Notre voyage au temps des romains, débuté au cours d’articles précédents, passe une nouvelle fois par l’enclave de « La Paroy », entre Albens et La Biolle. Après ses colonnes romaines et quelques uns de ses vestiges disparus, nous évoquerons aujourd’hui son réseau hydraulique.
Du Vicus d’Albinnum, on connaît les inscriptions de Marigny-Saint-Marcel, présentes dans le mur de l’église de cette commune, qui indiquent un don de Caius Sennius Sabinus, riche citoyen romain, aux habitants d’Albens, afin que ceux-ci disposent de bains publics. Un aqueduc romain au départ de la source de la Bourbaz, aujourd’hui tarie, se chargeait de conduire l’eau à travers les marais jusqu’à Albinnum. Par aqueduc, il ne faut pas s’imaginer un monument comme le Pont du Gard mais plutôt une canalisation réalisée à base de tegulae (tuiles) et permettant l’acheminement de l’eau. Si cet aqueduc est le plus connu lorsque l’on évoque le passé romain d’Albens, d’autres théories évoquent un second aqueduc, à La Paroy.
C’est François de Mouxy de Loche, officier savoyard et historien régional connu, qui signale cet aqueduc le premier au début du XIXème siècle. Il indique, plan à l’appui : « … on a découvert en fouillant un champ les restes d’un bel aqueduc souterrain […] le morceau d’aqueduc qui a été découvert a 130 pieds de longueur (40 mètres) en ligne droite, sa direction est d’à peu près Nord/Est et sa pente paraît se diriger vers la ville d’Albens. Ce morceau d’aqueduc parait avoir fourni de l’eau à une et même deux fontaines sur le sol même […] ». Ce document, qui comprend bien d’autres indications, est beaucoup trop précis pour avoir été inventé. C’est également l’avis de Pierre Broise, archéologue du XXème siècle, qui admet l’hypothèse de deux aqueducs distincts : l’un au Nord, en provenance de Marigny-Saint-Marcel et alimentant le vicus d’Albinnum ; un second au Sud, à La Paroy, desservant la villa de Bacuz.
Au début du XXème siècle, un autre archéologue, Charles Marteaux, dans une étude de la voie romaine entre Seyssel et Aix-les-Bains en 1913, évoque « le village de Paron, au sud-ouest d’Albens, où s’élevait une belle villa à mi-côte, connue pour ses nombreuses substructions, ses colonnes, ses pierres taillées, ses inscriptions, ses vases rouges et noirs datant du Ier siècle (portant les inscriptions « SEVVOFE » et « OFEBRIIV »), sept amphores trouvées en 1882 (dont trois vendues immédiatement), ses monnaies, son étable, etc. ; elle jouissait d’une vue agréable sur le vicus et sur la plaine et était pourvue d’une source pure », ce que confirme une étude géologique et hydrogéologique effectuée en 1992 qui met en évidence la présence d’un aquifère et d’une eau de source riche en sels minéraux sur le secteur de La Paroy. Cette eau de source a été régulièrement utilisée par les habitants du hameau jusque dans les années 1990. Charles Marteaux, dans son étude, ajoute à propos des vestiges, qu’il « se peut que la pierre tumulaire du préfet de la Corse, L. Vibrius Punicus, ait été transportée plus tard de là au château de Montfalcon ».
Petit aparté concernant le nom de la Paroy : le lieu-dit s’appelait « Parroy » au XVIème siècle puis on le retrouve sous le nom de « Paron », « Paroir » et enfin « La Paroy » ou « La Parroy » dans les actes jusqu’à la seconde partie du XXème siècle. Une coïncidence surprenante concernant le terme de « Paron » : c’est le nom d’une petite commune de l’Yonne, d’origine romaine et qui possède des vestiges d’aqueduc, des murs gallo-romains et un site d’atelier métallurgique. Le nom qui a évolué au fil du temps découlerait du terme « Paroy » dont quelques villages alentours portent encore ce nom et viendrait du latin « paries » (la muraille). Sa signification serait « le lieu pierreux ou la paroi au pied de la colline ». Ailleurs, on indique que le terme « Paroy », viendrait du latin « petra » (la masse de pierre escarpée) et pourrait correspondre à des éléments de voie romaine lorsque le contexte permet de les situer dans un ensemble signifiant. Dans son manuscrit, De Mouxy de Loche indique que « cet aqueduc est à environ 300 pas au-dessous de l’ancienne route de Rumilly, soit la voie romaine ». De nos jours, une erreur orthographique commise sur le cadastre, « la Paroie », apparaît.
Mais revenons au témoignage de Charles Marteaux, outre l’intérêt pour les vestiges qu’il répertorie, qu’en est-il aujourd’hui de cette « source pure » ou de cet « aqueduc souterrain » dont nous parlaient les archéologues d’alors ?
Le village de La Paroy comprend deux puits antiques : l’un de section rectangulaire de plus de six mètres de profondeur, alimenté par un canal en pierres qui amène l’eau qui semble issue de la nappe phréatique des Marais du Parc. Le second puits fait également six mètres de profondeur ; à la sortie de celui-ci en direction de la fontaine du village, le canal est obturé par une plaque de plomb (40 x 40 cm environ) perforée par de nombreux trous circulaires. Cela rappelle sensiblement la plaque en plomb répertoriée d’époque romaine à Marigny-Saint-Marcel au niveau de la source de la Bourbaz et de l’aqueduc « officiel » d’Albens.
L’origine du bassin antique du village dans lequel se déverse l’eau du puits n’a jamais été établie. Cependant, des racines du saule centenaire de la fontaine obstruant l’arrivée d’eau, des travaux pour réparer le canal dans les années 1990 mirent en évidence une conduite en tegulae – cassée par les racines – alimentant le bassin en eau. C’est fort probablement la dérivation de l’aqueduc romain dont nous parlait De Mouxy de Loche. À noter la présence d’un second bassin répertorié romain au sein du village.
Malgré tous ces faits, aucune recherche archéologique n’a jamais été effectuée sur le secteur pour étudier les puits du village et son réseau hydraulique. Dans les années 1990, on indiquait pourtant que si l’aqueduc romain était confirmé, celui-ci serait le seul en Savoie encore en état de fonctionnement ! De la fin du XVIIIème siècle jusqu’aux années 1950, un simple labour des champs alentours avec des outils archaïques suivi de fouilles de surface permettait la découverte de nombreux vestiges. Ces trente dernières années, le secteur de Bacuz, malgré l’urbanisation, n’a, semble-t-il, permis aucune nouvelle découverte répertoriée. Il apparaît cependant nécessaire d’effectuer des recherches dans la zone La Paroy/Bacuz avant que l’étalement urbain ne vienne complètement recouvrir ces terres.
Il existe dans les collections archéologiques de l’Espace patrimoine à Albens une toute petite pièce de monnaie à laquelle le visiteur peut ne prêter qu’une attention fugace. Toutefois elle mérite que l’on s’y attarde un peu plus. En effet c’est la seule qui présente le profil d’une femme entourée par l’inscription bien lisible « JULIA AUGUSTA ».
Il s’agit de l’impératrice Julia Domna, épouse de l’empereur Septime Sévère, une femme qui allait « régner » en l’an 211 à la mort de son époux.
Sur cette monnaie trouvée à Albens (au lieu-dit Bacuz), l’impératrice arbore une coiffure compliquée dans laquelle son abondante chevelure est disposée en deux bandeaux séparés par une raie pour se terminer en chignon sur la nuque.
Julia Domna, originaire de Syrie (elle était native d’Emèse, actuellement Homs) avait introduit à Rome les nouvelles modes venues d’Orient, dont ces lourdes coiffures avec des postiches et des perruques. Désormais, la coiffure devient une opération complexe, c’est pourquoi les femmes sont aidées par des servantes appelées ornatrix. Elles avaient bien d’autres missions et disposaient pour cela d’un nécessaire de toilette bien fourni comprenant pots de parfum, miroir de bronze, pinces à friser, à épiler, peignes sans oublier les applicateurs de maquillage. Ainsi, ce beau profil d’impératrice nous fait-il entrer quelque peu dans le monde esthétique d’une romaine au tournant du IIème siècle. On peut imaginer que cette mode a pu être suivie par quelques riches romaines de l’Albanais comme pourrait le laisser penser ce miroir en bronze trouvé il y a longtemps à Albens.
Il fait partie aujourd’hui des collections du musée Savoisien à Chambéry.
La monnaie ne joue pas seulement un rôle économique elle a également une fonction politique. À partir de 211, à la mort de son époux, Julia Domna règne avec son fils Caracalla. Par cette frappe monétaire, l’impératrice se fait connaître de ses « sujets » et affirme son pouvoir en indiquant son titre d’Auguste (AUGUSTA sur l’inscription de la monnaie). Tout au long de son passage au pouvoir elle connaîtra drame sur drame, voyant son fils Caracalla éliminer son frère (Géta) et interdire à sa mère de porter le deuil.
Le règne avec Caracalla allait être marqué aussi par de terribles rumeurs à l’encontre de Julia Domna. Le fils et la mère se partageant efficacement le pouvoir, on fit rapidement courir le bruit qu’elle était une mère incestueuse.
Mais le tandem politique assure à l’empire une administration efficace. Tandis que Caracalla s’occupe de questions militaires, d’embellissement de Rome (les fameux thermes de Caracalla), d’accorder la citoyenneté romaine à tous les hommes libres de l’empire, Julia Domna gère les affaires courantes, fait une réforme monétaire et augmente les impôts.
Toutefois c’est une fin tragique qui attend l’impératrice. Lorsque Caracalla est poignardé en 217 par un des officiers de sa garde, le nouvel empereur Macrin pousse Julia Domna au suicide, la laissant mourir d’inanition.
L’autre face de cette monnaie (avers) apporte elles aussi d’intéressantes informations en nous faisant entrapercevoir les bouleversements religieux du moment. L’allégorie que l’on y découvre fait référence au culte d’Isis et à son introduction à Rome.
La déesse Félicité ou Isis pose le pied sur la proue d’un vaisseau tout en allaitant un enfant (Horus). Le gouvernail fait référence au destin(Fortuna) qui gouverne le monde. Julia Domna aime se comparer à Isis, protectrice des mères et de leurs enfants (allusion aux deux fils de l’impératrice). Ce revers de monnaie est le seul qui fasse spécifiquement référence au culte d’Isis dans le monnayage romain du IIème siècle durant lequel les cultes orientaux vont être très en vogue (Julia Domna appartient à une famille de prêtres d’Ephèse en Syrie).
Cette pièce de monnaie présente en plus un aspect insolite, celui d’être percée sur le côté. Cette belle perforation, bien visible, donne à penser que la pièce a pu être transformée en une sorte de médaille. Mais de récentes découvertes de ce type, effectuées sur des sites méridionaux de Rhône-Alpes, ont soulevé de nouvelles interrogations sur la signification de ces perforations volontaires. N’aurait-on pas affaire, par exemple, à des cas d’offrandes de monnaies percées ? Si tel était le cas, une interrogation supplémentaire vient à l’esprit en ce qui concerne la monnaie d’Albens. A-t-elle été choisie par hasard quand on sait que l’allégorie fait référence à Isis ?
L’archéologie ouvre encore sur bien des mystères.
N’hésitez pas, en attendant, à venir découvrir les collections archéologiques de l’Espace patrimoine, résidence le Berlioz, 177 rue du Mt Blanc à Albens ou à vous connecter sur le site www.kronos-albanais.org.
Les vestiges du vicus d’Albinnum ne se limitent pas à ceux que nous pouvons observer à l’Espace Patrimoine d’Albens (www.kronos-albanais.org/). De nombreuses traces du passé romain d’Albens ont été répertoriées aux XIXème et XXème siècle, malheureusement, beaucoup d’entre elles ne sont aujourd’hui plus visibles car rangées dans les réserves des musées, ou vendues à des particuliers, ou perdues voire volées.
Les Musées d’Annecy et Chambéry ont vu transiter dans leurs archives de nombreux objets en provenance d’Albens : céramiques, cruches à anse, des fragments comportant un décor d’animaux courant sous une rangée d’oves, des coupes, des dessus de lampes à huile (en provenance de « La Sablière »), une carafe, une meule complète, des pièces de monnaie en bronze de Néron et de Commode, des tegulae, … À « La Tour », des pieds de biche, un miroir en bronze ou encore une anse en cuivre ont été découverts en 1905. Au Musée Savoisien (fermé pour rénovation jusqu’en 2019), on recense une cruche à anse, des bouteilles prismatiques en verre, des gonds de porte en os ou encore un vase en plomb marqué d’une croix.
La zone de « Les Coutres » a connu l’époque romaine du vicus, les vestiges en sa provenance sont nombreux. Parmi ceux qui ne sont plus visibles aujourd’hui car rangés dans les réserves des musées, on indiquera un grand vase représentant une scène de chasse, une panse de bol, une représentation de personnages, d’angelots et animaux courant dans des métopes, des fragments de tegula, des fragments de pots, de tuiles, des clous en fer… Un vase intact, trouvé en 1869, et portant l’inscription « CPIVLI », se trouve aujourd’hui en dépôt à Figeac, dans le Lot. À « Braille », avant 1860, on voyait dans le mur d’une maison une inscription ornée d’une moulure « à Caius Craxsius, fils de Troucilus, Julia… a fait (ce monument) ». Aujourd’hui, cette pierre a disparu.
Un autre secteur, longtemps occulté, mais dont le passé romain est établi, est l’enclave de « La Paroy », entre Albens et La Biolle. Outre ses colonnes romaines exhumées par le Révérend-Père Pierre MARTIN, que nous évoquions dans un article précédent, le lieu-dit possédait bien d’autres vestiges, aujourd’hui disparus. Une bague romaine en or – une intaille en cornaline – , représentant un joueur de flûte, a été trouvée sur les champs de la zone « La Paroy-Bacuz » au début du XIXème siècle : il ne reste aujourd’hui que l’empreinte en cire de cette bague, celle-ci ayant disparue du Musée annécien. À l’époque romaine, l’intaille en cornaline servait régulièrement de sceau ou de cachet, la cire chaude ne collant pas sur cette pierre. Les intailles comportaient généralement un décor, des inscriptions ou des armoiries. Pourquoi un joueur de flûte (« tibicen » en latin) ? Les romains se servaient de la flûte en presque toute occasion : les triomphes, les funérailles, les mariages, les sacrifices… C’est au son de la flûte que l’on chantait les louanges des dieux ou que l’on haranguait le peuple. Les joueurs de flûte pouvaient également accompagner au quotidien des hommes importants. À la même période, et sur les mêmes terres, est trouvée une épée romaine, laquelle a été rapatriée dans un musée de Turin et dont la trace a été perdue. Charles MARTEAUX, archéologue du XIXème siècle, dans une étude de la voie romaine entre Seyssel et Aix-les-Bains, évoque la même zone de « La Paroy/Bacuz », indiquant « une belle villa à mi-côte, connue pour ses nombreuses substructions, ses colonnes, ses pierres taillées, ses inscriptions, ses vases rouges et noirs datant du Ier siècle (portant les inscriptions « SEVVOFE » et « OFEBRIIV »), sept amphores trouvées en 1882 (dont trois vendues immédiatement), ses monnaies, son étable, etc. ; elle était pourvue d’une source pure et jouissait d’une vue agréable sur le vicus et sur la plaine ». Il ajoute même « Il se peut que la pierre tumulaire du préfet de la Corse, L. Vibrius Punicus, ait été transportée plus tard de là au château de Montfalcon ». Un anneau mérovingien en or massif est également trouvé dans cette zone.
Toujours à « La Paroy », Pierre BROISE, architecte de profession et reconnu par le milieu archéologue, répertorie en 1963 deux pierres de seuil, réemployées comme linteaux. Ces seuils de porte, qui rappellent bien ceux que l’on peut voir dans les sites romains avérés, disparaissent au cours des années 60, probablement jetés par méconnaissance totale de leur valeur historique et culturelle. À la même époque, une pierre romaine gravée est recouverte de ciment.
Enfin, dans un écrit du XIXème siècle, l’officier savoyard et historien régional, François DE MOUXY DE LOCHE, évoque « La Paroy », son aqueduc romain ainsi qu’une longue pierre de taille au niveau de la fontaine du village. C’est certainement la pierre plate dont se sont servies des générations d’habitants du lieu-dit et des alentours pour faire la lessive avant que l’eau courante ne desserve le secteur dans les années 60. Ce vestige est volé dans les années 80. DE MOUXY DE LOCHE indiquait « qu’en cas de fouilles en règle à « La Paroy », bien des antiquités seraient découvertes ».
Deux colonnes romaines provenant de la même zone de « Bacuz » (qui signifie « grand bassin », certainement en référence aux sources d’eaux souterraines non exploitées du secteur), sont répertoriées à « la Ville » chez M. ROSSET dans les années 1960 ; on en a perdu la trace de nos jours.
L’urbanisme et l’archéologie ont toujours entretenu des relations peu harmonieuses. Certaines communes ont fait le pari du tourisme archéologique là où d’autres ont misé sur l’urbanisation de leur territoire. De nombreux vestiges répertoriés ou non ont disparu soit par méconnaissance, soit par manque de conviction quant à la sauvegarde de notre passé ou par vols (par exemple, le bassin en pierre de l’ancienne cure d’Albens). Pierre BROISE, dans un courrier adressé au Maire de l’époque, le 4 novembre 1966, demandait à la municipalité en place de manifester un intérêt pour notre patrimoine culturel « en sauvegardant les pièces d’origine romaine d’un grand intérêt archéologique pour l’histoire d’Albens ». Dans les années 1980, il regrettait « que le site d’Albens n’ait pas été mieux considéré » et s’inquiétait pour la sauvegarde des vestiges romains face « aux travaux destructeurs à venir ». Qu’en est-il aujourd’hui ?
Administrateur soucieux de bonnes finances, Charles-Emmanuel III, 15è duc de Savoie et second de sa Maison à porter la couronne de Sardaigne, savait combien il est nécessaire d’assurer au plus juste la charge de l’impôt. C’est pourquoi, par l’édit de péréquation de 1738, il a soumis à la taille la quasi totalité des biens nobles sur la base de la mensuration répertoriée de toutes les terres entreprises par son père, Victor-Amédée II, promoteur des fameuses mappes sardes.
Charles-Emmanuel a également laissé une œuvre législative importante, les royales constitutions de 1770, dans lesquelles certains ont vu l’une des bases fondamentales du droit civil et public moderne. Il n’a pas pu cependant éviter que, lors de la Guerre de succession d’Autriche, les provinces savoyardes subissent une dure occupation espagnole et, fait de moindre importance, mais pourtant significatif, la violation, dans la nuit du 11 mai 1755 de la frontière savoyarde par une troupe française qui se saisira au château de Rochefort, près de Novalaise, de la personne de Mandrin. Cette violation entraînera des protestations qui vaudront au duc de Savoie les excuses présentées par une ambassade spéciale de son cousin Louis XV.
Joseph François Michaud naît dans la 37è année du règne de Charles-Emmanuel. Son souvenir est conservé à Albens, au village d’Orly, grâce à une plaque apposée sur la maison où il vit le jour, le 19 Juin 1767 (1). La famille Michaud est « honorablement établie » dans le pays depuis plusieurs générations, lorsque le père de Joseph, notaire, décide de se fixer en France, à Bourg en Bresse, au grand désespoir de l’enfant, âgé alors de 5 ou 6 ans. Michaud a confié à son collaborateur Poujoulat comment il dût être arraché de force à la voiture qui l’avait emmené et qu’ayant agrippé un peu de la paille qui s’y trouvait, courut s’enfermer dans un grenier pour coucher sur cette paille du pays natal. L’enfant s’habituera cependant très vite à sa nouvelle patrie.
Devenu homme, Michaud évoquera souvent les années de bonheur passées dans la belle plaine bressane sans pour autant oublier son village natal. C’est du nom d’Albens qu’il signera un écrit publié à l’occasion de la sortie de la prison du Temple de Madame Royale.
Après un premier enseignement reçu dans sa famille, Michaud poursuit ses études au collège de Bourg en Bresse puis à Lyon. Dans cette ville, l’adolescent rencontre Fanny de Bauharnais, belle personne, parente de la future Impératrice qui l’incite à tenter sa chance à Paris. Le jeune homme n’oubliera pas sa bienfaitrice, il l’aidera à survivre dans la tourmente révolutionnaire.
De son propre aveu, Michaud n’était pas prédisposé, de naissance, à prendre le parti « du roi et du clergé », mais arrivé à Paris, en 1791, dans un climat de violence extrême, il devient royaliste par esprit de conservation plus que par démarche politique. L’Assemblée Constituante siégeant, il met sa plume au service de La Gazette Universelle et de quelques autres feuilles de tendance royaliste. Plus tard, il fonde La Quotidienne qui, après des fortunes diverses, sera provisoirement réduite au silence par les canons du général Bonaparte au soir du 13 Vendémiaire (2).
Michaud est alors arrêté. Il parvient à s’échapper mais il est condamné à mort par coutumace, le 5 Brumaire de l’An IV (27 octobre 1795), comme convaincu « d’avoir constamment par son journal, provoqué à la révolte et au rétablissement de la royauté ». En 1796, le jugement est révoqué, Michaud fait alors reparaître La Quotidienne, mais à plusieurs reprises, il connaîtra encore, les prisons du Directoire.
Lors du coup d’état de 18 Fructidor (3), il échappe de justesse à la déportation en Guyane en se réfugiant dans le Jura. De cette époque date son œuvre poétique la plus connue, « Le printemps d’un proscrit » qui sera éditée en 1802.
L’avènement de Bonaparte ne met pas immédiatement fin aux ennuis de Michaud, dont un pamphlet, Adieux à Bonaparte, est assez mal accueilli par la police du premier Consul. Comme beaucoup d’autres, le publiciste se rallie cependant au nouvel ordre des choses, plus par raison que par mouvement du cœur. En 1813, il prend place à l’Académie Française. L’Empereur ratifie ce choix sur le champ de bataille de Leipzig.
Michaud salut avec ferveur le retour des Bourbons. En 1814, il fait reparaître La Quotidienne et, après l’intermède des « cents Jours », il est élu député de Bourg en Bresse dans la « Chambre introuvable » ». Officier de la Légion d’honneur, censeur de la presse, lecteur du roi Charles X ; Michaud n’en garde pas moins, malgré ces faveurs, une indéniable indépendance d’esprit.
En 1827, il figure parmi les dix huit académiciens signataires d’une supplique de protestation adressée au Roi, contre le projet de loi du comte de Peyronnet sur la presse.
En 1830, 1831, Michaud voyage en Orient. C’est à Constantinople qu’il apprend avec douleur mais sans surprise, le renversement de Charles X par « La Révolution de juillet ».
Revenu en France, il s’établit à Passy où il meurt sans postérité le 30 septembre 1839. Sa tombe ornée d’un buste dû au sculpteur Bosio existe toujours dans le cimetière de Passy.
S’il est connu surtout comme historien des croisades, Michaud est également l’auteur de poèmes, dont le plus connu, « Le printemps d’un proscrit », sera publié en 1802, sur les instances de Chateaubriand. Le physiologiste Flourens, successeur de Michaud à l’Académie Française (il avait eu Victor Hugo comme concurrent) dira dans son discours de réception que : « ce qui fait le succès de l’ouvrage, c’est qu’on y cherche moins les beaux vers, qui pourtant y abondent, que les émotions d’une âme ferme rendue plus sensible par le malheur ».
Œuvre capitale, selon Chateaubriand, les cinq volumes (4) de l’Histoire des Croisades sont publiés de 1808 à 1822. Ils seront complétés par une Bibliothèque des croisades et par Correspondance d’orient, recueil des lettres écrites par Michaud durant le voyage qu’il fit en 1830, 1831 sur les lieux mêmes des combats des chevaliers de la croix.
Poujoulat, ami et collaborateur de Michaud, estime que l’Histoire des Croisades a contribué, avant que n’apparaissent les ouvrages d’Augustin Thierry, Michelet, Guizot… au renouveau de la science historique. Laissons aux spécialistes le soin de dire si ce jugement du disciple sur l’œuvre du Maître peut être maintenu. On se souvient pourtant que c’est en lisant les Martyrs, au récit du « bandit des francs », qu’Augustin Thierry sentit naître en lui la vocation d’historien. Nous connaissons également les liens qui unissaient Chateaubriand et Michaud. Il est donc permis de penser que l’influence de l’auteur des Martyrs s’est exercée sur l’historien des Croisades pour donner à l’œuvre ce caractère qui, au travers de la relation des faits et de la description des mœurs, dépeint l’esprit du temps.
Historien novateur ?… Michaud a également publié une Histoire des progrès et de la chute de l’empire de Mysore et une Collection pour servir à l’histoire de France depuis le XIIIè siècle. Avec son frère Louis Gabriel (5), il a fondé la Biographie universelle, précieux répertoire qui se consulte toujours avec profit.
En cette année 1986, où nous commémorerons le 200è anniversaire de la conquête du Mont-Blanc par Jacques Balmat et le Docteur Paccard, il est un fait moins connu de la vie de Joseph Michaud et de son activité littéraire, qu’il faut rappeler.
En 1787, alors que De Saussure vient tout juste d’y parvenir, Michaud décide de tenter l’ascension du géant des Alpes. À l’époque, l’idée n’est pas communément répandue. Certes Michaud échouera et s’arrêtera aux Grands Mulets, mais il a laissé de cette tentative un récit publié en 1791 sous le titre « Voyage littéraire au Mont-Blanc et dans quelques lieux pittoresques de la Savoie ». Ce premier livre dédié à Fanny de Bauharnais contient des descriptions bien dans l’esprit du temps, qui donnent à penser que le royaliste Michaud n’a pas été sans subir l’influence de J. J. Rousseau. Ainsi les habitants de Chamonix apparaissent à l’auteur « véritablement égaux et libres » et la Mer de Glace « formée de flots en courroux qui sont entrés en congélation subite ». Il n’en demeure pas moins que même sous cette forme, le récit présente un grand intérêt, car il vient d’un homme qui, selon l’expression de C.E. Engel, « en l’espace d’un instant a inventé : l’alpinisme véritable fait d’amour de la montagne et d’amour du sport… et rendant à César ce qui est à César, Michaud est le premier touriste qui ait raté le Mont-Blanc ».
Une rue d’Albens, son village natal et une rue de Chambéry capitale de la Savoie, portent le nom de Joseph Michaud, hommage mérité, à un homme dont la vie et l’œuvre ont reçu le sceau d’évènements historiques prodigieux, durant lesquels, sa terre d’origine, la Savoie, a connu un premier rattachement à la France, patrie d’élection de cet illustre enfant d’Albens.
Félix Levet
Notes de l’auteur 1) Cette plaque a été scellée sur une initiative et en présence de H. Bordeaux.
2) Journées des 12 et 13 Vendémiaire, An IV – Avant de se séparer, la convention avait décidé que les 2/3 des membres des nouvelles assemblées prévues par la Constitution de l’an III seraient pris obligatoirement parmi les anciens conventionnels. Ces dispositions entraînèrent un soulèvement des royalistes, dont les sections parisiennes furent écrasées, après des combats meurtriers, le 13 Vendémiaire, (4 octobre 1795) devant l’église Saint Roch, par les troupes du général Bonaparte.
3) 18 Fructidor, An V (4 Septembre 1797) coup d’état exécuté par trois membres du Directoire, Barras, Laréveillère-Lepaux, Rewbel, contre les deux autres directeurs, Barthélémy et Lazare Carnot, et contre les membres des Conseils accusés d’être favorables au rétablissement de la royauté. Ce coup d’état eut notamment pour conséquence, la déportation en Guyane, de Barthélémy, de membres des Conseils, de journalistes et de nombreux prêtres.
5) Louis Gabriel Michaud, dit Michaud jeune, frère cadet de Joseph Michaud né à Bourg en Bresse en 1772, mort en 1858, d’abord officier d’infanterie, devint éditeur. Il a participé à la fondation de la Biographie universelle.
6) Un décret de la Convention du 27 Novembre 1792, fait de la Savoie, le 84è département français, sous le nom de département du Mont-Blanc, chef lieu Chambéry.
Avec la loi du 25 août 1798, la Savoie est comprise dans deux départements, département du Léman, chef lieu Genève et département du Mont-Blanc, chef lieu Chambéry.
Après une partition, en 1814, entre le royaume de France et celui de Piémont-Sardaigne, la Savoie retourne en 1815 à la Maison qui lui doit son nom.
Quelques anecdotes sur Michaud :
* en 1795, Michaud composa avec Beaulieu, à l’occasion de la délivrance de la fille de Louis XVI pour se rendre en Autriche, un petit ouvrage qu’il dédia à la princesse, sous le nom d’Adieux à Madame, et qu’il signa : PAR MONSIEUR D’ALBENS.
* Jugement de Sainte Beuve sur le journaliste polémiste : « Aux aguets chaque matin, il excellait à faire un combat de franc-tireur, à suivre les moindres mouvements de l’ennemi, et tomber sur lui par surprise ».
* le célèbre Fouché, ministre de la police sous l’Empire, qualifia Michaud de « Rivarol Savoyard , le comparant au journaliste contre-révolutionnaire Antoine de Rivarol.
L’origine gallo-romaine d’Albens est, je le pense, bien connue de tous. Mais que sait-on de plus à ce sujet ?
Il a paru bon de faire le point des connaissances et de présenter sous forme d’un article les résultats des recherches menées tant sur le terrain que dans les musées.
Ainsi, est-ce à un voyage dans un passé vieux de 18 siècles que je vous invite. Voyage qui nous mènera sur les chantiers archéologiques de ces dernières années, dans les musées de Chambéry et d’Annecy mais aussi dans les revues savantes pour y rencontrer les érudits d’autrefois, témoins de découvertes aujourd’hui perdues.
Au bout de ce voyage, nous aurons, je l’espère, beaucoup appris ; la vie quotidienne dans Albinnum, l’aspect d’ensemble du village, ses liens économiques avec le reste de l’empire romain nous seront plus familiers.
Les moyens de connaître un passé aussi lointain
Recherches archéologiques – Ramassage de surface – Visite dans les musées régionaux – Lecture des publications
1 La recherche archéologique
Nul ne l’ignore, cette étude des civilisations passées est devenue une science aux techniques bien définies, la principale étant la pratique des fouilles. Des fouilles ont été entreprises entre 1978 et 1981 par le Club d’archéologie du Collège Jacques Prévert. Elles ont permis à de nombreux élèves de mener une étude minutieuse des couches successives du sol (méthode stratigraphique), de mettre à jour un grand nombre d’objets, de vestiges et de les étudier.
On est en mesure à présent d’en donner les résultats.
Tout d’abord la stratigraphie (étude des couches successives).
On distingue bien quatre niveaux :
* le plus ancien, donc le plus profond, se compose d’une épaisse couche de sable. Il ne renferme aucun vestige humain.
* sur ce niveau, les hommes sont venus s’installer, apportant avec eux de la céramique grise. Ce second niveau correspondrait à l’occupation Celte (entendez Gauloise), des Allobroges vivant là aux derniers siècles avant JC.
* le troisième niveau est celui de l’occupation romaine. Couche qui renferme le plus de vestiges : restes de murs grossiers, tuiles, clous, céramique. Grâce aux objets trouvés, on peut dire que cette occupation romaine s’étend du début du Ier siècle au IVième siècle de notre ère. Cette occupation est perturbée à partir du IIIième siècle par les invasions (on retrouve une couche renfermant beaucoup de cendres – les restes des destructions barbares ?)
* le dernier niveau, supérieur, le plus récent, correspond à la couche cultivée. Si on y trouve des objets romains (pièces/fragments de vase), c’est que les labours profonds atteignent la couche romaine toute proche et font remonter ces objets non sans mal pour eux.
Si on se résume, quatre niveaux, en partant de la surface :
– un niveau correspondant aux cultures actuelles, en surface.
– un niveau romain (I-IVe).
– un niveau gaulois (derniers siècles avant JC).
– un niveau sans occupation humaine, le plus profond (sable).
Tout l’intérêt de la stratigraphie est là ; un voyage dans le temps, au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans le sol ; une mise en évidence des séquences d’occupation du village par ses lointains habitants.
2 Le ramassage en surface
* Comme son nom l’indique, il consiste à collecter à la surface du sol les vestiges anciens. La coupe stratigraphique nous l’a bien montré ; la couche cultivée renferme des objets des couches inférieures que les travaux agricoles ont ramenés à la surface.
Au moment des labours, après les grandes pluies, il est intéressant de circuler dans les champs ; un œil exercé et averti peut ainsi trouver de nombreux objets.
Ainsi :
– une marque de potier sur céramique rouge, celle de SALVETUS (nous en reparlerons) ;
-un beau décor sur un fragment de bol, représentant un lapin (sans doute une scène de chasse).
* Dans le même cadre d’activité, on peut parler du suivi des travaux. Albens se transforme de jour en jour, ce qui entraîne l’ouverture de nombreux chantiers (construction, voirie, travaux de l’ONF, …).
L’archéologue a intérêt à suivre ces travaux, à se rendre sur les chantiers car il pourra faire des découvertes ; il pourra également avertir, informer le personnel des chantiers de l’intérêt de ces découvertes (la collaboration avec ces personnels est toujours fructueuse). Ainsi furent découverts lors des travaux dans les marais un bol et deux belles assiettes (céramique beige).
On le voit, l’activité sur le terrain est porteuse d’informations. Elle nous permet de compléter nos collections (objets, vestiges, …), mais aussi de préciser nos connaissances sur l’étendue du périmètre archéologique romain.
Nous en verrons par la suite toute l’importance.
3 Les recherches dans les musées à la lumière des revues savantes
Les musées régionaux conservent de nombreux et beaux objets découverts à Albens dans les siècles passés.
La lecture des revues savantes nous permet d’en savoir plus sur ces découvertes anciennes (localisation de la découverte, contexte, état de l’objet, …).
À la lumière de toutes ces recherches, nous sommes en mesure de donner une idée de l’importance et de la richesse de ces objets :
* les bronzes sont bien représentés :
– deux pieds de chèvres ; bronze (fonte creuse) de patine vert clair, avec incisions figurant le pelage.
Découverts au lieu-dit « La Tour », ils furent acquis par le musée d’Annecy en juillet 1905 et sont aujourd’hui présentés dans une de ses salles.
Charles Marteaux (archéologue du XIXe siècle) pensait qu’ils formaient les supports d’une table gallo-romaine, sans doute d’un trépied.
– un miroir en bronze, dont on ne connaît pas les circonstances de la découverte et qui est présenté dans une vitrine du musée savoisien (Chambéry). C’est un disque circulaire, plat, en bronze poli, d’un diamètre de 12cm (on ne connait pas à l’époque les miroirs en verre). Le manche qui est cassé devait s’insérer dans une poignée de bois ou d’ivoire.
* la verrerie :
Elle comprend essentiellement des bouteilles, mais aussi une magnifique urne cinéraire.
– l’urne cinéraire fut découverte en 1863 lors de la construction de la voie ferrée. Elle était renfermée dans un vase à rebord en terre rougeâtre, qui fut brisé lors de l’extraction.
C’est une urne de petite dimension (15cm de hauteur et 9cm de largeur à l’ouverture) ornée de cordons en losanges, coulés avec le verre, le pied est godronné (Godron : ornement qui affecte la forme d’un œuf très allongé).
– les bouteilles sont plus nombreuses. Trois d’entre elles nous sont parvenues intactes. Elles sont plus petites que leurs sœurs actuelles (10 à 17cm). Elles ont une panse carrée et sont munies d’une anse. Le fond est décoré de cercles concentriques en relief, d’une croix à l’intérieur d’un cercle.
La couleur du verre est très belle, dans les verts ou les bleus, avec des nuances pastels.
Le verre était connu dans l’antiquité, mais c’est à partir de la découverte du soufrage (vers 100 avant JC) que cette industrie se développe.
À la fin du Ier siècle de notre ère, il y a des officines dans la basse vallée du Rhône, puis à Lyon et à Vienne.
On peut penser que ces bouteilles proviennent de ces ateliers.
Au IIe siècle, ce type de bouteille devient très abondant pour disparaître ensuite.
* la vaisselle :
Il s’agit ici d’une très belle pièce en céramique sigillée qui se trouve exposée dans les vitrines du musée savoisien.
C’est un bol, décoré de motifs en relief (d’où le nom de sigillée) provenant des ateliers du centre de la Gaule (Lezoux) datant du IIe siècle de notre ère.
Cette céramique sigillée est une véritable banque d’images. Véhicule de romanisation, elle a contribué à la diffusion d’une imagerie populaire fondée sur la religion, les jeux, les combats guerriers, les scènes de chasse.
Ici, sous une rangée d’oves (ornement en forme d’œuf), un médaillon contenant un Amour ou une Victoire, un demi médaillon contenant deux masques et un oiseau puis en dessous, un animal courant, une tige de palmier stylisée.
L’étude des objets présentés dans les musées régionaux nous informe sur le niveau de vie d’un groupe social aisé à Albens, mais aussi nous renseigne sur les liaisons économiques avec les diverses régions de la Gaule et de l’Empire.
À partir de la, nous pouvons imaginer le luxe dont bénéficie ce petit groupe : la céramique sigillée serait à comparer à notre porcelaine ; le verre devait être encore cher à l’époque.
Ce luxe est attesté par un autre objet présenté au musée savoisien. Il s’agit d’une applique de cuivre étamée, recouverte d’une mince feuille d’argent dorée et doublée d’une plaque d’argent ajouré ; les rivets de cuivre étaient recouverts d’une calotte d’argent ?
Qui étaient ces personnes aisées ? Nous tenterons d’en présenter quelques-unes par la suite.
Il est également possible de savoir d’où l’on faisait venir ces beaux objets (verrerie des ateliers du couloir rhodanien, vaisselle des ateliers de l’Allier) et partant de là, de dresser une carte des liaisons commerciales aux premiers siècles de notre ère.
Quelles informations tirer des objets archéologiques ? Voilà le fil conducteur de la suite de l’article.
À la recherche des liaisons commerciales antiques
Des monnaies replacent Albens dans le cadre de la Grande Histoire
La céramique dévoile les itinéraires commerciaux. Deux monnaies d’Aurélien et Tétricus replace Albens dans le contexte de la crise de l’Empire au IIIe siècle de notre ère.
1 La céramique
Celle découverte à Albens appartient à plusieurs catégories qu’il serait bon de présenter avant d’aller plus avant.
On peut en distinguer quatre :
– la sigillée, de couleur rouge vif, ornée de motifs en relief.
– la céramique grise ou céramique allobroge.
– les amphores pour le transport des liquides et des grains.
– la céramique commune, de couleur claire.
Pour la clarté de l’exposé, nous ne retiendrons que deux catégories, la sigillée et les amphores. Les raisons en sont simples : par leurs formes, leurs marques ou leurs décors, elles permettent de savoir de façon précise la date et le lieu de fabrication.
La sigillée
Ce type de céramique romaine, d’allure très caractéristique, a été fabriqué pendant toute la durée de l’Empire romain exclusivement (Ier au Ve siècle de notre ère).
Les grands ateliers de fabrication sont tous situés en Gaule romaine et appartiennent à trois grands groupes : Ateliers du Sud, Ateliers du Centre, Ateliers de l’Est.
Ils produisent des vases selon des techniques qui évoluent peu. Les vases comportent presque toujours un décor en relief, obtenu à partir d’un moule en creux. Ces vases sont recouverts d’un vernis rouge donné par une très mince couche d’argile fine à forte teneur en oxyde de fer. Ce vernis confère au vase un très grand degré de résistance à la corrosion, si bien que lorsqu’on en découvre aujourd’hui, leur aspect semble presque neuf.
Les principales formes produites (coupe, bol, assiette, pichet, …) ont été classées par certains érudits comme Dragendorf ou Oswald. Les formes variant avec la mode et la technique, on peut les dater. Le bol trouvé à Albens date du second siècle de notre ère.
Les décors ayant déjà été présentés, il vaut mieux parler des estampillés que l’on trouve sur ces vases. Les estampillés ou marques de potiers sont placées soit sur la paroi externe du vase au milieu du décor, soit sur le fond au dos du vase.
Les potiers ayant travaillé dans un nombre restreint d’ateliers (25 environ pour la Gaule) dont les plus célèbres sont la Graufesenque et Lezoux, on a pu établir les époques d’activité de ces artisans et partant de là, la date de réalisation.
Les céramiques sigillées d’Albens ont été fabriquées dans les Ateliers du Sud et du Centre, de 50 à 160 après JC.
Les amphores
Découvertes en grand nombre à Albens, elles sont souvent en mauvais état. On a conservé surtout le col et les anses.
Par leur forme, que l’on peut déduire des éléments précédents, il est possible de dire que certaines proviennent d’Espagne. Ce sont de grosses amphores à huile, de forme très ronde, et dont les grosses anses à section ronde portent souvent des marques. Sur l’une d’elle, on peut lire S. C. Elle provient de Bétique (Andalousie actuelle).
Il devient alors possible d’esquisser une carte des échanges commerciaux à l’époque.
Cette carte ne nous renseigne que sur les importations, les achats effectués par les habitants du village. Nous ignorons si des produits fabriqués à Albens étaient vendus à l’extérieur.
Ces importations viennent de la province de Narbonnaise, dont fait partie Albens, pour les verreries. La sigillée provient du Massif Central : Allier et Aveyron. L’huile et les amphores viennent de plus loin, du sud de l’Espagne, province de Bétique.
* On peut se faire une idée de la circulation de ces produits.
On sait pour la sigillée de la Graufesenque qu’elle était commercialisée par les NEGOCIATORES REI CRETARIAE, grands négociants de terres cuites, dont les réseaux commerciaux étaient solidement établis, avec relais de stockage aux points de rupture de charge, et des entrepôts de redistribution (tels ceux de Fos-sur-mer, Clermont-Ferrand, Feurs, …).
Cette céramique était commercialisée fort loin : Méditerranée Orientale, mer Baltique, mer Noire et jusqu’en Inde.
Ces grands négociants avaient recours, tant qu’ils le pouvaient, au transport par voie d’eau.
Une voie d’échanges privilégiée comme celle du Rhône ne pouvait manquer de jouer son rôle dans l’essor des échanges qui caractérise la « Paix romaine ». La navigation fluviale va donc se développer sur le Rhône de la Méditerranée à Seyssel et Genève, mais aussi sur ses affluents (Ouveze, Durance, Isère, Ardèche, Saône, Doubs).
Il existait alors une batellerie active et organisée. Elle était entre les mains des corporations de NAUTES. Le secteur lyonnais du fleuve était desservi par les NAUTAE RHODANICI, siégeant à Lyon, dont le trafic couvrait le Rhône jurassien jusqu’à Seyssel.
L’Isère, au tournant de la Combe de Savoie, était entre les mains des RATIARII VOLUDNIEUSES, dont le port d’attache était Voludnia près de Saint-Jean-de-la-Porte.
Ces corporations assuraient non seulement la navigation mais aussi les ruptures de charges et les transferts par terre, sans doute entre l’Isère et le lac du Bourget, comme entre Seyssel et Genève, Annecy et la région. Le Rhône et ses affluents formaient ainsi la voie d’introduction et d’échanges de quantités de marchandises, parmi les plus lourdes principalement.
* Quel était le matériel de navigation utilisé par ces nautes ?
On ne peut s’appuyer sur aucun vestige ni figuration provenant du secteur Allobroge. Il faut avoir recours aux vestiges découverts dans le reste de l’Empire pour s’en faire une idée.
Ils se regroupent en trois ensembles :
– les radeaux (ratis) : ils sont faits rapidement à partir de troncs ou poutres assemblés. De véritables trains de radeaux ou de bois flottants destinés à la construction circulaient sur le fleuve. Le radeau pouvait servir à assurer le passage des cours d’eau en guise de bac. On pouvait aussi utiliser des barques à fond plat.
– les barques à fond plat : le terme de ratis s’applique aussi à elles. Elles étaient utilisées sur les rapides des fleuves ou les rivières peu profondes.
– les bateaux : les romains appelaient NAVIS CAUDICARIA le bateau fluvial qui remontait le fleuve après avoir reçu la charge d’un bateau de haute mer. Ce type de bateau semble avoir été utilisé en aval de Seyssel (comme semblent l’indiquer certaines inscriptions). Le célèbre bateau gaulois transportant une charge de tonneaux (musée de Trèves) donne une idée de leur allure. Il marche à la rame comme la plupart des bateaux fluviaux de commerce.
* Sur le fleuve circulait des produits très variés qui avaient pour destination Seyssel.
Des convois entiers de jarres et d’amphores lourdement chargées de vin, d’huile ou de blé remontaient le fleuve. Le commerce des lampes à huile, des céramiques sigillées s’effectuait de la même façon. Les navires étaient aussi chargés de matériaux de construction : briques, tuyaux d’argile et tuiles.
Le centre de production devait se trouver à Vienne où Claranius, un des nombreux fabricants apposait son nom sur ses produits. On peut voir certaines de ses tuiles dans les musées de Savoie (Chambéry, Aix et Annecy).
À la descente, les navires transportaient des tonnes de pierres (des carrières de Seyssel ou de Fay dans le petit Bugey) pour alimenter les constructions de Lyon.
Tout un trafic intense, portant sur des produits très divers, du blé aux matériaux de construction en passant par la vaisselle aboutissait au port de Condate (Seyssel).
Le port de Condate était sans doute majeur par l’importance de ses installations. C’est lui seul qui figure sur l’itinéraire de Peutinger (carte romaine du siècle) entre Etana (Yenne) et Genava (Genève).
Il a été fouillé à la fin des années 1970 par Messieurs Dufournet et Broise qui ont mis en évidence l’existence de vastes installations s’étageant en gradins le long du fleuve, d’où partaient une voie bordée d’un portique et de boutiques de commerçants.
Ce port a été très actif jusqu’à la fin du IIIe siècle. Il tirait son importance du fait que le Rhône n’étant plus navigable en amont, une rupture de charge s’imposait. Les marchandises poursuivaient leur chemin par voie de terre jusqu’à Genève, Annecy et bien sur Albens.
* Par voie de terre, le transport était plus délicat. Il empruntait un réseau routier assez bien connu.
On peut s’imaginer les habitants d’Albens de l’époque se rendant à Condate pour s’y procurer vaisselle, lampes, huile, tuiles dans les boutiques bordant le port. On peut imaginer aussi les marchands, à pieds ou en charriots, allant dans les villages et villes voisines pour y écouler leurs produits.
Quoi qu’il en soit, une vie relationnelle importante devait animer la voie qui de Seyssel en passant par Sion, Albens et Aix conduisait à Lemenc.
Cette voie a aujourd’hui disparu, mais son tracé a été étudié par les érudits du siècle dernier, entre autre Charles Marteaux. Ils s’appuient sur des découvertes nombreuses ; près de Seyssel avec les importants vestiges du Val de Fier ; autour d’Albens, entre Bloye au Nord et Marline au Sud, le pavement de la voie a été mis à jour au XIXe siècle ; à Albens même plusieurs mètres de pavement ont été exhumés lors de travaux en 1860 et 1910.
C’était donc une voie romaine principale qui passait par Albens, aux premiers siècles de notre ère, mettant le village en relation avec tous les centres importants du moment, comme le montre bien Pierre Broise dans son ouvrage « Genève et son territoire dans l’Antiquité ».
Ainsi les habitants d’Albens pouvaient-ils se procurer ces produits venant des diverses régions de la Gaule ou de la lointaine Bétique. Contre quelques pièces de bronze ou de cuivre (la monnaie très répandue dans l’empire favorise les échanges), ils pouvaient acheter l’huile pour les exercices physiques et les bains, les coupes pour boire le vin, les tuiles pour leurs toits.
2 La monnaie
On a vu son importance dans les échanges. Elle est bien représentée à Albens et nous permettra d’avoir une idée du monnayage romain, de dresser une chronologie de la présence romaine pour enfin entrer un instant dans la grande Histoire.
* Le sous sol d’Albens a fourni plusieurs dizaines de monnaies.
Les plus anciennes découvertes remonteraient à 1786 où un ensemble de 30 monnaies a été mis à jour à La Ville.
D’autres monnaies ont été découvertes par la suite à Bacuz, aux Coutres et à Marline. La plupart de ces monnaies ont été vendues ou se sont perdues à nouveau.
Depuis une dizaine d’années, date de la création du Club d’archéologie du Collège, nous avons pu recueillir une dizaine de pièces environ. Elles ont été mises à jour soit par des particuliers, soit en cours de fouille par nos soins, mais ont pu être photographiées, étudiées et pour certaines conservées au collège.
Elles doivent être replacées dans le monnayage romain, dont voici un tableau sommaire :
Aureus pièce d’or 25 deniers
Denier pièce d’argent 4 sesterces
Sesterce pièce de bronze 4 as
Dupondius pièce de bronze 2 as
Nous ne possédons que des monnaies des deux dernières catégories dont une magnifique pièce de bronze de l’empereur Tibère (14-37), présentant au revers l’Autel de Lyon ou Autel des Gaules ; autel encadré de deux colonnes portant des victoires tendant des couronnes. Bien lisible en dessous : « À Rome et à Auguste ».
De la fin du Ier siècle, nous possédons un sesterce de l’empereur Vespasien (69-79). Au revers, une magnifique déesse de la Fortune vêtue à l’antique et portant tous les attributs de sa fonction.
* Cet ensemble de monnaies permet de jalonner la présence romaine à Albens et d’en dresser la chronologie.
Les romains sont installés chez nous dès le début de notre ère (monnaie de Julia Augusta). Les monnaies sont nombreuses tout au long des Ier, IIe et IIIe siècle, avec une particulière abondance lors de la crise du IIIe siècle (liée à l’inflation et aux luttes politiques). À partir du IVe, les monnaies se font plus rares, de mauvaise qualité, c’est l’époque des invasions, du ralentissement des activités et des échanges, de la fin de l’empire romain.
Bientôt le Moyen Âge débutera et l’on parlera de la Sabaudia, nom dont dérive celui de Savoie.
* Deux de ces monnaies, celle d’Aurélien et de Tétricus, vont nous permettre une incursion dans la Grande Histoire.
En cette fin du IIIe siècle, le pouvoir de l’empereur Aurélien est contesté dans les provinces d’Asie ; à Palmyre, la reine Zénobie s’est révoltée.
À l’ouest, c’est Tétricus qui a constitué un empire des Gaules. Cet empire des Gaules comprend tout l’ouest et le nord de la France. La province de Narbonnaise est restée fidèle à Aurélien et Albens se trouve ainsi à la frontière des deux empires.
La présence de ces deux pièces dans notre village prouve que ce dernier était indécis et partagé entre les deux obédiences.
Bien vite, la situation se rétablit au profit de l’empereur officiel. Tétricus, abandonné par ses troupes sur les champs de bataille de Châlons-sur-Marne, participera au triomphe d’Aurélien en 274 à Rome.
On nous le décrit : « Parmi les prisonniers marchait Tétricus avec sa chlamyde écarlate, sa tunique verdâtre et ses braies gauloises, accompagné de ses fils ».
On ne nous dit pas ce qu’il advint des habitants d’Albens qui avaient choisi son parti. Mais, on peut être rassuré sur leur sort, quand on saura qu’Aurélien ne tint pas rancune à son adversaire auquel il accordera par la suite le poste de gouverneur de Lucanie.
Il est temps maintenant de parler un peu plus longuement d’Albens et de ses habitants, il y a… 18 siècles.
Albinnum, un Vicus, Chef-lieu du Pagus Dianiensis
Albens replacé dans le cadre général de l’Empire – Description du village – Les croyances – La société.
1 Albens est un Vicus
Un habitat aggloméré, un centre d’échanges commerciaux, pourvu d’une organisation administrative.
Le vicus est le plus petit élément du système administratif romain qui reposait essentiellement sur un réseau de villes très hiérarchisé.
Aux premiers siècles de notre ère, le vicus appartient à la cité de Vienne (capitale de l’Allobrogie) partie de la Province de Narbonnaise (la première à être romanisée en Gaule).
Le Vicus d’Albens était le chef-lieu du Pagus Dianensis ou Dianus, Pagus signifiant pays. Ce pagus devait s’étendre des vallées du Chéran et du Fier jusqu’au Rhône (Chautagne). Il était également nommé Pagus Albinnensi, ce qui a donné aujourd’hui l’Albanais. Ainsi, Albens était déjà à cette époque un chef-lieu, le centre administratif de l’Albanais (au sens large).
Origine et signification du nom d’Albens
Le nom Albinnum est bien attesté par des inscriptions, dont une est visible sur les murs de l’église de Marigny-Saint-Marcel. Ces inscriptions ont été étudiées et figurent au Corpus des Inscriptions Latines (CIL, XII, n°2558 et 2561).
Voilà le nom d’Albens connu depuis l’antiquité ! Mais que signifie-t-il ?
Ici, on entre dans la toponymie (étude de l’origine des noms). C’est une science où s’affronte plusieurs écoles. On aura de ce fait des explications diverses sur la signification de ce nom. Je me contenterai de les exposer, sans trancher en faveur de l’une ou de l’autre.
– le nom d’Albens proviendrait du terme « Villa Albenci », c’est-à-dire la villa d’Albinnum ; autrement dit, le nom d’un domaine rural dont le propriétaire était le « sieur » Albinnum.
– l’Albenche, le nom du petit cours d’eau traversant le village, serait à l’origine du nom.
Mais certains ne se sont pas satisfaits d’explications aussi sommaires. Ils sont allés chercher dans la « linguistique » la signification première du nom. Le nom « Albinnum » contiendrait la racine ligure ALBA, dont le sens pourrait signifier blanc. Ce terme serait un qualificatif de l’eau opposé à la terre noirâtre et se serait appliqué surtout aux eaux courantes ou jaillissantes.
Il ressort de ces recherches une grande incertitude.
On peut résumer cela en disant : qu’un riche romain aurait donné son nom au village ; qu’un cours d’eau (terme géographique) pourrait en être à l’origine, qu’une langue ancienne (question sur les premiers occupants du village ?), le ligure aurait conservé le souvenir marquant de la blancheur du paysage.
Chaque fois, ces explications font appel à des données historiques, géographiques, linguistiques et humaines.
Mais revenons à Albinnum, le village.
* Il est inclus dans un réseau routier qui joue un grand rôle dans sa vie et son organisation spatiale.
On a vu l’importance de la voie romaine dans la vie économique d’Albens. Que sait-on d’elle de façon plus précise?
Elle a donné lieu à de multiples recherches dans le passé. Peut-on aussi, à partir des découvertes du XIXe siècle et de témoignages plus récents, en dessiner le tracé général.
C’était une voie dallée (Pierre Broise la qualifie de voie romaine principale) dont on a retrouvé des portions à Braille, aux Grandes Reisses (en 2 points), aux Coutres (en 3 points) et à Orly. Dans le village actuel, sa présence a été signalée en 1911 derrière la gare des marchandises, dans le prolongement direct d’une autre partie découverte quelques années plus tôt au Nord (jardin Picon) .
Cette voie devait suivre, à peu près, le tracé de la voie ferrée, donc traverser le village du Nord au Sud, où après avoir passé le ruisseau de l’Albenche, elle suivait jusqu’à Orly le vieux chemin actuel. Au delà d’Orly, son tracé fut retrouvé en 1869 ; un propriétaire mit à jour de grosses pierres enfoncées de 50cm dans le sol.
Doublant cette voie, existaient certainement des chemins muletiers qui longeaient les coteaux à l’Est et à l’Ouest (de Pouilly à la Biolle).
Mais c’était la voie principale, dallée, orientée Nord-Sud qui déterminait l’organisation d’Albinnum.
Essayons une description du village à partir des vestiges immobiliers mis à jour depuis deux siècles.
2 Albinnum, il y a 18 siècles
Nous proposons un plan qui n’est en aucun cas une représentation exacte du village autrefois. Ce document est plutôt à prendre comme une tentative de délimitation sommaire des principaux quartiers du vicus.
De part et d’autre de la voie, quatre ensembles paraissent avoir concentré les constructions.
* La Ville
Vaste monticule de 3 hectares, entouré d’une enceinte de 270m par 110, il se remarque bien dans le paysage aujourd’hui encore.
Un rempart en gros galets, de plusieurs mètres de hauteur, défend la colline de la ville du côté Est et sur l’angle Sud Est. Il fait de cette colline peu élevée (365 m environ), au milieu des marais, un site défensif. Un puits en son centre assure son approvisionnement en eau potable.
On y a découvert de nombreux vestiges antiques (inscriptions, marbre, tuile) et récemment deux fragments de colonnes.
On peut y voir un point fortifié celte, existant avant l’arrivée des romains, transformé par eux, quatre siècles plus tard (au moment des invasions) en Castrum.
* Le quartier des Coutres
C’est le quartier qui regroupait les principaux édifices connus.
Thermes et Portiques – Temples – Bâtiments principaux d’une villa – Habitations – Un relais de poste (la voie longeait ce quartier).
– les thermes, dits Bains de C Sennius Sabinus
On connait leur existence par deux inscriptions : CIL n° 2493 et 2494.
Elles nous apprennent qu’il s’agit d’une donation faite par C. Sennius Sabinus « préfet des ouvriers » aux habitants du Vicus d’Albens ; donation d’eau et du « droit d’amener ces eaux par une conduite ». À cela s’ajoute la donation d’un bain public, d’un terrain d’exercice et de portiques.
On sait que ces inscriptions dateraient du milieu du Ier siècle.
Il est difficile de déterminer l’emplacement des thermes ; on peut toutefois dire qu’ils devaient se situer entre l’actuel cimetière et la RN 201, car on a trouve là des pilettes (soutient du sol de la salle chaude).
Quant à la conduite qui amenait l’eau de Saint-Marcel à Albens, on aurait retrouvé sa trace au nord des Coutres, dans les marais. Il s’agit d’une conduite en tuiles cimentées (tuiles plates ou tegulae).
Ainsi, on peut affirmer que vers 50 après JC, les habitants d’Albinnum disposaient de bains publics dus à la générosité d’un riche citoyen romain, préfet du génie, appartenant à une famille influente de la région en rapport avec Vienne.
– les temples
Le vicus possédait, semble-t-il, un temple de Mercure et un autre dédié à l’empereur Septime Sévère.
Comme pour les thermes, leur existence est connue grâce à des inscriptions et à des trouvailles archéologiques.
Le culte de Mercure est attesté à Albens par une inscription CIL, XII, 2490. Leur localisation est impossible à préciser. Le seul élément permettant de situer l’un de ces temples provient de découvertes archéologiques faites au XIXe siècle.
Sur l’emplacement de l’ancienne église et du cimetière, ont été mis à jour un « plan uni, pavé de dalles », des colonnes et des chapiteaux. On pense qu’il s’agissait d’un temple ; d’après la dimension des bases des colonnes de marbre blanc, elles devaient avoir une hauteur de 10m.
Le seul élément d’architecture visible aujourd’hui se dresse dans l’ancien cimetière. C’est « la colonne des curés », fût de 4m de haut sur une base antique, taillé dans le calcaire (laisserait-elle supposer l’existence d’un autre temple ?).
À partir de ces quelques éléments, on peut dire que, sous la dynastie des Sévères (193-235), on pratiquait le culte impérial et on vénérait Mercure à Albens. Un ou des temples de grande dimension devaient donc exister dans le secteur Sud-Est du vicus.
– un relais de poste
Sa présence n’est pas prouvée mais reste possible.
Charles Marteaux écrit dans son étude de 1913 sur « La voie romaine de Condate à Aquae (Aix-les-Bains) » : « Il est probable que Lemincum et Condate étaient les deux mansiones extrêmes, avec Albinnum, comme mutatio ou relais spécial, si toutefois cette voie était affectée au cursus publicus du service de la poste impériale ».
Ainsi l’existence d’un relais est présentée comme probable. Le bon sens ne peut-il pas, à défaut de témoignages précis, suppléer à l’absence de sources ?
– les habitations
Elles devaient être disposées tout le long de la voie. Les recherches archéologiques menées ces dernières années n’ont pas permis de fouiller une de ces habitations en totalité. Nous ne sommes pas en mesure de nous faire une idée de leur plan.
On peut toutefois noter pour l’ensemble de ces constructions, nombreuses aux Coutres (au Nord de la RN 201), la présence fréquente de murs en galets. Les sols de ces maisons étaient dallés (dallage en briquettes rouges, en galets, …)
L’eau provenait peut-être de la conduite en tuiles cimentées qui alimentait les thermes. Les habitants disposaient de puits (en 1907, on en découvrit un le long de la RN 201).
La présence de nombreuses tuiles plates (tegulae) et de clous nous permettent d’imaginer une couverture en tuiles rouges sur charpente de bois pour la plupart de ces demeures.
* La nécropole
Les cimetières romains étaient placés le long des voies, à la sortie des villes. Albens ne fait pas exception.
Il est possible de situer de façon précise cette nécropole (sur l’emplacement actuel des écoles et du collège).
– de nombreuses découvertes anciennes :
À la fin du XVIIIe siècle, mise à jour d’un tombeau, près du vieux chemin des Coutres dans la direction de Futenex ; tombeau fait de briques et de pierres grossières, il était recouvert par une pierre portant l’épitaphe suivante : « À Titia, âme très douce, morte à l’âge de 25 ans et 3 mois ».
D’autres inscriptions découvertes par la suite sont conservées au CIL n° 249_ et 2499.
La première nous fait partager la douleur de Rutilius Aurelius et Divilia Licina, parents éplorés, qui viennent de perdre leur fille Divilia Aurelia morte à l’âge de quinze ans et six mois.
L’autre nous apprend qu’un fils a élevé un tombeau à son père et à son frère Octavianus.
Au total, sept épitaphes furent mises à jour. C’est dire l’importance de la nécropole. À ces épitaphes, il faut joindre la découverte de l’urne cinéraire en verre dont nous avons déjà parlé.
Cela nous renseigne sur les pratiques funéraires : importance de l’inhumation mais aussi pratique de l’incinération.
– des découvertes plus récentes :
À l’occasion de la construction du collège, entre 1976 et 1978, des découvertes nous ont apporté des informations supplémentaires. La nécropole romaine a été utilisée après la chute de l’empire romain durant les premiers siècles du Moyen Âge (Ve au IXe).
En 1976-1977, de nombreuses tombes en molasse ont été mises à jour et en grande partie détruites par l’ouverture du chantier du collège. Les tombes ont pu être rapidement étudiées et l’une d’entre elles sauvée.
Toutes ces tombes étaient orientées Est-Ouest. Le mort, allongé sur le dos, avait la tête à l’Ouest, tourné vers le couchant. Aucun mobilier significatif n’accompagnait les morts. On a été conduit à dater cette nécropole du haut Moyen Âge (nécropole burgonde du VIe ou VIIe siècle ?).
Déjà en 1878, lors de la construction des écoles, on avait trouvé des tombes en molasse, de grands squelettes et des bracelets. Ce qui confirme l’importance de cette nécropole burgonde succédant à la nécropole romaine.
* La colline de Bacchus
Ce quatrième ensemble construit se situe plus à l’écart du vicus gallo-romain, dominant le village au Sud-Ouest.
On est sûr de la présence romaine à Bacchus. Des ramassages de surface ont fourni de la céramique, des fragments de tuile.
Il est plus difficile de préciser où devaient se trouver les constructions romaines ; probablement entre le lotissement de Bacchus et le hameau de La Paroi.
Ce secteur-là a fourni dans le passé de nombreux vestiges mobiliers et immobiliers.
– des vestiges immobiliers :
Il s’agit de colonnes, découvertes au XIXe siècle. Elles sont visibles aujourd’hui à l’entrée d’une demeure du hameau de La Paroi. L’une d’entre elles est surmontée d’une croix ; les autres sont disposées de part et d’autre de l’entrée. Ce sont deux bases attiques, deux fûts à astragales et un tambour de colonne, inventoriés en 1954 par Pierre Broise.
Y avait-il un temple sur la colline de Bacchus ? Lors de la découverte des colonnes au XIXe, on l’a écrit. On ne peut en dire plus.
– des vestiges mobiliers :
En particulier une bague en or avec entaille en cornaline ainsi qu’une épée (aujourd’hui dans un musée à Turin).
* Il faut, pour en finir avec la description d’Albinnum, aborder le problème des VILLAE.
La villa est le centre d’exploitation d’un domaine agricole. Elle est souvent entourée des CASAE des paysans pauvres, avec de simples murs de pierres. La villa est donc la partie construite d’un domaine agricole, comprenant deux ensembles : la demeure du maître bien construite, et les cabanes grossières des paysans. Chaque domaine pouvait exploiter jusqu’à 30 hectares.
Si de tels domaines ont existé autour d’Albens, nous n’en avons pas retrouvé avec certitudes les traces archéologiques. Il faut donc s’appuyer sur la toponymie pour en dresser la liste.
Les villae ont laissé leur souvenir dans les noms comme Pégy, Pouilly, Bacuz, Marline, Orly .
En effet, le domaine portait le nom de son propriétaire : PAULUS suivi du suffixe ACUS ou IACUS donnant PAULIACUS ; en se déformant cela aurait donné PAULHAC – POUILLE et POUILLY.
Tarancy, près de La Biolle, devait être le centre du domaine de Térentiacus (découverte vers 1866 de monnaies du Ier siècle).
À Longefan, existait aussi une villa qui a livré de nombreux vestiges (bases de colonnes, médailles, inscriptions, …).
On le voit, ces nombreux domaines sont à l’origine des divers hameaux de la campagne albanaise actuelle.
L’importance des domaines agricoles nous conduit tout naturellement à nous pencher sur l’activité des habitants d’Albinnum. De quoi vivaient-ils ?
Quelles étaient leurs croyances?
3 La Société : croyances et activités
La religion romaine à Albens
On a déjà eu l’occasion de présenter certains de ces aspects au cours de cette étude : culte impérial, dédicace à Mercure, culte des morts avec inhumation et incinération.
Nous reviendrons sur un aspect de ces cultes : celui de Mercure.
– Le nom de Mercure recouvre plusieurs aspects : divinité gréco-romaine (dieu des voyageurs et des commerçants) ; divinité latine (Mercure est associé à Maïa à Annecy, à Châteauneuf où l’on a mis à jour un petit temple avec dédicace) ; divinité gauloise (dieu des sommets).
– Le culte de Mercure est très important en Savoie. Bien attesté par de nombreuses inscriptions et fragments de statues : une dizaine de dédicaces et un caducée (attribut de Mercure) trouvé à Lemenc, visible au musée savoisien.
– Le fait que Mercure ait été l’objet d’un culte à Albens n’est pas surprenant. Albinnum est bien inséré dans le réseau d’échanges et de communications : sur une voie romaine principale, affectée peut-être au service de la poste impériale, en liaison commerciale avec Condate (Seyssel) et Aquae (Aix-les-Bains). Le village était un relais, une étape commode pour les marchands et les voyageurs, qui ne se lançaient pas le lendemain sur les routes, sans se mettre sous la protection de Mercure.
Albinnum : ses habitants et leurs activités.
-Ce sont les inscriptions qui nous apprennent le nom de certains habitants.
Sennius Sabinus (le donateur des Bains), Certus, S. Vibrius, Punicus, Primius Honoratus, la famille des Lucinii…
Ces gens appartiennent essentiellement à la couche la plus élevée du vicus. Ils ont été préfet du génie, préfet de cavalerie, préfet de Corse ; l’un d’eux est un affranchi impérial.
Peu de noms gaulois, à l’exception de G. Craxius Troucillus.
En réalité, cette couche sociale la plus élevée d’Albinnum ne correspond en fait qu’à la couche sociale moyenne de la société impériale. C’est à coup sûr, en son sein, que devaient se recruter les membres de l’organisation administrative du vicus.
L’essentiel de la population, peuple d’agriculteurs gaulois, esclaves achetés par les maîtres des villae, n’a laissé aucun témoignage écrit, étant enterré dans de simples tombes sans épitaphes.
Comme c’est souvent le cas pour les périodes anciennes, l’histoire des humbles est difficile à faire, faute de documents, les riches ayant alors le monopole de l’écriture et de l’instruction.
-L’activité principale était l’agriculture. L’artisanat devait être une ressource complémentaire non négligeable.
Que cultivait-on à l’époque ?
Le blé tout d’abord. Un historien romain, Pline (Histoire naturelle XVIII, 12) nous raconte : « C’est aussi le froid qui a fait découvrir le blé de trois mois, la terre étant couverte de neige pendant l’année ; trois mois environ après qu’il ait été semé, on le récolte… Cette espèce est connue dans toutes les Alpes ».
Ce blé était ensuite broyé sur place, à l’aide de meules dont plusieurs exemplaires ont été mis à jour aux Coutres (en 1907 puis en 1950).
La vigne était également connue, certainement cultivée sur les coteaux de Pouilly. L’historien Pline parle de « L’Allobrogie, dont le raisin noir mûrit à la gelée ».
L’élevage est attesté par les résultats des fouilles entreprises sous ma direction entre 1978 et 1981. Elles ont livré un grand nombre de restes osseux : bovins, moutons, chèvres, porcs mais aussi sangliers.
On peut également en tirer des renseignements sur l’alimentation.
On s’aperçoit de l’importance de l’élevage qui fournit l’essentiel de l’alimentation carnée : toutefois, la chasse aux animaux sauvages n’est pas absente dans l’apport alimentaire.
On sait enfin (sources littéraires) que le fromage est déjà un produit réputé.
L’artisanat.
On tire des informations sur les activités artisanales des objets découverts en fouille : pesons, restes de foyer – peut-être de fours.
Les pesons ou contrepoids de métier à tisser. Six exemplaires ont été découverts au cours de nos recherches. Ils laissent supposer l’existence d’un artisanat textile domestique (tissage de la laine, des étoffes pour les braies et les manteaux gaulois).
Des restes de fours (deux ?) ont été mis à jour également. Dans une petite surface contenant beaucoup de cendres et charbons de bois, on a découvert des fragments d’argile ayant subi des températures élevées sur une face et moindre sur l’autre. Des scories sont en cours d’analyse.
Était-on en présence de restes de fours ? On sait que l’on utilisait des fours très rudimentaires : dans une fosse, enduite d’argile, on plaçait les objets à cuire, que l’on recouvrait de bois, et le tout d’une voûte en argile (ce qui limite les déperditions caloriques et concentre la chaleur). La cuisson terminée, on cassait la voûte d’argile pour récupérer les objets cuits. Ainsi s’expliquent les fragments d’argile dont les deux faces n’ont pas subi le même degré de cuisson.
Ces fours peuvent aussi bien être destinés à la cuisson de céramiques que de produits alimentaires, ou à des activités métallurgiques.
Ainsi, le tissage et l’art du potier semblent avoir été les principales activités artisanales, dans le cadre d’une économie d’auto-consommation.
Voici donc un vicus que nous avons vu vivre durant les trois premiers siècles de notre ère. Il était un centre secondaire de l’Allobrogie, mais d’une toute première importance dans l’Albanais.
Il va connaître un premier déclin à partir de la crise du IIIe siècle et de l’invasion des Alamans (260-280).
Le déclin sera définitif avec l’installation des Burgondes à la fin du Ve siècle. Ces derniers s’installent à Albens et réemploient la nécropole romaine.
Au VIe siècle, semble-t-il, le christianisme est attesté à Albens. Au VIIe siècle, on frappait monnaie dans le Vicus Albenno. Au Xlème siècle, on trouve les termes de « In pago Albanense », « in valle Albenensi » dans les chartes de Cluny.
Puis c’est l’oubli complet durant des siècles. Il faut attendre la fin du Moyen Âge pour que des textes reparlent d’Albens ; mais c’est une autre histoire, avec d’autres méthodes, peut-être la matière d’un autre article.
Jean-Louis HEBRARD
Article initialement paru dans Kronos N° 2, 1987
Le hameau du Paradis se trouve tout proche du chef-lieu d’Albens, à gauche après le garage Rivollet, en venant de Saint-Félix. Son nom « paradisiaque » lui vient du fait qu’en son centre se trouve l’ancien cimetière d’Albens, au milieu duquel s’élevait jadis l’église Saint-Alban : le hameau du Paradis était tout simplement l’ancien centre paroissial d’Albens (jusqu’au XIXe siècle).
L’ancien cimetière, où semble encore régner une atmosphère de quiétude malgré la proximité de la voie ferrée et la petite zone industrielle toutes proches, a conservé des traces de sa vocation religieuse et funéraire. Seul vestige de l’ancienne église Saint-Alban, subsiste la chapelle Rosset : cette ancienne chapelle adjacente de l’église a résisté à la démolition de celle-ci (après 1867) grâce à sa fonction de chapelle funéraire pour les membres de la famille Rosset, famille de notables d’Albens dont la maison-forte se trouve dans le même hameau, juste à côté de l’ancien cimetière. Plusieurs fragments de pierres tombales demeurent ça et là contre le muret du cimetière, avec leurs noms à demi-effacés par le temps.
L’une des tombes les plus mémorables de l’ancien cimetière est celle du général Philibert Mollard (1801-1873), dont la vie est un résumé emblématique de l’histoire du XIXe siècle savoyard. Né à Albens sous la première annexion française et le Ier Empire de Napoléon Bonaparte, Philibert Mollard fit carrière dans la Brigade de Savoie et les armées du roi de Piémont-Sardaigne (la Savoie avait été rendue à ses princes en 1815). S’étant illustré sur plusieurs champs de batailles, il fut décoré de la Grande-croix dans l’Ordre des Saints Maurice et Lazare (la « légion d’honneur » des anciens Etats de Savoie) mais il choisi pourtant de terminer sa carrière dans l’armée française après la seconde annexion de la Savoie à la France (1860). Il fut l’un des rares militaires savoyards de cette époque à poursuivre une brillante carrière au service de la France : devenu général, il fut nommé sénateur (1866 à 1870) par l’empereur Napoléon III, qui en fit également son aide de camp, et enfin conseiller général du département de Savoie. Gêné par l’exiguïté de la pierre tombale et la profusion des grades et titres du glorieux personnage qu’il devait y inscrire, le marbrier a abrégé tout cela par un savoureux « etc… », rappel nécessaire de la vanité des choses humaines face à la mort…
Au centre du cimetière, à l’emplacement même où s’élèvait autrefois l’église Saint-Alban, s’érige la colonne des curés, comme elle est appelée localement. Cette colonne, élevée sur un piédestal moderne et surmontée d’un crucifix en fer dans la deuxième moitié du XIXe siècle, est un vestige gallo-romain. A ses pieds, contre le piédestal, un petit monument rappelle les noms et la mémoire de plusieurs curés d’Albens, dont les tombes se trouvaient dans le cimetière. L’origine et la provenance exacte de cette belle colonne antique restent mystérieuses : probablement provient-elle de l’un des temples gallo-romains attestés dans l’Albens antique (Albinnum) par plusieurs vestiges archéologiques. L’un des ces temples se trouvait-il ici, à l’emplacement de l’ancienne église ? Ce ne serait pas impossible et il n’y aurait là rien d’étonnant, les lieux de cultes chrétiens prenant souvent la suite d’anciens lieux de cultes païens. Cette colonne avait-elle été réutilisée dans la construction de l’ancienne église ? Les fouilles archéologiques menées à proximité immédiate, en 1997 et 2007, dans la ZAC des Chaudannes et la rue de Paradis, ont montrés l’ancienneté de l’occupation humaine et la vocation funéraire des lieux avec la découverte de zones d’habitat gallo-romain reconverties en zones funéraires entre les Ve et VIIe siècles. Nous pouvons donc prendre le risque d’émettre l’hypothèse d’une apparition du centre paroissial d’Albens dès l’Antiquité tardive et le Haut-Moyen-Âge, hypothèse à relier à l’apparition du culte de saint Alban au Ve siècle. Une étude archéologique de l’emplacement de l’ancienne église Saint-Alban et de ses fondations, qui subsistent certainement sous le sol de l’ancien cimetière, nous en apprendrait probablement davantage sur le passé antique d’Albens et le passage du paganisme au christianisme dans l’Albanais.
Pour en savoir davantage sur toutes ces questions, outre une petite balade sur place, on consultera avec profit divers travaux parus dans les numéros suivants de la revue KRONOS : n°2 (Albens à l’époque romaine), n°7 (Les premiers temps du christianisme dans l’Albanais), n°13 (les sondages archéologiques de la ZAC des Chaudannes), n°24 (le général Mollard), n°30 (Albens de l’Antiquité au Moyen-Âge) et n°31 (le culte de saint Alban à Albens). Tous sont disponibles auprès de l’association Kronos (www.kronos-albanais.org) à l’Espace Patrimoine/Office de tourisme à Albens.
À la sortie d’Albens, sur les hauteurs, à la limite de La Biolle, se trouve le lieu-dit « La Paroy », un hameau fortement marqué par son passé romain (colonnes, bassins, puits, aqueduc, tegula, bague, céramiques, …). Nous nous attarderons aujourd’hui sur les colonnes romaines que nous pouvons admirer en arrivant à l’entrée du village. Ces cinq colonnes de calcaire dur sont composées ainsi : deux bases attiques et trois fûts de colonnes.
Elles proviendraient de la zone « La Paroy/Bacuz » – et ont été exhumées par Pierre MARTIN, ecclésiastique, missionnaire du Sacré Cœur d’Issoudun et habitant du village entre la fin du XIXème et le début du XXème siècle. Originaire du lieu-dit « Les Bois » à Albens, lui et sa famille s’installent à « La Paroy » (selon l’orthographe de l’époque) vers 1880 alors qu’il a une dizaine d’années. Cet ecclésiastique, enfant du pays, aura un parcours atypique : il ira étudier à Anvers en Belgique, se rendra en mission aux Amériques, en Angleterre (à St Albans et Harpenden dans l’Hertfordshire, Glastonbury dans le Somerset).
Cette époque voit naître un engouement pour le passé, c’est ainsi que de nombreuses découvertes archéologiques ont été faites sur cette période de la fin du XIXème/début XXème siècle. Lorsqu’un objet ou une pierre semble intéressante, on se tourne généralement vers les personnes instruites (les ecclésiastiques, les instituteurs, les nobles) et la découverte des colonnes romaines par Pierre MARTIN est tout sauf un hasard. Son parcours l’a conduit à voyager à travers le monde dans des villes aux nombreux vestiges antiques. De plus, peut-être a-t-il été influencé par les écrits de l’officier savoyard et historien régional, François DE MOUXY DE LOCHE, qui évoquent l’aqueduc romain situé sur ses terres, mais également par la pierre romaine trônant dans le mur de la maison familiale (recouverte de ciment aujourd’hui).
Au XVIIIème/XIXème siècle, il n’était pas rare d’utiliser des vestiges antiques comme matériaux de constructions. Nous évoquions ci-dessus la pierre romaine utilisée dans le mur de la maison familiale construite vers 1750. Dans un article précédent, nous parlions de l’inscription romaine figurant dans le mur de l’église de Marigny-Saint-Marcel.
Pierre MARTIN était un érudit, il connaissait l’existence du passé romain du secteur de « La Paroy » et c’est tout naturellement qu’il a rapatrié les colonnes qu’il a découvertes dans les champs alentours et qu’il les a installées à l’entrée de son village. Plusieurs hypothèses concernant l’origine de ces colonnes : vestiges d’une riche villa du vicus d’Albinum, éléments d’architecture d’un temple. Deux autres colonnes en provenance de Bacuz se trouvaient chez M. ROSSET à la ville, dans les années 1960.
Mais revenons à la colonne romaine qui aujourd’hui sert de base à une croix en marbre avec la date « 1916 ». Que signifie cette date ? Pierre MARTIN, issu d’une modeste famille paysanne de douze enfants, dont la majeure partie d’entre eux n’atteindra pas dix ans, devient « Père-Révérend »,professeur ecclésiastique ; il installe même une chapelle au sein de la maison familiale pour des messes où il officie. Du fait de son statut de missionnaire, il part régulièrement à l’étranger et s’enrichit culturellement au contact d’autres réalités que celles albanaises. En Angleterre, à Harpenden, dans le district de Saint Albans, il reste même encore aujourd’hui dans l’histoire locale comme le prêtre ayant célébré la première messe publique depuis plus de 300 ans en janvier 1905 ! Après quelques mois de travail actif de sa part, l’église d’Harpenden ouvre ses portes. Lors de la construction de la nouvelle église dans les années 1930, un vitrail de Saint Pierre est installé, en mémoire de « Father Peter MARTIN » (Père Pierre MARTIN), premier prêtre de la paroisse ! De grandes manifestations ont eu lieu pour fêter son centenaire en 2005.
Si son petit frère Antoine décède en 1914, à quarante ans, et repose au cimetière national militaire de « La Doua » à Villeurbanne, au milieu des autres soldats morts pour la France, Pierre MARTIN s’éteint lui en novembre 1916, à l’hôpital de Rumilly. Selon une ancienne habitante du secteur, en apprenant la mort de son fils, sa mère décida de faire installer une croix au sommet d’une des colonnes érigées par son fils et d’y faire inscrire l’année de son décès, soit 1916. Pour l’anecdote, quelques années plus tard, la petite sœur de Pierre MARTIN, Marie, épousera François VINCENT, le cocher au tilbury bien connu à Albens dans les années 50.
Le secteur de « La Paroy » est une zone riche au passé romain avéré même s’il n’a jamais été sondé pour effectuer des recherches comme pouvait le regretter dans une lettre Pierre BROISE, architecte de profession et reconnu par le milieu archéologue. Les colonnes à l’entrée du lieu-dit font partie de son histoire et de son identité. Pierre MARTIN, issu d’une famille modeste, n’en demeure pas moins l’un des premiers ambassadeurs d’Albens à l’étranger et l’un des défenseurs du patrimoine albanais. D’autres colonnes, en provenance du lieu-dit « Les Grandes Reisses », signe de l’importance du vicus d’Albinum, sont visibles à l’Espace Patrimoine d’Albens, aux heures d’ouverture de l’Office de Tourisme (Résidence Le Berlioz, 177 rue du Mont-Blanc). Suivez également les activités de l’Association KRONOS sur le site internet.
Dans le mur de l’église de Marigny-Saint-Marcel se trouve encastrée une belle inscription romaine du Ier siècle ap. J.-C., sur laquelle on peut lire (en latin) sur quatre lignes :
Elle peut se traduire ainsi : « Caius Sennius Sabinus, fils de Caius, (de la tribu) Voltinia, préfet des ouvriers, a offert à ses frais aux habitants d’Albens des bains, un terrain de sport, des portiques, l’adduction des eaux ; ainsi que le droit d’amener l’eau par une canalisation suivant un parcours en droite ligne.» ( trad. de Bernard Rémy).
Cet éminent personnage local, Caius Sennius Sabinus, aurait vécu dans la première moitié du Ier siècle ap.J-C. Peut-être originaire d’Albens, en tout cas de l’actuel Albanais, Sennius Sabinus accomplit sa carrière politique (le cursus honorum) au sein de la cité de Vienne, cité du peuple gaulois Allobroge, dont faisait alors partie Albens (à l’époque appelée vicus Albinnum), un vicus étant une petite bourgade rurale. La conquête des territoires allobroges par Rome était déjà ancienne (IIème siècle av. J-C), mais seuls les grands centres urbains avaient déjà adopté des modes de vie « à la romaine ». Dans les campagnes comme celles de l’Albanais, malgré la domination romaine, subsistaient encore des modes de vie et des cultes religieux gaulois. La carrière politique de Sennius Sabinus, bien que modeste au regard de celles d’autres contemporains, devait localement changer cet état de fait.
D’origine allobroge, Caius Sennius Sabinus n’en était pas moins un citoyen romain. Il portait donc les trois noms (tria nomina) caractéristiques de la citoyennté romaine : prénom + nom + surnom. Sans doute se trouvait-il à la tête d’une petite fortune provenant de plusieurs domaines agricoles (les villae) disséminés dans la campagne albanaise. Il réussit à accéder à la charge de praefectus fabrum (préfet des « ouvriers »). À travers cette charge, un magistrat lui avait confié des fonctions militaires et administratives, faisant de lui son aide de camp chargé du génie militaire. Sennius Sabinus accédait ainsi à l’ordre équestre (catégorie inférieure à l’ordre sénatorial).
Ayant ainsi atteint le sommet de sa carrière, Sennius Sabinus voulut faire bénéficier Albens et ses compatriotes Albanais de sa réussite sociale. Il s’agissait d’ailleurs pour les riches de l’époque d’une sorte d’obligation morale envers leurs compatriotes moins aisés. Albens, le vicus Albinnum, devait être doté de bains à la romaine : les thermes. Le captage des eaux pour alimenter les thermes fut réalisé sur l’actuelle commune de Marigny-Saint-Marcel, au lieu-dit La Bourbaz où devait se trouver une source consacrée à Borvo, dieu gaulois des sources. Sur les murs du captage se trouvait l’inscription évoquée plus haut, rappelant l’action bienfaisante de Sennius Sabinus. Une canalisation de tegulae (tuiles) ou aqueduc, acheminait l’eau de La Bourbaz à travers les marais de jusqu’aux thermes d’Albens où se trouvait une copie de l’inscription (aujourd’hui disparue). Ces thermes étaient agrémentées d’un terrain de sport ou palestre entouré de portiques. Cette habitude des bains, typiquement romaine, se répandait ainsi au sein d’une population d’origine allobroge qui dorénavant s’y rendrait pour se laver, se faire masser, nager et pratiquer des activités sportives à la palestre. Ces thermes étaient aussi un lieu de sociabilité, où les gens simples pouvaient rencontrer les magistrats du vicus, où pouvaient se conclure les affaires.
Ces thermes offert par Caius Sennius Sabinus à Albinnum participaient ainsi à la diffusion du mode de vie « à la romaine » au sein d’une population gauloise. Toute proportion gardée, ce processus de romanisation pourrait être comparé à la mondialisation de nos modes de vie actuels, qui nous voient par exemple conduire une voiture de marque française construite en Roumanie, nous rendre de temps à autre dans un fast-food américain, avant d’aller au cinéma visionner un blockbuster farçi d’effets spéciaux numériques, et enfin rentrer chez nous dans une maison ou un appartement meublés chez une grande enseigne suédoise…
Pour tous ceux qui souhaiteraient en savoir plus Albens à l’époque romaine, rendez-vous à l’Espace patrimoine pour admirer les collections archéologiques, aux heures d’ouverture de l’Office de tourisme d’Entrelacs (résidence le Berlioz, 177 rue du Mont-Blanc, Albens, 73410 Entrelacs). Vous pouvez également suivre les activités de l’association Kronos sur le site web.
La présence des hommes de cette longue période où l’on ne connaissait pas l’écriture est attestée à Albens par de nombreuses découvertes.
La première a eu lieu il y a près de quarante ans lorsque les travaux de construction du collège Jacques Prévert mirent à jour une impressionnante pierre à cupules. Très vite identifiée et étudiée dans le premier numéro de la revue Kronos, elle allait se révéler être un précieux témoin d’une période allant du néolithique final à l’âge du fer. À ces époques, les hommes qui se sont installés ici apportent d’abord avec eux la pratique de l’agriculture et de l’élevage puis la métallurgie avec d’abord la fonte du bronze avant de maîtriser celle du fer. Ce sont des temps reculés que l’on peut dater de -3000 à -800 environ. Ces hommes qui nous ressemblent en tous points ont gravé à la surface de cette énorme pierre de 2,30 mètre de long pour un mètre de large un nombre impressionnant de petites cavités appelées cupules, au nombre de 130 environ. Leur signification nous interroge aujourd’hui encore.
Pierre à cupules découverte lors de la construction du collège à Albens
Aurait-on affaire à une sorte de carte du ciel ? Le regroupement de certaines d’entre elles à deux endroits fait penser à une sorte de roue solaire. Peut-on supposer que l’on est en présence d’une pratique spirituelle ? Si rien ne peut le confirmer pour l’instant, on peut toujours en faire la conjecture.
D’autres découvertes ont eu lieu depuis. Il s’agit d’objets taillés dans du silex et qui ont été retrouvés en ramassage de surface tout autour d’Albens. Trois d’entre eux retiennent l’attention. Il y a d’abord une petite lamelle de silex qui est bien connue des archéologues pour être un élément constitutif du tranchant d’une faucille (ce qui nous renvoie aux premiers agriculteurs). Il y a ensuite un bel éclat de silex retouché sur deux côtés, de petite dimension (2,5cm sur 2 cm) et de belle facture.
Éclat de silex retouché (ramassage de surface)
Il y a enfin un nucléus, petit bloc de silex à partir duquel les hommes de ces temps reculés taillent de petites lames comme celle qui composaient leurs faucilles.
Les dernières traces d’une présence préhistorique à Albens ont été trouvées lors des dernières fouilles archéologiques menées par les spécialistes de l’INRAP (Institut de recherches archéologiques préventives). Installés au bord de l’Albenche, les hommes avaient creusé des fossés dont deux tronçons furent repérés. Dans ces derniers furent trouvés trois morceaux de silex débités et des traces de charbon de bois qui ont permis une datation au carbone 14. Les résultats donneraient une chronologie assez large allant du néolithique jusqu’à la période précédant l’histoire et que l’on nomme Protohistoire.
Des habitants à Albens avant « l’Albinum » romaine, voilà un beau brevet de longévité pour une agglomération du XXIème siècle.
En juin 2000, la ville d’Aix-les-Bains accueillait le 30° congrès départemental des Sapeurs Pompiers de Savoie, auquel le corps d’Albens a activement participé. La même année, en août, ce dernier fêtait le 153° anniversaire de sa création. À ces occasions, un numéro spécial de « Art et Mémoire » de la Société d’Art et d’Histoire d’Aix-les-Bains relatait l’histoire des corps de pompiers de l’Albanais et d’Aix et environs. Une brochure commémorative fut éditée pour Albens, tandis que l’Hebdo des Savoie publiait l’article ci-dessous sous la signature d’Henri BILLIEZ de Kronos. À l’occasion du 170° anniversaire du corps d’Albens en cette année 2017, il nous a semblé opportun de le rééditer en ligne.
Le 30 Congrès Départemental des Pompiers de Savoie les 3 et 4 juin derniers à Aix-les-Bains a été l’occasion d’une active participation d’Albens aux manifestations organisées pour la circonstance.
La Société d’Art et d’Histoire d’Aix a entrepris des recherches aux Archives Départementales sur l’historique des Corps de Pompiers. Un numéro spécial de sa revue « Art et Mémoire sera consacre à cet historique et devrait sortir en août.
De cet ouvrage est extrait le résumé concernant Albens, fruit des recherches de Joël Lagrange. Lucette Blanc, Louis Modelon et Henri Billiez.
À noter qu’en novembre 1991. le n°6 de Kronos, revue de l’Association « Histoire, Archéologie et témoignages de l’Albanais » comportait un intéressant article de Gilles Moine sur les pompiers d’Albens.
Le texte ci-dessous se veut complémentaire.
Albens
« J’ai l’honneur de vous informer qu’ayant voulu mettre à profit pour la commune d’Albens l’exemple de deux incendies arrivée coup sur coup le même jour en mars dernier à La Biolle et Mognard, j’ai fait le lendemain et jours suivants une souscription dans cette commune pour acquérir les fonds nécessaires à l’achat d’une pompe à incendie et de ses accessoire… ».
Voila ce qu’écrivait le 12 juin 1843, le juge Perrier à l’intendant général, après que le spectacle des malheureux privés de tout après l’incendie de leurs maisons l’ait incité à réagir, bien que sans illusion. Les maisons d’Albens, en effet, couvertes de chaume, donc très vulnérables à l’incendie pourraient… « si la commune mettait à exécution les lettres-patentes du 11 août 1840… et notamment l’article 7*, ce dont elle ne s’est jamais souciée à ce jour… » être mieux protégées.
Cette supplique ne sera transmise par l’intendant au syndic d’Albens que le 2 août 1444. Pour voir « si le conseil peut prévoir une allocation compte tenu des autres dépenses urgentes dont l’agrandissement de l’église ».
Il faudra attendre une délibération du conseil municipal le 19 mars 1846 pour que soit décidé l’achat de pompes avec prélèvement de 400 livres sur les fonds municipaux pour compléter la souscription de 1 160 livres lancée en 1843.
Le 15 avril, l’intendant général, par ordonnance, fixe la dépense et indique le mode de financement.
Finalement, MM. Guérin Pompes à Paris vont offrir trois pompes et accessoires pour le prix de 1 367 livres, avec huit mètres de tuyaux, raccord et torches d’éclairage, ainsi qu’un atlas et manuel, pour un supplément de 191 livres.
La délibération du conseil présidé par le syndic Ferdinand Picolet du 7 juin 1846, fixe la dépense pour l’achat et celle pour la fabrication locale de chariots et échelles.
Mais le 4 décembre 1846, le conseil, par délibération demande que lui soit délégué un commandant des pompiers de Chambéry et deux mécaniciens pour essayer les pompes, récemment livrées.
L’intendant général donne son accord pour dresser procès-verbal après expertise.
Là ! Les pompes expertisées ne sont pas conformes et aussitôt réexpédiées aux fournisseurs.
Le capitaine Louis Cavallo et ses hommes vers la fin des années 1950.
Création du corps de pompiers d’Albens
Début 1848, sans pompes, un corps de pompiers est crée et le 31 août, une délibération indique que chaque pompier doit être munis d’une plaque à la ceinture marquée « Pompiers d’Albens ». Curieusement, ce n’est que le 7 août 1849 que le capitaine Joseph Rosset, par lettre au syndic, demandera le règlement des 42 plaques commandées à M. Gaillard, orfèvre à Genève !
Enfin, le 14 septembre 1847, la délibération du conseil sous la présidence de Philippe Travers, syndic, marque sa détermination à se procurer une seule pompe, « forte et suffisante pour la localité » auprès de Henry Vogelis, mécanicien fondeur à Chambéry. Elle est montée sur un chariot à quatre roues avec essieux, en fer, et boite en cuivre. Sur l’avant-train se trouve un siège à six places, garni de ses coussins. Le tout pour 1 400 livres payables au 1er janvier 1848.
Dès le 31 août, la commune avait décidé de louer un hangar à Joseph Chamousset poux abriter la pompe.
* art.6 : …aucun bâtiment ne pourra être couvert en chaume, si ce bâtiment n’est éloigné de 200 mètres des autres habitations
* art.7 : …les toitures devront être remplacées par des toitures en tuiles… à la diligence des syndics…
La compagnie va alors mener ses actions chaque fois qu’un incendie viendra troubler la quiétude du village.
Par délibération du 23 septembre 1849, nous apprenons que lors de l’incendie du 21 septembre, le feu a détruit l’un des tuyaux !
Mars nous apprenons aussi, par une lettre du syndic à l’intendant du 3 juin 1860 que les pompiers d’Albens demandent l’autorisation de porter un sabre !
Sans doute est-ce là le dernier épisode d’une période difficile après la réorganisation de la commune en 1856, la démission d’un capitaine et l’élaboration d’un nouveau règlement. Dans son rapport à l’intendant, le syndic rappelle d’ailleurs que le corps a été fondé en 1847. Mais le 25 décembre 1857, un nouveau capitaine démissionnera après 3 mois d’essai qui lui ont_ « démontré son impuissance pour établir dans cette compagnie l’ordre et la discipline convenable ». Lettre signée illisible.
Le 8 octobre 1860, le syndic envoie au préfet un mandat pour l’assurance contre l’incendie du presbytère et de l’église, à charge pour lui de le transmettre au directeur de l’assurance mutuelle à Chambéry. Cette assurance était aussi un moyen prescrit pour faire face aux dépenses que pouvaient engendrer les incendies sur les bâtiments publics.
En 1867, le 17 novembre, au conseil, le maire Félix Canet fera approuver l’achat de « boyaux , ceux de la pompe étant usés à force de servir, pour la somme de 150 francs.
L’année suivante, le neuf août, il proposera l’ouverture d’un crédit de 200 francs pour opérer le payement de l’avant-train de la petite pompe (celle dite de l’impératrice ?) qui s’est révélé « d’une utilité tout exceptionnelle pour le transport à grande vitesse de le petite pompe sur les lieux des sinistres de Saint-Girod et de Saint-Simond à Aix-les-Bains ».
Au 1er janvier 1870, la compagnie réorganisée comporte 51 hommes et 2 pompes. L’uniforme est composé du pantalon bleu roi avec bandes rouges, de la blouse en toile bleue, du képi bleu roi et d’un ceinturon.
Le 14 juillet 1879, les engagements souscrits portent sur 59 personnes dont 51 nouveaux pompiers et 8 anciens.
Le 1er juin 1870, il est procédé à l’achat d’accessoires pour la pompe à incendie pour 550 francs et de képis pour 162,50 francs, ce qui motive une demande de subvention de 300 francs le 10 août 1881.
Réorganisé en 1899, le corps va recevoir un nouveau règlement.
Les pompiers en 1978.
À la réorganisation de 1904, la conseil (Félix Canet, maire) va délibérer pour répondre à la compagnie qui demande le renouvellement de son équipement qui date de 1888 et à l’achat et à la réparation du matériel, le tout estimé à 3 461 francs (dont 65 équipements à 45 F l’un). Le maire rappelle que conformément au décret du 10 septembre 1903, la commune a pris l’engagement le 7 février 1904, de subvenir aux dépenses du corps mais que ses ressources étant limitées une subvention est demandée au département et à l’État. Cette subvention sera refusée par la commission départementale et le maire insistera à nouveau, rappelant que lors de la réorganisation précédente la commune s’était lourdement endettée pour un emprunt de 3 000 francs.
La facture de François Jacquet, pour 3 461 francs, marchand tailleur à Albens, sera acquittée grâce en partie au secours de 300 francs, octroyé par le département.
Localement, l’eau manque en période de sécheresse, les fontaines sont taries. Une commission va étudier le problème dans l’intérêt de l’hygiène publique… et de La lutte contre les incendies, par décision municipale du 19 août 1906. La question n’aboutira que bien plus tard, une étude d’adduction n’étant lancée qu’en 1937.
Le 24 mais 1912, il est demandé une subvention pour l’équipement des sapeurs-pompiers suite au dernier renouvellement du corps, car la compagnie vient de faire une dépense de 1 700 francs pour l’habillement.
La guerre de 1914-1918 va certainement toucher sévèrement le corps des pompiers. Quels effectifs ont veillé aux incendies pendant cette période ? Les archives sont incomplètes à ce sujet. Le 17 février 1920, le conseil municipal décide la réorganisation d’un corps de sapeurs-pompiers selon le décret du 10 septembre 1903 modifié le 18 avril 1914, soit 54 hommes.
Le 20 février 1925, l’arrêté préfectoral indique que pour une population de 1 599 habitants et 3 pompes, l’effectif sera de 51 hommes (33 sapeurs, 1 capitaine, 1 lieutenant, et deux sous-lieutenants ou adjudants).
Dès lors, le tailleur Jean-Baptiste Devance, d’Albens, fournira à la compagnie des képis (d’officiers, de sergents-majors, de sergents et de sapeurs) pour 1 493 francs tandis qu’en 1925, le 14 juin, il est voté une dépense de 5 000 francs pour l’habillement. Celle-ci sera finalement réglée au tailleur Jean Vagneux, soit, cinquante dolmans en drap bleu foncé et autant de pantalons en drap gris bleu.
Enfin, la modernisation de la compagnie débutera le 22 août 1926 par la décision d’acquérir une motopompe. Une commission municipale choisira le modèle de Dion-Bouton de 25 m³ sur roues, « peinte en rouge incendie », pour le prix de 13 794 francs avec subvention départementale de 1 500 francs et autorisation du préfet pour cet achat donné à Félix Philippe, maire d’Albens.
En 1932, le maire, Jean-Marie Montillet demande le 14 février à son conseil de compléter la subvention du ministère de l’Intérieur (5 000 francs) pour l’achat de tuyaux pour la motopompe, soit 7 865 francs et l’autorisation de traiter avec Louis Rivollet, négociant a Albens.
Une longue période va suivre, pendant laquelle les archives sont très peu fournies ; la guerre de 1939-1945 sera un frein au développement du corps de pompiers qui ne compte que 42 hommes sur 51 en 1939-1941. À tel point qu’en 1945, un groupe informel assurait la sécurité (1). De nombreux incendies provoquèrent à l’initiative de de Louis Cavallo à l’automne 1953, le rassemblement de volontaires décidés à remonter une section de sapeurs-pompiers, décidée le 13 décembre 1953 par le conseil municipal pour une section de 20 hommes. La commune s’engage alors à subvenir pour 30 ans aux dépenses.
La population est alors de 1 580 habitants et l’on dispose de la pompe de Dion-Bouton des années 30 et d’une pompe à bras.
En 1957, un véhicule Matford est acquis auprès du département et un hangar est construit bénévolement sur le champ de foire.
1847 – création du corps
1856 – réorganisation compagnie après démission capitaine – nouveau règlement
8 octobre 1860
1er janvier 1870 – situation du corps : 1 compagnie de 51 hommes et 2 pompes
20 février 1878 – compagnie 51 hommes (délibération du 5 août 1877)
6 septembre 1898 – 49 hommes
(décret 1er décembre 1898) – 54 hommes
14 mars 1904 – 51 hommes
18 juin 1909 – effectif 56 hommes (dont 1 de moins de 20 ans)
20 juin 1909 – arrêté préfectoral – 51 hommes pour 1 613 habitants et 3 pompes.
Albens – Les capitaines
23 septembre 1849 – capitaine Rosset Joseph
1856 – démission d’un capitaine
25 décembre 1857 – démission d’un nouveau capitaine après 3 mais d’essai
9 décembre 1865 – nomination du capitaine Garnier François
18 août 1871 – nomination capitaine Favre Claude
5 février 1879 – lieutenant Philippe Joseph – sous-lieutenant Gaspard Germain (était sergent)
5 février 1881 – démission du lieutenant Philippe Joseph (devient adjoint au maire)
27 juin 1881 – nomination du lieutenant Germain Gaspard (était sous-lieutenant)
(décret 1er juillet 1881)
juin 1884 – démission du capitaine Favre Claude
1886 – Favre Jean, capitaine (?)
21 avril 1888 – capitaine Philippe Félix – lieutenant Germain Gaspard – sous-lieutenant Chavanel Ambroise
11 juillet 1897 – capitaine Philippe Claude (remplace Philippe Félix démissionnaire le 7 juin 1897)
7 janvier 1904 – capitaine Morel Bernard (maréchal des logis de Gendarmerie en retraite) – lieutenant Chavanel Ambroise – sous-lieutenant Pollier Léon
(décret 16 Avril 1904)
5 septembre 1907 – capitaine Darmand Claude
1908 – démission lieutenant Chavanel Ambroise après 33 ans de service. Est nommé capitaine honoraire
19 septembre 1903 – capitaine Bontemps Joseph
(décret 22 octobre 1908)
14 août 1909 – nomination de Pollier Léon lieutenant – sous-lieutenant Ernest Germain
25 mars 1920 – nomination de Montillet Henri, capitaine – lieutenant Léon Pollier – sous-lieutenant Louis Debroux
14 juillet 1925 – nomination du capitaine Arbarete François – lieutenant Pollier Léon – sous-lieutenant Philippe Paul
10 septembre 1930 – nomination des lieutenants Raison Joany – Chanvillard et Ginet François
29 août 1935 – démission d’Arbarete François
13 janvier 1936 – nomination du lieutenant Daviet Théophile (en 1941, Joany Raison est capitaine).
Cette liste est très incomplète et parfois très imprécise. Les dates sont souvent approximatives et ne pourraient être confirmées, pour certaines, que par la découverte de documents autres que ceux déposés aux archives départementales.
(1) – La tradition veut que cette pompe ait été attribuée à Albens par l’impératrice Eugénie lors d’un voyage en Savoie.
(2) – Voir Kronos n°6. Article Gilles Moine.