La lessive se modernise

La jeune actrice préférée des Français, Brigitte Fossey, fait la couverture de « Bonnes Soirées », l’hebdomadaire complet de la femme, dans son numéro du 13 janvier 1957. Celle qui a bouleversé un vaste public dans « Jeux interdits », un film de René Clément sorti en 1952, va bientôt fêter ses onze ans. Le journal féminin la présente en train de faire la lessive pour son poupon avec cette légende évidente pour l’époque « jeune vedette mais déjà bonne ménagère ».

L'hebdomadaire Bonnes Soirées (Collection particulière)
L’hebdomadaire Bonnes Soirées (Collection particulière)

La brassière qu’elle retire de la lessiveuse est d’un blanc éclatant. Avant de l’étendre derrière elle, elle prend grand soin de s’en assurer. Dans cette couverture, les lectrices sont en droit de s’interroger. De l’actrice ou de la lessive, qui est la vedette ? En cette fin des années 50, le lavage du linge, tâche essentiellement dévolue aux femmes, connaît une véritable révolution technique avec la diffusion de la machine à laver et chimique avec l’apparition des détergents en poudre comme Omo. Cette couverture est un véritable résumé des dilemmes du temps : abandonner la corvée du lavage à la main, renoncer aux détergents traditionnels pour se tourner vers la modernité.
Dans beaucoup de foyers urbains comme ruraux, la grande lessiveuse en zinc ou en fer blanc est l’outil principal de la corvée du linge.

Schéma extrait de l'article lessiveuse Wikipédia
Schéma extrait de l’article lessiveuse Wikipédia

Il fallait au préalable, la veille, avoir fait tremper le linge dans de la lessive. Le jour dit, on démarrait la mise en chauffe. De nombreux témoins se souviennent de l’odeur de la lessiveuse quand le linge commençait à bouillir sur son trépied à gaz. Pendant une bonne heure, l’eau chaude potassée monte dans le tube central et grâce à un champignon placé en son sommet arrose le linge. L’eau savonneuse en redescendant traverse et nettoie le linge que l’on a disposé dans la lessiveuse. Un couvercle permet la conservation de la chaleur et l’assurance d’une lessive réussie. Une fois bouilli, le linge était retiré de la lessiveuse avec un bâton ou de grandes pinces en bois à cause de la chaleur. Ensuite en route vers le lavoir ou le bassin pour le rinçage. Il en existe de nombreux encore visible dans les villages à Bloye, Marline ou Braille ou encore à proximité d’un moulin. C’est le cas de celui qui est conservé en amont du moulin de Crosagny sur le chemin conduisant aux étangs. Le bruit des battoirs et les éclats de voix ont disparu, il ne subsiste désormais que la structure matérielle.

Le lavoir du moulin en 2020
Le lavoir du moulin en 2020

Le travail terminé, on étendait la lessive sur des fils, attachée par des épingles en bois. La revue « Nous Deux », hebdomadaire sentimental de l’époque, donne une image « glamour » de l’étendage. Il est venu la voir à bicyclette et l’a trouvée dans le jardin à côté de l’étendoir. Le vélo posé contre un poteau, il participe au pliage d’un drap. Les autres sont encore suspendus derrière eux. Ils vont avoir le temps de prolonger cette rencontre amoureuse que le journal a intitulé « jeux de plein air ».

Nous Deux, 1951, n°200 (Collection particulière)
Nous Deux, 1951, n°200 (Collection particulière)

Avec quel détergent ces draps blancs ont-ils été lavés ? En ce début des années 50, on fait encore la lessive à la cendre de bois. Sous le titre « Lessives d’autrefois », le site espritdepays.com explique le procédé alors en usage dans les zones rurales : « les cendres récupérées provenaient des fourneaux de la maison et étaient stockées dans des sacs pour être déposées dans le fond des cuviers. Contenant des sels de potasse, ce détergent naturel disposait d’un excellent pouvoir détachant ». Cependant, la révolution moderne va proposer aux ménagères de nouvelles lessives bien plus pratiques, issues de la chimie de synthèse. Elles portent des noms encore connus aujourd’hui comme Persil, Omo, Skip ou encore Bonus. Pour persuader les femmes de les adopter, les firmes comme Procter & Gamble ou Lever, rivalisent de créativité à travers les réclames qui inondent les magasines.

Publicité – Le Chasseur français 1951 (Collection privée)
Publicité – Le Chasseur français 1951 (Collection privée)

« Bébé est terrible ! Heureusement que sa mère, Brigitte Fossey », lit-on dans les pages intérieures de Bonnes Soirées, « s’y connaît en lavage. Avec Omo toutes les taches vont disparaître. Comme elle, faites bouillir avec OMO et vous aurez le linge le plus propre du monde ! ». L’encart publicitaire se termine par le leitmotiv bien connu à l’époque « OMO est là, la saleté s’en va ! ». Dans une autre revue, deux ménagères comparent des torchons qui grâce à une lessive qui lave plus blanc, ont « la blancheur PERSIL ».
La bataille publicitaire va également viser, dès 1958, les enfants afin qu’ils influencent leurs parents pour qu’ils choisissent Bonus. Le procédé est déjà largement employé par le chocolat qui promet une image, un timbre à collectionner. Avec la lessive, c’est la surprise d’un petit jouet, d’un cadeau qui est mise en avant.

Publicité pour la lessive Bonus (Collection particulière)
Publicité pour la lessive Bonus (Collection particulière)

Désormais, les grands lessiviers sont parvenus à faire entrer dans tous les ménages ces poudres, liquides et savons qui accompagnent l’arrivée de la machine à laver. C’est avec le réfrigérateur l’équipement ménager qui est acheté en premier.

Publicité Manu France de 1951 (Collection particulière)
Publicité ManuFrance de 1951 (Collection particulière)

Au début, cet engin est d’une conception assez simple avec une essoreuse à main dont certains témoins se souviennent parfaitement. Gosse, « nous étions souvent requis pour tourner la manivelle de l’essoreuse. Pris entre deux rouleaux en caoutchouc, le linge sortait tout aplati comme une morue ».
Ce petit modèle électrique allait être peu à peu remplacé par des machines plus élaborées, préfigurant celles d’aujourd’hui. C’est ce que mettent au point de nouveaux constructeurs comme Lincoln, Philips, Laden, Vedette… Chacun recherche le meilleur procédé comme le lavage par agitateurs chez Thomson ou le lavage par jets d’eau et vibration mis au point par Philips. Si la machine à laver « libère la femme » comme il est dit à l’époque, elle n’est pas à la portée de toutes les bourses, nécessitant encore 1 000 heures de travail pour l’acheter.


Jean-Louis Hébrard

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