lequel l’ironie de l’auteur fait merveille. Les matières naturelles se voient désormais ringardisées au profit du simili, du factice, du toc, de l’imitation.

Intérieur fin années 50 (collection privée)

Peu à peu, le plastique supplante les matières traditionnelles comme la terre cuite et la poterie. Les beaux pichets et les brocs que les nombreux ateliers de l’Albanais ou de la Marnaz produisaient voient le pot à eau en plastique leur souffler la vedette. Il faut dire que le nouveau venu est bien plus sympathique avec son aspect bicolore, sa forme rebondie. Il se fond parfaitement dans le nouvel univers coloré du Formica et illustre la nouvelle façon de penser qui affectionne surtout la légèreté.

C’est léger et moderne (collection privée)

Les pendules de cuisine elles aussi sont entièrement repensées car le plastique, comme le Formica permet d’innombrables audaces tant pour les formes que pour les coloris.

On soigne le visuel (collection privée).

On privilégie les courbes faisant alterner portions concaves et convexes. Les marques Japy, Jaz ou Beroz proposent des créations colorées qui mettent en valeur un cadran clair facilitant la lecture de grands chiffres noirs. Protégées par un verre légèrement bombé, les aiguilles au design moderne sont actionnées par un petit moteur électrique à pile.
Il est un domaine qui résiste à cette marée du plastique, c’est celui des bouteilles et autres récipients en verre. L’explication tient en un seul mot : la consigne des bouteilles. Mise en place dans les années 50, elle permet au consommateur qui verse une somme modique lors du premier achat de retourner les bouteilles à l’épicier. Le client a le choix, soit remplir à nouveau ses bouteilles de vin, de bière, de lait, ou bien de récupérer la somme payée en supplément. Les enfants se chargent alors volontiers de déconsigner les bouteilles, espérant que les parents veuillent bien abandonner les quelques centimes de la consigne. Même s’il faut laver les bouteilles, passer soigneusement l’écouvillon, on aime bien ce système. Il faudra attendre les années 60 et leur matraquage publicitaire en faveur des bouteilles jetables pour que le plastique l’emporte peu à peu.
Aujourd’hui répandu aux quatre coins de la planète, ayant envahi les océans, le plastique jetable n’est plus moderne comme il le fut autrefois. Retournement de mentalité, les récipients et bouteilles en verre consignés ont à nouveau le vent en poupe.

Jean-Louis Hébrard

La lessive se modernise

La jeune actrice préférée des Français, Brigitte Fossey, fait la couverture de « Bonnes Soirées », l’hebdomadaire complet de la femme, dans son numéro du 13 janvier 1957. Celle qui a bouleversé un vaste public dans « Jeux interdits », un film de René Clément sorti en 1952, va bientôt fêter ses onze ans. Le journal féminin la présente en train de faire la lessive pour son poupon avec cette légende évidente pour l’époque « jeune vedette mais déjà bonne ménagère ».

L'hebdomadaire Bonnes Soirées (Collection particulière)
L’hebdomadaire Bonnes Soirées (Collection particulière)

La brassière qu’elle retire de la lessiveuse est d’un blanc éclatant. Avant de l’étendre derrière elle, elle prend grand soin de s’en assurer. Dans cette couverture, les lectrices sont en droit de s’interroger. De l’actrice ou de la lessive, qui est la vedette ? En cette fin des années 50, le lavage du linge, tâche essentiellement dévolue aux femmes, connaît une véritable révolution technique avec la diffusion de la machine à laver et chimique avec l’apparition des détergents en poudre comme Omo. Cette couverture est un véritable résumé des dilemmes du temps : abandonner la corvée du lavage à la main, renoncer aux détergents traditionnels pour se tourner vers la modernité.
Dans beaucoup de foyers urbains comme ruraux, la grande lessiveuse en zinc ou en fer blanc est l’outil principal de la corvée du linge.

Schéma extrait de l'article lessiveuse Wikipédia
Schéma extrait de l’article lessiveuse Wikipédia

Il fallait au préalable, la veille, avoir fait tremper le linge dans de la lessive. Le jour dit, on démarrait la mise en chauffe. De nombreux témoins se souviennent de l’odeur de la lessiveuse quand le linge commençait à bouillir sur son trépied à gaz. Pendant une bonne heure, l’eau chaude potassée monte dans le tube central et grâce à un champignon placé en son sommet arrose le linge. L’eau savonneuse en redescendant traverse et nettoie le linge que l’on a disposé dans la lessiveuse. Un couvercle permet la conservation de la chaleur et l’assurance d’une lessive réussie. Une fois bouilli, le linge était retiré de la lessiveuse avec un bâton ou de grandes pinces en bois à cause de la chaleur. Ensuite en route vers le lavoir ou le bassin pour le rinçage. Il en existe de nombreux encore visible dans les villages à Bloye, Marline ou Braille ou encore à proximité d’un moulin. C’est le cas de celui qui est conservé en amont du moulin de Crosagny sur le chemin conduisant aux étangs. Le bruit des battoirs et les éclats de voix ont disparu, il ne subsiste désormais que la structure matérielle.

Le lavoir du moulin en 2020
Le lavoir du moulin en 2020

Le travail terminé, on étendait la lessive sur des fils, attachée par des épingles en bois. La revue « Nous Deux », hebdomadaire sentimental de l’époque, donne une image « glamour » de l’étendage. Il est venu la voir à bicyclette et l’a trouvée dans le jardin à côté de l’étendoir. Le vélo posé contre un poteau, il participe au pliage d’un drap. Les autres sont encore suspendus derrière eux. Ils vont avoir le temps de prolonger cette rencontre amoureuse que le journal a intitulé « jeux de plein air ».

Nous Deux, 1951, n°200 (Collection particulière)
Nous Deux, 1951, n°200 (Collection particulière)

Avec quel détergent ces draps blancs ont-ils été lavés ? En ce début des années 50, on fait encore la lessive à la cendre de bois. Sous le titre « Lessives d’autrefois », le site espritdepays.com explique le procédé alors en usage dans les zones rurales : « les cendres récupérées provenaient des fourneaux de la maison et étaient stockées dans des sacs pour être déposées dans le fond des cuviers. Contenant des sels de potasse, ce détergent naturel disposait d’un excellent pouvoir détachant ». Cependant, la révolution moderne va proposer aux ménagères de nouvelles lessives bien plus pratiques, issues de la chimie de synthèse. Elles portent des noms encore connus aujourd’hui comme Persil, Omo, Skip ou encore Bonus. Pour persuader les femmes de les adopter, les firmes comme Procter & Gamble ou Lever, rivalisent de créativité à travers les réclames qui inondent les magasines.

Publicité – Le Chasseur français 1951 (Collection privée)
Publicité – Le Chasseur français 1951 (Collection privée)

« Bébé est terrible ! Heureusement que sa mère, Brigitte Fossey », lit-on dans les pages intérieures de Bonnes Soirées, « s’y connaît en lavage. Avec Omo toutes les taches vont disparaître. Comme elle, faites bouillir avec OMO et vous aurez le linge le plus propre du monde ! ». L’encart publicitaire se termine par le leitmotiv bien connu à l’époque « OMO est là, la saleté s’en va ! ». Dans une autre revue, deux ménagères comparent des torchons qui grâce à une lessive qui lave plus blanc, ont « la blancheur PERSIL ».
La bataille publicitaire va également viser, dès 1958, les enfants afin qu’ils influencent leurs parents pour qu’ils choisissent Bonus. Le procédé est déjà largement employé par le chocolat qui promet une image, un timbre à collectionner. Avec la lessive, c’est la surprise d’un petit jouet, d’un cadeau qui est mise en avant.

Publicité pour la lessive Bonus (Collection particulière)
Publicité pour la lessive Bonus (Collection particulière)

Désormais, les grands lessiviers sont parvenus à faire entrer dans tous les ménages ces poudres, liquides et savons qui accompagnent l’arrivée de la machine à laver. C’est avec le réfrigérateur l’équipement ménager qui est acheté en premier.

Publicité Manu France de 1951 (Collection particulière)
Publicité ManuFrance de 1951 (Collection particulière)

Au début, cet engin est d’une conception assez simple avec une essoreuse à main dont certains témoins se souviennent parfaitement. Gosse, « nous étions souvent requis pour tourner la manivelle de l’essoreuse. Pris entre deux rouleaux en caoutchouc, le linge sortait tout aplati comme une morue ».
Ce petit modèle électrique allait être peu à peu remplacé par des machines plus élaborées, préfigurant celles d’aujourd’hui. C’est ce que mettent au point de nouveaux constructeurs comme Lincoln, Philips, Laden, Vedette… Chacun recherche le meilleur procédé comme le lavage par agitateurs chez Thomson ou le lavage par jets d’eau et vibration mis au point par Philips. Si la machine à laver « libère la femme » comme il est dit à l’époque, elle n’est pas à la portée de toutes les bourses, nécessitant encore 1 000 heures de travail pour l’acheter.


Jean-Louis Hébrard

Grandir : barboteuse, culotte courte et pantalon

La manière d’habiller les garçons balise le temps qui les fait passer de « petit garçon modèle » à celui de « grand garçon » avant d’être considéré comme un « jeune homme », le terme d’adolescent n’étant pas encore couramment utilisé.
La barboteuse est alors le vêtement le plus courant pour tout garçon en bas âge. Constituée d’une culotte ample et bouffante et d’un plastron tenu par des bretelles,
elle est bien adaptée au changement des couches grâce à un boutonnage à l’entrejambe. Sur les photographies de ces années, on porte très souvent la barboteuse en popeline pour l’été, tricotée en laine pour l’hiver.

On porte la barboteuse à deux ans (Archive privée)
On porte la barboteuse à deux ans (Archive privée)

La France des années « baby boom » est le pays d’Europe où la barboteuse a été la plus portée par les petits garçons, parfois jusqu’à l’âge de 6 ou 7 ans. Elle peut devenir un vêtement très habillé qu’accompagnent un gilet et une charmante casquette. Mais elle est surtout un vêtement tellement populaire et si facile à tricoter que les magasines de mode des années 50 proposent régulièrement des patrons à réaliser et à adapter. La revue « Modes et Travaux » dans un numéro de l’année 1952 présente dans une rubrique intitulée « Pour affronter l’hiver » des modèles de brassière, barboteuse, paletot réversible et bonnet.

Modèle de barboteuse et brassière (Archive privée)
Modèle de barboteuse et brassière (Archive privée)

Mère de famille ou grand-mère, toutes les femmes tricotent alors à tour d’aiguilles. C’est ce que l’on peut lire sous la plume de Barjavel, dans un roman de 1948 : « mais pour se rendre utile jusqu’à la dernière minute, elle tricotait, tricotait, tricotait des brassières et des barboteuses, des bleues pour les garçons et des roses pour les filles ».
Si l’on porte la barboteuse dans sa jeune enfance, à partir de l’entrée à l’école c’est la culotte courte qui devient la tenue requise et plus ou moins souhaitée. En effet, elle marque l’entrée dans le monde des « kids », de ceux qui n’ont pas peur d’avoir les genoux « couronnés », ne craignent pas de quitter les jupes de maman pour se lancer dans de folles aventures avec les copains.

En culotte courte et chemisette (Collection privée)
En culotte courte et chemisette (Collection privée)

Dans le même temps, ce n’est pas un choix mais une obligation imposée par les mamans. Certains se souviennent : « Notre mère nous mettait en culottes courtes tous les jours de l’année sans exception, car de toutes façons il n’y avait rien d’autre dans les armoires ». En hiver, pour se protéger du froid on enfilait de longues chaussettes de laine qui montaient en dessous des genoux. En été, les culottes en velours cédaient la place à celles en coton ou en popeline avec de petites socquettes blanches dans nos sandales ou nos chaussures basses. Cette tenue nous rendait libres de nos mouvements mais nous exposait aussi aux corrections qui ne manquaient pas de s’abattre sur nos cuisses dénudées. Le martinet était alors un instrument que l’on redoutait mais dont les adultes justifiaient l’usage au prétexte d’éducation (il fallait bien nous voir grandir dans le droit chemin). La mentalité du « qui aime bien châtie bien » n’était pas encore remise en cause.

Jeux d'enfants (image à collectionner)
Jeux d’enfants (image à collectionner)

Pour les jeux, le port des culottes courtes facilitait les mouvements tout en exposant nos genoux à tous les incidents, chutes à bicyclette et autres écorchures. On ne comptait plus les bleus sur les tibias ni les plaies diverses et variées qui étaient soignées au Mercurochrome. À la longue le rouge s’effaçait, les croûtes tombaient laissant des cicatrices, véritables marques de nos exploits ou de nos maladresses.
L’accès au costume avec un pantalon long marque l’entrée dans l’adolescence. Il se fait à l’occasion de la communion solennelle, moment religieux mais aussi véritable rite de passage. Si les jeunes filles doivent porter une robe blanche, les jeunes hommes sont habillés comme des adultes.

En tenue de communiant (collection privée)
En tenue de communiant (collection privée)

La tenue comprend une veste et un pantalon de couleur sombre ainsi qu’une chemise blanche dont le col est fermé par une cravate. N’oublions pas, symbolique religieuse oblige, le brassard blanc. Le costume a fait l’objet d’une visite chez le tailleur local ou dans la boutique de vêtement la plus proche. Des témoins se souviennent bien de l’achat de leur costume à Albens auprès des établissements Jacquet.

Au carrefour d'Albens, les établissements Jacquet
Au carrefour d’Albens, les établissements Jacquet

Cette dépense indispensable devient ensuite le « costume du dimanche » que le jeune homme va porter dans toutes les occasions importantes, fêtes familiales et cérémonies jusqu’à ce que, devenu trop étroit et trop court, il passe sur les épaules du reste de la fratrie. Avec ce premier costume de communiant c’est le temps de l’enfance que l’on quitte. D’autres costumes vont ensuite marquer d’autres étapes importantes, celle du conseil de révision puis celle des noces. Mais c’est une autre histoire que peuvent nous raconter aujourd’hui les boîtes de photographies et parfois même les armoires familiales.

Jean-Louis Hebrard

Ne rien jeter, réutiliser

Au début des années 50, les adultes qui nous entourent, grands-parents et parents, ont traversé les épreuves de la guerre. Tous sortent de la période de restriction liée à l’Occupation. Mentalement, tout le monde connaît la valeur des choses, jusqu’au moindre clou, bout de ficelle, morceau de laine. On sait faire travailler ses mains pour tricoter, coudre, raccommoder. On devient cordonnier quand les chaussures s’usent, menuisier ou soudeur pour effectuer d’innombrables réparations. À la maison, les boites se remplissent de boutons, fermetures Éclair, crochets. Dans l’atelier ou la cabane du jardin, les tiroirs se remplissent de rondelles, vis de tout type, clous mis de côté en raison du : « au cas où, ça peut toujours servir ». C’est le règne des boites.

Pour conserver la semence (petits clous) Collection de l'auteur
Pour conserver la semence (petits clous) (collection de l’auteur)


Dans la France du président Vincent Auriol, les anciens combattants de la Grande Guerre sont encore nombreux. Ils se souviennent de ce conflit qui a pris leur jeunesse, les a marqués à vie, leur donnant entre autre la manie étonnante de la récupération. Une rondelle de métal, un bout de pneu ne doivent pas traîner dans la rue ; hop, dans la poche en vue d’un réemploi. Nous, les petits enfants, les regardions étonnés, ne pouvant savoir l’importance que ces « débris » avaient pu représenter pour eux dans les tranchées. Seules les douilles d’obus trônant sur la cheminée conservaient alors la mémoire d’un artisanat effectué à partir des matériaux disponibles sur le front (fusées, douilles, têtes d’obus…). Pierre Raynal, auteur d’une exposition sur l’artisanat des tranchées, écrit : « ces objets métalliques étaient transformés pour donner des briquets, des coquetiers, des bagues ou des boites à tabac… Les outils pour graver, poinçonner, tailler étaient fabriqués eux aussi à partir de matériaux de récupération ». Quant à la génération des parents, elle venait d’être formatée par quatre années de rationnement et savait récupérer de la laine sur un vieux tricot, réemployer la tôle des boites de conserve.
En Savoie comme dans le reste de la France, on ne roule pas sur l’or. À la campagne, dans le monde ouvrier, être économe s’impose. Ce mode de vie parcimonieux est rapporté par Jean Bertolino dans Madame l’Étoile. Il raconte son séjour, enfant, dans une ferme du côté de Nances : « La vente du lait […], des céréales et du tabac cultivés sur les huit hectares de la propriété à l’aide de deux bœufs sont les seuls revenus des Richard, juste de quoi renouveler ou entretenir l’outillage, payer les petits frais. Pour le reste c’est l’autarcie. Un carré de vigne fournit le vin de l’année… de la volaille donne les œufs et agrémente les repas de fête ».
Dans de telles conditions, on ménage principalement les vêtements et les chaussures. Les hommes possèdent souvent un pied de fer ou enclume de cordonnier. De dimensions réduites (18cm de hauteur sur 16 et 15 cm pour les autres parties) ce petit outil permet le changement des talons mais aussi la fixation de fers pour renforcer le bout de la chaussure et l’arrière.

Enclume de cordonnier (collection de l'auteur)
Enclume de cordonnier (collection de l’auteur)

On se souvient encore du bruit que produisaient ces embouts ferrés ainsi que des glissades qu’ils provoquaient. Pour fixer tout cela, le « cordonnier maison » utilisait de tout petits clous ou semences. Le travail achevé, c’était l’assurance de pouvoir faire durer la chaussure longtemps.

Modes et Travaux (janvier 1952) modèles de tricots (collection de l'auteur)
Modes et Travaux (janvier 1952) modèles de tricots (collection de l’auteur)

Outre la couture et le raccommodage, les mères de famille pratiquaient le tricot. À l’époque, il redevient plus facile de commander des pelotes de laine. Les marques ne manquaient pas, telles Bergère de France, Phildar, Pernelle, Laines du Chat botté. La laine restant encore précieuse, cette dernière marque avançait l’argument qu’avec elle on pouvait « tricoter plus avec moins de pelotes ». Mais avant de faire la commande, on cherchait à récupérer la laine des anciens tricots, cache-nez et autres gilets. Ce travail s’effectuait toujours selon des étapes bien rodées. On détricotait puis on lavait la laine à bonne température avec une lessive adaptée. Le séchage demandait ensuite des soins attentifs pour conserver à la laine ses qualités. Quand tout avait séché, arrivait enfin la mise en écheveau. Enfant, on était heureux de participer à leur confection. Il fallait tendre les bras, bien écartés pour qu’on puisse enrouler le fil de laine. L’écheveau terminé, il ne restait plus qu’à tricoter à nouveaux en mélangeant les pelotes, les couleurs et les motifs. Cela donnait des assortiments improbables portés malgré tout avec bonheur quand le froid revenait. Les revues fourmillent alors de modèles pour tous les âges. Pour équiper bébé, étaient proposés la brassière, la barboteuse, le paletot réversible et le bonnet. Les plus grands avaient le gilet. Pour cela, il fallait puiser dans la boite à boutons. Toutes les familles en possédaient une dans laquelle dormaient tous les systèmes de fermeture et de boutonnage récupérés au fil des ans sur tous les vêtements usagés.

Boutons et fermetures éclair (collection de l'auteur)
Boutons et fermetures éclair (collection de l’auteur)

L’on ne parle pas alors de recyclage, c’est plutôt le binôme récupération et bricolage qui domine les esprits. Dans tous les foyers il y a un bricoleur en action, une personne qui est capable d’étamer les casseroles, de changer les plombs fondus dans les tabatières du tableau électrique ou de confectionner des charnières avec des morceaux de pneumatique. Ce personnage est chanté avec beaucoup d’humour par Patachou sur un texte écrit en 1952 par Georges Brassens. Tout le monde connaît alors le refrain « Mon dieu quel bonheur, mon dieu quel bonheur, d’avoir un mari qui bricole, mon dieu quel bonheur, mon dieu quel bonheur, d’avoir un mari bricoleur » et sa chute « boite à outil, boite à outil ».
Le règne du système D qui dominait dans les années 50 revit peut-être aujourd’hui à travers la multiplication des « tutoriels  » sur internet.

Jean-Louis Hebrard

Des héros à gogo

De nombreux exploits sont accomplis durant les années 50, sur les océans, dans les altitudes extrêmes, dans les profondeurs sous-marines, dans les airs et l’espace. Des hommes et des femmes s’illustrent alors dont les noms sonnent encore à nos mémoires.
La presse, la radio, l’édition nous font connaître leurs exploits. Ils sont suisses, britanniques, français ou norvégiens et tout simplement extraordinaires. À ces héros bien réels se rajoutent tous ceux que la presse enfantine propose : aviateur à la Buck Dany, trappeur à la Davy Crockett, anti-héros sans emploi à la Gaston Lagaffe.
Avec l’apparition du Livre de Poche en février 1953, c’est le monde de l’exploration qui fait irruption dans notre quotidien. Leurs couvertures illustrées, leurs tranches de couleurs vives (petite réclame intégrée au livre) captent l’attention des jeunes et moins jeunes lecteurs. D’un simple coup d’œil, il devient possible de s’embarquer sur un radeau à travers le Pacifique et de tenir la barre avec le norvégien Thor Heyerdahl comme nous y invite la photographie du Poche intitulé « L’expédition du Kon-Tiki ».

Traverser le Pacifique (collection particulière)
Traverser le Pacifique (collection particulière)

Le livre de Poche, dont un exemplaire sort chaque semaine, va très vite se démultiplier en sous-séries spécialisées, notamment celle qui va publier « les récits d’exploration, d’aventures et de voyages les plus originaux et les plus passionnants ». Cette dernière vise à entraîner le lecteur « dans des découvertes surprenantes : fonds sous-marins, ou grottes préhistoriques, sommets enneigés ou volcans, déserts de glace ou de sable ». Les titres annoncés vont contribuer à une connaissance plus exacte du monde et de ses habitants à une époque où l’on commence seulement à partir en vacances au bord de la mer en France ou chez nos voisins européens. Aussi est-ce un véritable dépaysement que de pouvoir devenir « Naufragé volontaire » avec Alain Bompard, de se lancer dans « L’expédition Orénoque-Amazone » à la suite d’Alain Gheerbrant ou de vivre la « Victoire sur l’Everest » aux côtés d’Edmund Hillary et de son compagnon népalais Tensing.

Sur l'Everest (collection particulière)
Sur l’Everest (collection particulière)

Dans la même collection, le livre de Jacques-Yves Cousteau et Frédéric Dumas attire le regard avec sa belle couverture montrant des plongeurs munis de porte-flash, s’enfonçant calmement dans les profondeurs du « Monde du silence ».

Dans les profondeurs marines (collection particulière)
Dans les profondeurs marines (collection particulière)

Après le livre, le commandant Cousteau tourne avec Louis Malle un film qui sort en salle en 1956 et obtient la même année la palme d’or au festival de Cannes. Jacques-Yves Cousteau à bord de son navire océanographique la Calypso devient alors le principal héros de l’aventure des grandes profondeurs. Les magnifiques images qu’il nous livre sur l’univers sous-marin transforment peu à peu les simples baigneurs en plongeurs impatients de partager les mêmes découvertes.
Dans le domaine aérien, c’est une française qui s’illustre dès 1951 en décrochant le record du monde féminin de vitesse en volant à plus de 755 km/h. Belle-fille du président de la république, Jacqueline Auriol va enchaîner les exploits dans son duel avec l’aviatrice américaine Jacqueline Cochran en volant de plus en plus vite jusqu’à atteindre des vitesses supersoniques.

Journal de Spirou (collection particulière)
Journal de Spirou (collection particulière)

Les belles histoires de l’Oncle Paul que publie le journal Spirou, mettent en valeur le courage et l’intrépidité de cette aviatrice. Avant de parler de ses exploits, le conteur rappelle son terrible accident à bord d’un avion amphibie qui l’immobilisa plus d’une année à l’hôpital où elle dut subir près de trente opérations avant de reprendre les commandes d’un avion. Les journaux destinés à la jeunesse proposent surtout des héros de papier dont certains s’inscrivent dans le contexte des guerres récentes, d’autres qui traversent toute l’Histoire du monde et quelques-uns qui préfigurent l’entrée dans la société de consommation et de loisirs.

Timour
Timour

Voici d’abord Timour dont les aventures sortent en 1953 dans le journal de Spirou. Max Mayeu dit Sirius et Xavier Snoeck sont les créateurs de ce héros aux cheveux roux qui va vivre à travers l’histoire de sa famille plus de vingt siècles de l’histoire de l’humanité.
Les jeunes lecteurs sont rapidement conquis par ces « Images de l’Histoire du Monde » remarquablement documentées qui vont les faire passer de la préhistoire à Babylone, à l’Egypte des pharaons puis à Carthage et Rome avec deux épisodes aux titres plein de mystères : Le fils du centurion et Le gladiateur masqué. Le Moyen-âge confronte ensuite Timour aux Vikings, aux Arabes en Espagne et à bien d’autres adversaires. Le héros privilégie l’amitié comme il l’affirme à la fin du premier épisode en gravant sur un talisman « deux mains jointes qui sont le signe de l’amitié et d’autres qui se tendent ». Une pierre, lit-on dans la dernière image, qui « revient au fils de Timour qui la transmettra à ses enfants et aux enfants de ses enfants. Ainsi ils n’oublieront jamais… ».
Un autre héros, aviateur et américain, entraîne le jeune lecteur dans la guerre du Pacifique puis dans les tensions de la Guerre froide. Buck Dany est un pilote moderne, maîtrisant la technologie, la vitesse, défendant le bien face aux forces du mal. Derrière des planches documentées et précises sur les multiples modèles d’avions, de fusées, de navires de guerre, on trouve en filigrane le conflit idéologique qui traverse les années50.
Buck Dany, le facétieux Sonny Tuckson, et le calme Tumbler aux allures de vedettes de cinéma vont être mis sur la touche par un nouveau venu aux espadrilles échancrées, à l’allure trainante et à la philosophie « cool » bientôt promu à une future célébrité : Gaston Lagaffe.
Ce dernier, entré par effraction dans l’univers de la bande dessinée va devenir une vedette emblématique de toute une génération qui se retrouvera parfaitement dans les aventures de ce perturbateur patenté.

Jean-Louis Hebrard

Feuilletons et radio-crochet (la radio des années 50)

La suspension de la cuisine vient d’être allumée, bientôt l’horloge annoncera19h30, l’heure de notre feuilleton préféré approche. Installés autour de la table, tout le monde attend avec plaisir le nouvel épisode de « la famille Duraton ». Ce feuilleton humoristique diffusé par « Radio Luxembourg » depuis 1948 a déjà une belle histoire. La série a commencé en 1936 sur les ondes de « Radio-Cité » avec pour titre original « Autour de la table ». Dix ans plus tard, elle est devenue le divertissement familial du soir par excellence, entraînant les auditeurs dans des histoires simples de français moyens. Les « Duraton » installés eux aussi à la table familiale, s’interpellent, se chamaillent, se disputent gentiment à propos des innombrables péripéties de la vie quotidienne. Ils y commentent aussi avec humour l’actualité. Au-delà du divertissement, l’émission exerce une influence extraordinaire dans des domaines aussi variés que la tenue vestimentaire ou les rapports familiaux. Cette « aura » se mesure à l’importance du courrier que des millions d’auditeurs expédient à la station radio dans lequel on relève ces propos surprenants : « C’est curieux, il m’est arrivé la même aventure qu’à vous ». La très forte audience du feuilleton attire les annonceurs à l’image du « Savon Palmolive » que célèbrent avec le sourire les « Duraton » sur un cliché de 1951. C’est que de célèbres comédiens participent au feuilleton comme Noël-Noël, Jean Carmet ou Ded Rysel auxquelles répondent Yvonne Galli, Jacqueline Cartier ou Jeanne Sourza qui tient ici le rôle de la Tante Gusta et que l’on retrouve aussi dans une autre émission radiophonique très suivie, dans le rôle d’une clocharde.

Publicité Palmolive (archive privée)
Publicité Palmolive (archive privée)

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Intitulée « Sur le banc », cette émission que diffuse aussi Radio Luxembourg, met en scène Carmen (Jeanne Sourza) et La Hurlette, alias Raymond Souplex. À midi, ce duo comique discute tous les jours, installé sur leur banc des quais de la Seine. En 1949, il renoue avec le succès après la longue interruption de la guerre. Il faut dire que ces « joyeux râleurs » apportent des instants de légèreté dans une France qui en a bien besoin. Carmen qui prend souvent un mot pour un autre est gentiment reprise par son complice La Hurlette qui prend le temps de tout lui expliquer. De toute façon, en bons clochards qu’ils sont, tout se termine par un verre de beaujolais. Dans les moments les plus comiques de ces dialogues, les adultes interdisaient aux enfants de parler et de chahuter. Un silence majestueux régnait alors autour du poste de radio.

Petit modèle de poste de radio (collection privée)
Petit modèle de poste de radio (collection privée)


À une époque où la télévision était encore peu répandue, la radio constituait encore le divertissement familial par excellence. Avec les nouveaux modèles qui arrivent sur le marché et avant la révolution du transistor, le poste à lampe rentre plus facilement dans tous les foyers, y compris les plus modestes. L’habillage en bois cède le pas au plastique moderne comme c’est le cas sur ce modèle « Boy » produit par Schneider Frères en 1959. Fini l’aspect tristounet des vieux modèles, place aux formes élancées et modernes, aux couleurs dynamiques. Avec trois gammes d’ondes, le petit poste Schneider permet d’écouter de nombreuses stations. Parmi les plus suivies, avant la Radio Nationale, on trouve Radio Luxembourg. C’est là que l’on écoute les meilleurs feuilletons et aussi que l’on suit le plus célèbre des jeux, le mémorable « Quitte ou double ». Le candidat pouvait garder son gain et s’en aller ou bien tenter de le doubler en répondant à la question suivante, au risque de tout perdre. En 1952, l’abbé Pierre devient un gagnant célèbre en remportant la somme de 512 000 francs. Sa figure marque les Français qui le retrouveront deux ans plus tard lors de son appel poignant en faveur des sans abris. La publicité tenait une place importante dans tous ces jeux ou ces feuilletons. Bartisol, un apéritif bien connu, offre alors une prime pour chaque capsule détenue par une personne rencontrée au hasard dans la rue et qui a reconnu au préalable « L’homme des vœux Bartisol ». C’est le savon Palmolive qui présente chaque soir « la famille Duraton » et la savonnette Cadum qui accompagne Carmen et La Hurlette « Sur le banc ». À la fin des années 50 de nouveaux feuilletons apparaissent, plus dynamiques, plus rythmés, sponsorisés par de nouveaux annonceurs. « L’Homme à la voiture rouge » mis en onde entre 1961 et 1963 entraîne le jeune public dans des rebondissements infinis.

Steph et Rubis (dessin d’après une publicité d’époque)
Steph et Rubis (dessin d’après une publicité d’époque)

Le héros s’appelle Steph Berrier, adore conduire son bolide à très vive allure, comme le souligne cette publicité : « Où va cet homme ? Dans quelles nouvelles aventures haletantes va-t-il encore se lancer avec Rubis son inséparable voiture ? Pour en savoir plus, écoutez chaque jour (sauf dimanche), l’étonnant « suspense » radiophonique offert par Esso ».
James Bond radiophonique, l’homme à la voiture rouge vit des trucs invraisemblables en dénouant des histoires d’espionnage dans le monde entier. Parmi les 600 épisodes, on le découvre entre autre comme le principal acteur du mystère des cadrans radioactifs BX 13. Une affaire qui le lance, et les auditeurs avec lui, à la poursuite de deux Brésiliens qu’il suit pied au plancher du Havre en Avignon puis à Paris. Le feuilleton, soutenu par une musique agressive, s’inscrit dans le monde de la vitesse qui séduit une jeunesse « yéyé » ne se reconnaissant plus dans l’univers de la « famille Duraton ». L’heure des années 60 vient de sonner.


Jean-Louis Hebrard

Café en grains, « chaussette » et chicorée

Dans la cuisine où trône alors la grande cuisinière (bois et charbon), parmi les casseroles et fait-tout, il y a toujours un coin réservé pour tenir le café au chaud. C’est la boisson que propose la ménagère à tous ceux qui, ami, gendarme, facteur, passeront dans la journée.
En 1950, le temps des ersatz (substitut au café) est heureusement derrière nous. Fini l’orge ou les glands à faire griller pour obtenir un jus infâme à la place du bon café disparu dans les convulsions de la guerre. Désormais, le café en grains est de retour, produit par des torréfacteurs qui commercialisent les marques « café de l’éléphant », « Grand-Mère » ou « Malongo ».
Si les bars et bistrots sont alors équipés de magnifiques percolateurs, à la maison le café demande toute une série de travaux manuels avant de le boire. Il faut tout d’abord sortir le moulin à café pour lequel les enfants se disputent le plaisir de tourner la manivelle. Tout le monde possède cet appareil produit le plus souvent par la maison « Peugeot ». Il se présente sous la forme d’un cube d’une dizaine de centimètres de côté, muni d’un petit tiroir, d’une ouverture supérieure et d’une belle manivelle. Il existe des modèles en bois ou comportant plus d’éléments métalliques, arborant tous le lion, symbole de la marque « Peugeot Frères ». Broyer les grains de café était une tâche qu’on confiait en général aux enfants. « Assis sur un tabouret, la cafetière coincée entre les jambes » se souviennent Marcel ou Lisette, « il fallait tourner la manivelle bien fort et bien longtemps… et ça pinçait la peau des cuisses ». Quand tous les grains que l’on avait introduits dans le haut du moulin étaient moulus, on récupérait la poudre de café dans le petit tiroir prévu à cet effet.

Moulin à café Peugeot (collection particulière)
Moulin à café Peugeot (collection particulière)

La cafetière étant préparée, le filtre rempli, on passait de l’eau très chaude par-dessus jusqu’à la quantité désirée de café. Selon la mouture du café, on employait un filtre métallique ou un autre. Il fallait bien le choisir pour éviter qu’elle ne passe au travers des trous. Pour être plus tranquille, on se servait d’un filtre en tissus appelé de façon ironique « chaussette ».

Filtres et cafetières (collection particulière)
Filtres et cafetières (collection particulière)

Pour rendre le café plus corsé, mais aussi pour des raisons économiques, on trouvait dans nombre de famille des paquets de chicorée. Cette racine était torréfiée puis réduite en grains par la marque « Leroux » qui dominait alors le marché. Chaque ménagère avait son dosage, allant d’une à deux cuillerées ajoutées après le café moulu avant d’y verser l’eau chaude. Le paquet de chicorée était reconnaissable tant par sa forme cylindrique que par les couleurs de son papier d’emballage brun et rouge. Tout au long des années 50, la chicorée est vantée pour ses vertus bénéfiques auprès des enfants. Les publicités ne manquent pas d’insister sur la qualité des boissons que l’on prépare, à la place du café, pour le petit déjeuner. On retrouve cette idée sur les buvards et protège-cahiers que distribue alors cette marque. Elle lance même des collections d’images sur des thèmes comme l’aviation, les animaux du monde ou les grands monuments.

La chicorée au déjeuner (collection privée)
La chicorée au déjeuner (collection privée)

Au quotidien, on boit souvent le café dans de simples verres. Les plus en usage sont ceux de la marque « Duralex » qui possède la particularité de se briser en une infinité de petits éclats quand on a la maladresse de les faire tomber. Pour les occasions particulières, la maîtresse de maison aime sortir le service à café. Il a été parfois gagné en collectionnant patiemment des vignettes proposées par les marques. Ces services présentent des formes et des couleurs modernes dans les tonalités des meubles en formica que l’on trouve de plus en plus dans les cuisines. Avec leurs anses noires, leurs formes évasées de couleur jaune citron ou bleu vif, ces services tranchent par rapport aux modèles anciens à décor floral sur fond blanc.

Les couleurs des années 50 (collection particulière)

Bien d’autres « cadeaux » sont aussi proposés aux collectionneuses de vignettes comme des petites cuillères ou des serviettes.
Les marques de biscuits ne sont pas en reste dans cette offre de « cadeaux ». Il faut dire que les gâteaux secs sont très souvent sur la table lorsque l’on boit du café entre amis et connaissances. Parmi les plus consommés, figurent le biscuit « Thé Brun ». Il est produit par une entreprise qui a vu le jour à la fin du XIXème siècle en Isère. Installée à Saint-Martin d’Hères, elle connaît un beau succès dans les années 50 avec son produit phare, le « Thé Brun » que l’on utilise dans de nombreuses recettes. Les enfants de cette époque se souviennent sans doute des belles boites métalliques de couleur jaune et bleu renfermant les petits biscuits rectangulaires. On aimait les grignoter doucement, les attaquant par les coins pour réaliser une carte de France savoureuse. Mais le grand succès de ces biscuits résidait dans la confection d’un gâteau dont on trouve encore aujourd’hui la recette en ligne. Facile à réaliser, demandant peu de matières premières si ce n’est 24 biscuits trempés dans un café fort et disposés en couches, le gâteau permettait de régaler environ six convives. Aujourd’hui, ces biscuits et gâteaux « au goût d’enfance » semblent revenir à la mode, comme une bouffée de nostalgie en plein XXIème siècle.


Jean-Louis Hebrard

Comme sur des roulettes

Les jeunes qui avancent avec souplesse sur un skateboard ne se doutent pas qu’à l’époque de leurs grands-parents on dévalait les pentes à bord d’une planche à roulettes. Elle présentait toutefois un aspect bien différent, n’était pas affublée d’un nom anglo-saxon, étant simplement nommée carriole, n’avait pas été achetée dans un magasin spécialisé, mais construite patiemment après une longue recherche des pièces nécessaires à sa mise au point. Il n’était pas bien difficile de trouver une planche et quelques morceaux de bois pour construire la carlingue. Pour les clous, il suffisait de demander aux adultes de pouvoir chercher dans les innombrables boites en métal dans lesquelles on entreposait les clous, vis et autres boulons. Les adultes qui venaient de sortir des restrictions de la guerre avaient l’habitude de récupérer tout ce qui pouvait servir un jour ; aussi les remises, garages et autres appentis regorgeaient-ils d’innombrables trésors.

Modèle à trois roulements
Modèle à trois roulements

Si les clous étaient tordus, il était facile de les redresser, tout le monde sachant réaliser cette opération. Reconstituer les boulons demandait un peu de patience et de pratique pour retrouver l’écrou adapté. La construction de la carriole relevait donc d’une certaine débrouillardise qui confinait à l’exploit pour trouver les trois ou quatre roulements à billes, produits extrêmement précieux. Quand tout était réuni, la réalisation de l’engin pouvait débuter. Le plus difficile était d’installer la petite planche supportant le roulement de l’avant avec le boulon qui permettait de la faire pivoter. En effet, c’était le système qui permettait de diriger plus ou moins bien la carriole. Il pouvait alors se manœuvrer soit avec les mains grâce à une corde, ou pour les plus experts, avec les pieds. Il était indispensable de bien se caler et de s’asseoir sur la planche avant de s’élancer dans la pente. Les roulements à billes faisaient un bruit pas possible, renforçant l’impression d’être à bord d’un véritable bolide. Quand une erreur de pilotage ou un obstacle sur la chaussée survenaient, les chutes étaient terribles. Les genoux du conducteur en gardaient longtemps le souvenir. Les plaies et les bosses n’étaient rien en regard des accrocs et déchirures sur les vêtements. Ces derniers entraînaient souvent de belles réprimandes de la part des parents.
Les descentes un peu prononcées rassemblaient tous les adeptes de sensations fortes. On y organisait des semblants de compétitions permettant aux plus virtuoses de s’illustrer.
Si la planche à roulettes était plus utilisée par les garçons, ce n’était pas le cas pour les patins, pratiqués indifféremment par les filles et les garçons. De même que le vélo, la paire de patins à roulettes faisait l’objet d’un choix étudié. Il faut dire que les marques étaient nombreuses, proposant toutes des modèles à trois ou quatre roues, réglables en longueur que l’on fixait aux chaussures à l’aide de lanières en cuir.

Une des marques de patins en vogue (Collection privée)
Une des marques de patins en vogue (Collection privée)

Sur quoi peut-on appuyer son choix ? Les patins à roulettes Speedy, marque lyonnaise des établissements Masson, misent alors sur le nom à consonance anglo-saxonne, évoquant la vitesse et la virtuosité. De plus, ses modèles sont équipés d’un système de roues fixées par des cliquets. Pour d’autres, c’est la robustesse que met en avant l’appellation Solido.
Quant aux patins Jack, cette marque française promet « l’excellence dans la simplicité » assurant confort de fixation et facilité de réglage.
En dehors d’un achat en magasin, il était possible de gagner une paire de patins en collectionnant des points de fidélité comme le proposaient les magasins Casino.
Bien équipé, il suffisait de sortir dans la rue pour faire du patin à roulettes. À la différence des planches à roulettes tributaires de la pente, on patinait partout en liberté, la circulation automobile étant encore assez réduite. Tout était bon, les trottoirs quand il y en avait, les chaussées qui commençaient à être goudronnées, les cours et les places publiques. Bernard Demory dans son ouvrage « Au temps des cataplasmes – La France d’avant la télé » raconte ainsi ses débuts en patins : « Sur les allées cimentées […] trouées de nids de poules, nous tentions de rouler avec grâce. Les roues métalliques et les courroies qui attachaient nos patins aux pieds et se desserraient toujours ne facilitaient pas les exploits ». Mais quel plaisir de se lancer à toute vitesse avant d’amorcer un large arc de cercle pour tourner et repartir dans l’autre sens ! Patiner en arrière demandait plus de maîtrise, mais avec un peu de persévérance on finissait par y arriver. Pour aller encore plus vite, il était possible de s’accrocher à l’arrière d’un vélo et de se faire remorquer sans effort tout en gardant son équilibre. Les chutes pouvaient être au programme, surtout lorsqu’un gravier ou un petit caillou venait bloquer une roue du patin. Nous étions bien loin de la virtuosité de Charlie Chaplin que nous avions vu au cinéma dans le film « Les Temps Modernes » lorsqu’il tourne et virevolte dans le grand magasin après sa fermeture sous les yeux admiratifs de Paulette Godard. Toutefois, nos patins à roulettes nous ont procuré bien du plaisir, et lorsque l’on voit aujourd’hui les jeunes générations s’entrainant dans des skate-parcs aménagés à leur intention, on se dit que le bonheur « sur roulettes » n’est pas près de disparaître.


Jean-Louis Hebrard