En vous rendant à la bibliothèque, venez découvrir la nouvelle exposition « Albens 1900 : dix clichés retrouvés ». Des photographies surprenantes accompagnées de courts textes sur la vie du village il y a 120 ans. Des militaires stationnent devant l’église, une fanfare se met en marche, on processionne pour la Fête Dieu dans la Grand rue, femmes et hommes posent tranquillement dans le carrefour, à la gare, une énorme locomotive à vapeur s’apprête à partir.
L’exposition devrait être visible durant quelques mois. L’association remercie la commune d’Entrelacs pour son accueil.
L’association Kronos peut intervenir dans les écoles d’Entrelacs à la demande des enseignants. Ce fut le cas durant deux après-midi du lundi pour les classes de CE2, CM1 et CM2 de Fanny Tona, la directrice de l’Albanaise, et de ses collègues Véronique Perrel et Émilie Rotat.
C’est un des thèmes au programme d’histoire, la Grande Guerre, qui était abordé avec les classes. Une présentation d’objets des poilus (casques, décoration, gourde, masque à gaz, douille d’obus, lettres et journaux) retint d’abord l’attention des enfants qui réinvestirent ce qu’ils avaient préparé avec leurs professeurs.
La vie des hommes, des femmes et des enfants de l’Albanais fut ensuite présentée à travers un « power point » riche en exemples locaux telle la rédaction d’un élève de Saint-Félix décrivant la façon dont il avait vécu la mobilisation générale d’août 1914. L’association se félicite de l’intérêt que l’équipe éducative et les élèves portent à ces séances. Rendez-vous a été pris pour la rentrée prochaine.
Pour connaître les thèmes que l’association est en mesure de proposer, il suffit de nous contacter via le site www.kronos-albanais.org.
C’est dans les classes de CP et CE1 de M-F. Eynard et C. Moggi que l’association Kronos s’est rendue ces derniers jours pour faire ensemble de « l’histoire à reculons ». À partir de montages numériques, les élèves ont pu remonter le cours de l’histoire locale jusqu’au début du XXème siècle. Photographies et cartes postales étaient mises à contribution pour voir les transformations de la grande rue qui traverse Albens. Partant de l’axe très fréquenté que les élèves connaissent bien, nous sommes passés aux temps plus calmes des grands-parents avec peu de voitures jusqu’au carrefour des années 1920 qui servait de place pour le marché hebdomadaire.
Une seconde séance a été consacrée à l’histoire des écoles d’Albens sur la même période.
Il fut question du temps de l’écriture à l’encre, des porte-plumes et des buvards, du tableau noir et de la belle écriture mais aussi du célèbre certificat d’études primaires que l’on passait quand on quittait l’école à treize/quatorze ans. Une belle carte postale du photographe E. Reynaud montrant les écoles vers 1910 clôturait ce voyage dans les temps anciens.
À la demande des enseignants, l’association Kronos peut intervenir dans les classes sur des sujets variés (archéologie, château de Montfalcon, Napoléon, Grande guerre et Guerre 1939-1945, la vie autrefois…). Il suffit de nous contacter en se connectant sur notre site www.kronos-albanais.org et de prendre rendez-vous.
Le samedi 19 septembre, à l’occasion de l’édition 2020 des Journées européennes du patrimoine, l’association Kronos a proposé une visite de l’église d’Albens suivie le lendemain par une promenade dans le lit de l’Albenche. C’est une vingtaine de personnes qui malgré le contexte sanitaire ont répondu présentes pour découvrir l’histoire mouvementée de la construction de l’église. Elles ont aussi pu s’informer sur la réalisation des sculptures, vitraux et autres éléments de décor.
Dimanche 20 septembre, une quinzaine de personnes ont descendu l’Albenche. Depuis Pouilly jusqu’au pont sur la départementale 1201, les pieds dans l’eau mais la tête au sec, les participants ont découvert le rôle que joue et a joué la rivière dans l’histoire du village. Elle fut un danger avec de terribles crues dont il a fallu se protéger durant des siècles à l’aide de digues dont la dernière, plus solide, achevée en 1914, sert encore de protection au village.
Elle était aussi une source d’énergie recherchée ce qui explique l’installation de nombreux ateliers sur ses rives comme l’atelier Dhelens. Fut aussi évoqué la construction d’une réplique de la grotte de Lourdes vers 1935 ainsi que le rôle d’animation de la vie sociale avec les traces d’un lavoir à proximité du pont sur la départementale.
Pour les Journées Européennes du Patrimoine, les samedi 19 et dimanche 20 septembre Kronos vous invite à deux visites guidées et gratuites :
Samedi 19 septembre à 14h et à 15h15
Visite de l’église d’Albens, une vieille dame à découvrir Rendez-vous devant l’église
Dimanche 20 septembre à 14h et 15h15
Promenade dans l’Albenche et histoire du village Se munir de bottes et bâtons. Annulée si pluie. Rendez-vous aux jardins de l’Albenche.
Le photographe a saisi le moment où la grande statue de la Vierge à l’Enfant franchit le porche de l’église d’Albens. Nous sommes en 1946.
Toute la façade de l’église est décorée de branchages, le fronton barré d’un « Ave-Maria » en lettres majuscules, réalisé avec des fleurs soigneusement disposées. On voit au premier plan la remorque en forme de camionnette sur laquelle sera placée la grande statue blanche qui s’approche. Ce cliché et quelques autres nous plongent dans un évènement religieux appelé le « Grand Retour », c’est-à-dire la pérégrination de « Notre-Dame de Boulogne » à travers toute la France entre 1943 et 1946.
Pourquoi une « Vierge nautonière » c’est-à-dire assise sur une barque, très vénérée à Boulogne-sur-Mer, se retrouve-t-elle promenée dans toute la Savoie ? Pour quelle raison parle-t-on aussi à son sujet de « Grand Retour » ?
Tout commence au Moyen-âge lorsqu’une apparition de la Vierge Marie sur les rivages de Boulogne-sur-Mer donne naissance à un pèlerinage qui existe encore aujourd’hui. Une statue de la Vierge était alors vénérée par tous ceux et celles qui espéraient le retour d’un être cher, marin parti au large ou soldat expédié loin de chez lui par la fureur de la guerre. Durant la Seconde Guerre mondiale, quatre reproductions moulées de la Vierge nautonière furent envoyées à Lourdes. En 1943, l’Eglise catholique décida de faire circuler ces reproductions à travers la France selon quatre itinéraires remontant vers Boulogne-sur-Mer. L’un d’eux va parcourir les trois départements de l’Ain, de la Savoie et de la Haute-Savoie.
Venue du diocèse de Belley, la statue de Notre-Dame du Bon Retour va circuler dans les diocèses de Savoie du mois de mai au 15 août 1946 avant de gagner la Haute-Savoie.
De belle dimension, la statue pèse 160 kg. On la remarque de loin posée sur un chariot tiré d’une paroisse à l’autre par des hommes que suit une bonne partie de la population. La blanche silhouette, posée sur sa remorque, atteint deux mètres de haut. Elle est régulièrement repeinte afin de maintenir son aspect immaculé. Assise sur sa barque, la Vierge porte sur son bras gauche l’Enfant. Leurs couronnes sont dorées tout comme le cœur que tient dans sa main la Vierge et le globe entre les mains de l’Enfant.
L’arrivée de la statue dans la paroisse a été préparée depuis plusieurs semaines par le curé et les familles. Transportée jusqu’à la limite de la paroisse de La Biolle, le chariot portant la Vierge est pris en main par les fidèles d’Albens. Le curé fait chanter le « Salve Regina » et réciter des « Ave ». La foule grossit à mesure que l’on approche de l’église. La procession passe entre les maisons toutes décorées de fleurs, guirlandes, arches, branches de sapins, arbustes et drapeaux.
Arrivé devant l’église, on va déposer la statue sur une estrade fleurie à l’intérieur du chœur. Un immense « SALVE REGINA » inscrit sur une banderole traverse tout le fond de la nef. Des guirlandes tombent de la voute comme autant de vagues majestueuses. Elles entourent une belle étoile à cinq branches. Dans l’entrée, enfin, une autre banderole proclame en lettres majuscules « Chez nous soyez reine ». L’ensemble est à la hauteur de la ferveur mariale, de ce regain de foi que provoque le « Grand Retour ».
Louis Pérouas, dans un article intitulé « Le grand retour de Notre-Dame de Boulogne à travers la France (1943-1948) », décrit ce qui se passe alors : « À 21 heures débute le veillée mariale. L’église se remplit de plus en plus ; il y avait longtemps qu’on n’avait vu pareille foule venue aussi des paroisses voisines… Un prédicateur dirige la prière, faisant alterner les dizaines de chapelets, les cantiques, les invocations… À minuit commence la messe. Au moment de la communion, les assistants lisent à haute voix le texte de la consécration à Marie sur le feuillet distribué et le signent ; ils viendront le déposer dans la barque… y joignant une offrande ou un simple billet intime. Après la messe les missionnaires vont dormir. Mais la garde continue toute la nuit… À 8 heures, nouvelle messe… puis c’est l’adieu. Un cortège, plus nombreux que la veille, escorte la madone jusqu’aux limites de la commune où la statue est prise en charge par une autre paroisse ». Venue de La Biolle jusqu’à Albens, la statue reprendra sa route vers Saint-Félix puis vers d’autres paroisses du diocèse de Chambéry.
Après Chambéry, la statue parcourt le diocèse de Maurienne. La Chambre accueille le cortège le 4 et 5 juillet 1946. Puis c’est le tour de Saint-Jean-de-Maurienne pour atteindre enfin Modane en ruine le 15 juillet. Le passage dans la cité meurtrie est ainsi rapporté dans un article de la « Semaine Religieuse » du moment : « Dans ce tragique décor de ruines lamentables qui commencent à peine à se relever, cette visite prend un sens nouveau et poignant pour les trois milles sinistrés revenus s’installer dans les décombres ». Comme l’écrit l’historien Louis Perouas : « On peut dire qu’après 1945, le Grand Retour reste encore favorisé par le drame de la guerre ». Souvent, rajoute-t-il, « les anciens prisonniers, déportés, requis du STO se relaient, soit pour traîner le char, soit pour monter la garde d’honneur durant la nuit ». Quant aux familles dont un homme n’est pas encore rentré, demande peut être faite à Notre-Dame du Grand retour.
La statue passe ensuite en Tarentaise par le Perron-des-Encombres, un véritable tour de force car on emprunte un chemin muletier. La vallée des Belleville la reçoit ensuite avant qu’elle ne parvienne dans la cité d’Albertville. La jonction avec le diocèse voisin d’Annecy se fera le 15 août à Ugine où les évêques des deux diocèses assurent la passation. La vierge nautonière entame alors un long parcours en Haute-Savoie. Une histoire qui fera l’objet d’un autre article.
« Fabrique de chaussures à semelle bois, Cathiard Lux-Alba », c’est ainsi qu’est annoncée dans l’Annuaire officiel de la Savoie, édition 1942, l’existence de cette entreprise installée à Albens. Cette dernière va connaître une intense activité durant la guerre comme on peut l’apprendre par les quelques lignes que lui consacre Josette Reynaud dans un article publié par la « Revue de géographie alpine » en 1944, intitulé « L’Albanais (Savoie), étude économique ». Avant de présenter l’entreprise, l’auteur campe le contexte économique du moment : « il faut signaler l’extension de la production des galoches, ces deux dernières années, extension due au manque de cuir ». Elle dresse ensuite ce court tableau de la fabrique Lux-Alba : « Dans le même genre de travail, il existe à Albens une entreprise qui fait travailler, depuis 1941, quarante à cinquante femmes des Bauges, pour la fabrication des dessus de semelles de bois, exécutés en crochetant du raphia. Ces chaussures sont expédiées à Chambéry, Annecy, Grenoble, Lyon, Saint-Etienne et même Paris ».
L’entreprise est installée au cœur du village, dans le carrefour central, en face de l’hôtel de France et à proximité du « bornio » (fontaine édifiée en 1836) et du magasin Montillet. Elle figure sur de nombreux clichés photographiques et cartes postales réalisés dans les années 40 et début 50.
Sur ce cliché des éditions « La Cigogne », on distingue bien la devanture du magasin et l’enseigne qui surmonte la vitrine. L’intérêt de l’emplacement est évident, à proximité de tous les commerces de l’époque, en bordure de la place où se tient le marché hebdomadaire. Un autre cliché réalisé sans doute lors du passage de « Notre Dame de Boulogne » en 1946 permet de voir l’importance du bâtiment entièrement décoré et pavoisé pour l’occasion.
Sur l’enseigne on peut parfaitement lire « Chaussures Lux-Alba gros détail ». C’est une jeune femme d’environ vingt-cinq ans en 1941 qui est à l’origine de cette entreprise si caractéristique des années de guerre et de pénurie. Lucienne Cathiard, née au Noyer, a vécu par la suite à Paris avec des parents qui travaillaient dans le cuir pour son père et dans la couture pour sa mère. On peut supposer qu’elle a dû quitter la capitale au moment de la défaite de mai/juin 40 pour venir se réfugier en Savoie, probablement au Noyer. Forte des compétences acquises au contact du monde parisien de la mode, elle se lance dans la création et la confection de chaussures, basant son entreprise à Albens en 1941.
Cette année-là précipite la France et sa population dans l’univers de la pénurie. Une pénurie orchestrée par l’Allemagne nazie qui met durement en application les conditions de l’armistice de juin 1940.
Très vite, le ravitaillement de la population en chaussures fait l’objet d’une loi établissant un système de bons d’achat par la mairie, qui donnent droit, à partir du 5 janvier 1941, à l’attribution d’une paire par personne, sans périodicité précise. Sans rire, la propagande de l’époque annonce, par voie de presse, que « Le Maréchal a fait la demande d’un bon de chaussure ». Elle pousse le cynisme jusqu’à reproduire la fiche réglementaire. La population va devoir s’adapter à l’usage de chaussures dans lesquelles les matières nobles comme le cuir vont désormais être de plus en plus absentes. L’exposition « La chaussure 1941 » qui se tient au début de l’été voit l’explosion des modèles à semelle de bois, les seuls qui peuvent être achetés sans tickets (voir cet article). C’est dans cet environnement économique que les chaussures Lux-Alba voient le jour.
La production nécessite de savoir travailler matières végétales, bois pour la semelle et raphia pour le dessus de la chaussure. Il faut trouver et former des personnes qui vont ensuite travailler à façon chez elles.
Dans l’article de la Revue de géographie alpine publié, l’auteur précise que l’entreprise fait alors travailler de nombreuses femmes des Bauges, ce qui n’est pas pour surprendre puisque la fondatrice de l’entreprise en est originaire. Il devait y avoir aussi un certain savoir-faire local dans ce domaine. En effet, dans un ouvrage de Françoise Dantzer consacré à Bellecombe-en-Bauges, l’auteur rapporte que « pendant la dernière guerre, les femmes travaillaient le raphia ». Une photographie permet de voir un modèle de chausson produit par ces travailleuses.
Tout autour d’Albens, la fabrique Lux-Alba employait aussi une quarantaine de personnes du canton. « On se formait chez Albert Viviand à Pouilly » rapporte Roger Emonet. Avec le raphia fourni par l’entreprise nous apprenions à fabriquer la semelle « constituée par une tresse enroulée et cousue dans laquelle était incorporé un talon en bois ». Nous utilisions alors « des aiguilles fabriquées à partir de baleines de parapluies sciées ». Le dessus de la chaussure était aussi réalisé en raphia travaillé au crochet. On fabriquait aussi des lacets, des pompons, des bordures tout comme des renforts pour les semelles.
Les modèles produits par Lux-Alba étaient très variés. Nous connaissons pour le moment trois sortes de chaussures fabriquées à Albens : un modèle de type galoche, des mocassins et enfin des bottines fourrées. La paire de mocassins est présentée dans une des vitrines de l’Espace patrimoine à Albens. De pointure 38, elle offre un chaussant très confortable qui surprend encore aujourd’hui. Les bottines sont également magnifiques avec une doublure fourrée en peau de lapin. Il est facile de comprendre que Lux-Alba ait pu vendre sa production dans de nombreuses villes de la zone sud et même jusqu’à Paris.
En dehors de ces modèles, l’entreprise a pu produire des sandales pour l’été ainsi que de petits sacs à main en raphia.
Après la Libération, la pénurie de matières premières ne disparaît pas immédiatement. De ce fait, l’entreprise continue à fonctionner pendant quelques années. En 1946, Lucienne Cathiard figure bien dans le recensement de la commune avec la profession de « fabricant de chaussures ». On retrouve encore mention de l’entreprise en 1950 dans l’Annuaire officiel de la Savoie. Par la suite, avec l’entrée dans la société de consommation et l’arrivée d’une forme « d’abondance », la production de chaussures en bois et raphia décline, entraînant la disparition de l’entreprise. Aujourd’hui, même son souvenir s’est effacé des mémoires. Toutefois, dans le contexte écologique contemporain, ces chaussures entièrement naturelles ne pourraient-elles pas rencontrer un nouveau public ?
Le but de ce récit n’est pas de retracer avec des éléments connus et déjà utilisés par des savants aussi respectables que Jean Secret ou Zoltan Etienne Harsany, toutes les péripéties de l’existence de la Princesse d’Aix-les-Bains, Marie Lætitia de Solms-Bonaparte, qui a, au siècle dernier, donné à la cité thermale un incomparable éclat.
Il s’agira ici davantage de montrer, par un stratagème que l’auteur estime intéressant, qui était le Vicomte d’Albens, pseudonyme utilisé par la princesse pour signer quelques-uns de ses ouvrages.
Car, si la vocation de Kronos est de découvrir et de faire connaître le passé de l’Albanais, sa revue ne doit pas devenir un fourre-tout où le moindre prétexte suffirait pour y introduire n’importe quel pédantesque magma. La forme utilisée par l’auteur a obtenu sa préférence, car elle semble ajouter à l’aspect vivant et dynamique de la Société et de sa revue. Pour ce qui est de la qualité du résultat, seuls les fidèles lecteurs de Kronos, comme les nouveaux, en seront juges.
Les libertés prises par l’auteur quant à la création de cet écrit et les extrapolations nécessaires à l’harmonie du tout, respectent pleinement les données historiques précises fournies par les travaux sérieux de ses prédécesseurs.
Mémoires albanaises d’un illustre inconnu
En 1858, après bien des années passées à courir la muse et le jupon à travers toute l’Europe, nanti d’un confortable viatique, je fus rappelé au pays natal par l’annonce du décès paternel. Aîné de la famille, je me vis obligé de laisser là frasques et courtisanes pour rejoindre expressément le domaine familial où d’urgentes affaires nécessitaient ma présence.
Médiocre poète et solide épicurien, j’avais conservé une tendre affection pour la famille dont j’étais issu.
Bien qu’alarmé et inquiet, je ne me laissais, sur le chemin du retour, d’admirer la fraîcheur et la richesse de ma Savoie, et surtout la douceur vallonnée de l’Albanais aux monts couronnés d’épaisses forêts.
Les affaires m’occupèrent toute la fin du printemps et une partie de l’été. Puis, une fois que leur fastidieux bourdonnement se fût tu, le vide morne de la verte campagne ne me convint plus et il me fallut aller chercher quelque animation hors de là.
Aix-les-Bains n’était guère éloigné d’Albens que de quelques lieues, et par un beau matin je décidais de m’y rendre, ayant ouï dire qu’il s’y trouvait une société des plus brillantes.
Hors ça, un matin de quinze août sonnant, les cloches de la cité battant dru le fer d’un ciel délicieux, j’entrais d’un pas allègre dans les rues animées, lorsque je croisais un copieux cortège tout riant et chantant, chargé de roses blanches, qui fila devant moi, me laissant étonné.
– « Ventre bleu, me dis-je, le cimetière n’est point de ce côté ! Où courent donc ces braves gens ? »
Un bourgeois passant l’air point pressé, je fis donc la question.
– « Ah l’ami, répondit-il enchanté de ma curiosité, vous n’êtes point d’ici pour l’ignorer encore ! C’est aujourd’hui la sainte Marie, et le cortège s’en va porter à la princesse ces myriades de fleurs qu’il dépose à ses pieds. »
– « Princesse ? répondis-je incrédule, quelle princesse ? »
L’autre me dévisagea, surpris puis goguenard.
– « Venez donc vous asseoir dessous la tonnelle de cet estaminet, invita-t-il. Je m’en vais vous conter tout ce qu’il faut savoir. »
Et, devant deux absinthes, j’écoutai mon bavard.
– « Voici cinq ans déjà, en notre bonne ville, la petite-nièce de Napoléon est venue s’établir avec son frère, Lucien Napoléon et son enfant, Alexis. Petite-fille de Lucien Bonaparte, elle a fui une France où Louis Napoléon ne voulait plus d’elle : foncièrement libérale, elle intriguait contre la politique de ce cousin qui se refusait à la considérer comme de la famille.
En effet, elle est née en Irlande en 1831, à Waterford, d’un diplomate anglais, sir Thomas Wyse, et de Lætitia Bonaparte.
Élevée à Paris, dans les jupons de Madame Récamier, elle y a reçu une éducation des plus brillantes : Chateaubriand, qui lui a appris à lire, s’écriait d’elle « c’est une enfant de génie ! »
Lamartine, notre grand poète, lui a enseigné les vers, George Sand, la dame de Nohant, le roman ; Chopin et Rossini la musique ; Béranger la critique ; Pradier la sculpture ; Daumier la caricature ; Revillon le journalisme !
En 1848, elle a épousé un riche aristocrate wurtembourgeois, Frédéric de Solms.
L’insensé l’a délaissée pour les Amériques, où il est encore.
Dans son salon parisien, outre les célébrités susnommées, on trouvait Hugo, Lammenais, Nerval, Alexandre Dumas qui d’ailleurs vient souvent ici la voir, Eugène Sue, Sainte-Beuve… »
« L’exil l’a chassée chez nous, mais beaucoup l’on suivie ici, maintenant, ce n’est plus qu’hommes du monde, marquis, comtes, princesses !
Elle a fait construire un chalet, la première année (1853), puis un petit théâtre, la seconde (1854).
Tout ce monde y joue les pièces qu’elle écrit en « six jours pour les jouer le septième » ; ces pièces se nomment « Quand on n’aime plus trop on n’aime plus assez », ou bien encore « Aux pieds d’une femme ». Elle écrit des romans, des vers, dessine, sculpte et vient même de créer une revue « Les Matinées d’Aix » où s’exprimaient littérature, philosophie et potins.
Si elle trouve un malin plaisir à épater les bourgeois, le produit de ses œuvres ne s’en va pas moins aux pauvres, pour qui elle est une providence. Ce sont eux que vous venez de voir passer en cortège, lui offrir des gerbes immaculées et l’applaudir dans une liesse chaleureuse. Elle va faire déboucher quelques bonnes bouteilles et donner ce soir, à ses amies, une fête remarquable, en l’honneur de la sienne.
Ah ça, l’ami, la princesse est un grand bonheur pour notre bourgade, elle en fait le charme et la gloire.
Et n’allez pas croire qu’elle ait pour autant cessé la politique ! Elle ne reçoit pas moins que le Roi lui-même, Victor Emmanuel II, des ministres italiens, Garibaldi en personne, le prince de Polignac, et nombre de patriotes hongrois, italiens, irlandais… On mène ici grand train contre la politique annexionniste de la France. La princesse craint sans doute la colère de son impossible cousin, et soutient les vues adverses. »
Voyant que le brave homme entrait dans un domaine où je n’entendais goutte, je terminai d’un coup mon verre, le remerciant vivement et me retirait, intrigué, attiré par cette remarquable femme autant que soulé par le flux verbeux de mon interlocuteur et l’absinthe.
Après quelques pas méditatifs dans les rues assoupies de soleil, je résolus de prendre des dispositions pour la voir. Mon renom d’homme de lettres me serait sans doute de quelque utilité.
Au bout de quelques jours, je parvins à me faire introduire au Chalet.
Elle était seule, dans un déshabillé qui me fit frémir. Allongée dans une bergère, elle était petite, très belle, les yeux pervenche sous une brune coiffure où d’opulentes nattes s’enroulaient à la grecque en faisant ressortir la blanche pureté de son front.
Sous des sourcils arqués, ses cils longs et royaux voilaient l’azur de son regard qui me contemplait, souriant à demi. Son pied, plus petit que la main effilée, était replié sous elle et faisait ressortir la grâce d’une taille fine et d’un sein dont la pudeur ne s’était pas envolée. Elle me tendit sa main ferme, délicate et blanche et me demanda d’où je venais.
– « D’Albens », lui répondis-je, quelque peu troublé par la douceur de sa voix.
– « Ah ça ! Cher ami, répliqua-t-elle égayée, c’est de ce charmant village que j’ai tiré un pseudonyme pour quelques-uns de mes ouvrages ! »
Nous nous mîmes alors à converser sur l’écriture, elle me montra ses œuvres, me demandant mon opinion. Point de chef-d’œuvre, mais un fouillis de choses intéressantes et évocatrices.
Elle me montra également des articles, biographies, études, vers et même un poème héroïque, « La Dupinade », qu’Hugo n’avait pas dédaigné dédicacer ! Elle ne me cacha pas son admiration pour l’exilé de Guernesey.
Elle m’avoua également son goût pour les promenades sur le lac ou dans les environs, Tresserve, Saint-Innocent, Albens, Alby, à Hautecombe où elle tentait de retrouver l’inspiration du grand Lamartine.
Tout au long de la soirée, je ne pus qu’admirer cette nature délicate et sensitive, généreuse, bonne et loyale. Cependant, la coquette perçait parfois dessous, et ses sauts du coq-à-l’âne indiquaient une frivolité qui n’était pas pour me déplaire.
Belle comme un ange, elle devait provoquer de terribles passions pour ensuite s’en amuser cruellement. Moi-même, aussi blasé qu’un Valmont (1) ou un Dolmance (2), n’était pas à l’épreuve de ses gestes alanguis, de son regard bouleversant ni de la voix issue de ce corps ravissant.
L’heure avançait, je pris congé ; elle ne me retint pas.
Mon retour au domaine fut, comme ma nuit, enchanté de songes et de rêves délicieux.
Las, je ne devais plus la revoir. Appelé en Allemagne pour une publication de poèmes, je fus pris par un tourbillon qui m’éloigna pour longtemps d’Albens et d’Aix. Je n’y revins, exceptionnellement, qu’en 1902. Je sus seulement, de loin en loin, quelques nouvelles de la princesse Beauté, comme l’appelait Lammenais, nouvelles que je gravais dans ma mémoire avant de les transcrire ici même.
En 1859, le « Vicomte d’Albens » voyagea beaucoup, principalement en Italie. Après l’Annexion, en 1860, Napoléon III l’autorisa à revenir à Paris. Les intercessions de Sainte-Beuve en sa faveur avaient payé. Elle reviendra l’été à Aix. À Paris, elle rouvre salon, sous haute surveillance : Morny et Persigny l’avaient à l’œil. Rue des vignes, aux champs Elysées, elle reçoit De Boissy, Lefèbvre, Mérimée, Dupin… Cependant, incorrigible, elle ne tarde pas à se répandre en articles retentissants, en aventures et en frasques irritant l’autorité qui la réexila à Aix dès 1862. En 1863, elle y créera « Le Journal du chalet ». Au début de cette même année, son mari revient des Amériques, pour mourir à Turin, lui léguant toute sa fortune. Le 3 février suivant, elle épouse, à 32 ans, un homme connu à Turin en 1859, Urbain Rattazzi, ministre plénipotentiaire de Cavour. En 1864 et 65, Napoléon III l’expulse de France. Elle crée encore « Les Soirées d’Aix » ; puis voyage de Turin à Florence, faisant la joie de tous les salons, le sien même, dans cette dernière ville étant très couru. Ses extravagances sont au goût du jour. En 1871, lui naît une fille Isabelle Roma. Soutenant la cause de l’Italie, Marie Lætitia fonde la même année « Le Courrier de Florence », « Les Matinées Italiennes ». En 1873, c’est la « Cara Patria » qui voit le jour. Son mari, actif fondateur de l’unité nationale, décède peu après. En 1877, à 46 ans, elle épouse, en troisième noces, Don Louis de Rute (1844-1889), député au Cortes espagnol. Suivant son nouvel époux, elle fonde à Madrid un salon luxueux, éclatant, au large rayonnement intellectuel, puis en 1883, une revue « Les Matinées Espagnoles ». Mais elle ne reste jamais longtemps loin de France où elle met au monde, en 1885, à Trouville, une fille, Lola (Lætitia Dolores Isabella Marguerite).
L’enfant mourra trois ans plus tard, le 14 septembre 1888, à Aix-les-Bains, écrasée par un omnibus, rue de la Gare. Elle sera enterrée à Aix-les-Bains, où sa tombe existe toujours, ornée d’un buste sculpté par sa mère.
En 1889, Rute meurt. Nombre de ses amis ont également disparu. Seule, elle trouve encore la force d’écrire dans « La Revue Internationale », où elle exprime son libéralisme et sa foi dans un idéal de justice et de paix. En 1897, elle assiste, à La Haye, au premier congrès pour la paix.
Marie Lætitia Bonaparte de Solms-Rattazzi-Rute est morte à Paris en 1902, âgée de 71 ans, le 6 février. M’y étant trouvé, j’appris la nouvelle avec consternation. Ayant exigé d’être ensevelie à Aix-les-Bains, son corps y fut transféré le 8. Je le suivis, la tête pleine d’un certain jour de 1858. La cérémonie a eu lieu dans l’indifférence générale, par une triste, froide et maussade journée d’hiver.
Trente personnes à peine, desquelles j’étais, suivirent le corbillard. Quelques-unes d’entre elles y avaient déposé, avec émotion, des gerbes de roses blanches.
Elle repose toujours au côté de sa fille, celle qui a donné à Aix-les-Bains ses fastes disparus.
Les gens d’Albens ne sauront lui en vouloir de s’être érigée, à leur insu, Vicomte de leur pays.
Tranquillement endormie dans la poussière des siècles, la Princesse méritait bien l’humble hommage de ces lignes, et d’être connue d’eux à travers Kronos.
Gilles Moine
Article initialement paru dans Kronos N° 3, 1988
Ce poème de François Ponsard, dramaturge lyonnais, parut en 1858 dans les « Matinées d’Aix ».
Il révèle, outre la cour assidue que l’auteur faisait à la princesse, l’emprise que celle-ci exerçait sur ses sigisbées.
La ferme d’Albens
À Madame de Solms
Voyez cette blanche maison
Dont le toit sous les arbres fume,
Un jardin qui clôt un buisson
Des carrés où croît le légume
Un verger planté de pommiers
Dont les pommes tombent dans l’herbe
Une aire étroite où les fermiers
Battent en cadence la gerbe ;
Sous le jardin un ruisseau clair,
Où la laveuse qui se penche
Blanchit le linge qu’au grand air
Elle fait sécher sur la branche ;
Des champs de maïs chevelus
Que pendant l’hiver on égrène ;
Voilà tout : que faut-il de plus ?
Tout ce qu’enferme le domaine.
Ah ! Qu’il serait bon d’oublier
L’univers en cette chaumière ;
J’en voudrais être le fermier
si vous en étiez la fermière.
François Ponsard
1859
Notes annexes
(1) Valmont : héros cynique des « Liaisons dangereuses » de C. de Laclos (2) Dolmance : libertin dans « La Philosophie dans le boudoir » de Sade
– Le chalet de Marie de Solms existe toujours : on peut le voir au 6 de la rue Alfred Garrod, deuxième à gauche en montant depuis la gare l’Avenue Charles
de Gaulle.
– Son théâtre était à l’emplacement des actuels Hôtel International et Hôtel de la Cloche, rue Marie de Solms.
Bibliographie
– Jean Secret, « Madame de Solms-Rattazzi et groupe littéraire en Savoie sous le second empire »
– Zoltan Étienne Harsany, « Marie de Solms, femme de lettres »
– Les Matinées d’Aix
– divers ouvrages de la Princesse
Ces livres sont disponibles à la bibliothèque Lamartine d’Aix-les-Bains.
À la différence du département ou de la commune, collectivités territoriales dotées de la personnalité juridique, le canton est une circonscription purement administrative utilisée pour l’élection du Conseil Général mais dépourvue de la personnalité morale (1).
Créé par une loi du 22 décembre 1789, le canton a perdu, dans un passé récent, son caractère de subdivision judiciaire dans le ressort de laquelle s’exerçait la juridiction du Juge de Paix. S’il demeure, de nos jours, le cadre de certains services publics, il ne sert plus aux opérations du tirage au sort et ne connaît plus les joyeux défilés de conscrits couverts de cocardes, venus au chef-lieu pour passer le conseil de révision.
Il n’apparaît pas que l’attribution du canton de La Biolle à l’un ou l’autre des deux départements, créés en 1795 par la partition du département primitif du Mont-Blanc, ait soulevé autant de réactions qu’en 1860, où la constitution et l’affectation de ce même canton, devenu entre-temps canton d’Albens, provoque de vives critiques de la part des populations concernées mais plus encore de celles de l’administration et de la classe politique et judiciaire annéciennes.
Pour apprécier plus justement la valeur et la pertinence des arguments développés à cette occasion, il convient de rappeler préalablement les différents découpages administratifs que conçurent pour la Savoie, au cours des siècles, les pouvoirs centraux de Turin et de Paris.
Les découpages administratifs de la Savoie vus de Turin et de Paris
Le traité de Lyon, du 16 janvier 1601, qui contraint le Duc Charles Emmanuel Ier à céder à la France, la Bresse, le Bugey, le Valromey et le pays de Gex, donne au Duché de Savoie les limites dans lesquelles se trouve l’édit du 1er janvier 1723 par lequel Victor-Amédée II met fin au système médiéval des châtellenies et bailliages (2) et organise ses états en provinces. Chaque province constitue alors un corps moral indépendant, placé sous l’autorité d’un intendant qui relève directement du pouvoir central de Turin.
Ce découpage est déterminé, pour le Duché de Savoie, par des réalités historiques et géographiques. Il maintient la paroisse comme unité de base et les répartit en six provinces :
* La Savoie propre, chef-lieu : Chambéry
* La Maurienne, chef-lieu : Saint-Jean-de-Maurienne
* La Tarentaise, chef-lieu : Moûtiers
* Le Genevois, chef-lieu : Annecy
* Le Chablais, chef-lieu : Thonon
* Le Faucigny, chef-lieu : Bonneville
En 1780, la volonté de Victor-Amédée III de faire du petit village de Carouge un centre économique susceptible de concurrencer Genève, entraîne la création d’une septième province formée par la réunion aux paroisses des anciens bailliages de Ternier et de Gaillard, des paroisses prélevées essentiellement sur la province du Genevois.
Ce système administratif fonctionne jusqu’à l’entrée en Savoie des troupes françaises, le 22 septembre 1792. Tout le Duché est alors occupé et le 27 novembre 1792, la Convention ratifie le vœu émis par « l’Assemblée Nationale des Allobroges » et envoie quatre commissaires pour organiser le nouveau et quatre-vingt-quatrième département de la République qui prend le nom de département du Mont-Blanc, chef-lieu Chambéry, et qui est divisé en sept districts correspondant aux provinces de l’ancien duché.
À cette époque, Albens cesse de faire partie du Genevois pour entrer dans le district de Chambéry, canton de La Biolle avec les mêmes communes que de nos jours, plus Grésy-sur-Aix.
En 1798, la réunion de Genève à la France entraîne la création du nouveau département du Léman, chef-lieu Genève, qui englobe les districts de Bonneville et de Thonon et qui absorbe le pays de Gex ; Annecy demeurant dans le département du Mont-Blanc, chef-lieu Chambéry.
En 1814, après la défaite de Napoléon, la Savoie est pendant un temps coupée en deux, une partie étant maintenue à la France et le reste rendu au Roi de Sardaigne. Partition étrange, qui soulève le mécontentement « des patriotes savoyards » et qui ne résiste heureusement pas aux « Cents Jours ». En 1815, le traité de Paris rend la totalité de la Savoie au Roi de Sardaigne qui rétablit l’ancienne administration mais crée, par lettre patente du 16 janvier 1816, une nouvelle province sous la dénomination de Haute-Savoie, dont le chef-lieu est Conflans-l’Hôpital qui deviendra Albertville en 1835.
Le 16 décembre 1816, l’Albanais voit reconnaître son identité par la création éphémère d’une province de Rumilly qui inclura le mandement (3) de La Biolle jusqu’à sa suppression le 10 novembre 1818. Le mandement de La Biolle devient, à cette époque, le mandement d’Albens, agrandi pour la circonstance des communes d’Alby, Chainaz, Cusy, Les Frasses (alors commune à part entière), Héry-sur-Alby et Saint-Félix, et demeure rattaché à la province du Genevois, chef-lieu Annecy.
Considérant que la ville de Carouge et quelques communes environnantes ont été cédées à la Suisse, le gouvernement de Turin supprime cette province le 2 septembre 1837 et par le même édit rattache le mandement de Faverges à la province de Haute-Savoie (Albertville) et celui d’Albens à la province de Savoie propre (Chambéry) ; ces deux mandements continuant toutefois à ressortir, sur la plan judiciaire, du tribunal d’Annecy, appartenance que le gouvernement de Turin remettra en cause en 1859, peu de temps avant l’annexion.
Le 25 août 1842, une nouvelle retouche est apportée à l’organisation administrative des États sardes et les provinces telles qu’elles ont été établies par la loi du 22 septembre 1837 sont regroupées en deux grandes entités administratives appelées « divisions ». Les provinces de la Haute-Savoie, de la Maurienne, de la Tarentaise et de la Savoie propre forment la division de Chambéry alors que celle du Faucigny, du Chablais et du Genevois constituent la division d’Annecy. À ces divisions vont correspondre les deux nouveaux départements savoyards créés en 1860 par le pouvoir impérial. Le canton d’Albens se trouve alors rattaché dans l’intégralité de la composition que lui a donnée la loi sarde de 1818 au département dont le chef-lieu est Chambéry.
Cette affectation va ranimer d’anciennes controverses et entraîner, notamment de la part des autorités annéciennes, des critiques ; dont après plus d’un siècle l’examen rétrospectif ne manque pas d’intérêt.
Canton d’Albens, Savoie… ou Haute-Savoie ?
Dans un recours adressé le 19 décembre 1859 au Conseil des Ministres de Turin, pour le maintien des mandements d’Albens et de Faverges dans le ressort du tribunal d’Annecy, le Conseil Communal d’Annecy rappelle une fois encore :
« Que dès l’acquisition par Amédée VIII de l’ancien Comté du Genevois, Annecy a toujours été un centre administratif et judiciaire d’une haute importance puisque les princes de l’auguste Maison de Savoie y avaient établi un Conseil Présidial donc la juridiction et celle de la chambre des Comptes du Genevois s’étendait sur toute l’ancienne province de ce nom, sur le Faucigny et sur le mandement de Beaufort, qui formaient l’apanage des Ducs de Nemours (4). »
Cette appartenance des mandements d’Albens et de Faverges au ressort judiciaire d’Annecy est à nouveau invoquée dans une délibération du 25 avril 1860 (deux jours après le plébiscite) de la « Junte Municipale » d’Annecy formant un recours :
« Au sujet des deux départements à former dans la Savoie »
et qui dans le but :
« d’obtenir le rattachement des deux mandements en cause au département dont Annecy sera le chef-lieu… relève que leur disjonction sur le plan administratif a constamment donné lieu aux plaintes et réclamations des populations… dont les rapports commerciaux et industriels ont lieu naturellement avec la ville d’Annecy en raison de leur proximité et la facilité des communications. »
Recours sans succès immédiat puisque les 23 et 25 juin 1860 l’Empereur signe les textes qui créent les départements de Savoie, chef-lieu Chambéry et de Haute-Savoie, chef-lieu Annecy, et leur division en arrondissements et cantons mais qui, nous l’avons vu, n’apporte aucune modification dans la composition et l’affectation du canton d’Albens.
Le 30 juin 1860 intervention du Préfet, M. Levainville, qui s’il invoque encore l’intérêt des populations en cause, met surtout l’accent sur la disparité démographique, génératrice d’inégalités fiscales qu’entraînerait pour le département de la Haute-Savoie le maintien, à celui de la Savoie, des cantons d’Albens et de Faverges. Pour remédier à cette situation le Préfet suggère, notamment le rattachement du canton d’Albens au département de la Haute-Savoie après séparation des communes de La Biolle, Epersy et Saint-Germain qui, plus proche de Chambéry, seraient intégrées au canton d’Aix-Les-Bains et demeureraient ainsi dans le département de la Savoie.
Le séjour à Annecy de M. Levainville est de courte durée. Remplacé par M. Petetin, ce dernier adresse le 16 octobre 1860 une lettre au Procureur Général de Chambéry dans laquelle il signale, au passage, la déplorable organisation de ses services due au traité du 24 mars (Turin) qui fait que sur un personnel de 21
employés il n’y a que trois français y compris le Préfet. Il souligne également :
« Les exigences impitoyables des bureaux de Paris, qui nous prennent pour un vieux département de Bourgogne ou de Normandie »
et suggère :
« la restitution du canton d’Albens ou du moins des communes de ce canton qui ont leurs attractions naturelles, historiques, quotidiennes avec Annecy ; restitution qui permettrait, après prélèvement de communes sur le canton de Duingt la constitution du canton d’Alby. »
Après avoir précisé que faute d’obtenir satisfaction par la voie hiérarchique, il s’adressera directement à l’Empereur, M. Petetin conclut en demandant au Procureur d’agir sur son collègue, le Préfet de Chambéry, afin que ce dernier donnât son assentiment à la cession des communes d’Alby, Chainaz, Cusy, Les Frasses, Héry-sur-Alby et Saint-Félix.
Le Procureur Général a des principes. Si dans sa réponse, il donne son accord pour que du point de vue de la justice de Paix et de l’organisation toute proche de la Compagnie des Notaires, le problème des résidences cantonales soit résolu en rendant au canton de Duingt l’appellation de canton d’Annecy-Sud qu’il a porté durant le Premier Empire, il se garde bien de se prononcer et de s’engager sur la question purement administrative des communes à réunir au département de la Haute-Savoie.
Beaucoup plus logiquement, le Préfet d’Annecy s’adresse le 27 octobre 1860 au Ministre de l’Intérieur. S’appuyant sur les pétitions remises à l’Empereur lors de son voyage dans les nouveaux départements savoyards, il demande à nouveau que le canton d’Albens soit adjoint au département de la Haute-Savoie. Problème dont M. Petetin souligne « la grande gravité pour des raisons matérielles mais également pour des raisons morales », à savoir :
« Une rivalité séculaire qui existe entre Annecy et Chambéry, celle-ci ville de loisirs aristocratique et cléricale (souligné par le Préfet) l’autre active, industrielle, libérale. »
Après avoir signalé que la prédominance accordée, selon lui, à Chambéry :
« est blessante pour l’amour-propre annécien et a envenimé d’anciennes jalousies », le Préfet relève que : « ce qui a porté au plus haut point l’amertume des sentiments chagrins de la Haute-Savoie c’est de s’être vu arracher le canton d’Albens qui avait toujours appartenu à la province d’Annecy et qui en avait été un instant détaché par une « loi sarde restée très impopulaire » en Savoie ».
Mais qui est responsable de cette affectation considérée comme « une faute grave » ?
Pour le Préfet Petetin, ce sont :
« les hommes d’affaires de Chambéry qui tenaient à réunir autour de leurs cabinets les plus forts éléments de clientèle et en voyaient d’importants dans le riche canton d’Albens ».
Après avoir souligné à nouveau les inégalités démographiques et fiscales existantes entre les deux départements savoyards par suite du rattachement du canton d’Albens au département de la Savoie, le Préfet propose un compromis en observant :
« Que le canton d’Albens se trouve divisé par le Chéran, torrent encaissé sur la plus grande partie de son cours, que les habitants des deux rives sont obligés de venir traverser sur le pont d’Alby.
Quels que titres légitimes qu’Annecy ait dans le passé à se rattacher le canton d’Albens entier, il faut, avant tout, tenir compte des intérêts, des souhaits des populations locales. Or, il est vrai que si les communes situées à portée du pont d’Alby, et, par conséquent, près d’Annecy, ont manifesté le plus vif et le plus unanime désir d’être incorporées dans la Haute-Savoie (désir qu’un coup d’œil jeté sur la carte et sur l’échelle des distances explique suffisamment), il est certain que les autres communes du même canton n’ont pas montré autant d’ardeur pour cette modification et qu’elles n’ont pas de motifs aussi grands pour la solliciter. »
« Négligeant les questions d’amour-propre », M. Petetin propose alors au Ministre une transaction basée « sur les intérêts sérieux des populations », soit :
« Un canton serait formé à Alby et donné à la Haute-Savoie ; Albens resterait ainsi chef-lieu de canton en continuant d’appartenir au département de la Savoie. Canton qui serait formé des communes d’Albens, Ansigny, Cessens, Epersy, La Biolle, Mognard, Saint-Germain, Saint-Girod, Saint-Ours soit 6 411 habitants… Alors que le nouveau canton d’Alby serait formé des communes d’Alby, Chainaz, Cusy, Les Frasses , Héry-sur-Alby, Saint-Félix, prises au canton d’Albens, et celles d’Allèves, Balmont, Gruffy, Mûres, Saint-Sylvestre, Viuz, La Chiésaz prises sur le canton de Duingt soit au total pour le nouveau canton 7 893 habitants. »
Modifications qui, suivant les comptes du Préfet, porteraient la population du département de la Haute-Savoie à « 265 593 âmes, la Savoie en gardant encore 276 053. »
Argumentation pertinente ? Sans doute, puisque sur le rapport du Ministre de l’Intérieur, Napoléon III, par décret du 21 décembre 1860, suit toutes les suggestions du Préfet de la Haute-Savoie et crée le nouveau canton d’Alby rattaché au département de la Haute-Savoie, le canton d’Albens amputé des communes d’Alby, Chainaz, Cusy, Les Frasses, Héry-sur-Alby et Saint-Félix, demeurant au département de la Savoie.
Il est passé beaucoup d’eau sous les ponts du Chéran depuis ces péripéties dont on peut penser que, si en leur temps elles ont passionné le personnel administratif et les membres des professions judiciaires en raison d’intérêts légitimes mais non moins particuliers, elles ont par contre, entraîné une attention plus restreinte pour la majorité de nos grands-parents et arrière-grands-parents demeurés certainement plus sensibles à la réalité et à l’unité de destin « de la Terre Savoyarde ».
Félix Levet
Article initialement paru dans Kronos N° 3, 1988
Notes de l’auteur
(1) Personnalité juridique :
Qualité d’un « être » titulaire de droits et obligations et qui de ce fait, a un rôle dans l’activité juridique (ex : capacité pour agir en justice). Tous les êtres humains sont des personnes juridiques.
Personnalité morale :
Qualité d’un groupement de personnes ou de biens ayant la personnalité juridique et titulaire par conséquent de droits et d’obligations.
(2) Châtellenies et bailliages :
Circonscriptions administratives, judiciaires et militaires mises en place au Moyen-Âge par les Comtes de Savoie.
La Savoie comprenait, au XIVe siècle, 77 châtellenies réparties en 10 bailliages. Dans ce système, le châtelain n’était pas nécessairement possesseur d’un château, mais un officier astreint à résidence ; son autorité se superposait à celle des vassaux proprement dits et lui conférait la responsabilité, par délégation du Comte, de la garde d’un château ainsi que de l’administration et de l’application de la Justice dans tout le territoire qui en dépendait.
À un niveau supérieur, le bailliage regroupait un nombre précis de châtellenies et le bailli avait prééminence administrative, judiciaire et militaire sur les châtelains de son bailliage.
(3) Mandement :
Subdivision administrative sarde. L’Édit du 10 novembre 1818 précisait : « Le mandement comprend une ou plusieurs communes et forme un arrondissement de territoire tant sous le rapport judiciaire que sous le rapport militaire et financier. Chaque mandement a son propre juge et son propre percepteur des contributions et les communes qui composent le mandement concourent, d’une manière indivisible, à fournir un contingent à l’armée, d’après les formes établies par la loi de levée militaire. »
Le mandement correspondait assez sensiblement, du point de vue de l’étendue territoriale, au canton actuel.
(4) Apanage :
Portion du domaine que les souverains assignaient à leurs fils cadets ou à leurs frères et qui devait revenir à la couronne après extinction des descendants mâles dans la branche apanagée.
Le Duc de Savoie, Charles III, avait remis en apanage à son frère Philippe, le Genevois, le Faucigny et le Beaufortin. Le Roi de France, François Ier, donne au même Philippe le Duché de Nemours (origine de la branche Savoie-Nemours).
L’apanage devait revenir à la couronne de Savoie par le mariage de Marie Jeanne Baptiste de Savoie-Nemours, nièce du dernier Duc de Genevois-Nemours, avec le Duc de Savoie Charles Emmanuel II, en 1665.
Sources : Archives départementales de la Haute-Savoie – dossier IM9
Bibliographie :
Les sources régionales de la Savoie, sous la direction de Jean Cusenier – Fayard Éditeur
La Savoie de l’an mil à la Réforme, sous la direction de Jean-Pierre Leguay – Ouest France Université Édition
La Savoie de la Réforme à la Révolution Française, sous la direction de Jean-Pierre Leguay – Ouest France Université Édition
Le Conseil Général de la Haute-Savoie, Pierre Soudan – Les Savoisiennes Curandera Éditeur