Les jeunes qui avancent avec souplesse sur un skateboard ne se doutent pas qu’à l’époque de leurs grands-parents on dévalait les pentes à bord d’une planche à roulettes. Elle présentait toutefois un aspect bien différent, n’était pas affublée d’un nom anglo-saxon, étant simplement nommée carriole, n’avait pas été achetée dans un magasin spécialisé, mais construite patiemment après une longue recherche des pièces nécessaires à sa mise au point. Il n’était pas bien difficile de trouver une planche et quelques morceaux de bois pour construire la carlingue. Pour les clous, il suffisait de demander aux adultes de pouvoir chercher dans les innombrables boites en métal dans lesquelles on entreposait les clous, vis et autres boulons. Les adultes qui venaient de sortir des restrictions de la guerre avaient l’habitude de récupérer tout ce qui pouvait servir un jour ; aussi les remises, garages et autres appentis regorgeaient-ils d’innombrables trésors.
Modèle à trois roulements
Si les clous étaient tordus, il était facile de les redresser, tout le monde sachant réaliser cette opération. Reconstituer les boulons demandait un peu de patience et de pratique pour retrouver l’écrou adapté. La construction de la carriole relevait donc d’une certaine débrouillardise qui confinait à l’exploit pour trouver les trois ou quatre roulements à billes, produits extrêmement précieux. Quand tout était réuni, la réalisation de l’engin pouvait débuter. Le plus difficile était d’installer la petite planche supportant le roulement de l’avant avec le boulon qui permettait de la faire pivoter. En effet, c’était le système qui permettait de diriger plus ou moins bien la carriole. Il pouvait alors se manœuvrer soit avec les mains grâce à une corde, ou pour les plus experts, avec les pieds. Il était indispensable de bien se caler et de s’asseoir sur la planche avant de s’élancer dans la pente. Les roulements à billes faisaient un bruit pas possible, renforçant l’impression d’être à bord d’un véritable bolide. Quand une erreur de pilotage ou un obstacle sur la chaussée survenaient, les chutes étaient terribles. Les genoux du conducteur en gardaient longtemps le souvenir. Les plaies et les bosses n’étaient rien en regard des accrocs et déchirures sur les vêtements. Ces derniers entraînaient souvent de belles réprimandes de la part des parents. Les descentes un peu prononcées rassemblaient tous les adeptes de sensations fortes. On y organisait des semblants de compétitions permettant aux plus virtuoses de s’illustrer. Si la planche à roulettes était plus utilisée par les garçons, ce n’était pas le cas pour les patins, pratiqués indifféremment par les filles et les garçons. De même que le vélo, la paire de patins à roulettes faisait l’objet d’un choix étudié. Il faut dire que les marques étaient nombreuses, proposant toutes des modèles à trois ou quatre roues, réglables en longueur que l’on fixait aux chaussures à l’aide de lanières en cuir.
Une des marques de patins en vogue (Collection privée)
Sur quoi peut-on appuyer son choix ? Les patins à roulettes Speedy, marque lyonnaise des établissements Masson, misent alors sur le nom à consonance anglo-saxonne, évoquant la vitesse et la virtuosité. De plus, ses modèles sont équipés d’un système de roues fixées par des cliquets. Pour d’autres, c’est la robustesse que met en avant l’appellation Solido. Quant aux patins Jack, cette marque française promet « l’excellence dans la simplicité » assurant confort de fixation et facilité de réglage. En dehors d’un achat en magasin, il était possible de gagner une paire de patins en collectionnant des points de fidélité comme le proposaient les magasins Casino. Bien équipé, il suffisait de sortir dans la rue pour faire du patin à roulettes. À la différence des planches à roulettes tributaires de la pente, on patinait partout en liberté, la circulation automobile étant encore assez réduite. Tout était bon, les trottoirs quand il y en avait, les chaussées qui commençaient à être goudronnées, les cours et les places publiques. Bernard Demory dans son ouvrage « Au temps des cataplasmes – La France d’avant la télé » raconte ainsi ses débuts en patins : « Sur les allées cimentées […] trouées de nids de poules, nous tentions de rouler avec grâce. Les roues métalliques et les courroies qui attachaient nos patins aux pieds et se desserraient toujours ne facilitaient pas les exploits ». Mais quel plaisir de se lancer à toute vitesse avant d’amorcer un large arc de cercle pour tourner et repartir dans l’autre sens ! Patiner en arrière demandait plus de maîtrise, mais avec un peu de persévérance on finissait par y arriver. Pour aller encore plus vite, il était possible de s’accrocher à l’arrière d’un vélo et de se faire remorquer sans effort tout en gardant son équilibre. Les chutes pouvaient être au programme, surtout lorsqu’un gravier ou un petit caillou venait bloquer une roue du patin. Nous étions bien loin de la virtuosité de Charlie Chaplin que nous avions vu au cinéma dans le film « Les Temps Modernes » lorsqu’il tourne et virevolte dans le grand magasin après sa fermeture sous les yeux admiratifs de Paulette Godard. Toutefois, nos patins à roulettes nous ont procuré bien du plaisir, et lorsque l’on voit aujourd’hui les jeunes générations s’entrainant dans des skate-parcs aménagés à leur intention, on se dit que le bonheur « sur roulettes » n’est pas près de disparaître.
Dans les années 50, Bartoli et Louison Bobet sont, plus que les joueurs de football, les héros sportifs des jeunes générations. La télévision n’étant pas encore dans tous les foyers, c’est avec la radio que l’on vibre aux exploits de Koblet le Suisse, du Luxembourgeois Charly Gaul, des Français Darrigade et Bobet et bientôt de Poulidor, vainqueur de l’étape Briançon à Aix-les-Bains en 1962. Casquettes et visières récoltées au passage de la caravane du Tour de France enchantent les enfants qui revivent à travers le jeu des « petits coureurs » l’excitation qu’a procurée le passage des champions. L’entreprise Picon de Saint-Félix édite à cette époque un jeu de petits cyclistes. Dans une réclame, deux enfants en parlent avec enthousiasme. « Il paraît que c’est comme le Tour de France cycliste » explique l’un d’eux. Sur un protège cahier on peut voir le jeu de la Mère Picon.
Un protège-cahier (archive privée)
Il est conçu selon le même principe que le jeu de l’oie. Les pions sont remplacés par les figurines des coureurs cyclistes. Un texte placé à l’intérieur du protège-cahier invite les futurs joueurs à se placer dans l’ambiance de la Grande boucle. « Oui, c’est un véritable Tour de France cycliste » déclare un garçon qui poursuit : « Il y a des équipes de coureurs de tous les pays, des sprints terribles tu sais, et tu peux diriger une équipe de cinq coureurs ». Et de rajouter : « Oui, tu arranges la course comme tu veux, tu es le directeur sportif de tes coureurs, si tu gagnes une prime, tu peux en faire profiter celui de tes coureurs qui est le plus mal placé. Tu te débrouilles comme tu veux, et si tu es malin, tu peux grouper toute ton équipe pour gagner le Tour ». Une étude très sérieuse publiée en 2020 dans la revue « Sciences sociales et sport, n°16 » sur « Les figurines cyclistes » nous apprend qu’elles deviennent « après 1945 des jouets de sport pour enfants et des objets d’héroïsation… s’en tenant aux codes des champions routiers ». Ces figurines font alors le bonheur des garçons du « baby boom ». Fabriquées principalement par la fonderie Roger à Courtenay dans le Loiret, ces figurines en zamak (alliage de zinc, aluminium, manganèse et cuivre) puis en plastique sont alors produites en grandes quantités (jusqu’à près de 500 000 à l’orée des années 60). Elles présentent les coureurs dans toutes les positions des champions cyclistes, sprinter, coureur sur le plat ou en danseuse pour les ascensions… Petits jouets qui firent la joie des enfants des années 50 comme le rapporte aujourd’hui Martin Péneau sur son site En danseuse : « Toutes les raisons étaient bonnes pour sortir les cyclistes miniatures de leurs boites. Parce que l’on s’ennuyait, parce qu’il pleuvait en plein été, ou au contraire, parce qu’il faisait trop chaud. Jouer avec les petits cyclistes …était une superbe récréation, un moment passionnant, captivant ».
Figurines cyclistes et billes (collection privée)
Les petits cyclistes ne circulaient pas uniquement sur une piste façon jeu de l’oie. On jouait aussi en extérieur sur tous les terrains, jardin ou balcon, sur du sable ou en terrain plus boueux. Il fallait tracer au préalable le circuit sur lequel on allait s’affronter. Chaque joueur faisait avancer son coureur à l’aide d’une bille propulsée d’une pichenette. Bien évidemment, rien ne pouvait remplacer les sensations éprouvées lors du passage de Tour et de son impressionnante caravane. En complément des champions, c’est elle qui capte l’attention des jeunes générations pour la variété des véhicules et des objets, cadeaux et autres « réclames » distribués. Avec un peu de débrouillardise et pas mal de chance on peut rapporter des chapeaux en papier, des visières ou encore des autocollants et porte-clés célébrant la chicorée Leroux, la moutarde Amora, les stylos Reynolds et Bic, la lessive Bonus, les grands journaux. Quel plaisir de voir arriver le gros Bibendum de Michelin perché sur son fourgon Renault suivi par le « bi bouteille » Butagaz. Dans le défilé des marques, celles qui concernent les boissons semblent dominer avec en tête les apéritifs Cinzano, St-Raphaël, Berger. La marque Byrrh se remarque avec son énorme tonneau installé sur un Renault de 1400 kg de couleur rouge et blanc. La liqueur apéritive Suze bénéficie du prestige d’Yvette Horner, célèbre vedette de l’accordéon.
Yvette Horner sur une Traction Avant
Dans la caravane, elle ne passe pas inaperçue, juchée sur le toit d’une Citroën Traction Avant, en robe multicolore et sombrero mexicain. Elle va accompagner à onze reprises la caravane du Tour entre 1952 et 1963 et devenir peu à peu la « reine du musette ». On peut l’entendre plusieurs fois à Aix-les-Bains entre 1954 et 1962 où elle joue à l’arrivée de l’étape ses plus beaux succès comme Domino, Perles de cristal ou Le Dénicheur. Le public se presse pour l’entendre et l’encourage par de sympathiques « Va-y Vevette ». C’est l’époque où les Français, en famille, se passionnent pour tous les spectacles qu’offre la « Grande boucle ». Plusieurs fois, la ville d’Aix-les-Bains est en fête lors de l’arrivée d’une étape du tour de France. Quatre fois, de 1951 à 1960, les coureurs qui se sont lancés au départ de Briançon y achèvent les deux cents kilomètres d’une belle étape de montagne. De prestigieux noms du cyclisme s’y illustrent comme Charly Gaul en 1958. Ce mercredi 16 juillet, le Luxembourgeois a lâché tous ses adversaires et repris plus de douze minutes à Géminiani. Avec quatre cols au programme de la journée dont le Lautaret pour commencer et le col du Granier pour finir, la performance de Charly Gaul est d’autant plus remarquable qu’elle est courue sous une pluie glaciale. Un autre exploit est signé sept ans plus tôt par le Suisse Hugo Koblet lors de l’étape reliant Aix-les-Bains à Genève. Le vendredi 27 juillet, les coureurs s’élancent de la cité thermale pour un contre la montre de 97 kilomètres.
Traversée d’Albens (archives B. Fleuret)
Dans le peloton il y a du beau monde dont Coppi, Bartali, Bobet, Robic. Le départ est donné sur la nouvelle avenue Franklin Roosevelt tracée au milieu des zones maraîchères de la ville. Il est 14h32 lorsque le maillot jaune Koblet s’élance en dernier. Par Albens, Bloye et Rumilly, le parcours est d’abord facile pour ce champion qui excelle aussi bien dans la montagne que sur le plat. Puis à partir d’Hauteville jusqu’à La Roche le profil devient plus sinueux, difficile. Cela n’empêche pas Koblet de maintenir une moyenne supérieure à 36km/h, de reprendre les douze minutes qui le séparent de Géminiani et d’entrer dans le stade de Genève à 17h11, bouclant le parcours en 2h39′. Dix ans plus tard, en juillet 1962, le public aura l’occasion d’applaudir un nouveau champion, Raymond Poulidor vainqueur de l’étape Briançon/ Aix-les-Bains. Désormais c’est la rivalité Anquetil/Poulidor qui animera nos courses de petits cyclistes en plastique.
Le vendredi 24 février à 20h30, Kronos vous invite à une conférence nature et un film : « fête de la Terre à la Biolle », qui seront suivis d’un diaporama-débat sur les vieux métiers.
Cette soirée aura lieu à l’Espace Patrimoine, 177 rue du Mont-Blanc à Albens.
La salle sera ouverte dès 19h30 pour les personnes souhaitant en profiter pour visiter l’espace patrimoine.
L’entrée est libre et gratuite, sous réserve de place : les réservations sont conseillées par e-mail.
Tout au long de l’année 1960, de nombreuses manifestations sont organisées pour marquer le centenaire du Rattachement de la Savoie à la France. La presse participe évidemment à cet important évènement. Ainsi le Progrès (fort lu à l’époque dans l’Albanais) publie-t-il un numéro spécial sous le titre « Le Progrès témoin de 100 ans de Savoie française ». Un bel exemplaire de ce numéro a dernièrement été offert à Kronos par un habitant de La Biolle, monsieur Bernard Guerse.
Sur fond de montagnes, une jeune femme en sabots coiffée d’un bonnet phrygien (personnalisant la Vème République) reçoit l’écusson savoyard à croix blanche des mains d’une jeune femme en costume savoyard, coiffée de « la Frontière ». Dans le ciel, l’aigle du second Empire, deux coqs symbolisant les IIIème et IVème Républiques balisent le siècle écoulé depuis 1860. Ce dessin de presse est significatif de ce début des « années 60 », du retour du Général au pouvoir. La France qui perd ses colonies et se recentre alors sur ce que l’on va nommer « l’hexagone* » tient à célébrer avec force ce centenaire. L’auteur, Roger Samard, signe son dessin « Rogersam ». Ce dessinateur de presse est alors fort connu pour ses publications dans la grande presse (France-Dimanche, Match, Ici Paris, La Vie Catholique) et dans la presse régionale. Il entre en 1953 au Progrès de Lyon où il devient très vite un dessinateur attitré. Pendant plus de vingt ans, ses dessins, ses illustrations, amuseront les lecteurs de ce grand quotidien qui va souvent lui réserver sa « Une » en couleur et même la « quatrième de couverture » comme c’est le cas pour ce numéro.
Son graphisme plutôt amusant se retrouve aussi dans des publications humoristiques auxquelles il participe (Cent blagues, Éclats de rire). Beau-frère de Frédéric Dard, il réalisera les couvertures et les illustrations pour deux volumes de San Antonio.
Jean-Louis Hébrard
* Voir l’article sur ce sujet dans Les lieux de mémoire, tome 1.
À nouveau Kronos était présent au marché de Noël d’Albens. Un emplacement avait été mis à notre disposition à l’entrée de la salle d’animation juste à côté du fauteuil du père Noël. Nous avons rapidement noué de bonnes relations avec ce dernier qui a bien voulu être photographié en compagnie de Denis, Jean-Louis et Raymond.
Qu’il est grand ce père Noël !
Bien visible, notre stand a été bien fréquenté et nous avons vendu pas mal de revues et de cartes postales (collection B.Fleuret) pour une somme dépassant cinquante euros.
En discussion (cliché J Thomé)
Une présence qui a permis aussi de multiplier les contacts, d’apprendre et d’échanger.
Il faisait un peu froid à ce samedi matin 10 décembre (cliché J Thomé)
Un remerciement à l’association « Anim’actions » et à Christel Sacco pour leur accueil. Rendez-vous est pris pour « l’an qué ven » !
Cette année Kronos proposait comme participation au téléthon une balade à travers Albens pour découvrir le petit patrimoine local (souvent peu connu), et pour offrir une visite de l’Espace patrimoine sous la conduite de Raymond George et de Jean-Louis Hebrard. Une participation de deux euros était demandée aux inscrits.
Une dizaine de personnes s’est retrouvée vers 10h devant le Centre administratif, lieu de départ de la balade. Tout commence par la découverte de l’inscription latine installée devant la mairie, qui permet d’évoquer l’importance d’Albens à l’époque de l’empereur Trajan au IIème siècle. La seconde étape nous conduit au bord de l’Albenche toute proche, où l’on parle des dangers mais aussi des ressources qu’offrait cette rivière autrefois. La grande digue achevée en 1910, les escaliers de l’ancien lavoir, le pont sarde qui enjambe la D 1201 offriront l’occasion de raconter quelques moments de la vie d’antan.
Le lavoir est mentionné sur ce plan de 1908.
Une troisième étape fait la part belle à la fontaine publique construite en 1836 en bordure du carrefour central du village, et qui nécessiterait aujourd’hui d’être l’objet d’une plus grande protection.
La fontaine publique de 1836 appelée aussi « le bornio ».
La visite de l’ancien cimetière d’Albens (quartier du paradis) constituait l’étape suivante. Elle a offert l’occasion de parler encore une fois de l’antiquité du lieu (colonne romaine), mais aussi de l’ancienne église, détruite au milieu du XIXème siècle, et du cimetière avec ses tombes célèbres, dont celle du général Mollard.
Colonne romaine dites « des curés ».
Le passage par l’Espace patrimoine et ses collections d’objets et maquettes clôturait vers 12h cette visite. À la demande des participants, nous rappelons que des visites de ce genre peuvent être organisées à la demande en passant par notre site www.kronos-albanais.org
Fondée en octobre 1878, c’est une société qui avait à ses débuts comme mission principale l’accueil des nombreux savoyards venus travailler à Lyon, avec un caractère philanthropique et mutualiste affirmé (bureau de placement, caisse de retraite, orphelinat et secours). Après 1945, l’aspect mutualiste disparaît peu à peu pour laisser la place à des activités culturelles et de loisirs.
Ainsi, l’association Kronos accueillait-elle, samedi 1er octobre, la Savoisienne Philanthropique de Lyon et son président pour une découverte des sites naturels et historiques autour d’Albens. La petite pluie fine de la journée n’a pas empêché les Savoyards de Lyon et des membres de Kronos de parcourir les chemins autour de Crosagny, pour une visite commentée par un expert des plantes, des insectes et des oiseaux, Marius Bonhomme.
Sur le ponton de Crosagny (cliché Bernard Fleuret)
Les gorges du Sierroz étaient au programme de l’après-midi. Accueilli par la présidente de l’association, le groupe allait découvrir, sous la conduite de Denis Choulet, les caractères géologiques et la riche histoire de ces gorges, dont la stèle érigée à la mémoire de Madame de Broc.
Entre les deux, une halte gourmande à l’Auberge du Clocher permit au groupe de reprendre un peu de réconfort. C’est à l’initiative de André Berthet que nous devons cette belle rencontre que l’on espère voir se renouveler.
Comme chaque année, Kronos histoire et patrimoine de l’Albanais se devait d’y participer, cette année ayant comme thème : « Du Bornio au Paradis »
Sous la houlette de Jean-Louis Hébrard et de membres de l’association, une quinzaine de passionnés d’histoire locale ont déambulé du Centre Administratif au lieu-dit « le Paradis » à Albens.
On a évoqué, entres autres, l’histoire de l’Albenche qui traverse Albens, cours d’eau pas toujours tranquille ; le Bornio fontaine emblématique du bourg ; l’ancien cimetière où repose Philibert Mollard… et répondu ainsi à de nombreuses questions de participants très intéressés.
Durant le cheminement, quelques infos sur l’Albenche et ses lavoirs aujourd’hui disparus
Deux heures de découvertes du patrimoine local souvent méconnu, avec toujours les commentaires pertinents des « conférenciers » de service de de l’association.
La balade s’est terminée à l’espace patrimoine par un bonus, la visite commentée de ses vitrines, et pour certains une belle découverte !
Questions, discussions, témoignages, souvenirs… se sont poursuivis devant quelques rafraichissements bienvenus et mérités.
Un bel après-midi qui sera renouvelé, n’en doutons pas, l’année prochaine.
Quelle vue superbe ! Après la rude montée de La Biolle, ma voiture semble s’envoler vers cette large plaine albanaise, noyée sous un magnifique soleil automnal qui fait scintiller les arbres déjà vêtus de roux.
Direction : Saint-Félix
Le vieux monsieur, rencontré il y a quelques temps, m’a bien expliqué le chemin à prendre : « Après l’église, suivre la petite route jusqu’à Mercy, petit village aux fermes empreintes d’un charme tout particulier ».
Le goudron laisse la place à un chemin empierré et là, surprise ! Ceint d’un grand rideau d’arbres, comme une femme d’un autre monde se serait drapée derrière un voile soyeux : l’étang de Crosagny. Quelle étrange beauté que cette nature sauvage, presque hostile. Me voilà donc devant cette étendue calme dont ce vieux monsieur m’a tant parlé, et avec quel engouement ! Mieux qu’aucun livre n’aurait su le faire, il m’a dépeint, avec un brin de nostalgie, un paysage, une nature et un passé à la fois merveilleux et inquiétant.
Cette nature de huit hectares, qui semble presque morte à l’aube du XXIème siècle, date de plusieurs milliers d’années. L’étang de Crosagny ainsi que celui de Beaumont, situé plus au nord, sont l’ultime vestige d’un grand lac glaciaire.
Au quaternaire, les glaciations successives ont créé un barrage morainique dans la vallée albanaise, au niveau de La Biolle. Dans la région d’Albens, un grand lac s’est constitué. Progressivement, ce lac a disparu, remblayé, laissant quelques zones humides.
Dans ces zones, sous l’influence des eaux de ruissellement, se sont accumulés des dépôts fins et imperméables. Ce milieu, mal aéré, avec une nappe d’eau quasi-permanente, progressivement colonisé par la végétation a permis une décomposition et une humidification de la matière végétale qui s’est accumulée en couches épaisses.
Les hommes ont ensuite profité de l’existence de cette zone humide naturelle pour surélever le seuil et construire deux digues de retenues d’eau, l’une à l’aval de Crosagny, l’autre à l’amont de Beaumont ; ce qui a permis le maintien artificiel d’une surface toujours en eau.
Cette surface d’eau a privilégié la formation de toute une végétation très riche et diverse dont on peut se faire une idée plus précise grâce au schéma ci-après.
L’étang offre donc toute une richesse que les hommes vont exploiter. Ils vont tirer parti de sa force qu’est l’eau mais aussi de sa nature animalière et végétale.
Les étangs et sa végétation
La toute première activité « économique » que l’on peut citer concernant les étangs se base sur la faune habitant ces lieux. Les poissons et grenouilles formaient une bonne part de la nourriture des gens vivant aux abords des étangs. Deux parchemina, l’un du XIVe et le second du XVe siècle nous apprennent que les étangs étaient soumis à un droit de pêche que les habitants versaient respectivement au Comte de Montfalcon et à des bourgeois de Chambéry, ascensateurs(1) des étangs.
Le gibier, abondant, fournissait également une part appréciable de nourriture. Si dans les siècles passés, ces animaux ont servi de base de l’alimentation des gens, ils ont agréablement, les grenouilles surtout, agrémenté les tables des restaurants aixois pendant la difficile période de la deuxième guerre.
La seconde activité que l’on peut véritablement qualifier d’économique est le moulin.
Sa création fut rendue possible grâce à la réalisation par les hommes de digues qui permettaient de maintenir un certain niveau d’eau. Ces digues, perfectionnées par un système de vannes, ont ensuite permis la construction du moulin.
On relève l’existence du moulin sur la mappe sarde de 1730.
Le moulin fonctionnait à l’origine grâce à une roue à aubes qui tournait au fil de l’eau, suivant l’intensité du courant. L’eau était alors amenée par un bief(2) détournant celle de la Deysse, juste à l’amont du moulin. Le débit en était réglé par un système de vannes constitué de planches amovibles placées en travers du lit.
À la suite d’une baisse de régime des eaux ou bien pour augmenter le rendement du moulin, la roue à aubes fut remplacée par une roue à augets. Celle-ci augmente le travail fourni par l’eau en utilisant la force de gravité. Un nouveau bief fut donc aménagé dès la sortie des étangs, utilisant la topographie naturelle afin d’amener l’eau en position surélevée.
Les meuniers possédaient le droit d’eau sur l’étang ; ils pouvaient donc dériver la quantité d’eau nécessaire au fonctionnement du moulin.
Bief alimentant en eau la roue du moulin
L’activité du moulin gravitait autour de deux pôles : le moulin proprement dit et le battoir.
Le battoir se trouve encore à côté du moulin, à droite de la route qui mène à Albens.
À l’origine, son mécanisme était entraîné par un câble venant de la roue du moulin. Il passait sur la roue dans une rainure et venait faire tourner la meule du battoir.
Une fièvre laborieuse et joyeuse régnait autour du battoir tandis qu’il disparaissait derrière les volutes de poussière dégagées par le battoir.
Chacun moulait son blé pour le décortiquer et produire le gruau, ingrédient de renommée pour la soupe du même nom.
On extrayait également les graines de fleurs séchées de trèfle et de luzerne pour la semence de l’année suivante.
Ce travail nécessitait une attention de tous les instants : une fois le grain déposé dans la meule, il fallait le repousser continuellement avec des petites raclettes dans le chemin de ronde. Afin d’éviter toute bousculade, chacun réservait son tour auprès du meunier qui contrôlait les allées et venues.
Alors que le battoir était utilisé par tous les paysans, le moulin restait le domaine réservé du meunier qui y régnait en maître.
Le moulin possédait deux meules ; l’une concassait le blé, l’autre, appelée « Moulin Blanc », affinait la farine.
Le rythme de la vie à Crosagny était réglé par le tic-tac du moulin. Ce bruit était provoqué par le choc d’un morceau de bois sur l’entonnoir versant le blé sur la meule.
Le blé se situait à l’étage et était versé dans un entonnoir terminé par un tiroir servant à régler le débit. Le fond de la meule possédait des rayons qui canalisaient la farine vers des godets fixés sur une sangle en mouvement, contenue dans une gaine de bois, qui montait à l’étage. Là, la farine était déversée sur une roue conique recouverte de soie de différents maillages. Elle était ainsi triée et déversée dans des tiroirs distincts. Le son était récolté à l’autre extrémité de la roue.
Roue à augets du moulin sous la neige
Lorsqu’il n’y avait plus de blé dans l’entonnoir, il ne fallait pas que les meules continuent à tourner à vide ; c’est pourquoi un système de planches, de poulies et de clapets situés sur la roue du moulin actionnait alors une cloche qui prévenait le meunier.
Le tic-tac et le son de la cloche du moulin qui rythmaient la vie à Crosagny ne devaient cesser que pendant l’été.
En effet, dès le 1er juillet, les étangs devaient être mis à sec afin de commencer la fauche de la blache. La blache, ce sont ces jeunes pousses de roseaux qui servaient de litière mais aussi, parfois, d’engrais vert.
Une fois fauchée, la blache était mise à sécher et engrangée avant la fin du mois d’août. La blache était sortie à bras, par gros tas disposés sur deux barres et chargée dans des carrioles à échelles. Pour Crosagny, la mise à sec concernait essentiellement l’étang des Bernardines, moins profond que le reste de l’étang et séparé par une sorte de digue.
On coupait également la grande blache qui servait de matériau de rempaillage.
Mais le moulin et la blache n’étaient pas les seules activités que l’on peut recenser en ce qui concerne les étangs. Ils formaient également une base de loisirs importante.
Outre la pêche, la chasse, les grenouilles, les étangs de Crosagny étaient un lieu privilégié de rencontres et d’aventures pour les jeunes des villages environnants, un lieu de promenades où les écoles emmenaient goûter les enfants.
De nombreux chemins étaient entretenus, une passerelle permettait de traverser au niveau de la digue séparant les deux étangs.
Une guinguette s’était même installée à cet endroit, louait des barques et vendait de la friture.
Mais, on apprenait également à nager, et l’hiver à patiner. L’hiver, l’étang gelé était l’objet d’une animation toute particulière. La blache ayant été coupée, la surface de la glace était lisse et homogène. Les jeunes gens et jeunes filles en profitaient pour venir faire du patin. Ces jeunes gens, toujours soucieux de plaire aux demoiselles, avaient inventé un système très au point pour promener leurs belles sur l’étang gelé. Ils équipaient des chaises de patins et pouvaient ainsi pousser les jeunes filles sur cette surface complètement figée.
Il suffit de fermer un instant les yeux et l’on peut voir les jeunes gens patiner sur ces étangs, en se tenant la main.
La belle époque du patin à glace.
Comme cette dame, née en 1899 qui nous conte le souvenir qui lui reste de cette époque.
« Vers 1910, cet étang, vaste étendue d’eau gelée, il avait fait un froid rigoureux. Les écoliers de la commune y étaient avec leurs luges. Étaient venus se joindre à eux les jeunes filles de l’École Normale de Rumilly avec leurs patins à glace, ainsi que la cantinière du détachement militaire du 30e Régiment en garnison à Rumilly.
Toute cette jeunesse évoluait sur une épaisseur de glace de 30 centimètres ; les enfants sur leurs luges glissaient en se propulsant avec des bâtons de 25 centimètres qui avaient une pointe à une extrémité, mais souvent pris aux épaules par des patineurs serviables qui les poussaient devant eux.
Pour les personnes adultes, c’était une attraction ; elles étaient stationnées à l’entrée de l’étang, près de la cantinière qui servait des boissons chaudes aux clients qui pouvaient se le payer. Le long de l’étang près de l’arrivée, il y avait des saules, des frênes ; les branches basses avaient été aménagées en porte-manteaux.
C’étaient de bons après-midi, trop courts car la nuit arrivait vite en hiver. »
En lisant ces quelques lignes, on ne peut s’empêcher d’évoquer avec un brin de nostalgie toute une époque à jamais révolue. Aujourd’hui, toutes ces activités ont disparu ; les étangs et la nature ont repris leurs droits et ce lieu magique n’est plus maintenant qu’une végétation abandonnée qui se perd à jamais. Cette destinée tragique, à plus ou moins long terme, n’enlève en aucune façon au charme de cet endroit où tant d’enfants se sont amusés. Sans vouloir faire revivre un passé à jamais disparu, il n’en est pas moins possible d’essayer de recréer autour des étangs de Crosagny un espace de vie, de nature où l’homme pourrait de nouveau communiquer avec cette nature généreuse. Ne laissons pas mourir Crosagny…
Et la nature a repris ses droits…
Mylène Mouchet
Article initialement paru dans Kronos N° 4, 1989
(avec modification de la plupart des illustrations)
Lexique
1) Bief : canal de dérivation conduisant l’eau sur une roue hydraulique. 2) Ascensateur : personne possédant un droit sur un étang et qui perçoit une taxe sur l’utilisation et les produits de cet étang.
Bibliographie sommaire
« Étangs de Crosagny et Beaumont » – Préétude d’aménagement, Béatrice Quinquet – Université des Sciences et Techniques de Lille, MST / ENVAR.
Je tiens à remercier Monsieur Burdet qui m’a si gentiment accueillie et qui m’a donné de précieux renseignements.