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Heurs et malheurs de la population, 1940/1945

La Seconde guerre mondiale inaugure une règle qui, hélas, se vérifie toujours aujourd’hui : les populations civiles enregistrent autant, parfois plus de pertes que les militaires (bombardements des villes, massacres, déportation…). À la sortie de la guerre, on dénombre en France 210 000 tués au combat pour 150 000 civils disparus auxquels on ajoute les 240 000 personnes disparues en captivité. Mais il faut mettre en regard de ces pertes des éléments démographiques positifs qui passent souvent inaperçus : la reprise de la natalité au cœur de la guerre et la survie d’un très grands nombre de prisonniers de guerre qui réintègreront le pays en 1945.

Photographie publiée dans le Journal du Commerce
Photographie publiée dans le Journal du Commerce

Dans « Le Petit Savoyard » du 20 novembre 1943, on peut lire sous le titre « La situation sanitaire de la Savoie s’améliore » la nouvelle suivante : « Comme on le voit, alors que dans beaucoup de départements le nombre des décès l’emporte sur celui des naissances, en Savoie, le nombre des naissances y est supérieur ». Cette tendance va se confirmer les années suivantes dans tout le pays, le faisant entrer dans une nouvelle période démographique bien connue « le baby boom ». Yves Bravard dans son ouvrage « La Savoie 1940-1944 : la vie quotidienne au temps de Vichy » précise que « cette amélioration s’inscrit dans un mouvement général de reprise qui commence un peu plus tôt que dans le reste du pays ». Il donne ensuite les indications de tendances suivantes : « En Savoie, de 3609 naissances, on passe à 4004 en 1942 puis 4267 en 1944. La Haute-Savoie fait mieux : 4225 naissances en 1939, 4899 en 1942, 5216 en 1944. Les raisons de cette reprise démographique restent très complexes et souvent difficiles à démêler.
Dans la politique menée par le gouvernement de Vichy, on connaît l’importance accordée à la Fête des mères.

Almanach de la Légion française des combattants - 1942 (archive privée)
Almanach de la Légion française des combattants – 1942 (archive privée)

Mais la propagande autour du thème de la famille s’exerce de bien d’autres façons comme on peut le constater à la lecture d’un article intitulé « Semaine de la Famille » que publie en 1942 le Journal du Commerce : « Du 5 au 11 octobre, notre région sera le théâtre d’une campagne de propagande familiale. Indépendamment du passage à Chambéry de l’Exposition de la Famille Française, qui connaît, tant en zone occupée qu’en zone non occupée, un triomphal succès, une série de conférence est donnée dans notre Département. Albens aura la bonne fortune d’entendre le vendredi 9 octobre à 20 heures dans la salle de la Mairie, M. Blanquart qui l’entretiendra de la Famille et de l’Avenir de la France. Il n’est pas un Français de plus de 18 ans qui ne soit personnellement intéressé par un tel sujet. Chefs et Mères de famille, jeunes gens et jeunes filles se feront un plaisir d’aller écouter M. Blanquart ».
Dans le même journal, on retrouve de très nombreux articles relatant les aides de toutes sortes apportées aux prisonniers de guerre. Ainsi en décembre 1941 où « Un groupe de jeunes mobilisés de 39-40, a pensé à la situation de leurs camarades retenus prisonniers depuis de longs mois dans les camps… faire un beau colis de Noël, leur permettre une petite amélioration du menu quotidien, à l’occasion de cette fête, leur faire sentir qu’on ne les oublie pas, voilà le but suivi par ce groupe… ».

Lettre de prisonnier de guerre – 1942 (archive privée)
Lettre de prisonnier de guerre – 1942 (archive privée)

Au moment de la signature de l’armistice, fin juin 1940, 1 800 000 hommes sont tombés aux mains de l’ennemi. Très vite, une partie de ces hommes parviennent à trouver la clef des champs. Malgré tout, près de 1 600 000 soldats et officiers vont se retrouver dans les camps à être obligés de travailler pour l’économie ennemie. C’est ce que l’on peut lire sur une lettre de 1942 expédiée par Francis A. d’Albens. Ce dernier est retenu prisonnier dans le stalag IX C (camp pour les simples soldats). Ce camp IX C est localisé près de la ville d’Erfurt, à 300 kilomètres environ de la capitale du Reich. Francis a été immatriculé sous le numéro 3575 et travaille dans le « Kommando » 1101B. Certains sont affectés à l’agriculture, d’autres travaillent dans l’industrie. Dans la lettre qu’il adresse à sa mère, Francis décrit son travail dans l’entreprise : « Dans cette usine mon travail consiste à décharger les wagons de terre pour faire la porcelaine et ceux de charbon, elle consomme environ 160 tonnes par jour ». Francis fait partie des 3300 Savoyards prisonniers de guerre, recensés en 1942, qui vont cruellement manquer à l’économie de notre région au même titre que les 4500 Hauts-Savoyards. Le gouvernement de Vichy va développer une propagande appuyée en faveur des prisonniers qui, par ailleurs, sont l’objet de bien des marchandages avec le pouvoir hitlérien. Sur le site en ligne des Archives départementales de la Savoie on apprend qu’une « maison du prisonnier est créée à Chambéry », et que « les secours s’organisent par l’intermédiaire de collectes de vêtements chauds et de livres » mais aussi par « l’envoi de colis collectifs plus faciles à distribuer ». Pour faciliter les contacts, outre la Croix rouge, une direction du service des prisonniers a été créée. Le Journal du Commerce permet de suivre la mise en place du Comité de la Croix rouge dans le canton d’Albens. La réunion constitutive du comité cantonal se déroule fin novembre 1941 à Albens (salle de la mairie), fin décembre de la même année, le comité cantonal est prêt à fonctionner.

La grande rue dans laquelle est situé le Comité de la Croix-Rouge (archive Kronos)
La grande rue dans laquelle est situé le Comité de la Croix-Rouge (archive Kronos)

Le même journal (21 décembre) en précise les modalités : « Dès que l’envoi des colis sera de nouveau autorisé, le magasin situé à côté de la mercerie Brunet sera ouvert tous les lundis. Le comité se chargera de la confection des colis, les familles pourront apporter les denrées et objets qu’elles désirent adresser à leur prisonnier. Pour compléter les colis, elles trouveront au magasin de la Croix-Rouge, à titre remboursable : biscuits de guerre, chocolat, conserves de viande, sardines, crème de gruyère, saucisson, sucre, savon, cigarettes ». Il ne nous est pas possible de vérifier si cette liste alimentaire était véritablement effective. On peut toutefois savoir, grâce à la lettre de Francis A., quels produits pouvaient être expédiés par sa famille et à quel point ils étaient attendus : « Je ne reçois pas vite vos colis pourtant nous n’avons pas trop à manger, deux soupes de un litre par jour très peu épaisse, 320 grammes de pain, il y en a à peu près gros comme le poing et 200 grammes de margarine par semaine. Dans vos colis vous pouvez mettre des haricots, farine, châtaignes, beurre, ce que vous pouvez trouver à manger, dans ce Kommando je peux le faire cuire, il y a du feu ». Dans toutes les communes on se préoccupe du sort des enfants du pays que le drame de la défaite retient prisonniers loin de leur famille.

À l'Hôtel de la Gare on pense aux prisonniers (archive privée)
À l’Hôtel de la Gare on pense aux prisonniers (archive privée)

Dès 1941, il n’y a pas un mariage à Cessens, Albens, Saint-Germain, La Biolle, Chanaz, Saint-Ours et ailleurs qui ne s’accompagne d’une souscription, d’une collecte ou d’une quête au profit de l’œuvre des prisonniers de guerre. On lit même, en décembre de la même année, dans le Journal du Commerce qu’à l’occasion de leur 37ème anniversaire de mariage « les propriétaires de l’Hôtel de la Gare… ont voulu communiquer un peu de ce bonheur fugitif à nos chers prisonniers » en organisant une collecte à leur intention. Les sommes récoltées sont le plus souvent de l’ordre de quelques centaines de francs mais elles peuvent atteindre des niveaux plus élevés lorsqu’il s’agit de dons (de 500 à 1 000 francs). Elles sont reversées le plus souvent à la Légion française des combattants qui organise localement l’aide aux prisonniers avant la mise en place du comité de la Croix-Rouge. On relève parfois des initiatives individuelles comme à Saint-Germain le don fait par un négociant en bois ou encore à Saint-Girod, le geste d’un ancien combattant de 14/18 qui « à l’occasion de la perception de son premier coupon de retraite a remis en mairie 25 francs pour les prisonniers ».

À partir des divers articles du Journal du Commerce, on prend conscience de la variété des acteurs de cet élan de solidarité. En juin 1942, ce sont les jeunes de la JAC et de la JACF qui organisent trois séances récréatives au Foyer Albanais (voir article sur le cinéma) dont la recette est destinée à la confection de colis pour les 28 prisonniers de guerre de la commune. Toujours au Foyer, c’est la Société Chorale d’Aix-les-Bains qui, suite à son gala de juin 1942, reverse les 800 francs de la soirée au profit des prisonniers. À Brison-Saint-Innocent, ce sont les boulistes qui s’organisent pour verser 50 francs aux familles de chacun des 9 prisonniers du village. Quant aux onze prisonniers de guerre de Saint-Germain, ils bénéficient de la générosité des anciens combattants. Les équipes de foot sont aussi de la partie en organisant des rencontres au profit des prisonniers. Ces actions de solidarité donnent parfois lieu à des situations étonnantes. C’est le cas pour les chasseurs de La Biolle qui, en novembre 1941 organisent une battue afin de vendre le gibier tué au profit des prisonniers. Hélas, ces jours là, point de gibier. La suite est relatée par le Journal du Commerce : « Les chasseurs de La Biolle ont jugé, à défaut de lièvres et de grives qu’ils pouvaient apporter tout de même une modeste contribution à cette œuvre. Une collecte faite parmi les disciples de St-Hubert de la commune rapporta 400 francs… ». Dans un autre article on mesure l’importance de la chasse et la valeur du gibier à propos de ce fait divers : « Un lièvre tué un jour où la chasse était interdite ayant été remis à la Société de chasse, celle-ci l’a mis aux enchères. Le lièvre a été adjugé 400 francs qui ont été reversés au profit de l’œuvre des Prisonniers de Guerre ».
Dans toute la zone dite « libre », la population a longtemps espéré le retour rapide des prisonniers, bercée en cela par l’espoir placé dans le gouvernement de Vichy. Mais tout au long de l’année 1942, cet espoir faiblit fortement. La synthèse des rapports des préfets (consultable en ligne) révèle dès janvier 1942 que « Les populations aspirent à ce que la paix revienne le plus tôt possible, ce qui hâterait le retour des prisonniers et la fin de leurs souffrances. L’opinion continue de souhaiter la défaite de l’Allemagne. Elle interprète les évènements qui se déroulent sur le front russe comme le premier signe d’un renversement de la situation en faveur des Alliés ». La famille de Francis A. est bien informée des souffrances qu’il endure par sa lettre de janvier 1942 : « la bronchite que j’ai eue m’a laissé un peu d’asthme, si vous pouvez voir le pharmacien et lui dire que j’ai la respiration assez pénible et sifflante surtout quand le temps veut changer, s’il pouvait vous donner quelque chose pour faire passer ces crises je serais bien heureux, ici je ne trouve absolument rien et il n’y a pas moyen de me faire réformer ». Son retour ainsi que celui des centaines de milliers d’autres semble s’éloigner avec le retour de Laval au pouvoir à Vichy en avril 1942. C’est la fin des illusions lorsqu’en juin, il annonce la Relève et souhaite la victoire de l’Allemagne. Cette nouvelle politique fait l’objet d’une intense propagande auprès des familles et des femmes.

« Ces lignes ont été écrites pour vous » affiche 1942 (collection privée)
« Ces lignes ont été écrites pour vous » affiche 1942 (collection privée)

La Relève consiste à envoyer en Allemagne trois ouvriers contre le rapatriement d’un prisonnier. Les volontaires sont très peu nombreux. Cette politique se durcit encore avec la création du STO (service du travail obligatoire) en 1943 puis avec l’occupation par les Allemands de la zone sud. Les réfractaires se multiplient dénotant, écrit Yves Bravard : « la tendance de l’opinion savoyarde à basculer plus nettement encore dans l’opposition au régime de Vichy ». Désormais, dans la presse, les prisonniers de guerre sont moins présents, non pas que les familles et la population les aient oubliés mais parce que à nouveau les malheurs de la guerre (bombardements, arrestations, persécutions) occupent le premier plan.

Les deuils et les ruines s'amoncellent en Savoie (collection privée)
Les deuils et les ruines s’amoncellent en Savoie (collection privée)

Les bombardements visent principalement les grandes villes et les centres industriels, les communications ferroviaires et les gares de Savoie et de Haute-Savoie. Ce sont les bombardements de Modane à l’automne 1943 qui vont plonger les populations urbaines de la Savoie dans la terreur aérienne. Le 16 septembre, 300 avions américains déversent sur Modane ville un tapis de bombes pour détruire les infrastructures ferroviaires. On dénombre 60 morts, 150 blessés et 300 maisons détruites. Le plus terrible pour la population sera l’attaque de Modane gare dans la nuit du 10 au 11 novembre. C’est la RAF qui intervient, détruisant en grandes parties les installations ferroviaires et faisant 8 victimes civiles. D’après des témoignages, certains habitants de Modane et de Lanslebourg seraient venus se réfugier dans l’Albanais.
En 1944, les mois de mai et juin, allaient être des moments terribles pour les civils. Le 10 mai, Annecy est bombardée une nouvelle fois, les Alliés détruisant une importante usine de roulements. Le 26 mai, c’est Chambéry qui se trouvent sous les bombes américaines.

Le lycée de Jeunes Filles partiellement détruit (collection privée)
Le lycée de Jeunes Filles partiellement détruit (collection privée)

Dans « Lumière au bout de la nuit », l’écrivain Henry Bordeaux décrit le bombardement : « De ma galerie je voyais venir les avions, comme des points blancs dans le soleil, mais je les entendais plus encore que je ne les voyais. Ils passaient par escadres de 40 ou 50. Malgré l’alerte j’espérais qu’ils traverseraient notre ciel sans arrêt… Puis, subitement, une série de bombes sur Chambéry, pendant près de dix minutes, et aussitôt des colonnes de fumée noire. Chambéry fut couverte d’un immense voile de deuil ». La ville est particulièrement touchée par le raid de 72 avions B24 qui en quelques minutes déverse 720 bombes. L’historien A. Palluel-Guillard donne les précisons chiffrées suivantes : « 120 morts immédiats, 300 blessés dont un tiers ne put survivre, 3000 sinistrés, un quart de la vieille ville anéanti par les bombes et les incendies ». Au Lycée de jeunes filles en partie détruit, on compte quatre personnes décédées : la sous- intendante, une maîtresse d’internat, la cuisinière et une de ses aides. Des personnes de passage comptent parmi les victimes comme nous l’apprend le Journal du Commerce : « M. C. Eugène, cultivateur, du hameau d’Orly (Albens), s’était rendu à Cognin. C’est à son retour, accompagné de son fils, en traversant Chambéry qu’il a été atteint par un éclat de bombe. Monsieur C, ancien combattant de la guerre de 1914-18, était très estimé ». Quant au nœud ferroviaire qui était la cible véritable, les dégâts sont importants mais pas à la hauteur de « l’investissement ». On trouve dans un article de « Rail Savoie » les précisions suivantes : « Les installations ainsi que les locomotives présentes sont fortement endommagées, surtout au niveau du dépôt. Sur 54 locomotives présentes, 24 électriques et 15 vapeurs sont détruites ».

La gare touchée (collection privée)
La gare touchée (collection privée)

« Durant tout le printemps, on dormit mal dans les villes de Savoie » écrit A. Palluel-Guillard dans « La Savoie de la Révolution à nos jours ». Dans la presse, les bonnes attitudes en cas d’alerte sont régulièrement rappelées. « En raison des graves évènements qui se sont produits à Chambéry et en Maurienne » lit-on dans un numéro du « Petit Savoyard » du mois de juin, « la population doit prendre diverses mesures : ouvrir les fenêtres et les portes intérieures des appartements…S’assurer que l’on a préalablement muni ses poches ou son sac à main d’un peu d’argent, de ses cartes d’alimentation et surtout pièces d’identité. Les valises (une par personne) doivent toujours être prêtes, car ce n’est pas au moment de l’alerte qu’il faut songer à les préparer… Tout ce qui précède étant fait, on peut gagner rapidement l’abri ou se disperser dans la campagne, mais en s’éloignant des voies ferrées et des routes nationales ».

Principaux bombardements - 1943/44
Principaux bombardements – 1943/44

Le bombardement de Saint-Michel le dimanche 4 juin, qui fit quatre victimes et 150 maisons détruites, compte parmi les derniers bombardements de la guerre en Savoie. La presse insiste sur le côté « sacrilège » de l’opération « au moment où se célébrait la cérémonie de Première Communion » mais précise que « le nombre des victimes est minime en raison des précautions prises par la population ».
Dans la foulée des débarquements de Normandie puis de Provence, les populations civiles se trouvent prises dans la furie des combats. Massacres perpétrés par l’occupant allemand aux abois, exécutions sommaires et vengeances qu’occasionne la guerre « Franco-française » allongent la liste du martyrologue des Savoyards. « Au total, en Savoie », peut-on lire dans Rail Savoie, « les combats et les bombardements coûtent la vie de 1632 personnes, 4070 personnes sont sinistrées suite aux incendies et 7200 suite aux bombardements des alliés ».
Fin 1945, quand l’heure des comptes démographiques sonne, un constat s’impose : à l’image du pays, la Savoie est certes un champ de ruines (destructions urbaines, communications détruites) mais sa population est entrée dans une phase dynamique qui parviendra à rapidement effacer ses pertes humaines à l’inverse de ce qui s’était passé après la terrible saignée de la Grande Guerre.

Jean-Louis Hebrard

Être jeune sous Vichy : chantiers et autres organismes

La politique du gouvernement de Vichy se caractérise par un intérêt tout particulier vis-à-vis de la jeunesse qui est soumise à une intense propagande visant à en faire le symbole de la France nouvelle. L’aspect le plus connu aujourd’hui reste la création des Chantiers de Jeunesse mais il ne faut pas oublier non plus la mobilisation des instances sportives. Pour cette jeunesse sous surveillance, il y a aussi le plaisir de pouvoir se retrouver dans les organisations catholiques créées avant la période de Vichy, comme la JAC (Jeunesse Agricole Catholique) et son pendant féminin la JACF. Nous allons voir, à partir des articles relevés dans le Journal du Commerce tous ces organismes à l’œuvre entre 1940 et 1942. Par la suite, la conjoncture politique et militaire devenant plus tendue nous sommes moins en mesure de suivre leurs actions auprès de la jeunesse.

Dans la France de l’époque, les jeunes sont fortement incités à faire du sport. C’est une tendance qui s’est mise en place dès les années 30 mais qui prend de l’importance après la défaite de 1940. Il faut préserver nos jeunes, affirme le pétainisme, « de ces causes de dégradation de leurs énergies » en leur insufflant « le goût de l’effort ». C’est la tâche qui est assignée dès sa création en juillet 1940 au Commissariat général à l’éducation générale et sportive avec à sa tête le célèbre joueur de tennis Jean Borotra. La « sportivisation de la société vichyste », comme l’écrit l’historien Christophe Pécout, dans « Le sport dans la France du gouvernement de Vichy » (consultable en ligne) se manifeste à travers l’importance accordée à l’obtention du brevet sportif. Le Journal du Commerce en 1941 consacre plusieurs articles aux épreuves qui se déroulent à Albens. Dès les mois de mai/juin on invite les jeunes à s’entraîner : « Tous les jeunes gens et jeunes filles du canton qui désirent passer les épreuves du Brevet sportif national sont priés d’assister aux séances d’entraînement qui ont lieu chaque semaine : mardi, jeudi et vendredi à 20h45 ». L’entraînement se déroule sur le terrain du champ de foire où les candidats sont pris en main par le moniteur de l’Union Sportive d’Albens.

Le champ de foire bien visible sur cette vue aérienne (archive privée)
Le champ de foire bien visible sur cette vue aérienne (archive privée)

Après deux mois d’entraînement soutenu, le temps des épreuves est venu : « Nous rappelons que dimanche 3 août à partir de 15h, se dérouleront sur le terrain du Champ de Foire les épreuves du brevet sportif national. Nous sommes persuadés qu’un nombreux public assistera à cette manifestation ». Ces épreuves donnent lieu à une véritable cérémonie officielle en présence des « autorités ». Sont présents, bien en place sur le champ de foire aménagé pour l’occasion, le maire d’Albens, le directeur des écoles, le vice-président de la légion. Sont aussi venus honorer « cette solennité sportive, Mme la Doctoresse, M. l’abbé, des membres de la municipalité, le chef de Brigade de Gendarmerie, le président de l’Union Sportive Albanaise », détaille le Journal du Commerce. À 15 heures, les quatre-vingt-six candidats « alignés sur le champ de foire … répondent à l’appel de leur nom. Puis, les couleurs sont hissées, pendant que retentit la sonnerie au drapeau ». Les épreuves terminées, vient le temps des remerciements officiels et du vin d’honneur puis celui du palmarès : « Sur 86 candidats présentés, 10 furent éliminés. Cette journée sportive laissera à tous un profond souvenir et un encouragement pour le développement physique des enfants… comme le veut le Maréchal Pétain ». Le sport est un devoir pour une jeunesse bien prise en main. Le gouvernement de Vichy décide souverainement ce qui est bon pour elle et ce qui ne l’est pas comme se sera le cas pour le foot. Nombreuses sont alors les rencontres organisées dans la région. Celles qui se déroulent à Albens, le dimanche 22 juin 1941 retiennent l’attention. Dans le Journal du Commerce est d’abord annoncée la rencontre qui opposera « l’Union Sportive d’Albens à l’équipe l’Espoir du Camp de Jeunesse de Rumilly ». La rencontre qui suit est plus étonnante puisque « pour la première fois un match féminin … opposera les Cyclamens de Rumilly aux Bleuets d’Annecy ». L’annonce se conclue par une appréciation bien dans l’air du temps parlant d’une « manifestation sportive qui ne manquera ni de charme ni d’intérêt ».
Il est à supposer que cette première rencontre dut être la dernière puisque le régime de Vichy allait interdire le foot féminin fin 1941.

Le groupe de la JACF d'Albens vers 1941 (archive privée)
Le groupe de la JACF d’Albens vers 1941 (archive privée)

Pour cette jeunesse qui vit alors sous le contrôle constant et étroit des adultes, il existe aussi les organismes de l’Action catholique qui proposent de nombreuses activités et occasions de s’investir. Depuis la fin des années 30, les organisations agricoles et ouvrières ont pris de l’importance dans tout l’Albanais. À Rumilly, on trouve la Jeunesse Ouvrière Catholique et dans les environs plus ruraux, la Jeunesse Agricole Catholique et son correspondant féminin la JACF. Voyez ces jeunes filles de la JACF locale qui posent en 1941 devant l’église d’Albens. Elles sont une trentaine portant la tenue des jacistes, béret noir, corsage blanc, jupe foncée, cravate avec l’insigne du mouvement. Bien au centre de la photographie, à l’arrière, on distingue le fanion. Adolescentes ou jeunes filles plus âgées, elles entourent une jeune femme en tenue de ville. Pourrait-il s’agir de Philomène Rogès, active formatrice du mouvement ? Serait-elle venue, à la demande de l’abbé Floret (à droite du cliché) pour guider le tout nouveau groupe jaciste d’Albens ?

L'insigne de la JACF (croix que traverse un épi)
L’insigne de la JACF (croix que traverse un épi)

C’est un engagement exigeant de la part de ces jeunes filles qui voient là une possibilité de rompre avec le cafard du dimanche après-midi mais surtout, en se formant collectivement, de pouvoir « s’affirmer » à travers d’innombrables activités, fêtes et actions. L’historien Christian Sorrel, dans son ouvrage « Les catholiques savoyards », rapporte cette très parlante remarque de Philomène Rogès : « Dans ce milieu clos qu’était le monde rural, ce fut une révolution ». On peut s’en persuader à la lecture de la devise des jacistes d’Albens : « Fières, Fortes, Joyeuses, Conquérantes ». En octobre 1941, un article du Journal du Commerce annonce qu’à « l’occasion de son entrée dans le mouvement national les groupes de jeunesse JAC et JACF organisent pour dimanche 26 octobre une grande fête ». Ce court texte est l’occasion de voir dans quel contexte va se dérouler cette « Fête de la Jeunesse » et comment les jeunes peuvent prendre certaines actions en main. Dans la première partie de la journée, l’Église et les autorités vont cordonner les cérémonies comme le précise le journal : « Dimanche à 9h45 place de L’Église, salut aux Couleurs, suivi à 10 heures de la messe des Paysans avec offrande des fruits de la terre ». On conserve quelques clichés donnant à voir la cérémonie au drapeau devant l’église ainsi que l’offrande des fruits de la terre. Sur l’un d’eux, quatre garçons de la JAC portent gaillardement sur leurs épaules un brancard sur lequel a été posée une charrue.

Célébration du monde paysan (archive privée)
Célébration du monde paysan (archive privée)

Pour le reste de la journée, les jeunes vont reprendre la main en organisant réunion et spectacle : « À 14h30 au Foyer une grande réunion rassemblera particulièrement la Jeunesse du Canton et des environs. Cette réunion sera constituée par une série de tableaux vivants des chants et des danses dans lesquels les Jacistes feront passer tout leur idéal et leur programme ». On voit là tout ce que ce mouvement apporte de nouveaux auprès d’une jeunesse rurale en lui donnant l’occasion de s’exprimer à travers des pièces de théâtre, des scénettes, des danses et des chants. Un cliché publié par l’historien Christian Sorrel dans son ouvrage nous montre « une danse jaciste à Massingy en 1942 ». Les jeunes s’inspirent aussi de brochures du type « Cent jeux pour les veillées » pour nourrir leurs animations. On y propose des jeux d’adresse, d’observation mais aussi des sujets de petites pièces à jouer comme Jeanne d’Arc et ses voix, Napoléon au pont d’Arcole, le serment des Horaces.
Cette jeunesse qui connaît un encadrement permanent dans ses loisirs comme dans la pratique du sport va devoir aussi répondre à l’appel obligatoire des chantiers de la jeunesse. Elle va y être soumise à un conditionnement orchestré par le gouvernement de Vichy comme on peut le lire dans un almanach de 1942 : « Les Chantiers sont devenus l’un des éléments essentiels de la Révolution Nationale en ce qu’ils insufflent à la Jeunesse de France l’esprit nouveau qui procurera le relèvement de la Patrie ». Une prise en main qui sera abordée dans un prochain article.

Jean-Louis Hebrard

Le dessèchement des marais d’Albens : engins et gros travaux

Lorsque le chantier de chômage a terminé son travail en 1942, ce sont deux grosses entreprises qui prennent la relève. Josette Reynaud, dans son article de la RGA précise : « Depuis cette époque le chômage a disparu, et l’œuvre a été continuée par la société SETAL avec deux pelles mécaniques ». Pourquoi cette géographe parle-t-elle de disparition du chômage en 1943 ? C’est sans doute à cause des changements politiques et militaires qui affectent alors la France. En effet, dès novembre 1942, la zone sud est occupée par les Allemands qui permettent à leurs alliés italiens d’étendre leur contrôle sur la partie alpine de Nantua à Avignon et Menton. Puis, en février 1943, c’est le STO (Service du Travail Obligatoire) qui ponctionne la main d’œuvre française au profit du Reich. Plus question d’employer les chômeurs pour les grands travaux de la zone sud. Le temps des entreprises et de leurs moyens mécaniques sonne alors.

Une pelle mécanique de l'entreprise SETAL (archive privée)
Une pelle mécanique de l’entreprise SETAL (archive privée)

Ce sont d’abord les pelles mécaniques de la société SETAL d’Agde qui entrent en action. Elles réalisent la régularisation et le creusement de la Deisse. Le cours d’eau va être calibré, son lit redressé (fini les obstacles et les méandres). Les berges sont relevées, leur sommet compacté pour supporter un chemin de circulation et faire fonction de digue.

Un ouvrier de l'entreprise SETAL pose devant la pelle mécanique (archive privée)
Un ouvrier de l’entreprise SETAL pose devant la pelle mécanique (archive privée)

On possède des clichés montrant les engins de la SETAL. Ce sont des pelles électriques qu’emploie l’entreprise. On distingue bien à l’arrière de la machine une sorte de pylône et de potence supportant sans doute le câble d’alimentation. Le godet de la machine et son bras sont dimensionnés pour pouvoir creuser en profondeur et remuer un gros cubage de terre et d’alluvions depuis la berge. Ces clichés pourraient avoir été réalisés durant l’hiver 1942/1943 au bord de la Deisse. Dans un couvert forestier qui n’a pas encore retrouvé son feuillage, un travailleur chaudement vêtu s’assure de la conformité du travail en vérifiant que la pente de la rivière suive bien la déclivité voulue (1 mm par mètre).
L’entreprise Léon Grosse d’Aix-les-Bains entreprend dans le même temps la réalisation d’ouvrages en béton.

Publicité des années 40 (archive privée)
Publicité des années 40 (archive privée)

On retrouve aux Archives départementales de la Savoie les plans des ouvrages qu’elle a conçus : d’une part les bassins de décantation, d’autre part les ponts. Tous ces ouvrages sont aujourd’hui visibles entre Albens et Braille. Leur structure en béton, leur taille rendent facile leur repérage. Parmi les trois bassins de décantation, celui d’Albens, installé à côté du terrain de foot est le plus grand. D’un volume de 150 m3 environ, placé au droit de la rupture de pente, il a pour fonction de retenir les matériaux arrachés par l’Albenche dans son cours supérieur. C’est en période de crue que l’on peut aujourd’hui se rendre compte de la fonctionnalité de l’ouvrage.

Le bassin d'Albens (cliché de l'auteur)
Le bassin d’Albens (cliché de l’auteur)

Deux autres bassins, plus petits, sont visibles, l’un sur le ruisseau de Gorsy entre Albens et Saint-Girod, l’autre sur le ruisseau de Pégis à Braille. Par leur action, ils contribuent à briser la force du courant quand les torrents sont en crue et à diminuer la charge alluviale arrivant dans la Deisse.
L’entreprise construit aussi une dizaine de ponts sur la rivière et ses affluents entre l’étang de Crosagny et le pont d’Orly en aval. Ces ponts participent alors à l’élaboration d’un réseau routier agricole, contribuant à la mise en culture des terres asséchées.

En direction de Crosagny (cliché de l’auteur)
En direction de Crosagny (cliché de l’auteur)

De nombreux essais ont été tentés dès 1942. Josette Reynaud en dresse l’inventaire dans son article : « Un premier essai de culture a été tenté par la SNCF qui proposa aux cultivateurs la cession gratuite des terrains pour quelque temps en échange de la mise en culture ; elle prend en charge le défonçage ; le feutrage végétal nécessite des labours de 60 cm de profondeur pour arriver aux bons terrains d’argile et calcaire ; en échange elle recueille les produits pendant trois ans. En 1943 la SNCF a occupé ainsi 30 hectares, et pour l’année suivante elle se propose d’en utiliser une centaine plantée en pommes de terre et cultures maraîchères pour le ravitaillement des employés. Déjà en 1942 le chantier rural avait tenté cette expérience sur 5 hectares, et si la première récolte avait été plutôt déficitaire, il n’en pas été de même de la seconde, surtout si l’on prend la précaution d’apporter de la chaux ».
À la Libération, il restait à réaliser le remembrement et la construction des chemins. Une fois ces travaux achevés, dans les années 1950, pas moins de 600 hectares seront rendus à la culture sur le bassin de la Deisse. Ainsi, les immenses marais qui rendaient autrefois le climat albanais malsain avec « ses brouillards si nuisibles aux cultures délicates, arbres fruitiers, vigne et même blé » ne seront plus qu’un mauvais souvenir.
Il faudra attendre la sortie du XXème siècle et la montée des préoccupations environnementales, pour que le regard porté sur les zones humides, devenues réserves de biodiversité, devienne positif.

Jean-Louis Hebrard

Kronos installe une nouvelle exposition au « Rendez-vous »

Après l’intérêt rencontré auprès du public par l’exposition consacrée à l’archéologie, c’est un nouveau thème qui est abordé par l’exposition « Albens, dix clichés des années 1900 ». Merci à Hervé qui met à disposition la grande salle de son restaurant le « Rendez-vous » à Albens. Visiteurs et clients pourront ainsi découvrir quelques grands moments de la vie d’autrefois : fanfare, procession, halte de militaires, vie de la gare… Une exposition dont l’inauguration aura lieu le 17 décembre à 17h.

En cours d'installation
En cours d’installation

Un stand Kronos au marché de Noël d’Albens

Encore une fois, l’association d’histoire Kronos présentait aux nombreux visiteurs du marché de Noël ses dernières publications. Bien installés dans la salle du jeu de boules, dans une ambiance chaleureuse, les membres de l’association ont échangé avec tous les curieux et amateurs du passé local. Ils en ont profité pour dévoiler les grandes lignes du prochain numéro de la revue et rappeler à tous ceux qui sont connectés leur site. Une belle journée.

Le stand Kronos (photo B Fleuret)
Le stand Kronos (photo B Fleuret)

À l’école : premier salut aux couleurs

Six mois déjà que le maréchal Pétain, à la tête de l’État français, dirige depuis Vichy la zone libre. Sa politique dite de la « Révolution nationale » cherche à susciter l’adhésion au régime de diverses composantes de la population, anciens combattants, travailleurs de la terre et bien sûr la jeunesse dont on va soigneusement contrôler l’éducation.

Illustration tirée de l'almanach de la « Légion des Combattants » (archive privée)
Illustration tirée de l’almanach de la « Légion des Combattants » (archive privée)

C’est ainsi qu’au début de l’année 1941, à Albens comme dans toute la zone libre, le salut aux couleurs devient une pratique régulière dans les écoles. Cette cérémonie « simple et touchante, » lit-on dans le Journal du Commerce du 15 février 1941, « s’est déroulée lundi dans la cour des écoles à l’occasion du premier salut aux couleurs ». Un photographe a saisi le moment des discours juste avant qu’un élève, au pied du mât, ne hisse le drapeau tricolore. Les grandes fenêtres des classes sont visibles au fond et dans la cour de récréation où se déroule la cérémonie, les arbres n’ont pas encore leurs feuilles.

Albens, la cérémonie du salut aux couleurs (archive privée)
Albens, la cérémonie du salut aux couleurs (archive privée)

Deux groupes occupent l’espace au premier plan : à gauche les scolaires avec leurs enseignants et à droite, derrière le porte-drapeau, disposés en rangs, têtes découvertes, les anciens du village avec les autorités. C’est ce que l’on peut lire dans le Journal du Commerce, où précise le rédacteur : « à l’heure de la classe du matin, tous les enfants avec leurs maîtres et maîtresses étaient rassemblés autour du mât ainsi que la municipalité et la Légion des Combattants ». Ce dernier apporte bien d’autres informations sur la cérémonie, notamment sur le message à l’adresse des élèves et sur le caractère solennel donné à ce premier lever des couleurs : « Le président de la Légion s’adressant aux enfants, dans une éloquente allocution dégagea le sens de cette manifestation et leur demanda de collaborer, par leur travail et leur discipline au relèvement de la France. Une sonnerie de clairons retentit et un élève hisse le drapeau au sommet du mât. À la demande du Président de la Légion une minute de silence est observée ».
Yves Bravard, dans un ouvrage sur « Les savoyards et Vichy » a publié un cliché d’une cérémonie semblable à l’école communale de Saint-Pierre d’Albigny.

Photographie publiée dans « L'histoire en Savoie » n°122
Photographie publiée dans « L’histoire en Savoie » n°122

La Légion des Combattants, création récente du régime de Vichy est avant tout pour le chef de l’État, une « courroie de transmission » destinée à diffuser son message et à faire appliquer sa doctrine. Surnommée par certains « les yeux et les oreilles du Maréchal », la légion va en être surtout « la bouche » dont l’action de propagande civique cherche à communiquer aux Français le « culte des valeurs nationales ». Le chef de la Légion des combattants d’Albens ne demande-t-il pas aux enfants de contribuer au relèvement de la France par leur travail assidu dans la plus grande discipline.
Un réseau serré de sections communales, d’unions départementales puis à partir de 1941 d’unions provinciales permet à la Légion d’être partout présente dans la zone libre. Elle rencontre souvent un écho immédiat écrit Yves Bravard dans son ouvrage, « particulièrement en Savoie, territoire convoité par l’ennemi italien et qui aspirait à participer à une renaissance morale dont on lui vendait les lendemains ». Elle va connaître un certain succès en 1940-41 sous la direction de Léon Costa de Beauregard avant que son évolution vers les horizons plus tragiques de la Milice n’amenuise ses effectifs.
Lors de fréquents rassemblements cantonaux, Costa de Beauregard rencontre les sections communales auprès desquelles il expose longuement le but de la Légion. C’est le cas le 4 mai 1941 lors de sa venue à Albens dont un article du Journal du Commerce nous donne un long compte rendu. Sur la place de l’Église ont été rassemblés la fanfare de La Biolle avec des éléments de la fanfare d’Albens que renforcent les clairons et les tambours des sapeurs-pompiers. Ils vont exécuter durant les cérémonies devant l’église puis au cimetière : les Allobroges, la Marseillaise et diverses sonneries. Près de 500 légionnaires des sections locales se massent aussi sur la place. Avec la population et les enfants des écoles, ils vont assister à l’arrivée de Costa de Beauregard vers 15h. La triple finalité de cette venue ressort bien de l’article de presse. C’est d’abord les honneurs rendus à un combattant de 1940 avec « la lecture de l’élogieuse citation et la remise de la médaille militaire et de la Croix de Guerre à un grand mutilé de guerre. » Puis, c’est le déplacement au cimetière avec dépôt d’une gerbe au monument aux morts où « après la minute de silence a lieu l’émouvante prestation de serment. » Enfin, écrit le journaliste « cette journée trouve son apothéose en même temps que sa signification la plus profonde dans la réunion qui a lieu salle du foyer où M. Costa de Beauregard expose le but de la Légion. Celui-ci le fait de façon paternelle et l’auditoire est conquis par sa simplicité et sa bonté. Son exposé fut vivement applaudi et lorsqu’il termine une ovation monta de toute la salle. La foule acclama le Maréchal, la Savoie et le Chef aimé de la Légion de Savoie. »

Le foyer où se tient la réunion en 1941 (archive Kronos)
Le foyer où se tient la réunion en 1941 (archive Kronos)

Comme l’écrit l’auteur de l’article « cette belle et réconfortante journée ne s’oubliera pas. » On peut supposer qu’elle avait surtout marqué les enfants des écoles. Dans le cas contraire, la Légion pourrait leur proposer des sujets de « devoirs patriotiques » en vue du concours qu’elle organisait alors auprès des écoles.

Jean-Louis Hebrard

L’énorme chantier du dessèchement des marais d’Albens

Lorsqu’aujourd’hui promeneurs et sportifs empruntent à la sortie d’Albens le parcours de santé et les chemins de la forêt domaniale de la Deisse, ils sont loin de savoir que ces aménagements ont été rendus possibles grâce aux travaux entrepris conjointement dès 1941 par l’État Français et un syndical intercommunal nouvellement créé.
Une construction conserve le souvenir de cette période : la « maison forestière » implantée au bord de la D1201 à la sortie d’Albens en direction de Saint-Félix. Rien n’attire particulièrement l’attention, si ce n’est qu’elle est isolée, à la bordure de la forêt des « Grandes Reisses ». La construction s’inspire du style des chalets de montagne avec son toit large et débordant, ses poutres travaillées et son balcon entouré d’une rambarde imposante. C’est de là que furent lancés en 1941 les grands travaux de dessèchement des marais d’Albens.

La « maison forestière » aujourd'hui
La « maison forestière » aujourd’hui

Dans une étude parue dans la Revue de Géographie Alpine en 1944 (consultable en ligne sur le site Persée), la géographe Josette Reynaud explique : « Il a fallu la guerre de 1940 et ses conséquences pour qu’on se tournât vers l’exécution de grands travaux[…] ils ont été entrepris en 1941 avec le chantier de chômage qui comprit jusqu’à 200 personnes ; c’est ce chantier qui a creusé la dérivation de l’Albenche et effectué le travail dans la zone au nord de Braille ».
Ces travaux sont à replacer dans le contexte interventionniste de la France de Vichy et de l’État Français qui lance alors plus de cent chantiers ruraux dans la Zone sud dont ceux des marais du bas Chablais, des digues de l’Arc et de l’Albanais. Un état qui légifère et par la loi du 16 février 1941 permet l’exécution des travaux en autorisant les communes à se substituer aux propriétaires pour l’assèchement des marais. Un syndicat intercommunal est créé regroupant six communes : Bloye, Rumilly, Saint-Félix, Albens, Saint-Girod et Mognard. L’État financera à hauteur de 60%, les 40% restants étant avancés par les communes.

Le périmètre du syndicat intercommunal (archive privée)
Le périmètre du syndicat intercommunal (archive privée)

À la fin du mois de février 1941, un article du Journal du Commerce avertit les propriétaires des marais qu’ils devront rapidement prendre les dispositions suivantes : « Les travaux d’assainissement des marais de la région d’Albens vont commencer incessamment, un plan sera affiché à la Mairie donnant toutes indications utiles. Les propriétaires dont les arbres seront abattus devront les débiter et les enlever du chantier dans les quinze jours suivant l’abatage, faute de quoi l’arbre deviendra la propriété du Syndicat intercommunal qui en disposera ». Les lecteurs sont en outre informés de l’ouverture en mairie d’un « Bureau du chantier » auprès duquel ils peuvent s’adresser pour « tous renseignements complémentaires ». Les différents propriétaires ne firent pas de difficultés, à l’exception, nous indique Josette Reynaud « de quelques habitants de Brison-Saint-Innocent qui possédaient des terres seulement pour en tirer de la blache ».
Le chantier d’Albens n’est pas le seul à s’ouvrir, en effet l’État français voit dans la politique de grands travaux le moyen de résorber le chômage. C’est ainsi que dès 1941, une centaine de chantier ruraux sont ouverts dans la Zone sud par le « Commissariat à la lutte contre le chômage ».

Cérémonie au drapeau (archive privée)
Cérémonie au drapeau (archive privée)

L’ouverture du chantier d’Albens s’effectue au mois d’avril 1941. Elle donne lieu à une très officielle cérémonie de présentation dont le Journal du Commerce donne le compte-rendu suivant : « Lundi matin a eu lieu au Chantier de l’assainissement des marais en présence de nombreuses personnalités la première cérémonie de la présentation du Chantier au pavillon national. M. Arlin, ingénieur, directeur du Chantier qui présidait la cérémonie expliqua le but de cette réunion. Puis le drapeau national fut hissé par M. Bouvier, croix de guerre 39-40. Un vin d’honneur offert par le Syndicat réunit ensuite les invités et le personnel du Chantier ».

Les ouvriers au travail dans le marais d'Albens (cliché P. Buffet)
Les ouvriers au travail dans le marais d’Albens (cliché P. Buffet)

M. Arlin qui dirige le chantier est un ingénieur sorti de l’Ecole Centrale des Arts et Manufactures. Il coordonne le travail des 200 travailleurs non qualifiés dont 175 manœuvres venus de toute la zone sud qui vont être employés au creusement de la Deisse, au recoupement de ses méandres, à la rectification générale de son cours. Ils vont aussi travailler dans le marais, divisé en une dizaine de zones dans lesquelles des collecteurs et des fossés vont être creusés transversalement à la pente. Sur une photographie on peut voir une de ces équipes travaillant avec des pelles et des scies pour couper la blache. Le directeur peut aussi compter sur l’appui de vingt-cinq spécialistes, de cinq chefs d’équipe auxquels se rajoutent cinq personnes pour la direction et le secrétariat.
Si la mise en activité de ce chantier donne lieu à quelques plaintes dont certaines pour vol, elle offre aussi de nombreuses opportunités comme la possibilité d’employer un ouvrier pour les travaux de l’agriculture. Le Journal du Commerce dans son édition du 27 avril détaille les conditions auxquelles une telle embauche est possible (durée de la journée de travail, prime de travail, rémunération des heures supplémentaires). Il est précisé que « l’ouvrier demandé sera détaché du chantier qui continuera à le conserver sur ses contrôles et à assurer les charges diverses[…] Les demandes écrites seront adressées au bureau du chantier rural à la Mairie d’Albens ou aux Mairies ».
Comment devait être logée cette masse de travailleurs ? Seules pour l’instant quelques lignes trouvées dans un article du Journal du Commerce permettent de s’en faire une idée. On y parle d’une « cité rurale » avec un « foyer » pour les travailleurs. Ces derniers peuvent se rassembler sur une place avec un mât pour la cérémonie des couleurs. Peut-être existe-t-il dans des archives familiales des documents sur cette cité rurale ? Dans ce cas leurs propriétaires, s’ils le souhaitent, peuvent nous contacter sur le site de Kronos. On ignore également tout de sa localisation.
Le 1er mai 1941, le chantier rural organise une importante cérémonie à l’occasion de la Fête du Travail au sujet de laquelle le Journal du Commerce consacre la semaine suivante un brève mais très informative description.
Ce texte permet en effet de se faire une idée du rôle que joue alors l’une des quatre fêtes majeures du pétainisme. Création du régime, elle s’intitule « Fête du Travail et de la Concorde nationale ». Avec le 14 juillet devenu « La cérémonie en l’honneur des Français morts pour la Patrie », le 11 novembre nommé « Cérémonie en l’honneur des morts de 14-18 et 1939-40 » et la fête des mères devenue « Journée des mères de familles françaises », la « Fête du Travail » contribue à la célébration tout au long de l’année du « Travail, Famille, Patrie », trilogie de l’État français.

À propos de la cérémonie organisée par le Chantier rural d’Albens le 1er mai, le correspondant du Journal du Commerce écrit « À 17h, le pavillon était hissé devant le personnel de Direction et les ouvriers formés en carré qui écoutèrent ensuite dans le foyer de la cité rurale à 17h30 le discours radiodiffusé du Maréchal Pétain. Après une vibrante Marseillaise la direction du chantier offrit au personnel un vin d’honneur ». On perçoit bien la manière dont cette fête contribue fortement au culte du « Maréchal » en ne négligeant aucun moyen de propagande (présence de la presse, écoute du discours de Pétain à la TSF, affiches, portrait du Maréchal).

Affiche de 1941 pour le 1er mai.
Cette fête est aussi le reflet de l’idéologie paternaliste et autoritaire du pétainisme comme le laisse transparaître la fin de l’article : « Généreusement, les ouvriers décidèrent d’offrir à M. le Commissaire à la lutte contre le chômage, pour être remis à l’œuvre de secours aux prisonniers de guerre, une partie de leur salaire de cette journée qui fut caractérisée par l’esprit de concorde, de camaraderie et d’entraide qui règne sur le chantier ». Dans la « cité rurale », on est loin désormais des années « Front populaire ». Vichy a réussi à faire du 1er Mai une fête maréchaliste. Le chantier rural va fonctionner jusqu’en 1942, date à laquelle de grandes entreprises prendront la relève pour exécuter de gros travaux. Ces années feront l’objet d’un prochain article.

Jean-Louis Hebrard

Les Allemands arrivent, 23/25 juin 1940

Dès le samedi 22 juin, on sait dans l’Albanais que la guerre est là toute proche. En effet, les Allemands ont atteint la rive droite du Rhône qu’ils vont franchir malgré une solide résistance de l’armée des Alpes et la destruction de la plupart des ponts. C’est aux environs de Culoz qu’ils parviennent à franchir le fleuve par le pont de La Loi qui n’a pas pu être détruit. Dimanche 23 juin, les armes parlent le long du lac du Bourget, à Brison et sur les hauteurs de l’Albanais à Cessens, la Chambotte, Saint-Germain puis Villette. Là, les Allemands se heurtent au renfort d’un régiment d’Annecy qui parvient à bloquer leur avance. Vers 19 heures, écrit le comte de Buffières dans son ouvrage « Les Allemands en Dauphiné et dans la Savoie » paru en 1942 : « l’artillerie allemande tire sur le village sur lequel pleuvent les balles. La maison Chenelaz reçoit près de cinquante obus et prend feu ». Aux alentours de 20 heures, le tir cesse mais les Allemands qui dénombrent des pertes ne vont reprendre leur progression que le lendemain, lundi 24 juin. Un journaliste du Petit Dauphinois, dans un article publié trois jours plus tard décrit longuement la lutte sur la route de la Chambotte : « elle se poursuivit toute la nuit de dimanche à lundi. Il était six heures lundi lorsque, venant de Saint-Germain, où la bataille avait été chaude, les ennemis arrivèrent à Albens. Ils tenaient à poursuivre leur avance dans deux directions : celle de Rumilly, où ils arrivèrent le lundi à 10 heures du matin, et celle de Saint-Félix où ils s’installèrent dans l’après-midi. Ainsi venaient-ils de passer de la Savoie à la Haute-Savoie ».

Carte extraite de l'ouvrage de Buffières
Carte extraite de l’ouvrage de Buffières

À l’entrée en vigueur de l’armistice, le mardi 25 juin à 1h35, l’avancée allemande se fixera sur la ligne Aix, Albens, Saint-Félix, Rumilly. Ce secteur de l’Albanais va vivre à l’heure allemande durant trois semaines.
Quand le lundi 24 juin, les habitants d’Albens qui s’étaient réfugiés la veille à Saint-Girod ou plus loin regagnent le village, ils découvrent la réalité de l’occupation allemande. Dans les rues, d’imposantes files de camions stationnent le long de la Grande rue. L’école a été réquisitionnée, soldats et officiers en ont fait leur cantonnement.

Dans la rue centrale d'Albens (archive privée)
Dans la rue centrale d’Albens (archive privée)

Le journaliste du Petit Dauphinois, Maurice Bonnard, décrit une armée allemande qui est partout chez elle : « lorsque nous arrivons à Albens, les cafés retentissent de chants : ce sont les soldats allemands qui chantent en chœur. Chez notre dépositaire l’un d’eux a toutes les peines du monde à faire comprendre ce qu’il est venu chercher : du beurre pour faire une tartine. On n’a que la ressource de l’envoyer chez l’épicier d’en face. Et les habitants d’Albens nous répètent les paroles que leur dirent les ennemis à leur arrivée : à la Chambotte, combat très dur ».
Une mesure monétaire prise par la « Kommandantur » d’Albens préfigure le pillage économique que notre pays connaîtra durant toute la guerre. Le lieutenant Kulman, commandant de la place, fixe par un avis à la population le cours du mark à 20 francs français.

Un mark vaut 20 francs (archive privée)
Un mark vaut 20 francs (archive privée)

Pour le soldat allemand les prix des denrées alimentaires fondent magiquement. Le kilo de beurre à 160 francs ne coutera plus que 8 marks, et pour le kilo de bœuf à 120 francs il ne sortira de sa bourse que 6 petits marks. Comme toujours, c’est le vaincu qui fait les frais de l’opération.
La population va également devoir s’habituer à voir la troupe défiler quotidiennement comme on peut s’en rendre compte sur ce cliché conservé dans des archives familiales.

Dans les rues d'Albens en juin 1940 (archive privée)
Dans les rues d’Albens en juin 1940 (archive privée)

En rang par trois, menée par un sous-officier, toute une section avance dans la Grand rue en direction d’Aix-les-Bains. Sur un autre cliché, c’est une section en tenue de travail qui se dirige vers la cantine. Ce rythme de vie à l’heure allemande va durer jusqu’au 15 juillet, date à laquelle l’armée d’occupation quittera la région qui relève désormais de la Zone libre sous le gouvernement de Vichy.
Il reste alors le poids de l’effondrement qui pèse et pèsera sur tout le pays avec le sentiment qu’il ne faut pas se laisser aller au désespoir.
C’est ce sentiment que retranscrit le journaliste du Petit Dauphinois dans la conclusion de son article « Dans tous les pays que nous traversons, l’attitude des habitants apparaît la même : résignée, mais digne. On se tait, en serrant les poings et l’on regarde en face les éléments d’occupation. Seulement, quand on sent les larmes venir aux yeux, on se détourne ».

Jean-Louis Hébrard

Tenir un poste de guet en 1940 à Albens

Ils furent onze à poser par une journée du mois de juin 1940 dans la cour d’une ferme à La Rippe. Grâce à ce petit cliché en noir et blanc, légendé au bas de la photo, sorti d’archives familiales, nous voici projetés au cœur d’un moment tragique de notre histoire, celui du désastre militaire de la bataille de France.
Dix hommes et une femme se sont installés sur les hauteurs d’Albens autour d’une table encombrée de matériel et de bouteilles. Il fait beau, le temps est ensoleillé, le ciel dégagé, facilitant les observations à la jumelle dont deux exemplaires ont été mis en évidence sur la table. Le groupe ne compte pas les oiseaux migrateurs mais s’intéresse plutôt aux avions. Leurs silhouettes placées sur un tableau devant la table confirment la mission de ce poste de guet. Ce groupe d’habitants d’Albens s’occupe d’identifier des appareils ennemis, allemands mais aussi italiens depuis que notre voisin transalpin est entré en guerre contre nous le 10 juin.

Poste de guet – La Rippe (collection particulière)
Poste de guet – La Rippe (collection particulière)

Un téléphone bien en vue au centre de la table laisse à penser que les guetteurs peuvent contacter les autorités et communiquer leurs observations. Deux rouleaux de câble téléphonique sont visibles à côté du tableau d’identification des avions.
On ne sait rien des membres qui constituent ce groupe de veille aérienne. Coiffés d’un béret ou d’une casquette, portant une chemise sous un gilet ou un tricot de laine, la majorité des hommes appartient au monde des travailleurs paysans et ouvriers. L’un d’eux est venu avec son chien bien installé sur ses genoux. Seules quatre personnes, une femme et trois hommes, à droite du cliché, tranchent sur le reste du groupe par leurs tenues plus « citadines ». Le groupe paraît être installé à l’entrée d’une ferme dont la cour est pavée de cailloux. On distingue à gauche la porte d’une remise et au fond diverses entrées.
Très probablement, c’est la peur des bombardements aériens qui les a rassemblés autour de ce poste de guet. Tous connaissent les aspects redoutables des attaques aériennes pour avoir suivi les actualités cinématographiques diffusées par le Foyer Albanais. Ils doivent bien se souvenir du terrible bombardement de Guernica en Navarre durant la guerre d’Espagne. Les actualités de l’automne 1939 ont aussi livré leurs lots d’images sur la redoutable efficacité de la Luftwaffe durant l’attaque de la Pologne. En ce début du mois de juin 1940 ils connaissent aussi le sort tragique des civils mitraillés sur les routes de « l’Exode ». Depuis que le front du nord a cédé, que la Wehrmacht est entrée dans Paris, que le gouvernement français s’est replié sur Bordeaux, les combats se rapprochent de la Savoie et de l’Albanais. Aussi est-il indispensable de guetter le danger venant du ciel avant qu’il ne se rapproche et qu’on se batte à Chambotte et sur les rives du lac du Bourget.
Dès 1939, le gouvernement a informé la population du danger aérien et l’a préparé aux mesures de défense passive.

Brochure scolaire de 1939 (collection particulière)
Brochure scolaire de 1939 (collection particulière)

Sous le titre « Alerte aux avions », un manuel à destination des écoles détaille les mesures à prendre et les comportements à adopter lors d’attaques aériennes. Douze heures d’enseignement ont été mises au programme des classes du certificat d’études primaires. La vulnérabilité de la France aux attaques aériennes est illustrée par une carte. Tous peuvent constater qu’aucune région de notre territoire ne se trouve à l’abri. Le manuel détaille longuement les données techniques de l’aviation (vitesse dépassant 600km/h, capacité à atteindre des altitudes élevées) puis aborde la puissance des bombes explosives ou incendiaires sans oublier le poids de certains monstres de 1000 à 2000 kg.
Les moyens de se mettre à couvert de ces bombardements sont longuement développés. De nombreuses pages illustrées de dessins précis cherchent à faire acquérir les bons comportements : extinction des lumières, protection des fenêtres, aménagement des greniers et des caves, bonnes attitudes au moment de l’alerte… D’autres détaillent la réalisation et l’organisation des abris.

Brochure scolaire 1939 (collection particulière).
Brochure scolaire 1939 (collection particulière).

Une double illustration donne à voir le fonctionnement d’une tranchée couverte et l’intérieur d’un abri.

Chambéry bombardée (collection particulière)
Chambéry bombardée (collection particulière)

Dans l’Albanais, se furent les caves que l’on envisagea de mettre à contribution. Il faudra attendre les années 1943 et 1944 pour connaître réellement des attaques aériennes massives lors des bombardements d’Annecy, de Modane et de Chambéry.

Jean-Louis Hebrard

Brèves agricoles de l’entre-deux-guerres

Les colonnes du Journal du Commerce et de l’Agriculture de Rumilly regorgent dans ces années-là d’une multitude d’informations brièvement annoncées permettant au lecteur d’aujourd’hui de retrouver les échos d’une vie agricole pleine de surprises.
Durant vingt ans, au fil des pages, ont été publiés le cours d’une paire de bœufs dans les foires villageoises mais aussi une présentation de l’engrais « Magic Tabac » comme celle de la race de poule « Faverolles » primée au concours agricole d’Albens. Partons à la découverte de quelques unes de ces « petites fenêtres » ouvertes sur la vie rurale d’alors.
La fréquentation des foires aux bestiaux, les échanges qui s’y effectuent, les cours qui s’y pratiquent sont rapportés mensuellement : « Favorisée par le temps, la foire de février qui s’est tenue vendredi avait attiré une très grosse affluence de visiteurs. Le bétail particulièrement nombreux emplissait le vaste champ de foire, et nous avons noté un chiffre de paires de bœufs rarement égalé. Les cours sont demeurés stationnaires et les transactions ont été assez actives, » peut-on lire en 1937 au sujet de cette foire à Albens.
Une information similaire est donnée pour la foire de mars de La Biolle où l’on note aussi parmi le bétail « un grand nombre de paires de bœufs » mais aussi de vaches.

Attelage dans les années 30 (collection famille Picon et Kronos)
Attelage dans les années 30 (collection famille Picon et Kronos)

La foire demeure alors un lieu d’échanges très actif comme on le constate pour celle qui se tient en février 1924 à Albens et qui « avait rassemblé un lot imposant de beau bétail ; les forains étaient nombreux et ont fait des affaires. Par contre, les agriculteurs demandent le fort prix pour le bétail ; les marchands sont tenaces et la foire a duré jusque dans l’après midi ; douze wagons de bestiaux ont été expédiés sur les centres : Lyon et Paris ».
D’après l’étude de Josette Reynaud « L’Albanais (Savoie) – étude économique » parue en 1944 dans la Revue de Géographie Alpine, on comprend le pourquoi de cette domination des bovins dans l’élevage local. La préoccupation principale écrit-elle « est le lait, les vaches laitières forment les 76% du troupeau de gros bétail ; à côté les bœufs au nombre de 442 n’en représentent que les 6% ». Puis elle précise à propos de la vache qu’elle « est devenue l’un des pivots de l’agriculture albanaise ; c’est désormais elle qui est le gagne-pain le plus assuré du cultivateur, qui fournit le rendement le plus stable ».
Les vaches, très souvent de race tarine, sont particulièrement prisées comme en 1928 où durant la foire d’Albens, « le prix des vaches laitières a marqué une légère hausse ». C’est un fait divers qui nous permet d’avoir une indication plus chiffrée. En 1924, le Journal du Commerce rapporte le vol qui a eu lieu dans une ferme à Saint-Ours : « Mme Jeanne C, ménagère, âgée de 55 ans, qui avait quitté son domicile vers 13h30, constate, à son retour, vers 18 heures, que les couvertures et le matelas de son lit avaient été déplacés. Elle s’empressa de retirer de dessous l’oreiller une somme de 1760 francs qu’elle y avait placée. De cette somme, qui provenait de la vente d’une vache, il ne restait que 760 francs ; les 1000 francs de billets en liasse avaient disparu… La gendarmerie enquête ». Josette Reynaud dans son article nous apprend que « chaque vache donne environ 2000 litres de lait par an ». C’est cette production de lait, acheminée quotidiennement vers les nombreuses fruitières locales qui engendre quelques faits divers savoureux, soigneusement rapportés par la presse locale.

« Chaque soir à l'intersection de la route… » Cliché collection Kronos
« Chaque soir à l’intersection de la route… » Cliché collection Kronos

« Chaque soir à l’intersection de la route… » Cliché collection Kronos

En 1929, ce sont des cultivateurs bavards qui « encombrent » par leur présence le carrefour d’Albens : « nous tenons à signaler que chaque soir à l’intersection de la route de Rumilly, Saint-Félix et La Chambotte, les cultivateurs venant de livrer le lait tiennent des conciliabules obstruant complètement la route. Les autos sont obligées de s’arrêter pour attendre que les porteurs de brandes veuillent bien les laisser passer ». On découvre parfois des informations plus poignantes. Ainsi en 1928 pour cette fraude au mouillage du lait : « B.M, femme I, avait mis de l’eau dans le lait qu’elle vendait et ce à raison de 26%. Au tribunal, la prévenue invoque la misère. Elle reconnaît le délit mais déclare avoir mis de l’eau dans le lait pour subvenir aux besoins de son ménage. Elle est condamnée à 15 jours de prison avec sursis, à 100 francs d’amende ». C’est sans doute pour fuir une telle situation qu’à Saint-Offenge, la même année, que « la dame B.F, qui portait du lait à la fruitière de Saint-Offenge-Dessus, aperçut l’inspecteur des fraudes ; à ce moment elle fit un faux pas, tomba et tout son lait fut versé, sauf une petite partie qui, examinée, fut reconnue suspecte ». Sa chute ne fut pas vaine, « inculpée d’entrave à l’exercice des fonctions du contrôleur, mais prétendant pour sa défense que sa chute est purement accidentelle, le tribunal ne pouvant établir la chose d’une façon certaine, la fait bénéficier du doute ».
À partir de ces faits divers, on voit à quel point, comme l’explique Josette Reynaud, « le lait est devenu pour le paysan une ressource sûre, qui n’est pas sujette aux crises, et c’est pour cette raison et parce qu’il demande moins de main d’œuvre que les céréales et surtout le tabac » qu’il est alors « l’un des pivots de l’agriculture albanaise ».
Le tabac fait aussi l’objet de multiples brèves dans le Journal du Commerce. La plupart concernent les contrôles, le fonctionnement du syndicat des planteurs de tabac, la désignation d’experts ou les déclarations de tabac en mairie. Des dates sont fixées, les planteurs « sont prévenus qu’il ne sera pas reçu de déclarations tardives ».

Le char du Tabac en 1946, Fête de la Terre à Albens (archive Kronos)
Le char du Tabac en 1946, Fête de la Terre à Albens (archive Kronos)

C’est pour cette culture que l’on voit arriver « la chimie » dans les pratiques agricoles. Sous le titre « Syndicat des Planteurs de Tabac des cantons d’Albens et de Grésy-sur-Aix », un article de 1923 nous apprend que les « expériences faites l’an dernier par plusieurs planteurs à l’aide de l’engrais complet, « Magic Tabac », ont donné des résultats assez satisfaisants malgré la très grande sécheresse qui a considérablement gêné l’assimilation des corps entrant dans la composition de cet engrais ». On découvre aussi que « les délégués de la Fédération, après avoir entendu un exposé de la question fait par Madame Meyer, directrice de la maison « Magic », ont décidé qu’il y aurait lieu de recommander aux planteurs l’emploi de ce produit ». Le conditionnement en sacs de 20 ou 50kg n’est que faiblement majoré. Des offres de livraison en gare du domicile sont faites pour inciter à passer commande.
Si nous ne sommes pas encore dans le monde de « l’agro-industrie », nous voyons déjà apparaître la notion de nuisances et de salubrité publique sur laquelle insiste cette brève de 1924 : « Il est rappelé qu’aux termes d’un arrêté municipal, l’épandage du contenu des fosses d’aisances et des purins est interdit dans l’agglomération pendant les mois d’été de 5 heures à 22 heures, à moins de 100 mètres des habitations ».
Déjà, la notion de « troubles de voisinage » était à l’ordre du jour.

Jean-Louis Hebrard