Dans les années 20, les performances de l’aviation comme les exploits des coureurs cyclistes captent de plus en plus l’attention du public. Alors, quand un biplan se pose en catastrophe entre Saint-Félix et Albens ou qu’Antonin Magne et le peloton du tour de France traversent Alby-sur-Chéran, le quotidien se trouve bouleversé, ces faits deviennent évènements et la presse les relate.
« Samedi matin » rapporte le Journal du Commerce dans un article d’octobre 1926, « vers 11h20, un avion biplan […] appartenant à la Compagnie Aérienne Française et se dirigeant vers le terrain d’aviation de Challes, évoluait dans les airs semblant chercher un point d’atterrissage. Le moteur paraissait fonctionner irrégulièrement. Bientôt l’appareil descendit lentement vers le sol et toucha terre sur les champs verdoyants et plats qui s’étendent entre la route de Saint-Félix et celle de Rumilly, tout au long de la voie PLM. Mais, par suite de l’état marécageux de l’endroit, les roues du biplan s’enfoncèrent dans la tourbe et l’appareil piqua de l’avant, se renversant complètement ».
Les avions de l’époque rencontrent souvent des problèmes techniques, des avaries qui les contraignent alors à se poser en catastrophe. Les pilotes sont de ce fait considérés par beaucoup comme des héros. Guillaumet, Mermoz, Saint-Exupéry sont présents dans tous les esprits, eux qui assurent les liaisons de l’Aéropostale en direction de Casablanca, Dakar et Rio. Chacun de leurs vols est une aventure risquée dont Saint-Exupéry fera la matière de « Vol de nuit ».
De telles situations sont également présentées aux jeunes élèves dans leurs livres de lecture courante. L’aéroplane est le titre d’un de ces textes qui témoigne de la fascination qu’exerce l’aviation : « Il va atterrir ! dit quelqu’un. Le pilote cherche dans la campagne un endroit convenable. Il se dirige vers les prés. Ce fut aussitôt une course folle des enfants vers les prairies qui s’étendent dans le creux du val, aux abords du village ».
Dans une autre lecture scolaire, l’aviateur qui « casse du bois » ne s’en sort qu’avec l’aide des habitants qui accourent à son secours et l’aident à sortir de son appareil en feu. Un texte qui colle à la réalité, les aviateurs d’Albens étant quant à eux secourus par « les ouvriers maçons de l’entreprise Masoèro ». L’article de presse dresse alors un état de leur fâcheuse situation « M. Lambert, pilote depuis cinq ans à la Compagnie, portait une blessure assez sérieuse à l’œil droit, M. Loup, photographe à bord, souffrait au genou gauche d’une contusion assez grave occasionnée par le choc d’un boulon de la carlingue ». L’entraide qui se met en branle est impressionnante, les aviateurs sont transportés dans les locaux de la tuilerie Poncini toute proche d’où l’on appelle par téléphone le docteur d’Albens ainsi que la gendarmerie. Le médecin « leur prodigua ses soins et fit des piqûres antitétaniques ». L’enquête des gendarmes avance l’hypothèse que « l’appareil a été obligé d’atterrir par suite d’une fracture d’aile ».
Cet article permet d’approcher la « fragilité » relative de ces appareils biplans qui, du fait de la faible puissance du moteur devaient être construits en bois et toile afin d’être plus légers, sans parler du système de haubans et de mâts qui tenait les deux ailes portantes superposées.
L’Aéropostale a-t-elle fait des émules dans l’Albanais ? C’est ce que l’on pourrait penser à la lecture de cet autre article du Journal du Commerce publié en février 1928 relatant une livraison de courrier pour le moins inhabituelle : « Albens, vendredi 24 courant, vers 15 heures, deux avions du centre de Bron ont survolé notre région. Un jeune soldat, fils de M. Bontron, géomètre, laissa tomber de l’un d’eux, dans un pré désigné par un drapeau, un paquet tricolore contenant des lettres pour ses parents et amis. Après quelques évolutions au-dessus du village, vivement goûtées et applaudies par la population, les deux appareils firent demi-tour et rentrèrent à Lyon ».
Les aérodromes, dont la construction avait débuté avant 1914 pour des raisons militaires, s’étoffent et prennent de l’importance dans les années 20 avec l’essor de l’aviation civile et commerciale. Les jeunes aviateurs qui survolent Albens doivent effectuer une formation militaire à la base de Bron qui possède une école pour les officiers et sous-officiers depuis 1912. Mais ils se trouvent aussi sur un aéroport qui, à partir de 1921, assure des liaisons commerciales avec Paris, Marseille et Genève.
L’aérodrome de Challes connaît la même évolution. Initialement réservé depuis sa création en 1913 à l’usage des avions militaires, il s’ouvre peu à peu aux civils après la guerre de 14/18 avec la création de l’aéroclub des Alpes françaises. Il faut dire que cette piste au pied des massifs montagneux des Alpes intéresse l’aviation civile et commerciale. Dans les années 30, le terrain s’étend et l’aérodrome organise alors de nombreux meetings où se produisent les plus grands pilotes de l’époque dont les célèbres aviatrices Hélène Boucher et Maryse Hilsz. Ces dernières sont alors des pilotes confirmées qui engrangent les records de vitesse et d’altitude, Hélène Boucher dépasse les 5000 mètres avant que Maryse Hilsz n’atteigne les 10 200 mètres d’altitude en 1932 (record féminin). La première va se tuer lors d’un entraînement en 1934 alors que la seconde s’illustrera dans la résistance dès 1940. Ainsi, tout au long des années 30, héroïnes et héros de la conquête des airs font rêver hommes et femmes des villes et des campagnes qui accourent pour voir ces étonnantes machines volantes. Aujourd’hui, lorsque des dizaines d’avions chargés de skieurs survolent le lac du Bourget, un week-end d’hiver, plus personne ne lève un regard étonné pour les voir se poser sur l’aéroport de Chambéry.
Jean-Louis Hébrard