À la fin de la Grande Guerre, la plupart des communes de France, encouragées par l’État, construisirent des monuments aux morts. C’était l’occasion d’honorer les enfants du pays, de ne jamais oublier leur sacrifice et leur donner, à travers l’inscription de leur nom, la postérité pour leur contribution à la victoire de l’armée française. Pour certaines familles, le nom gravé est également, un siècle plus tard, la dernière trace de leur passage dans nos villages. L’inscription d’un soldat se justifie lorsqu’il est décédé au combat, est titulaire de la mention « Mort pour la France », qu’il est natif ou résident de la commune. Les soldats décédés après 1918 des suites de blessures ou maladies consécutives à la guerre n’ont généralement pas été considérés comme « Morts pour la France » et ne figurent pas sur les monuments.
C’est pourtant le cas à Ansigny d’Auguste Germain, le dernier nom gravé sur le monument aux morts de la commune. Après avoir effectué son service militaire dans l’Escadron du train des Équipages entre 1890 et 1891, il avait travaillé au sein de la Compagnie des Chemins de Fer d’Annemasse. Au moment de la mobilisation générale, à 45 ans, il rejoint les troupes en août 1914 puis entre avril 1915 et juin 1916. Il est finalement réformé à cette date pour une hémiplégie droite et rentre à Ansigny où il décèdera en janvier 1919, la mention « Mort pour la France » figurant sur le registre des décès.
À Albens, les plus attentifs ont certainement remarqué les noms de deux soldats de la commune décédés en 1914 et rajoutés plus tard en fin de liste sur le monument. Une carte postale du monument réalisée dans les années 20 confirme l’absence de leurs noms à ce moment-là. Qui étaient donc ces deux soldats ?
Il y a tout d’abord Antoine Martin, fils de François et Louise (née Genoux, originaire de Boussy). Né en 1874 à Albens, il effectue son service militaire à Lyon au sein du Régiment de Dragons puis de l’Escadron du Train des Équipages entre novembre 1895 et octobre 1898 avant d’en sortir avec son certificat de bonne conduite accordé. Revenu dans la vie active, il habite successivement à Rumilly, Alby-sur-Chéran, Annecy, Aix-les-Bains – et exerce durant un temps le métier de boucher – avant de revenir aider ses parents à la ferme, à La Paroy, où il retrouve son frère missionnaire que nous évoquions dans un article précédent (Hebdo des Savoie n°964 / revue Kronos n°33). Une semaine avant de fêter son quarantième anniversaire, la mobilisation générale est décrétée et il rejoint le 14ème Escadron Territorial du Train à Lyon en août 1914. Le 26 septembre suivant, il décède à l’hôpital Desgenettes des suites d’un accident survenu en-dehors du service, il est alors enterré au cimetière de la Guillotière de Lyon avec la mention « Non mort pour la France ». Pourtant, en 1957, lors de la création de la Nécropole Nationale de la Doua à Villeurbanne, Antoine Martin y est enterré avec une tombe portant la mention « Mort pour la France » (d’autres enfants d’Albens sont dans le même cas). Environ 100 000 soldats français sont déclarés « Non Morts pour la France », parmi ceux-ci on retrouve des soldats décédés des suites de maladie, de blessures, des suicidés, des fusillés, des accidentés, des décédés en prison, …
Le second nom rajouté tardivement sur le monument aux morts est celui de Guillaume Pianta, né en 1887 à Futenex. Petit-fils d’immigrés lombards plâtriers, Guillaume a déjà perdu ses deux parents lorsqu’il s’en va effectuer son service militaire en octobre 1908. Il fera également partie du 14ème Escadron du Train des Équipages avant de rejoindre le 99ème Régiment d’Infanterie jusqu’à la fin de son service en septembre 1910. En mai 1913, alors qu’il est désormais maçon, il se réengage dans l’armée au sein du 4ème Régiment d’Infanterie Coloniale au Maroc puis au 9ème Bataillon Colonial du Maroc et participe aux violents combats opposant l’armée française aux guerriers marocains « insoumis ». Lorsque la mobilisation générale est décrétée le 1er août 1914, « le journal des marches et opérations du bataillon » (consultable sur internet) permet de suivre au jour le jour le départ des troupes pour la France puis son entrée dans le conflit mondial. Le 28 août 1914, dans une citation du journal de marche, il est indiqué « Le bataillon se replie et prend position entre Dommery et la Fosse‑à-l’eau (Ardennes). Vif engagement, feu violent de l’artillerie allemande. Malgré de fortes pertes, le bataillon se maintient sur ses positions ». Le compte-rendu se poursuit avec le bilan des pertes, des blessés et des disparus. Guillaume Pianta fait partie de cette dernière catégorie. C’est dans un jugement transcrit en septembre 1921 qu’il est reconnu comme « Mort pour la France » le 28 août 1914. Les inscriptions sur le monument aux morts avaient-elles déjà été effectuées avant l’inauguration du mois en novembre 1921, d’où son rajout tardif ? Dans l’Église d’Albens, son nom est également rajouté en bas de liste sur les plaques commémoratives. La volonté de la famille qui espérait encore un retour du fils dont on avait perdu la trace ou un simple oubli ?
D’autres soldats originaires d’Albens, « Morts pour la France », figurant dans un registre envoyé par la commune au ministère des pensions dans les années 20, ne sont cependant pas présents sur le monument aux morts :
– Marius Abry, du 22ème Bataillon des Chasseurs Alpins, décédé à 33 ans à Wettstein (Haut-Rhin) en mars 1916. Son nom n’est a priori répertorié sur aucun monument de France.
– Léon Francisque Bel, 36ème Régiment d’Infanterie Coloniale, décédé à 32 ans en avril 1914 et enterré à la Nécropole Nationale de La Crouée dans la Marne. Son nom est présent sur le monument aux morts de la commune de Saint-Vincent-de-Barbeyrargues (Hérault) dont il était résident.
– Félix Joseph Buttin, militaire de carrière depuis son engagement à dix-huit ans. Lieutenant du 33ème Régiment d’Infanterie, décédé à 40 ans en avril 1916 et enterré à la Nécropole de Cerny-en-Laonnois dans l’Aisne. Son nom apparaît à Annecy sur une plaque commémorative à l’Hôtel de Ville.
Ces quelques éléments permettent de comprendre que tous les noms des soldats morts pour la France ne sont pas indiqués sur les monuments aux morts de nos communes.
Une dernière curiosité à propos du monument aux morts d’Albens. Le nom de Joseph Métral y figure, cependant, selon les recensements, aucune famille Métral ne vivait à Albens et aucun soldat de ce patronyme originaire d’Albens n’est présent dans les archives de l’armée. Absent de la plaque commémorative dans l’Église, il n’est pas non plus répertorié dans le document de la commune envoyé au ministère des pensions en 1929 ni même présent dans les registres d’état civil. Le mystère est entier concernant son identité.
Benjamin Berthod