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La Poste des années 30 : facteur à pied et Poste Automobile Rurale

À la fin de la Première Guerre mondiale, les facteurs revenus du front reprennent leurs places en 1918. Les vingt années qui s’ouvrent alors vont voir les échanges postaux augmenter phénoménalement. L’équipement des 35 000 communes rurales en boites aux lettres atteint les 100 000 unités en 1933. Tout le monde a désormais l’habitude d’écrire, de correspondre longuement avec la famille, d’envoyer une carte postale au moindre déplacement. Le télégraphe, à l’inverse, ne s’est pas démocratisé. Quant au téléphone, le particulier ignore largement cet appareil à son domicile. On se rend dans un bureau des Postes quand il est nécessaire de passer un appel. Des bureaux qui à partir de 1925 ont officialisé leur nouveau sigle, PPT pour Postes, Télégraphes et Téléphones. C’est lui que l’on aperçoit sur une carte postale d’Albens. Un charretier a posé devant l’objectif du photographe chambérien E. Reynaud. Son attelage s’est arrêté devant le bureau des PPT dont on lit le sigle peint en lettres majuscules sur la façade. Un autre cliché nous permet de découvrir la poste de Saint-Félix, place de la mairie en face de l’église. On lit sur la façade que le bureau fait aussi office de Caisse d’épargne.

Albens, la poste (archive Kronos)
Albens, la poste (archive Kronos)

Le facteur à pied récupère le courrier au bureau avant de débuter une longue tournée nécessitant de l’endurance. Il livre en particulier le journal aux abonnés. Été comme hiver, quel que soit le temps, il doit assurer sa « mission » au péril de sa vie comme on le découvre avec stupeur dans le Journal du Commerce de février 1922 : « Le facteur des postes, J. Collomb, d’Albens, était parti en tournée, jeudi après- midi, mais on ne le vit pas revenir. Son cadavre a été découvert, ce matin dans la neige, aux environs d’Ansigny. On croit que le malheureux a succombé à une congestion provoquée par le froid ». Un cas sans doute exceptionnel mais on aura présent à l’esprit que les tournées dans l’Albanais devaient être éprouvantes du fait de la multiplicité des hameaux et des dénivelés importants. C’est ce que l’on retrouve dans le témoignage de Mme Clerc-Renaud de Mognard qui a assuré le service postal de 1940 à 1945 durant la captivité de son mari (voir le numéro 31 de Kronos). On découvre d’abord la longueur de tournées : « De 9h à midi, il fallait monter faire le chef-lieu, en suite monter chez les Gros, tous les jours. Il y avait un curé qui recevait son journal… après il fallait aller chez Clerc, au milieu… je traversais le ruisseau, après redescendre, aller en bas aux fermes puis jusqu’au Sauvage… Il fallait y aller à pied puis revenir et remonter. Alors il y en a pour un moment ».

Un terrain accidenté - carte topographique (collection privée)
Un terrain accidenté – carte topographique (collection privée)

Elle évoque aussi les difficultés pour se chausser dans une période où sévissait le rationnement : « J’avais demandé pour avoir une paire de chaussures, des brodequins… Allez donc faire la tournée dans la neige avec des sabots ». Après plusieurs mois d’attente, « j’ai eu une paire de brodequins qui est venue d’Albens ». Mieux chaussée, la tournée restait par mauvais temps une épreuve : « On n’avait pas de bottes, ça n’existait pas. Je me rappelle une fois, depuis la Combe-dessus pour descendre, il y avait un sentier qui allait à la Combe-dessous. Il y avait de la neige haut comme-ça ! J’ai dû mettre des bandes molletières, des guêtres ».
Les facteurs à pied ou à bicyclette doivent récupérer le courrier dans les bureaux d’attache avant d’effectuer leurs tournées dans la campagne. Pour « alléger » cette mission, un service rural automobile est créé en 1926. Louis Mermin dans « La poste à Albens et dans l’Albanais », article publié dans le numéro 33 de la revue Kronos, nous en dit plus sur ce nouveau service dénommé « La Poste Automobile Rurale ». Il s’agit de « circuit de ramassage et de distribution du courrier dans des communes éloignées d’un bureau de poste. Le trajet est défini par une tournée numérotée qui a lieu deux fois par jour, une fois dans un sens, une fois dans l’autre. Le courrier est géré par un commerçant du village particulièrement disponible (fruitière, épicerie, boulangerie) et dénommé correspondant rural. Le véhicule affecté à ce circuit peut prendre des passagers et assurer quelques services. À Albens, un circuit de poste rurale est mis en place avec arrêt au bureau de distribution de Saint-Germain ».

Le véhicule de la poste rurale d'Albens (archive Kronos et G. Nicolas)
Le véhicule de la poste rurale d’Albens (archive Kronos et G. Nicolas)

Mme Nicolas va assurer ce service jusqu’aux années 50/60, changeant de véhicule au fil du temps. Au début, elle pilote un modèle dont la carrosserie a été réalisée par l’entreprise Raviste et Martel d’Annonay, qu’une 403 Peugeot viendra remplacer à la fin des années 50. La conductrice est connue dans tout le canton. Le Dauphiné Libéré lui consacre un court article avec photographie lors d’une séance de la prévention routière à Albens.

Archive Kronos et G. Nicolas
Archive Kronos et G. Nicolas

Bien évidemment, le bureau des Postes reste la pièce centrale du dispositif de l’époque. Mme Clerc-Renaud qui a travaillé dès 1935 avec son mari, facteur à Mognard, explique toutes les activités qui s’y déroulaient : « Il fallait faire les mandats, on encaissait les allocations… Il y avait aussi les télégrammes. On en envoyait et on pouvait en recevoir. La poste avait également le téléphone et beaucoup de gens venaient à Mognard ».
De nos jours nous avons du mal à imaginer ce qu’était la couverture téléphonique avant 1939. Alors, quand une cabine s’ouvrait dans le canton, la presse en parlait. « Une cabine téléphonique sera ouverte au public » lit-on dans le journal du Commerce « à partir du 1er janvier 1923 au hameau de la Croix du Sable, commune de La Biolle, canton d’Albens. Cette cabine sera ouverte au service télégraphique ». Dans les villages, les particuliers disposant d’un téléphone à domicile ne dépassent pas quelques dizaines. Les numéros alloués parlent d’eux-mêmes : n°5 pour le médecin d’Albens, n°1 pour la fromagerie Picon à Saint-Félix et n°6 pour le Journal du Commerce de Rumilly. Les difficultés pour joindre un correspondant font alors le bonheur des humoristes. C’est le cas du tandem Bach et Laverne dont les sketchs « À la poste » et « Les joies du téléphone » (à écouter en ligne), amusent beaucoup. Dans le dernier, des amis invités à souper tardent un peu. Le couple qui les attend cherche à les joindre par téléphone « Je t’en prie Marguerite, il y a plus d’une demi-heure que j’essaye d’avoir les Landouilles au bout du fil. Ils habitent à deux pas, on aurait plus vite fait d’y aller à pied ! ».
Impensable aujourd’hui, les PTT d’antan ayant perdu Télégraphes et Téléphones pour ne plus être de « La Poste ».

Jean-Louis Hebrard

Tuilerie Poncini, s’adapter au monde de l’entre-deux-guerres

Après la Grande Guerre, la tuilerie Poncini va poursuivre une progression économique amorcée quarante plus tôt lorsque Joseph Poncini, venu du Tessin, s’installe à Braille près d’Albens. Lorsqu’il décède en 1918, ses fils reprennent le flambeau et vont adapter l’entreprise aux conditions nouvelles des années 20.
À Braille, l’usine exploite une grande poche d’argile à côté de laquelle furent implantés avant la guerre les fours, séchoirs et ateliers mécaniques de type Montchanin. Deux grandes cheminées signalent désormais la tuilerie à des kilomètres à la ronde. Elles figurent en bonne place sur les photographies et cartes postales éditées à l’époque.

Carte postale traditionnelle (archive Kronos)
Carte postale traditionnelle (archive Kronos)

La proximité de la gare d’Albens est un atout pour assurer la livraison d’importantes quantités de briques et de tuiles en direction des départements voisins ou plus éloignés. Une partie des cinq millions de produits sortant chaque année de la tuilerie est acheminée vers la gare par une locomotive routière. Pour maintenir sa progression, l’entreprise innove. Dès 1918, elle met au point un système de brique creuse à propos duquel la revue « La Céramique » donne les précisions suivantes : « cette brique creuse en forme de prisme triangulaire fabriquée en céramique, ou terre à brique, sert à construire en ciment armé des planchers-plafonds, des murs, et à édifier, au besoin, une maison entière ».

Extrait de la revue technique (archive en ligne)
Extrait de la revue technique (archive en ligne)

Dès 1920, l’entreprise est régulièrement présente dans les allées de la foire de Chambéry où l’on remarque son stand devant lequel, précise le journaliste du Petit Dauphinois, « nous trouvons une affluence considérable de visiteurs s’intéressant à la très belle et très complète exposition de tuiles de tous modèles et pour toutes toitures ». L’année suivante, le même journal se fait l’écho du succès de cette vieille Maison savoyarde « qui s’est signalée depuis peu à l’attention de la grande industrie du bâtiment par sa fabrication de premier ordre ».
L’entreprise aurait pu être lourdement affectée en août 1923 par le terrible incendie qui détruisit complètement l’immense séchoir et les 65 000 tuiles qui y étaient entreposées. Heureusement, comme le relate la presse locale : « la sirène de l’usine donna aussitôt l’alarme. Les pompiers d’Albens, Saint-Félix, Bloye et Saint-Girod se transportèrent immédiatement sur les lieux et avec le concours de la population purent préserver les machines de grande valeur qui se trouvent dans le même bâtiment ». L’incendie maîtrisé, le redémarrage se fit assez rapidement, « tous les bâtiments annexes à l’usine n’ayant pas été détériorés ». L’année suivante, les anciens séchoirs en bois furent remplacés par un séchoir à vapeur, plus performant et plus sécurisé. Après cet « accident industriel », la presse s’intéresse au devenir des ouvriers pour lesquels « on espère que le chômage sera de courte durée ».
La tuilerie au même titre que l’industrie fromagère de Saint-Félix est alors un gros employeur. Dans un article de 1926, on apprend qu’elle « occupe 40 ouvriers dont 13 italiens ». Après la Grande Guerre, la France démographiquement affaiblie fait appel à l’immigration pour compenser le manque de main-d’œuvre. En Savoie et Haute-Savoie, les italiens prennent la première place. En 1921, un traité franco-italien avait prévu que les mêmes avantages sociaux soient accordés tant aux travailleurs français qu’italiens. Toutefois ces derniers se montraient malgré tout moins exigeants.

Francs des années 30 (collection privée)
Francs des années 30 (collection privée)

Mais en 1926 à la tuilerie, des raisons monétaires viennent bouleverser ce fragile accord. Mussolini, au pouvoir en Italie, mène une politique de forte réévaluation de la lire. Par rapport à la monnaie italienne, le franc se déprécie. Les ouvriers italiens, payés en francs, perdent au change lorsqu’ils envoient au pays une aide à la famille. Ils vont se mettre en grève pour être payés en lires. Le 2 mai 1926, un court texte du Journal du Commerce relate ainsi la conclusion du conflit : « les 13 ouvriers italiens faisant partie du personnel de la Maison Poncini ont bien demandé à être payés en lires, mais cette manière de voir a été refusée par la Maison, qui a toujours payé ses ouvriers en francs français, même quand la lire oscillait entre 60 et 70. Vu l’augmentation du coût de la vie, la Direction a consenti au relèvement des salaires, et, après entente avec son personnel, le travail a repris aussitôt ». Le Petit Dauphinois rapporte la même information que le journal de Rumilly. Tel n’est pas le cas de l’Humanité qui laisse entendre que tout n’a pas été aussi facile en précisant que « la direction se borna à leur accorder une augmentation de 0,10fr, portant le salaire horaire à 1fr80. Les grévistes, ayant accepté, rentrèrent le lendemain, sauf un, qui fut renvoyé ». Avec cette « grève d’Albens », on voit comment dans les années20, des décisions monétaires extérieures pouvaient déjà perturber la marche d’une entreprise locale.
La tuilerie allait par la suite devoir affronter la crise économique et sociale des années30. Toutefois, c’est la géologie qui devait la confronter à une difficulté majeure. La belle poche d’argile de Braille s’épuisant, il fallut chercher dans les environs un matériau de qualité équivalente. Hélas, les essais ne furent pas très concluants, ouvrant une période plus difficile qui allait conduire vingt ans plus tard à la disparition de l’entreprise.
Aujourd’hui, l’Espace patrimoine à Albens présente une belle collection des produits de la tuilerie. Le revue Kronos propose un article sur son histoire.

Jean-Louis Hebrard

Avoir « son » pèlerinage et « sa » grotte de Lourdes

L’année 1937 est riche en « manifestations religieuses », comme on le découvre à la lecture du Journal du Commerce. Parmi celles-ci, privilégions deux évènements, le pèlerinage à la croix du Meyrieux et l’inauguration d’une réplique de la grotte de Lourdes à Albens.
Début mai, paraît un bel article illustré d’une photographie montrant le groupe des pèlerins arrivant à la croix du Meyrieux dont on distingue les bras décorés de fleurs et de branches. On devine une belle participation pour laquelle l’auteur nous livre les indications suivantes « Depuis quatre ans, la paroisse de La Biolle à laquelle se joignent les paroisses voisines, se rend, le premier dimanche de mai, à la Croix du Meyrieux ».

Cliché paru dans le Journal du Commerce en 1937
Cliché paru dans le Journal du Commerce en 1937

Au dire du rédacteur de l’article, le pèlerinage semble avoir repris de l’importance vers 1933. Une date qui s’inscrit dans le mouvement de reprise de cette pratique comme l’écrit dans « Pèlerinages en Savoie » l’historien Albert Pachoud : « les années précédant la dernière guerre vont voir un renouveau des pèlerinages le long des chemins et des sentiers. En 1938, des jeunes de la vallée des Entremonts élevèrent une croix de bois au sommet du Granier. Ce geste ne fut pas unique : à l’initiative principalement de la J.A.C, un certain nombre de croix furent dressées sur les montagnes savoyardes ».
Quant à la croix du Meyrieux, le rédacteur l’inscrit dans un passé bien plus reculé, décrivant une vieille croix de bois, noircie par les intempéries qui « aurait été plantée en 1604 ». Il ne donne pas d’autres précisions pour s’attarder plus longuement sur le pèlerinage : « En ce premier dimanche de mai, nous abandonnâmes les soucis quotidiens pour se joindre à la foule des pèlerins et faire l’ascension de la Croix. Lorsqu’après une heure de marche, dans les chemins pierreux de la montagne, nous y arrivâmes, un nombreux public était déjà massé autour de la Croix, soigneusement décorée, admirant, en attendant la cérémonie, le délicieux panorama qui s’offrait à ses yeux ». Par quelques indices on peut supposer que le pèlerinage s’inscrit dans ce que l’ethnologue Arnold Van Gennep nomme le cycle de mai avec en son début la « fête du 3 mai, strictement chrétienne… en commémoration de la découverte de la vraie croix par l’impératrice Hélène, femme de Constantin ». Dans tous les pays catholiques on la nomme aussi « Invention de la Sainte Croix ». Elle est célébrée le premier dimanche de mai comme le précise avec insistance notre rédacteur qui honore systématiquement d’une majuscule le terme de croix.
La croix a été dressée sur une sorte de belvédère d’où l’on admire « Aix-les-Bains avec son lac aux eaux bleues, la verdoyante vallée de La Biolle et de Grésy ». Le rédacteur ne fait pas référence à la tradition selon laquelle la croix marquerait l’emplacement de la séparation entre les moines restant à Cessens de ceux qui allaient fonder Hautecombe au XIIème siècle pour plutôt nous renseigner sur le déroulement de la cérémonie. Le curé Mermoz, figure religieuse de La Biolle, est accompagné de la chorale et de la « toujours dévouée fanfare » qui n’a pas hésité à gravir les 400 mètres de dénivelé afin « d’ouvrir la cérémonie par un morceau très applaudi ». Une fanfare « La Gaité » dont il fut le créateur à son arrivée en 1925 dans la paroisse. C’est ensuite la chorale qui exécute un cantique avant que l’abbé Curthelin n’évoque l’importance de « La Croix, qui ajoute une cime à la cime des montagnes ». Après les prières et pour clore la cérémonie, la fanfare donna un concert puis les pèlerins partagèrent un repas sur l’herbe « empreint de franche gaieté, qu’illuminaient de doux rayons d’un soleil printanier, tout chargé des parfums des fleurs nouvelles ». Une fin d’article qui par cette évocation bucolique nous ramène au cycle de mai évoqué plus haut, « le cycle véritable du printemps ».
En cette fin des années 30, ce pèlerinage s’inscrit dans un ensemble de pratiques plus large dans lequel le culte de la vierge tient une belle place.

La grotte de Bloye (archive Kronos)
La grotte de Bloye (archive Kronos)

Depuis la fin du XIXème siècle, la paroisse de Bloye possédait une réplique de la grotte de Lourdes construite sur un terrain donné par une paroissienne de retour d’un pèlerinage à Lourdes. Quarante-cinq ans plus tard, c’est la paroisse d’Albens qui inaugure sa réplique. Sur la genèse du projet, vous pouvez consulter dans le numéro 30 de la revue Kronos l’article que lui consacre Ivan Boccon-Perroud.
À l’époque, les pèlerinages organisés à destination de Lourdes sont peu nombreux en Savoie, à peine dix entre 1921 et 1947 pour 8200 participants, nous apprend l’historien Christian Sorrel dans un article intitulé « Grottes sacrées ». C’est pourquoi, précise-t-il « il n’est donc pas étonnant que les fidèles se tournent vers des substituts ». Les paroissiens d’Albens au milieu des années 30 vont particulièrement soigner leur projet. Cela commence par le choix du site, sur un terrain offert par la famille de Charles Philippe à la paroisse, proche du centre du village, de l’église et surtout placé au bord de l’Albenche, la rivière qui traverse le bourg.

Emplacement de la grotte (plan modifié)
Emplacement de la grotte (plan modifié)

La conception de l’édifice va bénéficier des compétences de l’architecte Jean-Marie Montillet et du savoir-faire de l’entreprise de maçonnerie Simonetti. Elle aurait fait « acheminer un wagon entier de ciment, livré directement en gare d’Albens par les cimenteries Chiron de Chambéry » lit-on dans le numéro 30 de Kronos. Au final, un ouvrage que le Journal du Commerce qualifie « de véritable chef-d’œuvre » dans un article du 20 septembre 1937. Toute une colonne est consacrée à la cérémonie qui se déroule ce jour là en présence du « nouvel archevêque de Chambéry ».

Fréquentation de la grotte en 1938 (archive Kronos)
Fréquentation de la grotte en 1938 (archive Kronos)

Très vite, la grotte va devenir un lieu de culte et de prière fréquenté par de nombreux paroissiens.
Quatre-vingts ans plus tard, la fonction cultuelle de la croix du Meyrieux tout comme celle de la grotte d’Albens s’estompe devant le tout patrimonial ou touristique.  « Meyrieux, lieu de pèlerinage, mais aussi lieu rêvé des touristes » concluait en 1937 le Journal du Commerce. Chaque week-end, les amateurs de VTT et les randonneurs ont aujourd’hui pris le pas sur les pèlerins d’autrefois.

Jean-Louis Hébrard

Un diffuseur de culture : le Foyer albanais en 1936

Neuf ans après sa création, le Foyer albanais anime avec succès la vie culturelle de la région. Depuis peu, il est possible d’y projeter des films parlants qui attirent tout au long de l’année les familles et la jeunesse lors des séances du samedi et du dimanche. Posséder une belle salle de spectacle paraît alors inespéré. Songez qu’en 1936, près de 2200 villes et villages de moins de 1500 habitants restent dépourvues d’établissements cinématographiques. Ajoutez à cela, nous apprend le Journal du Commerce, que le Foyer albanais est capable d’assurer « pour la saison toute une série de nouveaux films qui sont présentés actuellement dans les grandes salles de Lyon et Grenoble ».
Quels films furent programmés par le foyer pour cette année 36 ?
Il n’est pas surprenant de constater que les films français occupent 67% de l’affiche du cinéma. En effet, à l’époque les écrans de notre pays sont parmi les moins encombrés par les productions hollywoodiennes (50% des films projetés) contre 85% en Grande-Bretagne.

Entrée du Foyer albanais (collection particulière)
Entrée du Foyer albanais (collection particulière)

Les films choisis sont récents, sortis pour la plupart entre 1933 et 1935. Ce sont les belles années du cinéma français avec une production record de 158 films en 1933, un chiffre qui ne sera plus dépassé avant 1966. Les réalisateurs sont alors prestigieux. Parmi ceux que le Foyer albanais diffuse, on trouve Julien Duvivier, Henri-Georges Clouzot mais aussi Marc Allégret ou Marcel Pagnol.
Films d’espionnage, comédies musicales, romances ou films d’aventure permettent d’admirer les grandes vedettes du moment. Dans « Matricule 33 », Edwige Feuillère incarne une espionne allemande sauvant en 1917 un malheureux agent français joué par André Luguet. Dans ce film d’espionnage sur fond de Grande Guerre, la toute jeune première du cinéma français tient toute sa place face à l’une des grandes vedettes masculines en vogue. Les spectateurs du Foyer albanais retrouvent quelques mois plus tard la même actrice dans une comédie tournée en 1935, intitulée « La route heureuse » avec Claude Dauphin comme partenaire. L’acteur est aussi connu que son frère, l’animateur de radio Jean Nohain.
Pour les soirées du 9 et 10 mai, une comédie musicale « Mon cœur t’appelle » est programmée. L’intrigue est simple, un ténor sans engagement finit par triompher à l’opéra de Monte-Carlo grâce à l’astuce déployée par une artiste espiègle. C’est Danièle Darrieux qui joue ce rôle. Sa carrière vient juste de débuter et le public s’enthousiasme pour cette jeune première qui alterne les rôles de jeunes filles ingénues dans des comédies musicales avec ceux de demoiselles romantiques dans des drames historiques.

Vignette des années 30 (collection particulière)
Vignette des années 30 (collection particulière)

Celle que l’on surnomme « la fiancée de Paris » joue souvent aux côtés d’acteurs populaires. Dans « Mon cœur t’appelle », Julien Carette lui tient compagnie. Acteur à la bonne humeur communicative et au phrasé reconnaissable, il contribue à l’atmosphère joyeuse du film. Tournant beaucoup à l’époque, les spectateurs du Foyer albanais le découvriront dans bien d’autres films plus célèbres dont ceux de Jean Renoir.
Le Foyer albanais programme aussi des grandes vedettes américaines. On pourra d’abord voir pour le jeudi de l’Ascension la première enfant star d’ampleur internationale, la toute jeune Shirley Temple. Dans « La p’tite Shirley », du haut de ses six ans, elle est la coqueluche des petites filles du monde entier. « Les trois lanciers du Bengale » sont projetés pour les fêtes du 15 août. C’est l’occasion de voir le grand Gary Cooper incarner le lieutenant Alan Mc Gregor, un officier écossais chargé de la protection d’un territoire du nord-ouest des Indes britanniques. Un grand film du réalisateur Henry Hathaway, produit par la Paramount, tourné en extérieur dans la Sierra Nevada.
Outre « Les trois lanciers du Bengale », tiré du roman de l’américain Francis Yeats-Brown, le Foyer albanais propose plusieurs adaptations d’œuvres littéraires. « Maria Chapdelaine », extrait d’un roman au succès mondial est projeté en mars. A l’automne, le Journal du Commerce annonce la projection de « Sans famille », et précise : « nombreux sont ceux qui ayant lu le célèbre roman d’Hector Malot seront heureux de revivre les péripéties d’une belle et passionnante aventure ». Le même journal, fin décembre avertit le public que « les célèbres artistes Harry Baur et Pierre Blanchard » sont remarquables dans le film « Crime et châtiment ». Figurent aussi les œuvres que Marcel Pagnol adapte au cinéma comme « Jofroi » ou « Cigalon » avec des musiques de Vincent Scotto. Dans « Jofroi », le compositeur s’est vu confier le rôle principal par son ami Marcel Pagnol. Une exception dans sa vie de musicien car ce sont ses chansons qui l’ont fait connaître du grand public. Interprétées alors par Joséphine Baker, Maurice Chevalier, elles sont encore dans toutes les mémoires à l’instar de « J’ai deux amours » et « La petite tonkinoise » ou « Marinella » qui devient en 1936 le phénoménal succès de Tino Rossi.
La musique est bien au cœur de l’activité culturelle du Foyer albanais qui n’hésite pas aussi à promouvoir la « grande musique ». En complément du film principal, lit-on dans le Journal du Commerce du mois de mars, est proposé « un documentaire sur Arles avec la musique de l’Arlésienne de Georges Bizet ».

Une scène du film
Une scène du film

Judicieusement choisis, certains de ces films se veulent plus édifiants comme « Cessez le feu » pour lequel « un demi tarif sera accordé aux anciens combattants ». C’est encore plus évident avec la programmation pour les fêtes de Pâques de « Golgotha » réalisé par Julien Duvivier. « C’est le drame de la Passion… le film qui remue les foules et qui a connu ces derniers mois un succès formidable à Grenoble et Lyon » lit-on dans la presse locale qui avertit le public que « en raison de l’affluence prévue pour la séance du dimanche soir, il est demandé à tous ceux qui le pourront de venir soit le samedi soir, soit le dimanche après-midi ». Ce conseil souvent donné est en quelque sorte un indicateur du succès de cette salle. Pour la jeunesse, venir au cinéma n’est pas toujours facile. Il faut d’abord avoir obtenu l’accord parental. Alors que le Front populaire vient juste d’établir les congés payés, il n’est pas encore bien admis à la ferme de pouvoir s’extraire des travaux du quotidien. On vient de tous les villages des alentours en se déplaçant en groupe et à pied. Pour les chanceux qui disposent d’une bicyclette, une sorte de consigne a été ouverte à proximité du foyer. On peut y laisser son engin de transport en toute sécurité. La plus grande affluence concerne les séances du dimanche après-midi et soir, celles qui attirent les spectateurs venus par le train des villes voisines comme Rumilly.

La gare d'Albens, vue des années 30 (archive Kronos)
La gare d’Albens, vue des années 30 (archive Kronos)

Il pouvait arriver que, la séance de l’après-midi s’étant prolongée, il faille vite sortir du cinéma pour courir vers la gare où l’on avait retardé le départ du train. Toute une époque !
Le Foyer albanais traversera les « Trente Glorieuses » mais devant la concurrence de la télévision disparaîtra dans les années 80. L’objet d’un prochain récit.

Jean-Louis Hébrard

Une centenaire au temps des « années folles »

Mi-août 1928, le bourg d’Albens met à l’honneur une de ses concitoyennes : cette dernière va souffler ce jour-là cent bougies. Sous le titre « Fête de la centenaire », le Journal du Commerce lui consacre un long article illustré d’un portrait photographique. Sans négliger le descriptif de la fête, ce sont les discours qui retiennent l’attention. Celui du maire, prononcé en français, contraste avec les propos de la centenaire s’exprimant en « patois savoyard ». Ils nous permettent de poser un regard sur la pratique de la langue mais aussi sur la perception par la population des grands changements environnementaux et en premier lieu celui de compter dans la commune une centenaire.
C’est avec une certaine émotion que monsieur Montillet, le maire de l’époque va l’exprimer : « La fête qui nous réunit aujourd’hui est de celles qui comptent dans les annales d’une commune, car de mémoire d’homme, jamais jusqu’à ce jour l’honneur d’avoir une centenaire n’a échu à la commune d’Albens ». Le portrait qu’il dresse ensuite de l’héroïne de la fête, Thérèse R. veuve de Marcelin M., contient en creux la notion d’espérance de vie. En cette fin des années 20, les centenaires ne sont pas légion en France. C’est un peu plus de 2% des femmes qui pouvaient alors espérer dépasser leur 90ème anniversaire dans les conditions de mortalité de l’époque. Thérèse est donc une de ces rares élues. Et l’on avance déjà des éléments explicatifs devenus classiques aujourd’hui. « Aimant la vie saine et la paix des champs », elle est aussi dotée « d’un caractère affable, d’une grande bonté » qui lui vaut de compter « ici que des amis ». C’est un peu le mythe de la vie au grand air, d’une alimentation saine, source de longévité qui se dessine ici. Il masque la dureté physique des conditions de vie que la centenaire évoquera ensuite et qui a dû emporter Marcelin son époux. Déjà l’homme meurt sensiblement plus jeune que la femme. C’est la conséquence de conditions de travail encore pénibles car faute de mécanisation poussée, l’homme s’use à la tâche. On peut rajouter pour certains les ravages causés par l’alcoolisme dans un pays où l’on dénombre « plus de débitants de boissons que d’instituteurs ».

Femmes revenant du marché sur la route de Saint-Girod (archive Kronos)
Femmes revenant du marché sur la route de Saint-Girod (archive Kronos)

Le maire décrit dans son discours les difficiles conditions de vie dans la Savoie du XIXème siècle où  « le travailleur de la terre était une sorte de paria, mal vêtu, allant le plus souvent sans souliers, mal nourri, mal logé, ne sortant que rarement de son village, si ce n’était pour aller travailler au dehors, afin de soulager les parents malheureux ». Allez faire de vieux os avec tout cela. Thérèse, rappelle le maire, « est née en 1828 au hameau du Mollard d’une ancienne et honorable famille ». Durant cette longue séquence de vie, elle a dû faire face à la disette de 1847, année durant laquelle la municipalité d’Albens acheta pour 1500 livres de céréales pour venir en aide aux indigents. Début août 1860, elle a vu le cortège impérial traverser le village pavoisé de mâts vénitiens reliés par des guirlandes, allant à Annecy célébrer la réunion de la Savoie à la France. Le même mois, mais 54 ans plus tard, c’est le tocsin qui retentit à ses oreilles de déjà vieille dame pour annoncer la mobilisation générale, ouverture de la Grande Guerre. L’année de l’armistice, elle fête ses 90 ans. Née sous le règne du roi de Piémont-Sardaigne, elle a connu ensuite le Second Empire puis la IIIème République.

La centenaire photographiée par M. Exertier de Rumilly (source Journal du Commerce)
La centenaire photographiée par M. Exertier de Rumilly (source Journal du Commerce)

C’est en patois que Thérèse explique à tous comment le « bon vieux temps » était loin d’offrir toutes les commodités des années 20. Décrivant longuement la simplicité de l’habillement d’antan, elle termine en énumérant tout ce qu’elle n’avait pas et dont on dispose désormais.
E n’avô pas alô de bicyclette p’vola / En ‘avô pas non plus de quoi se pomponna / ni pè dansi de molins à musique inradia/ Ni pè se distrère la d’mingè on cinéma. On voit par là tout ce qu’a dû représenter pour elle l’arrivée des moyens mécaniques de déplacement, mais aussi l’installation du « Foyer Albanais » et l’arrivée de la TSF. Et pour exprimer ces sentiments, elle utilise en priorité le patois.

« A lavô le charret de duè vasche attela » (cliché collection privée)
« A lavô le charret de duè vasche attela » (cliché collection privée)

C’est la langue dans laquelle, en dehors de l’école, elle s’est exprimée toute sa vie. Grâce aux archives conservées à Chambéry, on peut se faire une idée de l’allure de l’école dans les années 1838, date à laquelle Thérèse avait dix ans. Elle est alors tenue par les frères de la Sainte Famille qui font la classe dans une seule salle. La petite Thérèse qui habite au hameau du Mollard doit alors venir à pieds jusqu’au bourg d’Albens. Les équipements scolaires sont plus que déficients comme le laisse voir un autre texte de 1866 : « les trois-quarts des élèves sont obligées de se tenir debout pendant la classe faute de bancs… les écoles sont dépourvues de tableaux, cartes géographiques et enfin des objets indispensables pour une école ». Dans de telles conditions, on peut comprendre que pour la vie quotidienne l’usage du patois prévale sur la pratique du français. La population qui est venue participer à la fête en 1928 a parfaitement suivi ce que disait Thérèse sans avoir besoin d’une quelconque traduction. Le Journal du Commerce le sait bien, lui qui inclut de longs passages en patois dans le compte-rendu de la fête. C’est que « le début du renversement linguistique » qu’a provoqué la Grande Guerre commence à peine. C’est ce que l’on apprend dans l’ouvrage de J-B Martin « Les poilus parlaient patois ».
Pour faire honneur à la centenaire, rien n’a été négligé comme s’attache à le décrire le journal : « la messe terminée, tandis que les cloches sonnent, que les boîtes tonnent, l’héroïne du jour est conduite à la Mairie… la Compagnie des Sapeurs-Pompiers forme la haie et la Fanfare salue son arrivée par un joyeux pas redoublé ». Les discours achevés, comme pour tout anniversaire, arrive le temps des cadeaux. Les « aimables et charmantes rosières », entourées des demoiselles d’honneur se chargent d’offrir une gerbe de fleurs. La municipalité a « le bonheur de lui faire présent du fauteuil sur lequel elle est assise ». La fille de la centenaire est ensuite mise à l’honneur pour les « soins dévoués et attentifs » qu’elle lui prodigue.
Pour clôturer la cérémonie, les vœux du maire sont ainsi formulés « N’tron regretta maire décéda / Tai to fiè de mama les rosières/ N’tron adjoint tè ben heroeu dai faire atan s’tian / Mé ce qu’allara pas l’honnô de faire / E de mamà la centenaira ».
Ce discours, précise le journal « fut chaleureusement applaudi par l’assistance ».
Si les « années folles » sont perçues de nos jours comme porteuses de transformations profondes, force est de constater aussi à travers cette fête la forte persistance des traditions.

Jean-Louis Hébrard

Les habitués du cimetière

Au terme de la première guerre mondiale, « la Der des Ders », les communes furent invitées par l’État en 1919 à commémorer et glorifier les morts pour la France par l’édification de monuments et par la tenue d’un livre d’or portant les noms des morts de la commune. C’est en novembre 1921 que fut inauguré au sein du cimetière celui de la commune d’Albens. Les plus attentifs ont certainement remarqué les noms de deux soldats de la commune décédés en 1914 et rajoutés en fin de liste sur le Monument aux Morts. Qui étaient donc ces deux soldats et pourquoi n’ont-ils pas été intégrés directement à la liste au moment de l’inauguration du monument le 1er novembre 1921 ?

Il y a tout d’abord Antoine Martin, fils de François et Louise (née Genoux, originaire de Boussy). Né en 1874 à Albens, il effectue son service militaire à Lyon au sein du Régiment de Dragons puis de l’Escadron du Train des Équipages entre novembre 1895 et octobre 1898 avant d’en sortir avec son certificat de bonne conduite accordé. Passé dans la réserve de l’armée active, il accomplit deux mois supplémentaires d’exercices militaires en novembre 1901 puis octobre 1908. Revenu dans la vie active, il habite successivement à Rumilly, Alby-sur-Chéran, Annecy, Aix les Bains – et exerce le métier de boucher – avant de revenir vivre chez ses parents à La Paroy où il retrouve son frère missionnaire que nous évoquions dans un article précédent (Hebdo des Savoie n°964). Une semaine avant de fêter son quarantième anniversaire, la mobilisation générale est décrétée et il rejoint le 14ème Escadron Territorial du Train à Lyon en août 1914. Le 26 septembre suivant, sa fiche militaire indique qu’il décède à l’hôpital Desgenettes des suites d’un accident survenu en-dehors du service, il est alors enterré au cimetière de la Guillotière de Lyon. Le fait qu’il soit décédé en dehors du service est-il la cause de son rajout tardif sur le Monument aux Morts, sa famille ayant peut-être cherché à le faire reconnaître comme « Mort pour la France » ? Présent sur le livre d’or de la commune adressé au Ministère des Pensions, son nom est barré en 1929 avec la notification de « radiation d’office ». Pourtant, en 1957, lors de la création de la Nécropole Nationale de la Doua à Villeurbanne, Antoine Martin y est enterré avec une tombe portant la mention « Mort pour la France ». D’autres patronymes du monument sont dans la même situation. Environ 100 000 soldats français sont déclarés « Non Morts pour la France », parmi ceux-ci on retrouve des soldats décédés des suites de maladie, de blessures, des suicidés, des fusillés, des accidentés, des décédés en prison, …

Les deux noms ajoutés sur le Monument aux Morts et la tombe d'Antoine Martin à la Doua
Les deux noms ajoutés sur le Monument aux Morts et la tombe d’Antoine Martin à la Doua

Le second nom rajouté tardivement sur le Monument aux Morts est celui de Guillaume Pianta, né en 1887 à Futenex. Petit-fils d’émigrés lombards plâtriers, Guillaume a déjà perdu ses deux parents lorsqu’il s’en va effectuer son service militaire en octobre 1908. Il fera lui aussi partie du 14ème Escadron du Train des Équipages avant de rejoindre le 99ème Régiment d’Infanterie jusqu’à la fin de son service en septembre 1910. En mai 1913, alors qu’il est désormais maçon, il se réengage dans l’armée au sein du 4ème Régiment d’Infanterie Coloniale au Maroc puis au 9ème Bataillon Colonial du Maroc et participe aux violents combats opposant l’armée française aux guerriers marocains insoumis. Lorsque la mobilisation générale est décrétée le 1er août 1914, « le journal des marches et opérations du Bataillon » (archives consultables sur internet) permet de suivre au jour le jour le départ des troupes pour la France puis son entrée dans le conflit mondial. Le 28 août 1914, « La Bataillon se replie et prend position entre Dommery et la Fosse‑à-l’eau (Ardennes). Vif engagement, feu violent de l’artillerie allemande. Malgré de fortes pertes, le Bataillon se maintient sur ses positions ». Le compte-rendu se poursuit avec le bilan des pertes, des blessés et des disparus. Guillaume Pianta fait partie de cette dernière catégorie, sa fiche militaire le faisant par contre figurer parmi les disparus du Marais de Saint-Gond dans la Marne (ajoutant « avis officieux »), cette bataille se déroulant du 5 au 9 septembre. C’est dans un jugement transcrit en septembre 1921 qu’il est reconnu comme « Mort pour la France » le 28 août 1914. Les inscriptions sur le Monument aux Morts avaient-elles déjà été effectuées avant l’inauguration du mois de novembre 1921, d’où son rajout tardif ? Dans l’Église d’Albens, son nom est également rajouté en bas de liste sur les plaques commémoratives. La volonté des familles qui espéraient encore un retour de ces enfants dont on avait perdu la trace ?

Un monument à la gloire de la division Marocaine à La Fosse-à-l'eau et le livre souvenir de leAssociation Kronos
Un monument à la gloire de la division Marocaine à La Fosse-à-l’eau et le livre souvenir de l’Association Kronos

Si Antoine Martin était un boucher déjà âgé au moment de la mobilisation générale, Guillaume Pianta était lui militaire, engagé dans la guerre au Maroc, il savait combattre. Pourtant, l’un comme l’autre firent partie des premières victimes de cette Grande Guerre, les mois d’août et septembre 1914 seront en effet les plus meurtriers, avec environ 200 000 morts. Le canton d’Albens paiera un lourd tribut à cette guerre avec « 239 Morts pour la France » officiellement.

Pourtant, d’autres soldats originaires d’Albens, « Morts pour la France », figurent dans le registre envoyé par la commune au ministère dans les années 20, ils ne sont cependant pas présents sur le Monument aux Morts d’Albens :
– Marius Abry, du 22ème Bataillon des Chasseurs Alpins, décédé à 33 ans à Wettstein (Haut-Rhin) en mars 1916. Son nom n’est a priori répertorié sur aucun monument.
– Léon Francisque Bel, 36ème Régiment d’Infanterie Coloniale, décédé à 32 ans en avril 1914 et enterré à la Nécropole Nationale de La Crouée dans la Marne. Son nom est présent sur le Monument aux Morts de la commune de Saint-Vincent-de-Barbeyrargues (Hérault) dont il était résident.
– Félix Joseph Buttin, militaire de carrière depuis son engagement à dix-huit ans. Lieutenant du 33ème Régiment d’Infanterie, décédé à 40 ans en avril 1916 et enterré à la Nécropole de Cerny-en-Laonnois dans l’Aisne. Son nom apparait à Annecy sur une plaque commémorative à l’Hôtel de Ville.
Ces quelques éléments permettent de comprendre que les noms affichés sur les Monuments aux Morts des communes de France ne sont pas forcément tous indiqués et que le nombre de victimes mortes pour la France est plus important qu’on ne le pense.

Une dernière curiosité à propos du Monument aux Morts d’Albens. Le nom de Joseph Metral y figure, cependant, selon les recensements, aucune famille de ce nom ne vivait à Albens et aucun soldat de ce patronyme originaire d’Albens n’est présent dans les archives de l’armée. Absent de la plaque commémorative dans l’Église d’Albens, il n’est pas non plus répertorié dans le document de la commune envoyé au ministère indiquant la liste des personnes inscrites sur le monument. Le mystère est entier concernant son identité.

Benjamin Berthod

Sur les routes de l’Albanais dans les années 20

Au sortir de la Grande Guerre qui fut une guerre mécanique, celle des moteurs, l’automobile allait connaître un essor considérable bouleversant les conditions de circulation d’autrefois. Automobiles, camions et motocyclettes sont de plus en plus au cœur des faits divers dont parle la presse des années 20/30. Nombreux sont alors les petits articles qui relatent des accidents parfois tragiques mais plus souvent surprenants et même chargés de drôlerie. Leur lecture nous permet de cerner les mutations en cours sur les routes de France, de Savoie et de l’Albanais au moment des « Années folles ».
Que peut bien nous apprendre cet article du Journal du Commerce publié en février 1922 sous le titre « Auto contre pylône » dont voici le contenu : « Lundi matin, une caravane d’autos transportant le cirque Bonnefoy, se rendant à Annecy, a traversé la commune d’Albens au moment du marché. Voulant éviter un groupe de femmes, un des chauffeurs donna un coup de volant à gauche et vint heurter le pylône portant les fils électriques, qui fut transformé en S. Fort heureusement aucun des fils ne fut cassé, car on aurait eu à craindre des morts parmi la foule dense qui se pressait autour des étalages ».

Albens, le marché se tient dans le carrefour (archive privée)
Albens, le marché se tient dans le carrefour (archive privée)

Ici, c’est la cohabitation entre les piétons et les véhicules à moteur qui est à la source de l’incident. Très vite, la question de l’affectation de la route va être soulevée.
Sur une carte postale de l’époque nous voyons ce marché, les étalages tout autour, les clients et clientes qui traversent l’espace central, c’est-à-dire le croisement des routes qui comme aujourd’hui se dirigent vers Annecy, Rumilly, Aix-les-Bains. En 1922, « une foule dense se pressait autour des étalages » quand le cirque allant à Annecy est arrivé, avec les conséquences qui s’en suivront.
L’article est aussi révélateur des « imprévus » que peuvent rencontrer les automobilistes et des difficultés à y faire face. Dans un monde encore très rural, il y a au rang de ces « surprises » toutes les présences animales. « Voulant éviter une poule et ses poussins », un motocycliste cause un accident près de La Biolle tandis qu’aux Près Rues, vers Albens, ce sont des vaches qui s’étant débarrassées de leurs conducteurs « allèrent se jeter dans une voiture ». Des chiens qui traversent soudainement et se font accrocher par les automobilistes valent à ces derniers le qualificatif d’« écraseurs d’Albens ». Il y a encore tous les attelages dont la lenteur est source de problèmes : chariot attelé de deux vaches, char de bois, ou encore cette voiture dont le cheval effrayé s’emballe allant presque « se jeter dans la barrière du chemin de fer ».

Moyens de transports anciens et récents cohabitent – La Biolle (archive privée)
Moyens de transports anciens et récents cohabitent – La Biolle (archive privée)

D’autres articles pointent les mauvaises conditions de visibilité. Véhicules, motocyclettes et bicyclettes n’étant pas toujours bien éclairés à la tombée de la nuit, piétons et cyclistes sont souvent victimes d’accident : « Dimanche soir, vers huit heures, M. Pegaz et sa dame… furent renversés par deux cyclistes marchant à folle allure et sans lanterne ». Rentrer très tard dans la nuit vous expose beaucoup : « Vers 1h3O, le nommé J. Gallina, domestique à Albens, rentrait chez son patron, venant de la vogue de Saint-Félix. En cours de route, il fut renversé par une voiture ».
D’autres fois, ce sont les conditions atmosphériques qui sont facteur aggravant. Ainsi en 1934 à hauteur du passage à niveau d’Albens où « pour éviter le cycliste et gêné par le brouillard, l’automobiliste a heurté un platane et a été blessé légèrement par les bris de glace ». À La Biolle, c’est une voiture qui écrase un chien alors qu’elle roulait « sans lanterne malgré la brume ». Dans la même commune, c’est « par suite d’un dérapage sur la route mouillée » qu’a lieu une collision entre deux conducteurs, l’un grenoblois, l’autre d’Annecy.
N’oublions pas de mentionner aussi tous les matériaux qui encombrent les bas-côtés et font capoter les véhicules. Ici c’est « un tas de sable » que le conducteur heurte au moment de dépasser, ailleurs le véhicule butte sur « un tas de cailloux placé en bordure de la chaussée ». Le plus souvent, les automobiles de l’époque, dont la direction n’est pas encore assistée et les pneumatiques aussi rudimentaires que les suspensions, viennent s’encastrer dans les arbres et les pylônes qui bordent routes et rues.

Entrée d'Albens, tas de cailloux et alignement de platanes (archive Kronos)
Entrée d’Albens, tas de cailloux et alignement de platanes (archive Kronos)

À travers les articles de presse, on découvre la violence de ces accidents comme à l’entrée de Saint-Félix en 1924 où « l’auto a sectionné au ras de terre un pommier de la route et s’est renversée sur le côté » et avant Albens, la même année lorsque « la voiture après avoir sectionné deux jeunes arbres plantés en bordure de la route, alla s’écraser contre un saule ». Les passagers en sortent plus ou moins secoués, au mieux éjectés comme en 1928 dans cette collision vers La Biolle où « l’autre véhicule alla heurter un poteau, projetant dans le pré voisin les quatre occupants ». Quand l’accident se passe en ville, les conséquences sont parfois spectaculaires, ainsi en 1937 dans le carrefour d’Albens où suite à la collision, la première voiture fait un tête à queue complet au milieu du croisement quand la seconde va « s’écraser dans la devanture du café Bouvier, la démolissant totalement et mettant en miettes chaises et tables placées sur le trottoir ». L’un des conducteurs, projeté hors de sa voiture « porte quelques contusions sans gravité. Après avoir reçu les soins de M. le docteur Bouvier, il a pu être reconduit à son domicile ». Le second conducteur « légèrement contusionné » subit le même traitement.
Nous sommes bien avant le port obligatoire des ceintures de sécurité mais aussi de la mise en place de secours organisés aux victimes de la route.
Les blessés sont rapidement transportés dans les hôpitaux d’Aix, de Rumilly ou d’Annecy par d’autres automobilistes lorsqu’il s’agit de contusions importantes à la tête, de poitrine enfoncée par le volant ou blessures à la face occasionnées par les glaces brisées. Souvent on fait appel pour les premiers soins aux médecins les plus proches, au docteur Bouvier d’Albens, au docteur Ronin d’Alby. Pour une plaie à la tête, c’est le pharmacien Brunet d’Albens qui prodigue les premiers soins et la recoud. Ecchymoses et écorchures sont traitées plus simplement avec retour au domicile. Parfois les auteurs d’accident ne se préoccupent pas du sort de la victime, ainsi en 1929, vers Saint-Félix où ils déposent le blessé « sur le bord de la route disant qu’ils allaient chercher du secours, mais la victime ne vit personne revenir ». Ce délit de fuite se transforme parfois en véritable « rodéo ». C’est ce que relate un long article du Journal du Commerce en 1934 : « affolé par l’accident, le chauffeur au lieu de s’arrêter, continua sa route pendant que des témoins prévenaient la gendarmerie qui se trouvait à quelques pas ». S’engage alors une course poursuite entre Albens et La Biolle où elle va se terminer. D’abord une auto d’Aix-les-Bains prend en chasse la voiture en fuite qu’elle tente vainement d’arrêter en la dépassant. Arrivent ensuite les gendarmes qui rejoignent le fuyard vers le sommet de la côte de La Biolle. Arrivés à sa hauteur et ne pouvant le stopper ils le dépassent et se mettent en travers de la route. Mais « le chauffeur ayant complètement perdu la tête et voulant essayer de passer quand même » finit par jeter sa voiture contre celle des gendarmes. Enfin arrêté, le chauffard est conduit au Parquet de Chambéry pour être placé sous mandat de dépôt et écroué. On apprend, la semaine suivante qu’il « a été condamné à un mois de prison sans sursis pour délit de fuite et blessure par imprudence et 5 francs d’amende pour infraction à l’arrêté municipal réglementant la vitesse ».

L'entrée de Saint-Félix (collection privée)
L’entrée de Saint-Félix (collection privée)

La vitesse excessive des véhicules est souvent mise en cause par les riverains qui sont parfois les victimes d’accidents mortels. Traverser la route à Saint-Félix, La Biolle, Albens se révèle très dangereux, d’autant plus lorsque l’on est enfant. C’est le cas au chef-lieu de La Biolle, en 1924, du jeune René, âgé de cinq ans « qui traversait la chaussée pour regagner le domicile de ses parents » et a été mortellement renversé par une auto. On explique alors le drame par « l’inexpérience de la victime à se garer au passage des autos », la famille n’habitant en bordure de la route que depuis huit jours.
Drames, accidents corporels, les plaintes ne cessent de s’accumuler au long des articles de presse. « C’est la troisième voiture qui, en peu de temps, vient s’écraser contre le même côté, toujours par excès de vitesse » à Albens en 1924. Quant à Alby-sur-Chéran, on espère que « l’accident arrivé à une bonne vieille de 84 ans, ces jours derniers, fera probablement quelque chose pour le Haute-Savoie ».
Désormais des réglementations seront prises : « La vitesse maximum de 12 kilomètres est prescrite à tout véhicule automobile dans la traversée de l’agglomération communale ».
Qui a dit que l’Histoire pouvait faire office de rétroviseur.

Jean-Louis Hébrard

Financer le monument aux morts

Élever des monuments à la gloire des soldats morts pour la France ne date pas de la Grande Guerre mais c’est avec cette guerre que l’idée d’en ériger dans toutes les communes s’est imposée très rapidement, comme si elle répondait à une sorte de nécessité évidente. La loi du 25 octobre 1919 qui les subventionne, écrit Antoine Prost dans « Les lieux de mémoire », est « antérieure aux élections qui installent la Chambre bleu horizon ». Elle est intitulée « Commémoration et glorification des morts pour la France au cours de la Grande Guerre » et prévoit dans son article 5 que « des subventions seront accordées par l’État aux communes, en proportion de l’effort et des sacrifices qu’elles feront, en vue de glorifier les héros morts pour la patrie ».
Les communes vont se lancer dans une sorte de course contre le temps afin d’ériger le plus tôt possible leur monument. C’est ce qui transparaît dans l’article du Journal du Commerce de septembre 1922 au sujet du monument d’Ansigny : « La petite commune d’Ansigny, si cruellement éprouvée par la guerre n’a pas voulu rester en retard sur les autres communes, elle a fait élever dans son cimetière un beau monument ». Ainsi, avant le milieu des années 20, la plupart des monuments de nos villages vont être édifié.

Le monument aux morts d'Ansigny (archive Kronos)
Le monument aux morts d’Ansigny (archive Kronos)

Mognard inaugure son monument début novembre 1919, suivront tout au long de l’année 1922 les communes de Saint-Félix, La Biolle, Ansigny et pas seulement, Cessens terminant la séquence en juin 1924. Les villes vont édifier un monument plus tardivement, en 1926 pour Annecy et en 1929 pour Rumilly.

Dessin paru dans le Journal du Commerce
Dessin paru dans le Journal du Commerce

Une importante phase de construction qui pose la question du financement. Si l’édification des monuments associe étroitement les citoyens, les municipalités et l’État, on va voir que les communes n’ont pas attendu la loi d’octobre 1919 pour entreprendre leurs premières démarches.
Tel est le cas d’Épersy où, au cours de la séance du conseil municipal, le 6 août 1916, est votée une subvention de 40F pour « parfaire la somme nécessaire à l’érection de ce pieux hommage à nos héros ». La lecture du registre des délibérations révèle aussi la forte implication du conseil d’administration de la fruitière ainsi que celle d’un comité du monument aux morts pour la France qui semble s’être récemment créé. C’est lui qui, sous la houlette de son trésorier, a organisé une souscription dans la commune. Cette approche par les archives locales donne bien à voir le caractère municipal et citoyen de ces premiers financements. La collecte de fonds par souscription ne suffisant pas, c’est la commune qui vote « à l’unanimité des membres présents la somme de quarante francs sur les fonds libres de l’exercice 1916 pour l’érection du glorieux monument projeté ».
Nous retrouvons cette voie de financement dans bien d’autres communes comme à Mognard où l’article du Journal du Commerce rappelle au moment de l’inauguration en 1919 « que le monument fut élevé grâce à une souscription ouverte par le regretté M. Laubé et continuée par de dévoués quêteurs auxquels nous adressons nos remerciements ». Parfois le nom d’une personne est mis en avant. S’agit-il d’un généreux ou généreuse « mécène » ou seulement d’un concepteur ? Comment comprendre les félicitations adressées par la commune de Cessens à « Mme veuve Guicherd, de Rumilly » pour avoir conçu et exécuté le monument.

Le monument aux morts jouxte l'église de Cessens (archive Kronos)
Le monument aux morts jouxte l’église de Cessens (archive Kronos)

Il ne faudrait pas croire que les initiatives citoyennes ont été à elles seules capables de résoudre la question financière. Dès 1920, ce sont des commissions spéciales qui se mettent en place pour monter des financements complexes surtout quand le projet est assez monumental.
Les archives départementales de la Savoie se révèlent être d’une importance capitale pour suivre les différentes étapes de ces financements. « La commission spéciale qui sera chargée sous la présidence de M. le maire d’élever le monument » est mise en place pour Albens lors du conseil municipal de janvier 1920. Dans la même délibération on apprend qu’une souscription est immédiatement ouverte dont devront se charger « chaque conseiller municipal dans son hameau respectif ». Les séances suivantes nous font connaître le prix du monument. Le devis estimatif d’un montant de 15 000F est retenu lors de la délibération du mois de mai avant approbation définitive le 12 juin 1921. C’est l’offre de M. Cochet fils, sculpteur en Isère qui sera retenu pour le beau projet ainsi décrit : « Monument commémoratif aux morts de la grande guerre, en pierre de Porcieu Amblagnieu, parements passés à la fine boucharde, arêtes ciselées et polies, poilu de la même pierre, inscription de face en saillie, inscriptions des morts sur plaques polies, conforme au plan annexé… ».
Pour réunir cette importante somme on va avoir recours à un crédit, à une souscription et enfin à la subvention de l’État.
Le vote d’un crédit de 8000F est acquis dès janvier 1920, « inscrit au prochain budget et réalisé au moyen d’un emprunt ».
C’est ce montant de crédit qui va permettre à la commune de calculer le montant de la subvention qu’elle est en droit de demander à l’État. Prenant en compte les barèmes fixés par la loi de finances de juillet 1920 (nombre de tués de la commune, crédit de 8000F…) la commune d’Albens obtiendra la somme dérisoire de 1360F couvrant 9% de la dépense totale.
Aussi, comme pour la plupart des communes de France, c’est l’appel à souscription qui fournira l’essentiel du reste de la somme. Cet effort est salué dans la presse qui publie en juin 1920 les noms des trois cent dix premiers souscripteurs d’Albens (liste dans quatre numéros du Journal du Commerce de Rumilly). On y retrouve toutes les professions, toutes les situations familiales (chefs de famille, célibataires, veuves et veufs de guerre) qui donnent selon leurs moyens 2F pour les plus modestes et jusqu’à 250 et même 500F pour les plus fortunés. En l’espace d’un an, cet élan unanime permet de rassembler 6261F soit 42% du prix du monument.
Ainsi, par le recours au crédit, par l’effort citoyen de la souscription et par l’aide mesurée de l’Éat, les 15 000F parviennent à être rassemblés à l’été 1921. Rien ne freine désormais la construction du monument qui est inauguré dans le nouveau cimetière à la Toussaint 1921.
Aujourd’hui, ces monuments sont en passe d’être des « centenaires ». Les deuils qu’ils matérialisaient se sont éloignés. Il reste la fonction mémorielle. Souhaitons qu’elle ne s’affaiblisse pas en souvenir de tous ces efforts consentis par les femmes et les hommes qui nous ont précédés.

Jean-Louis Hébrard

Les hommes reviennent : la démobilisation automne 1918 / été 1919

Dans notre pays, faire revenir à la vie civile cinq millions d’hommes s’avère être une opération difficile qui provoque beaucoup de mécontentements car le processus s’étale dans le temps sur plus de dix mois.
Voici ce qu’écrit un poilu de Cessens à sa famille en juillet 1919 : « Heureusement que Mr Deschamp, le fameux secrétaire d’état à la démobilisation, prenait toutes les mesures nécessaires pour que toutes les classes de réserves, soient, une fois la paix signée, renvoyés dans leurs foyers, dans les plus brefs délais possibles ! il la copiera celle-là ».
Il est vrai que le gouvernement allait attendre jusqu’en juin 1919 que la paix soit signée avec l’Allemagne (traité de Versailles) pour franchement lancer la seconde vague de démobilisation, de juillet à septembre. La première démobilisation qui s’était déroulée entre novembre 1918 et avril 1919 n’avait permis de faire revenir au village qu’un petit nombre de soldats, soit pour des raisons familiales soit pour un impératif économique. Tel est le cas des cordonniers d’Albens, Favre et Garnier, qui font paraître dans le Journal du Commerce de petits encarts rédigés ainsi « démobilisé, a l’honneur de prévenir le public et son ancienne clientèle qu’il a repris son commerce ».
Dès février 1919, on peut voir l’annonce du médecin d’Albens « Le docteur J. Bouvier de retour des Armées a l’honneur de prévenir sa clientèle qu’il a réouvert son cabinet. Consultations : vendredi et samedi de 8h à 11h, les autres jours sur rendez-vous ».
Ce n’est qu’au long parcours que le soldat rentre chez lui, après avoir rejoint un centre de regroupement puis le dépôt le plus proche de son domicile. Quant aux jeunes classes 1918 et 1919, elles ne seront libérées qu’en mai 1920 et mars 1921.
Tout cela désorganise les régiments qui ne sont plus composés de façon homogène. Les anciens côtoient durant des mois les jeunes recrues. Pour ces vieux chevronnés, le temps est long comme s’en plaint l’un d’eux, en mai 1919, auprès de sa famille : « Aujourd’hui je n’ai pas grand-chose à faire, ce matin nous avons fait l’exercice. Inutile de vous dire si ça me déplaît, surtout qu’il faut manœuvrer avec les classes 18 et 19 ».

C’est à partir d’octobre 1919 qu’on va pouvoir dire que la plupart des poilus du canton d’Albens ont retrouvé familles et villages. Toutes ces années de guerre durant lesquelles ils ont vécu des heures terribles ne facilitent pas le retour à la vie civile. Il n’y a pas comme maintenant de cellule psychologique pour les aider à revenir dans le monde normal des « jours de paix ».
Bien vite ces hommes vont chercher à se regrouper en créant des associations « d’anciens combattants » et à se rencontrer en organisant des banquets. Dès octobre, novembre 1919, le Journal du Commerce annonce ceux qui se déroulent à Cessens, Saint-Ours, Albens, Gruffy, Saint-Félix. Ces banquets sont souvent précédés d’une cérémonie comme on peut le voir le 9 novembre à Saint-Ours : « Les poilus de la commune ont fêté leur retour. À 10 heures du matin, tous se réunissaient pour aller déposer une couronne sur la tombe de leurs chers camarades morts au champ d’honneur. M. Viviand, doyen d’âge prononça devant une foule considérable une patriote allocution. Il rappela en termes émus les évènements de la grande guerre et demanda à tous les assistants de ne jamais oublier ceux qui sont morts pour la France. Un délicieux banquet réunissait ensuite les poilus au restaurant Brun. Après un discours de M. Viviand François fils, la parole est donnée aux chanteurs. Un bal animé termina cette bonne journée. Une quête faite au profit des mutilés de la Savoie a produit la somme de 39F50 qui a été envoyée au trésorier ».
Dans cet article écrit un an après l’Armistice, on relève déjà bien des thématiques qui sont encore les nôtres aujourd’hui. On y parle de la « Grande Guerre », du « devoir de mémoire » et des « morts pour la France », des données qui furent abordées dans le livre « Se souvenir ensemble », publié par la société Kronos.

Si la vie reprend son cours avec un bon repas suivi de chants et d’un bal animé, on n’en oublie pas pour autant l’immense cohorte des mutilés. La France en dénombre plus de 380 000 dont environ 15 000 « Gueules cassées ». On peut se faire une idée de l’importance de ces souffrances dans le canton d’Albens en prenant pour référence les cinquante hommes de la classe 1915. Trois furent victimes des gaz, quatre gravement atteint à la face (nez, joue, mâchoire, perte de la vue) sans parler de cinq d’entre eux atteints d’infections (paludisme, bacillose, cystite) ni des amputés (main, jambe). Peu d’entre eux bénéficient d’une pension, l’État déjà impécunieux préfère distribuer des médailles ou leur laisser le soin de se procurer un casque Adrian avec sur la visière cette belle formule « Soldat de la Grande Guerre – 1914-1918 ».

Amputés de la jambe, de la main dans un hôpital en 1919 (archives privées)
Amputés de la jambe, de la main dans un hôpital en 1919 (archives privées)

On peut lire dans le Journal du Commerce en date du 27 avril 1919 un article expliquant « les modalités de la délivrance du casque-souvenir aux soldats de la grande guerre ». On y précise que « tout miliaire ou famille de tout militaire décédé ayant appartenu à une formation des armées, a droit au casque-souvenir et à une plaquette sur laquelle sont inscrits ses états de service ». De nombreuses familles de l’Albanais possèdent et conservent encore aujourd’hui de tels casques.
Il est toutefois une catégorie de combattants qui n’aura pas droit à ce casque-souvenir. Ce sont les prisonniers de guerre, tous ceux qui furent capturés dès les offensives de l’été 1914. C’est le cas pour trois soldats de la classe 1913 du canton qui se retrouvent en captivité dès la fin d’août 1914. Ils vont passer toute la guerre dans des camps à Stuttgart, Munster ou Leschfeld.

Bandeau d'un journal de camp (archives privées)
Bandeau d’un journal de camp (archives privées)

Un article du Journal du Commerce décrit en novembre 1918 le terrible état qui est celui de ces hommes qui regagnent alors le territoire national : « L’aspect physique de beaucoup de ces rapatriés porte le signe de longues souffrances. Les plus éprouvés sont ceux qui ont vécu de longs mois à l’arrière des lignes, soumis à de durs travaux… Après un court séjour à Nancy, les prisonniers vont être dirigés vers l’intérieur le plus tôt possible ».
Ils ne vont pas bénéficier de la reconnaissance de leurs épreuves souffrant de la comparaison avec les soldats héroïsés.

Jean-Louis Hébrard

Qui sont les soldats de 14-18 inscrits sur nos monuments ?

À la fin de la Grande Guerre, la plupart des communes de France, encouragées par l’État, construisirent des monuments aux morts. C’était l’occasion d’honorer les enfants du pays, de ne jamais oublier leur sacrifice et leur donner, à travers l’inscription de leur nom, la postérité pour leur contribution à la victoire de l’armée française. Pour certaines familles, le nom gravé est également, un siècle plus tard, la dernière trace de leur passage dans nos villages. L’inscription d’un soldat se justifie lorsqu’il est décédé au combat, est titulaire de la mention « Mort pour la France », qu’il est natif ou résident de la commune. Les soldats décédés après 1918 des suites de blessures ou maladies consécutives à la guerre n’ont généralement pas été considérés comme « Morts pour la France » et ne figurent pas sur les monuments.

Monument aux morts d'Ansigny
Monument aux morts d’Ansigny

C’est pourtant le cas à Ansigny d’Auguste Germain, le dernier nom gravé sur le monument aux morts de la commune. Après avoir effectué son service militaire dans l’Escadron du train des Équipages entre 1890 et 1891, il avait travaillé au sein de la Compagnie des Chemins de Fer d’Annemasse. Au moment de la mobilisation générale, à 45 ans, il rejoint les troupes en août 1914 puis entre avril 1915 et juin 1916. Il est finalement réformé à cette date pour une hémiplégie droite et rentre à Ansigny où il décèdera en janvier 1919, la mention « Mort pour la France » figurant sur le registre des décès.

À Albens, les plus attentifs ont certainement remarqué les noms de deux soldats de la commune décédés en 1914 et rajoutés plus tard en fin de liste sur le monument. Une carte postale du monument réalisée dans les années 20 confirme l’absence de leurs noms à ce moment-là. Qui étaient donc ces deux soldats ?

Il y a tout d’abord Antoine Martin, fils de François et Louise (née Genoux, originaire de Boussy). Né en 1874 à Albens, il effectue son service militaire à Lyon au sein du Régiment de Dragons puis de l’Escadron du Train des Équipages entre novembre 1895 et octobre 1898 avant d’en sortir avec son certificat de bonne conduite accordé. Revenu dans la vie active, il habite successivement à Rumilly, Alby-sur-Chéran, Annecy, Aix-les-Bains – et exerce durant un temps le métier de boucher – avant de revenir aider ses parents à la ferme, à La Paroy, où il retrouve son frère missionnaire que nous évoquions dans un article précédent (Hebdo des Savoie n°964 / revue Kronos n°33). Une semaine avant de fêter son quarantième anniversaire, la mobilisation générale est décrétée et il rejoint le 14ème Escadron Territorial du Train à Lyon en août 1914. Le 26 septembre suivant, il décède à l’hôpital Desgenettes des suites d’un accident survenu en-dehors du service, il est alors enterré au cimetière de la Guillotière de Lyon avec la mention « Non mort pour la France ». Pourtant, en 1957, lors de la création de la Nécropole Nationale de la Doua à Villeurbanne, Antoine Martin y est enterré avec une tombe portant la mention « Mort pour la France » (d’autres enfants d’Albens sont dans le même cas). Environ 100 000 soldats français sont déclarés « Non Morts pour la France », parmi ceux-ci on retrouve des soldats décédés des suites de maladie, de blessures, des suicidés, des fusillés, des accidentés, des décédés en prison, …

Les deux noms ajoutés sur le monument aux morts et la tombe d'Antoine Martin à la Doua.
Les deux noms ajoutés sur le monument aux morts et la tombe d’Antoine Martin à la Doua.

Le second nom rajouté tardivement sur le monument aux morts est celui de Guillaume Pianta, né en 1887 à Futenex. Petit-fils d’immigrés lombards plâtriers, Guillaume a déjà perdu ses deux parents lorsqu’il s’en va effectuer son service militaire en octobre 1908. Il fera également partie du 14ème Escadron du Train des Équipages avant de rejoindre le 99ème Régiment d’Infanterie jusqu’à la fin de son service en septembre 1910. En mai 1913, alors qu’il est désormais maçon, il se réengage dans l’armée au sein du 4ème Régiment d’Infanterie Coloniale au Maroc puis au 9ème Bataillon Colonial du Maroc et participe aux violents combats opposant l’armée française aux guerriers marocains « insoumis ». Lorsque la mobilisation générale est décrétée le 1er août 1914, « le journal des marches et opérations du bataillon » (consultable sur internet) permet de suivre au jour le jour le départ des troupes pour la France puis son entrée dans le conflit mondial. Le 28 août 1914, dans une citation du journal de marche, il est indiqué « Le bataillon se replie et prend position entre Dommery et la Fosse‑à-l’eau (Ardennes). Vif engagement, feu violent de l’artillerie allemande. Malgré de fortes pertes, le bataillon se maintient sur ses positions ». Le compte-rendu se poursuit avec le bilan des pertes, des blessés et des disparus. Guillaume Pianta fait partie de cette dernière catégorie. C’est dans un jugement transcrit en septembre 1921 qu’il est reconnu comme « Mort pour la France » le 28 août 1914. Les inscriptions sur le monument aux morts avaient-elles déjà été effectuées avant l’inauguration du mois en novembre 1921, d’où son rajout tardif ? Dans l’Église d’Albens, son nom est également rajouté en bas de liste sur les plaques commémoratives. La volonté de la famille qui espérait encore un retour du fils dont on avait perdu la trace ou un simple oubli ?

Un monument à la gloire de la division Marocaine à La Fosse-à-l'eau.
Un monument à la gloire de la division Marocaine à La Fosse-à-l’eau.

D’autres soldats originaires d’Albens, « Morts pour la France », figurant dans un registre envoyé par la commune au ministère des pensions dans les années 20, ne sont cependant pas présents sur le monument aux morts :
– Marius Abry, du 22ème Bataillon des Chasseurs Alpins, décédé à 33 ans à Wettstein (Haut-Rhin) en mars 1916. Son nom n’est a priori répertorié sur aucun monument de France.
– Léon Francisque Bel, 36ème Régiment d’Infanterie Coloniale, décédé à 32 ans en avril 1914 et enterré à la Nécropole Nationale de La Crouée dans la Marne. Son nom est présent sur le monument aux morts de la commune de Saint-Vincent-de-Barbeyrargues (Hérault) dont il était résident.
– Félix Joseph Buttin, militaire de carrière depuis son engagement à dix-huit ans. Lieutenant du 33ème Régiment d’Infanterie, décédé à 40 ans en avril 1916 et enterré à la Nécropole de Cerny-en-Laonnois dans l’Aisne. Son nom apparaît à Annecy sur une plaque commémorative à l’Hôtel de Ville.
Ces quelques éléments permettent de comprendre que tous les noms des soldats morts pour la France ne sont pas indiqués sur les monuments aux morts de nos communes.

Une dernière curiosité à propos du monument aux morts d’Albens. Le nom de Joseph Métral y figure, cependant, selon les recensements, aucune famille Métral ne vivait à Albens et aucun soldat de ce patronyme originaire d’Albens n’est présent dans les archives de l’armée. Absent de la plaque commémorative dans l’Église, il n’est pas non plus répertorié dans le document de la commune envoyé au ministère des pensions en 1929 ni même présent dans les registres d’état civil. Le mystère est entier concernant son identité.

Benjamin Berthod