À la fin de la Première Guerre mondiale, les facteurs revenus du front reprennent leurs places en 1918. Les vingt années qui s’ouvrent alors vont voir les échanges postaux augmenter phénoménalement. L’équipement des 35 000 communes rurales en boites aux lettres atteint les 100 000 unités en 1933. Tout le monde a désormais l’habitude d’écrire, de correspondre longuement avec la famille, d’envoyer une carte postale au moindre déplacement. Le télégraphe, à l’inverse, ne s’est pas démocratisé. Quant au téléphone, le particulier ignore largement cet appareil à son domicile. On se rend dans un bureau des Postes quand il est nécessaire de passer un appel. Des bureaux qui à partir de 1925 ont officialisé leur nouveau sigle, PPT pour Postes, Télégraphes et Téléphones. C’est lui que l’on aperçoit sur une carte postale d’Albens. Un charretier a posé devant l’objectif du photographe chambérien E. Reynaud. Son attelage s’est arrêté devant le bureau des PPT dont on lit le sigle peint en lettres majuscules sur la façade. Un autre cliché nous permet de découvrir la poste de Saint-Félix, place de la mairie en face de l’église. On lit sur la façade que le bureau fait aussi office de Caisse d’épargne.
Le facteur à pied récupère le courrier au bureau avant de débuter une longue tournée nécessitant de l’endurance. Il livre en particulier le journal aux abonnés. Été comme hiver, quel que soit le temps, il doit assurer sa « mission » au péril de sa vie comme on le découvre avec stupeur dans le Journal du Commerce de février 1922 : « Le facteur des postes, J. Collomb, d’Albens, était parti en tournée, jeudi après- midi, mais on ne le vit pas revenir. Son cadavre a été découvert, ce matin dans la neige, aux environs d’Ansigny. On croit que le malheureux a succombé à une congestion provoquée par le froid ». Un cas sans doute exceptionnel mais on aura présent à l’esprit que les tournées dans l’Albanais devaient être éprouvantes du fait de la multiplicité des hameaux et des dénivelés importants. C’est ce que l’on retrouve dans le témoignage de Mme Clerc-Renaud de Mognard qui a assuré le service postal de 1940 à 1945 durant la captivité de son mari (voir le numéro 31 de Kronos). On découvre d’abord la longueur de tournées : « De 9h à midi, il fallait monter faire le chef-lieu, en suite monter chez les Gros, tous les jours. Il y avait un curé qui recevait son journal… après il fallait aller chez Clerc, au milieu… je traversais le ruisseau, après redescendre, aller en bas aux fermes puis jusqu’au Sauvage… Il fallait y aller à pied puis revenir et remonter. Alors il y en a pour un moment ».
Elle évoque aussi les difficultés pour se chausser dans une période où sévissait le rationnement : « J’avais demandé pour avoir une paire de chaussures, des brodequins… Allez donc faire la tournée dans la neige avec des sabots ». Après plusieurs mois d’attente, « j’ai eu une paire de brodequins qui est venue d’Albens ». Mieux chaussée, la tournée restait par mauvais temps une épreuve : « On n’avait pas de bottes, ça n’existait pas. Je me rappelle une fois, depuis la Combe-dessus pour descendre, il y avait un sentier qui allait à la Combe-dessous. Il y avait de la neige haut comme-ça ! J’ai dû mettre des bandes molletières, des guêtres ».
Les facteurs à pied ou à bicyclette doivent récupérer le courrier dans les bureaux d’attache avant d’effectuer leurs tournées dans la campagne. Pour « alléger » cette mission, un service rural automobile est créé en 1926. Louis Mermin dans « La poste à Albens et dans l’Albanais », article publié dans le numéro 33 de la revue Kronos, nous en dit plus sur ce nouveau service dénommé « La Poste Automobile Rurale ». Il s’agit de « circuit de ramassage et de distribution du courrier dans des communes éloignées d’un bureau de poste. Le trajet est défini par une tournée numérotée qui a lieu deux fois par jour, une fois dans un sens, une fois dans l’autre. Le courrier est géré par un commerçant du village particulièrement disponible (fruitière, épicerie, boulangerie) et dénommé correspondant rural. Le véhicule affecté à ce circuit peut prendre des passagers et assurer quelques services. À Albens, un circuit de poste rurale est mis en place avec arrêt au bureau de distribution de Saint-Germain ».
Mme Nicolas va assurer ce service jusqu’aux années 50/60, changeant de véhicule au fil du temps. Au début, elle pilote un modèle dont la carrosserie a été réalisée par l’entreprise Raviste et Martel d’Annonay, qu’une 403 Peugeot viendra remplacer à la fin des années 50. La conductrice est connue dans tout le canton. Le Dauphiné Libéré lui consacre un court article avec photographie lors d’une séance de la prévention routière à Albens.
Bien évidemment, le bureau des Postes reste la pièce centrale du dispositif de l’époque. Mme Clerc-Renaud qui a travaillé dès 1935 avec son mari, facteur à Mognard, explique toutes les activités qui s’y déroulaient : « Il fallait faire les mandats, on encaissait les allocations… Il y avait aussi les télégrammes. On en envoyait et on pouvait en recevoir. La poste avait également le téléphone et beaucoup de gens venaient à Mognard ».
De nos jours nous avons du mal à imaginer ce qu’était la couverture téléphonique avant 1939. Alors, quand une cabine s’ouvrait dans le canton, la presse en parlait. « Une cabine téléphonique sera ouverte au public » lit-on dans le journal du Commerce « à partir du 1er janvier 1923 au hameau de la Croix du Sable, commune de La Biolle, canton d’Albens. Cette cabine sera ouverte au service télégraphique ». Dans les villages, les particuliers disposant d’un téléphone à domicile ne dépassent pas quelques dizaines. Les numéros alloués parlent d’eux-mêmes : n°5 pour le médecin d’Albens, n°1 pour la fromagerie Picon à Saint-Félix et n°6 pour le Journal du Commerce de Rumilly. Les difficultés pour joindre un correspondant font alors le bonheur des humoristes. C’est le cas du tandem Bach et Laverne dont les sketchs « À la poste » et « Les joies du téléphone » (à écouter en ligne), amusent beaucoup. Dans le dernier, des amis invités à souper tardent un peu. Le couple qui les attend cherche à les joindre par téléphone « Je t’en prie Marguerite, il y a plus d’une demi-heure que j’essaye d’avoir les Landouilles au bout du fil. Ils habitent à deux pas, on aurait plus vite fait d’y aller à pied ! ».
Impensable aujourd’hui, les PTT d’antan ayant perdu Télégraphes et Téléphones pour ne plus être de « La Poste ».
Jean-Louis Hebrard