Les années 50 inaugurent l’ère des gentils matraquages publicitaires. Ceux de La Pie qui Chante comptent parmi les plus aboutis. Les auditeurs sont abreuvés de la célèbre petite ritournelle « Y’a une pie dans l’poirier, j’entends la pie qui chante… ». Ces publicités assurent la notoriété d’une marque dont les bonbons sont partout en vente. Son animal emblématique fait référence au monde des fables que tous connaissent, école oblige. On retrouve l’oiseau sur les buvards de classe qui affirme « Plus maligne que Maître Corbeau, la Pie qui Chante garde ses bonbons pour les enfants sages ».
Sur les paquets très colorés, une sympathique pie, au bec largement ouvert, laisse échapper un chant mélodieux, avertissant les enfants en pique-nique que maman vient d’ouvrir l’enchanteur paquet de bonbons. Le retour en force des sucreries sonne la fin de l’univers du manque qui fut celui des années de guerre et d’occupation. « Durant plusieurs années après le conflit mondial, le sucre fut une denrée rare. On le remplaçait par la saccharine » écrit Bernard Demory dans son livre de souvenirs, Au temps des cataplasmes. Point de véritables bonbons. Le premier que j’ai connu « s’appelait le chocolat enrobé. C’était une sorte de Carambar composé d’une pâte de fécule sucrée enveloppée d’une mince couche de chocolat. Je dus attendre l’été 1949 pour découvrir les véritables bonbons », introduits par les Américains. Des confiseries qui trônent bien en vue sur le comptoir des épiceries. Albens comme de nombreux villages de l’époque possède pas moins de six épiceries, dont le magasin Montillet Frères et la toute nouvelle Étoile des Alpes.
C’est un univers merveilleux pour les enfants qui peuvent dévorer des yeux les grands bocaux en verre remplis de sucreries ou le Pierrot gourmand en céramique portant son alléchant éventail de sucettes.
Pour consommer, les enfants, qui ne disposent pas encore d’argent de poche, doivent gagner les quelques pièces nécessaires à la satisfaction de leur gourmandise. Le pécule ne se composait que de quelques pièces gagnées ici et là. On est volontaire pour aller chercher le pain, pour ramasser l’herbe des lapins ou encore déconsigner les bouteilles et récolter ainsi quelque menue monnaie. Il y a aussi la stratégie qui consiste à quémander les restes de monnaies après les courses avec maman. Ceux qui avaient un franc étaient déjà fortunés car souvent c’était plutôt les pièces de 20 ou 50 centimes qui tintaient dans les poches. Aussi, posséder une belle pièce de cinq francs était une véritable aubaine, un graal rendant possible les beaux achats avec les copains.
En sachet, en bâton ou en rouleau, la réglisse a toujours des adeptes parmi les gourmands. Chacun avait sa façon de consommer le ruban de réglisse enroulé comme un escargot autour d’une dragée de couleur. On le partageait en petits morceaux entre copains mais on pouvait aussi le savourer en solitaire. Une façon très amusante consistait à saisir le rouleau dans ses dents puis à le laisser pendre doucement et le grignoter centimètre après centimètre. Les bombons Car en Sac étaient souvent consommés de façon compulsive en rassemblant dans sa main une bonne poignée de ces dragées colorées dont on se remplissait la bouche. Le bâton de réglisse en bois demandait une consommation lente et assidue. Il était mâché consciencieusement donnant à son extrémité jaunâtre une allure de pinceau touffu. On pouvait le laisser un temps pour en reprendre le sucement plus tard.
Le « bonbon coquillage » évoque alors les vacances au bord de mer que l’on voit dans les films ou que certains, plus chanceux, découvrent alors. Son nom qui relève des expressions enfantines n’est autre que le roudoudou. Édouard Bled, bien connu des écoliers décrit ainsi ce bonbon : « sorte de sucre mou, coloré en rouge, vert ou jaune ». Une sucrerie que l’écrivain Paul Vialar replace aussi dans un lycée de ses romans où « le concierge vendait des roudoudous et des chocolats fourrés ». Le contenant dans lequel il est coulé fait son succès, en l’occurrence un vrai coquillage de praire. « Tu te souviens comme on aimait le manger jusqu’au bout », raconte Françoise dans son blog, « ça coulait un peu sur le menton, qu’importe si on ressortait tout collant ». Qu’importe donc, puisqu’on pouvait garder ensuite ce petit coquillage blanc qu’on aimait tant. C’est pourquoi il bénéficiait d’un avantage sur les autres bonbons en sucre cuit comme les berlingots ou les sucres d’orge. Mais cet univers sucré allait connaître sa révolution américaine avec l’arrivée sur le marché des pâtes à mâcher, c’est-à-dire le chewing-gum. Les fines plaquettes vertes des Hollywood chewing-gum sont bientôt concurrencées vers 1958 par le double rouleau rose du Malabar.
Le chewing-gum à la menthe profite du nom mythique de la capitale du cinéma américain qui fait rêver avec ses films et ses stars. C’est l’époque où sort dans les salles La fureur de vivre avec l’extraordinaire James Dean. Aussitôt Hollywood chewing-gum lance le mot d’ordre de « la fraîcheur de vivre ». On entre dans une ère nouvelle, celle d’une jeunesse qui mâchouille sans cesse. Elle fait la désolation des maîtres et maîtresses d’école qui luttent avec courage contre cette invasion. L’arrivée des malabars inaugure les concours de bulles dans les cours de récréation. Ce n’est pas très esthétique mais follement amusant. C’est beaucoup moins vrai pour la manie qui consiste à coller le chewing-gum usagé sous les pupitres et les chaises, au risque d’une sévère punition. Cette pratique peu hygiénique entraînait en fin d’année scolaire une remise en état des tables et chaises avec une séance collective de décollage et grattage. Mais qu’importe, le vieux monde triste des parents et grands-parents se trouvait emporté par l’explosion d’une énorme bulle rose de chewing-gum.
Jean-Louis Hebrard