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Deux classes plongent dans le passé antique d’Albens

Il y a une quinzaine de jours, lundi et mardi 17 et 18 octobre après-midi, les classes de CM1 et CM2 du groupe scolaire l’Albanaise sont venues, avec leurs enseignantes Véronique Perrel et Stéphanie Lange, découvrir les collections archéologiques de l’Espace patrimoine.
Au programme, une présentation du passé antique d’Albens proposée par J-L Hébrard (ancien professeur d’histoire), suivie de petits ateliers où les enfants devaient avec des copies de tuiles antiques découvrir la construction d’une toiture romaine et avec des briquettes réaliser un pavage pour bassin et piscine antique.
Deux après-midi très constructives, donc, qui peuvent être proposées aux classes qui le souhaiteraient en faisant la demande auprès de Kronos ou en contactant l’Office de tourisme d’Albens.

Kronos et les Savoyards de Lyon

Samedi 1er octobre, à l’initiative d’André Berthet, l’association savoisienne philanthropique de Lyon, présidée par Bruno Dumont, Kronos, présidée par Christian Michaud et l’office de tourisme d’Albens Entrelacs se retrouvaient dans la salle des fêtes d’Épersy pour la découverte d’une des belles pages du patrimoine artistique de la Savoie à la « Belle époque ».
En matinée, Jean-Louis Hébrard, ancien professeur d’histoire, membre de Kronos, faisait revivre le peintre italien Guido Gonin.
Artiste né à Turin en 1833 et mort à Aix-les-Bains en 1906, Guido Gonin sera d’abord connu pour ses dessins de mode à Paris de 1870 à 1890 avant de s’illustrer dans la vie culturelle et mondaine aixoise. L’auditoire découvrait alors toute ses productions, armoiries de la ville, dessins de presse, portraits, programmes et bannières pour les festivités de la station qui lui valurent le surnom de « peintre du cyclamen ».
Les discours des présidents des associations puis des élus Bernard Marin et Claude Giroud clôturaient la matinée.
Avant de repartir pour une visite des anciens palaces d’Aix-les-Bains, un repas très apprécié était servi sur place.

savoyardslyon

Le centenaire de l’horloge

Soyez à l’heure le 31 octobre 2085, Place de l’Église d’Albens !

Une Centenaire… offensée !

Si la comète de Halley se réfugie encore pour soixante-seize ans dans le mystère cosmique, il nous faudra attendre l’an 85 du troisième millénaire pour réparer la cruelle désillusion d’une vieille dame qui pensait mériter une meilleure considération. Et pourtant, chaque jour et chaque nuit, elle offre généreusement, sans contre-partie, son chapelet de secondes, de minutes et d’heures. Dame Horloge fêtait ses cent ans en octobre 1985. Anniversaire manqué qui nous oblige à prendre date pour l’éternité. Le poids de la faute sera-t-il « porté par les fils » ?
Après quelques sautes d’humeur en forme de semonce, le destin lui-même lança une ultime flèche, les deux aiguilles s’immobilisant à l’arrivée du printemps !
Alors rachetons dès à présent notre comportement coupable en rendant l’hommage dû à celle qui depuis des lustres voue son existence à… Kronos !

Pauvre Polyphème !

Lors de la construction du clocher de l’église actuelle, au début des années soixante, le Général Philibert Mollard, dont la mémoire collective, outre la carrière militaire, doit garder précieusement l’esprit l’intervention déterminante auprès des autorités impériales dans le déblocage de subsides, « avait fait pratiquer une ouverture pour le cadran d’une horloge qu’il promettait de faire placer ».
Un léger dépit sous la plume, le curé Lemoine observe cependant dans son registre paroissial, que le brillant vainqueur de la bataille de Solférino, chargeant les troupes autrichiennes à la tête de la Brigade de Savoie s’avoua cette fois-ci vaincu, face à un adversaire tout aussi redoutable : son propre engagement.
Défection aux raisons passées aux pertes et profits de l’Histoire, les héritiers ne se substituant pas, par la suite, au célèbre parent qui mourut en 1873 et repose dans l’ancien cimetière. Le 8 décembre 1869, à l’occasion de la bénédiction de l’église, l’abbé Jean Boissat, originaire de la commune et chanoine de la cathédrale de Chambéry, représentant en cette journée de « liesse populaire et de ferveur religieuse », le cardinal Alexis Billiet, archevêque diocésain, « a adressé à chacun la part d’éloge qu’il méritait pour la construction de ce beau monument religieux » et notamment « à Monsieur le Général Sénateur Mollard pour sa libéralité, en son active et utile intervention auprès du Gouvernement ».

Mais, seul un pâle soleil d’hiver, accroché au faîte du campanile, indiquait à la foule l’heure exacte ! Ce géant allait-il encore longtemps ressembler à Polyphème, le cyclope éborgné par Ulysse et trôner ainsi, pour toute couronne, une blessure béante ? Mais le Temps ne « suspendit son vol » que le temps nécessaire à un enfant d’Albens pour accourir à son secours ! Un salut qui vint de Paris, seize ans plus tard, en 1885.

Quand Paris vaut bien une… promesse

Perret et le pot aux… Roses !

Il « avait quitté Albens depuis plus de vingt ans et s’est livré à une industrie de Bourse à Paris ». S’agissait-il de la description d’un Eugène de Rastignac à la mode de « chez nous » réalisant son impossible « Paris » ? Beaucoup plus prosaïquement, l’archiprêtre de l’époque synthétisait-il, en 1885, l’épopée d’un personnage que les générations successives de ce siècle connaissent comme instigateur de l’élection et du couronnement de la Rosière : Benoit Perret.
En effet, par un testament du 30 octobre 1917, léguait-il à la municipalité une somme d’argent permettant à celle-ci de récompenser, chaque année, la jeune fille de la commune considérée comme la plus « méritante ».
Ainsi, en 1922, Marie Félicie Rey siègeait-elle la première sur le trône d’une nouvelle dynastie qui règne toujours en « monarchie du cœur ». Et en 1982, Albens « immortalisait » le souvenir du généreux donateur en baptisant de son nom la rue conduisant… à la dernière demeure. Ce souvenir associait indéfiniment Perret et le « Pot aux Roses », masquant cependant un évènement resté jusqu’ici méconnu. En quelque sorte, la « Rose cachait des aiguilles », il était temps de remettre les pendules à l’heure… !

Où l’histoire passe par le Mazet

Notre savoyard, au profil balzacien, avait jeté l’ancre dans le « premier port des hommes » mais gardait enchâssé précieusement dans la crypte de son âme des pensées affectueuses pour son port d’attache, le Mazet où il naquit le 12 février 1844, à 6 heures du matin.
Premier fruit d’une union consacrée le 25 avril 1843, il ouvrait pour ses parents cultivateurs, Joseph et Justine, les portes d’une belle famille qui s’enrichit de deux filles et de trois garçons : Marie en 45, Jeannette en 48, François-Félix en 49, Claude en 51 et Jean-Marie en 53.
Benoit qui reçut le prénom de son parrain, le frère de papa Joseph, descendait d’une lignée implantée depuis fort longtemps en terre albanaise, une terre féconde et nourricière. Ainsi retrouvons-nous la trace de son grand-père paternel, Antoine, laboureur de son état, né en 1776 et qui épousa Philiberte Bocquin lui donnant un petit Joseph, le 12 mars 1814. La boucle est bouclée.
Sans doute servi par un tempérament aventureux, Benoit délaisse les travaux agrestes qui assuraient difficilement la subsistance d’une famille si imposante, pour se lancer à la conquête de la capitale. Son père s’éteint le 6 mai 1854, sa veuve Justine prenant, par la force des choses, la direction de l’exploitation, une maman Justine qui allait devenir l’amorce de notre histoire.

horloge

À l’heure de Paris !

Un tympan gui ne reste pas sourd aux appels d’une horloge !

Dans la nouvelle église, officiellement en « service » depuis 1869, de nombreux travaux de finition et de décoration restaient en suspens. Au fil des ans et au gré des dans des paroissiens, le « navire du Christ » se parait de voilures. Subsistait le problème de la vigie : l’horloge.
Au cours de l’année 1885, Benoit Perret surgit dans son hameau natal pour une amicale et filiale visite à sa mère qui coulait une existence paisible au Mazet. La venue du fils, parfait exemple de la réussite d’un provincial dans la cité tentaculaire, que maman Justine, sans aucun doute, « suggéra et provoqua », l’incita à s’intéresser et à se pencher sur les problèmes de l’église. Pendant son séjour, Benoit eut-il ainsi tout le loisir de prendre consciente du « reliquat ». Ayant sous le vernis parisien, conservé la fibre albanaise, il prit la décision d’aide ses ex-concitoyens et révéla son intention de « donner à l’église un bas-relief pour remplir le tympan (1) de la porte d’entrée ».
Mais ses promenades fréquentes autour de l’édifice religieux l’amenèrent à lever son regard et à découvrir la mutilation du clocher. Au curé Lemoine qui l’accompagnait, il déclara sur le ton du secret : « Je ferai plus ». Cette simple phrase installait Benoit Perret au rang d’homme providentiel. L’albatros géant aux ailes rognées allait enfin rattraper le temps perdu !

De la Maison Godefroy Strebet !

Délaissant les rives de l’Albenche pour rejoindre les quais de la Seine, Benoit Perret avisa aussitôt de son projet ses deux frères, François-Félix et Jean-Marie, « montés » également chercher fortune. L’un d’eux fit d’ailleurs une honorable carrière dans la pharmacie.
Il faut croire que l’aîné sut trouver les mots justes pour rallier à la noble cause ses deux cadets.
En effet, dès la fin octobre 1885, la défection, bien involontaire, du général Mollard, s’effaçait, le Campanile albanais recouvrant la « vue » et les « habitants pouvaient jouir du bienfait de messieurs les frères Perret » selon les propres termes employés par le maire Félix Canet en séance du conseil de commune.
Une superbe horloge, commandée à la maison parisienne Godefroy Strebet, aujourd’hui disparue, pour la somme de 2 100 francs, ornait maintenant, l’inutile « œeil-de-boeuf », une horloge qui depuis cent ans donne tout son temp.
C’est à cette même période que survint l’accident de l’a cloche cassée (2), remplacée par les deux sœurs « Fides et Spes ». Incident qui nécessita le renvoi de l’horloge à Paris pour l’adapter au do de Fides et occasionna des frais supplémentaires que la famille Perret se fit un devoir de prendre totalement à sa charge. Pour sauver la « mère patrie » d’une intemporalité coupable, Benoit, tel un bon « roi Henri », sacrifia au « parisianisme ». Mais en cette « heure solennelle », Paris, une fois encore, valait bien une… promesse !

Maman Justine partage les honneurs

Il restait aux Albanais à témoigner leur gratitude.
La paroisse se proclama « enchantée du cadeau et donna mille bénédictions aux Messieurs Perret » et associe la génitrice, « Monsieur le curé nommant la Mère Perret marraine de la cloche Spes… ». Dans la chair de métal, s’inscriront ces mots : « Parrain, monsieur Rosset Jules, président de Fabrique (3), Marraine dame Perret Justine ». La célébrité de la progéniture rejaillissait pour une fois sur un parent, ce qui atteste du rôle décisif de « Maman Justine ».
Le conseil de commune décida, quant à lui, à l’unanimité de ses membres « que messieurs les frères Perret figureront au nombre des bienfaiteurs de la commune d’Albens et charge monsieur le maire de leur transmettre une copie de la présente délibération avec l’expression des sentiments de la plus vive reconnaissance des habitants de la commune d’Albens ». Hommes et femmes de l’an 2 000 où le temps lui-même ne suffira peut-être plus, souscrivez aux paroles de nos aïeux en ayant une pensée, ne serait-ce que d’une seconde, pour ceux qui nous offriront… l’heure.

Alain Paget

Tympan de l'église d'Albens
Tympan de l’église

Notes complémentaires de l’auteur

1) Tympan : espace triangulaire, uni ou orné de sculptures, compris entre le linteau et les deux rampants d’un fronton ou d’un gable.
2) lire l’article suivant
3) Fabrique : à l’origine, les fabriques étaient composées de membres du clergé (marguilliers) qui dressaient la liste des pauvres. Les fabriciens furent ensuite des laïques élus par les paroissiens, avec le bureau des marguilliers. Supprimées lors de la Révolution, les fabriques furent rétablies, comme établissements civils, par le Premier consul. Elles comprenaient un conseil de fabrique, assemblée délibérante, et un bureau des marguilliers organe d’exécution. Le curé et le maire en étaient membres de droit. La loi du 9 décembre 1905, relative à la séparation des Églises et de l’État, supprima les fabriques et leur substitua des associations culturelles.
Le conseil paroissial est donc le « descendant » de la Fabrique.

Article initialement paru dans Kronos N° 1, 1986

Mercuriale, marché et coût de la vie avant 1914

Comme chaque semaine les étals ont été montés tout autour de la place centrale d’Albens. Rien ne perturbe alors le déroulement du marché, clients et clientes traversent en toute quiétude l’espace qui va de la fontaine publique au café Bouvier. Deux tréteaux, une planche et l’on écoule les denrées agricoles comme les produits de mercerie ou de quincaillerie.

CartePostableAlbensPlace
Carte postale de la place d’Albens

Mais quel était le prix des choses dans les « années 10 » du XXème siècle ?
Pour le savoir il suffit de lire le Journal du commerce et de l’agriculture, hebdomadaire rumillien publiant les très précieuses mercuriales. Souvenir des temps antiques où Mercure était le dieu de l’éloquence et du commerce, les mercuriales traduisent sous forme de tableau l’état des prix courants des denrées vendues sur un marché public.

Mercuriales
Mercuriales, Journal du commerce -1913

Ainsi apprenons-nous le prix du pain, du beurre, des œufs comme celui de la viande, porc ou bœuf. Au printemps 1913 il en coûtera 30 à 40 centimes pour acheter un kilo de pain de 1ère qualité mais 2 francs pour un kilo de viande de bœuf, 3,60 francs pour une belle portion de beurre de même poids ou encore 1,45 francs pour une douzaine d’œufs.
Les prix exprimés en francs peuvent paraître modestes, peu élevés pour des consommateurs du XXIème siècle mais il est bon de rappeler qu’à la « Belle Époque » ces prix étaient exprimés en franc or. Le Franc français est alors une monnaie très solide. Les billets émis par la Banque de France restent convertibles à tout instant c’est-à-dire qu’il est possible de se rendre à la banque pour changer la monnaie papier en belles pièces d’or. Ainsi un billet de cent francs « payable en espèce, à vue, au porteur » peut être converti en cinq pièces de 20 francs or soit un poids de 32,25 grammes de métal précieux.

Billet100F

C’est l’âge d’or des rentiers car il n’y a aucune inflation et le produit de la rente n’est pas imposé. En 1911 sur une population totale de 1599 habitants, Albens compte six personnes qui vivent sans travailler, c’est-à-dire qui vivent de leurs rentes. Il s’agit de cinq hommes et d’une femme qui tirent leurs revenus du foncier et de l’immobilier. S’il est difficile d’évaluer l’importance de leur fortune, on sait toutefois qu’ils vivent dans un département qui détient quand même 1% de la fortune privée estimée en France et se place en position médiane dans le classement national. Ces rentiers n’ont bien sûr aucune peine à disposer de tout le nécessaire qui fait le confort de la vie. Mais qu’en est-il d’un ouvrier de campagne, journalier qui se loue pour 3 ou 4 francs au moment des gros travaux et risque lorsque le mauvais temps domine, comme en juillet 1913, de ne pas trouver à se placer ? Il lui sera difficile alors de mettre à son menu de la viande, du beurre ou des œufs. Il devra se rabattre sur le pain de moindre qualité, plus abordable, à 20 centimes le kilo.
Logés chez leur employeur, les domestiques qui représentent près de 4% de la population d’Albens sont mieux lotis car intégrés à la cellule familiale qui les emploie.
De fait, le gros bourg rural qu’est Albens reflète l’image de la société de son temps, un temps où pour ceux qui ont une fortune, aussi modeste soit-elle, ce début du XXème siècle est bien la « Belle Époque », en ce sens que l’argent y produit toujours plus d’argent.
C’est la Grande Guerre qui bouleversera ce contexte économique et social.

Jean-Louis Hébrard
Article initialement par dans l’Hebdo des Savoie

Forums 2016

Après sa participation la veille au Forum des associations à La Biolle, Kronos était, comme tous les ans, présent à celui qui se tenait ce samedi 3
septembre dans la salle des sports d’Albens.
De nombreux visiteurs se sont arrêtés devant le stand pour dialoguer avec quelques membres de l’association qui se sont fait un plaisir de parler de leurs recherches et publications sur le passé de l’Albanais. De nouveaux arrivants dans la région, surpris par la richesse du patrimoine local, envisagent peut-être de rejoindre l’association.

forumalbens2016

forumlabiolle2016

Kronos a visité la ciergerie d’Alby

Le 11 août dernier, le bureau de l’association d’histoire Kronos visitait l’ancien atelier Blanchet à Alby-sur-Chéran.
Le monde captivant de la fabrication des cierges se découvre tout au long de la visite de cette entreprise artisanale crée vers 1860 par la famille Blanchet. De salle en salle, grâce aux commentaires d’Amandine Gibert, chargée par la mairie du service culturel, le travail très précis de l’artisan reprend vie dans un environnement qui n’a pas changé depuis la fermeture de l’atelier à la fin du XXème siècle.

kronosciergerie

Cette visite a passionné toute l’équipe de Kronos amenée par Christian Michaud son président.

Kronos réaménage l’Espace patrimoine

Depuis ce printemps, l’association Kronos a entrepris la réorganisation de l’Espace patrimoine, rue du Mont-Blanc à Albens à l’office du tourisme, dans sa partie consacrée à l’artisanat, l’industrie et au monde paysan d’autrefois.
Afin de valoriser la présentation des objets prêtés ou remis à Kronos par quelques familles du canton, une grande vitrine a été commandée à l’entreprise de menuiserie Morel-Coudurier d’Albens. Son installation vient de s’achever et pour entamer une réflexion sur la présentation des collections, l’équipe Kronos au côté de leur président Christian Michaud a pu bénéficier mercredi dernier du concours sympathique de la directrice du Musée de Rumilly, Bergamote Hebrard. Elle a donné son avis de professionnelle et répondu aux nombreuses interrogations sur l’accrochage, la disposition des objets et des photographies. L’équipe de Kronos a pu ainsi profiter de ses conseils avisés.

vitrine

Désormais, Kronos n’a plus qu’à poursuivre et achever son projet, celui d’une vitrine pouvant raconter et faire comprendre l’évolution et les transformations d’un gros bourg et de son territoire entre 1860 et 1960/70.
Nul doute que l’Espace patrimoine pourra ainsi mieux accueillir les scolaires, les associations ou les visiteurs saisonniers curieux d’histoire locale.

Saint-Girod–Les Vergers, An II de la République

À la veille de la Révolution Française, la situation sociale et morale n’est certes pas la même en France et en Savoie. Si le paysan savoyard reste très pauvre, son état s’est néanmoins amélioré à la suite des réformes promulguées sous Victor-Amédée II et Charles-Emmanuel III, « despotes éclairés », s’il en fut.
Trop pauvre cependant pour nourrir tous ses enfants, la Savoie en déverse sur tous les pays d’Europe, la France notamment où nobles et bourgeois viennent y achever leurs études. Les uns et les autres contribuent à introduire dans leur pays d’origine, auquel ils demeurent profondément attachés, « les idées nouvelles » qui ont cours en France ; et lorsque les troupes françaises rentrent en Savoie le 27 Septembre 1792, c’est dans un climat favorable que l’Assemblée Nationale des Allobroges se prononce, à Chambéry, pour le rattachement de la Savoie à la France. La Convention ratifie ce choix par un décret du 27 Novembre 1792 qui fait de la Savoie le 84ième département français sous le nom de département du Mont-Blanc.
Cette nouvelle circonscription dont le chef-lieu est Chambéry, a sensiblement les mêmes limites que l’ancien duché ; elle est divisée, conformément aux lois constitutionnelles en vigueur, en sept districts correspondant aux provinces ou intendances de l’ancien régime.
Dans le cadre de cette répartition qui la rattache au canton de La Biolle, district de Chambéry, la commune de Saint-Girod se dote de l’organisation municipale prévue par les lois de la République.
C’est ainsi que le 31 décembre 1792, les citoyens actifs de la Commune, organisés en Assemblée Générale, élisent le corps municipal ainsi que les notables appelés, dans certains cas, à siéger avec le Corps municipal pour former le Conseil Général de la Commune.

Le premier Corps municipal est composé de :
– Louis Darmand, Maire, 38 ans
– Antoine Gannaz, 1ier officier, 65 ans
– Antoine Morens, 2° officier, 46 ans
– Jacques Bouvier, 3° officier, 52 ans
– François Lansard, 4° officier, 66 ans
– Jean Boissat, Procureur de la Commune, 35 ans
– François Nicolas Pavi, Secrétaire, 30 ans.
Les procès verbaux des délibérations seront établis dans une belle écriture ronde par François Pavi, notaire public, dans une forme laissant apparaître un juriste, qui aura toutefois quelques difficultés à s’adapter aux subtilités du calendrier républicain. Ainsi, les comptes-rendus des délibérations du 1ier semestre de l’année 1793 sont datés de l’an II de « la République une et indivisible », alors que c’est l’an I qui couvre en réalité la période « grégorienne » qui va du 22 Septembre 1792 au 21 Septembre 1793(1). La laïcisation de la commune qui récuse son patron pour s’appeler plus prosaïquement Les Vergers(2) n’apparaîtra qu’ultérieurement dans les délibérations.

Le recensement pratiqué en 1793 fait ressortir une population totale de 358 personnes réparties en 71 familles. La famille comprenait tous les individus vivant sous un même toit, domestiques inclus. Ces laboureurs et moissonneurs sont peu alphabétisés ; la signature est rare alors que l’apposition de la marque est la plus fréquemment utilisée, notamment par trois des officiers municipaux, dans les délibérations ou actes publics.
Il n’y a aucune raison de douter de la sincérité des sentiments républicains exprimés dans les délibérations de la municipalité de Saint-Girod. Cependant, au fil des jours, apparaissent les difficultés liées, bien sûr, à la politique anti-religieuse de la Convention, mais également aux dispositions d’une population rurale, qui dans la situation exceptionnelle née de la Révolution, supporte mal, aussi bien les levées en hommes que les réquisitions de chevaux, de grains ou autres denrées alimentaires.
Kronos reviendra dans ses prochains numéros sur les délibérations du Corps municipal liées à ces questions particulièrement vitales. Il apparaît plus intéressant, pour l’heure, de livrer à ses lecteurs, au travers de la prose du citoyen Pavi, secrétaire, les arguments de cette municipalité, confrontée, déjà, aux problèmes soulevés par la réunion des communes et des cures :
Égalité, Liberté
Délibération du Conseil Général de la Municipalité de Saint-Girod en réponse aux adresses du Procès Verbal du Directoire de Desmet des 26 Mars et 12 Avril 1793.
L’an mille sept cent nonante trois, second de la République (en fait, l’an I) le vingt et un du mois d’avril, à dix heures du matin à Saint-Girod, dans la maison d’habitation du citoyen Jacques Bouvier, la Municipalité de cette commune convoquée par le citoyen maire s’est assemblée en Conseil Général…
La Municipalité, pour les chefs qui la concernent, et après avoir ouï le Procureur de la Commune, … , a unanimement arrêté qu’il sera répondu que le citoyen Michel Dupessey, curé de cette commune, dans laquelle il n’habite aucun autre prêtre ni religieux, a prêté le serment prescrit aux fonctionnaires du culte, le dix mars dernier. À forme du procès verbal qui en a été consigné dans les registres de la Commune…
Quant aux renseignements à donner concernant les Cures susceptibles de réunion, il est à observer pour celle de Saint-Girod, qu’elle n’est point dans ce cas, soit par rapport à l’étendue de son territoire et à la situation des villages dont elle est composée, soit à cause des obstacles et difficultés physiques qu’elle aurait à communiquer avec les églises situées dans les environs. Elle se trouve séparée de la commune d’Albens, la seule à laquelle elle s’adapterait plus commodément, par la rivière la Daisse (le Deysse) qu’étant très sujette à se déborder par temps pluvieux inonde fréquemment les chemins de communication et les rend impraticables.
Mais s’il est inutile de considérer les raisons pour lesquelles Saint-Girod ne peut être uni, l’on voit au premier coup d’œil qu’il doit servir de point central ; son territoire, moitié en plaine, moitié en collines inclinées vers le couchant, contient quatre villages considérables, quelques hameaux et diverses maisons isolées. Il est confiné au nord par Saint-Félix, au couchant par Albens, au midi par Mognard et au levant par Chainaz et La Frasse, cette dernière commune quoique dépendante du district d’Annecy serait bien susceptible d’être incorporée à Saint-Girod, vu qu’elle en est à une très petite distance et que même cette distance ne s’apercevrait pas, lorsqu’il serait question de venir à l’Église de cette commune où les habitants de ladite Frasse seraient conduits par des chemins en pente et qui sont en bon état.
C’est une observation physique qui n’est pas à négliger. L’expérience prouve qu’il est très dangereux pour les personnes de la campagne un peu éloignées, d’avoir à se rendre aux offices divins par des routes difficiles et escarpées, parce que le son de la cloche les obligeant quelque fois à doubler le pas, elles arrivent alors à l’église, trempées de sueur, sans pouvoir recourir aux secours qui leur seraient nécessaires. De là viennent beaucoup de maladies qui enlèvent malheureusement à la société, les meilleurs de ses membres, nos bons laboureurs.
Le même inconvénient ne peut avoir lieu s’il faut faire un chemin en montée en retournant de l’Église chez soi. Chacun peut, sans se gêner, prendre le pas qui lui convient. La cloche n’a plus d’ordre à lui donner et en supposant encore que la longueur ou la difficulté de la marche causât quelque fatigue, l’on peut en arrivant a la maison satisfaire ses besoins et prévenir les dangers en changeant de linge ou en se chauffant, selon les circonstances de la saison.
La commune de la Frasse ne peut éviter la réunion à cause de son peu d’étendue et du petit nombre de ses habitants ; elle ne forme presque qu’un village. Outre quelques maisons éparses, son église est d’une très médiocre capacité, couverte de chaume et même mal située, au lieu que l’Église de Saint-Girod(3) est en bon état et assez vaste pour contenir les habitants des deux communes. D’ailleurs, la Frasse est dépourvue depuis longtemps de son curé pour ce qui concerne les fonctions ordinaires du culte. L’extrême vieillesse du citoyen Exertier l’ayant mis dans le cas de se faire nommer un suppleteur en la personne du citoyen Perrin vicaire de Saint-Félix qui est actuellement obligé de desservir seul deux communes et d’étendre sa sollicitude à celle qui manquent de pasteurs.
Le curé de Saint-Girod est dans le même cas et dessert aussi habituellement la commune de Mognard, depuis l’expatriation du ci devant curé Dijod.
La municipalité déclare que malgré les fréquentes invitations par elle faites et surtout de la part du citoyen maire, aucun habitant de cette commune ne s’est fait inscrire pour volontaire.

Le 23 Juin 1793, 16 Conseil Général de la Commune, sur les réquisitions du citoyen Vissol commissaire député pour le Directoire du district de Chambéry, rejette à nouveau toute réunion avec Albens au motif supplémentaire que : « cette commune s’accroîtra encore par la réunion de celle d’Ansigny » et maintient son projet de réunion de la Frasse à Saint-Girod en raison notamment « du patriotisme du citoyen Michel Dupessey curé de Saint-Girod… et aux raisons plausibles, détaillées dans la délibération du 21 Avril qui ne paraissent avoir besoin d’autres appuis que leur propre solidité pour déterminer la réunion proposée et conserver à cette commune la qualité de chef-lieu où le curé fera sa résidence ».
Le Conseil Général de la Commune de Saint-Girod va-t-il obtenir satisfaction ?
Le 3 ventôse de l’an second de la république (le 22 Février 1794), il se réunit cette fois dans la Cure, à défaut de maison commune, en présence de louis François Gallay et Jean Dupuis notaire, tous deux Commissaires de l’Administration du Département pour faire appliquer un arrêté pris le 12 Juillet 1793 pour la réunion des Cures.

Les dits commissaires, indépendamment de la vue et des examens qu’ils ont faits par eux-mêmes des localités, ont demandé au dit Conseil Général quelles sont les communes voisines de la présente, dont la distance n’excède pas une lieu et dont la réunion soit praticable ? Quelle est la population de chacune et quels sont les prêtres et ci-devant religieux et religieuse qui y habitent ? Le Conseil répond que les communes de Chainaz et La Frasse sont toutes les deux à une moindre distante d’une lieu et que, quoiqu’elles aient été inscrites dans le canton d’Alby, district d’Annecy, leur situation à proximité de cette commune (Saint-Girod), parait exiger qu’elles soient réunies à celle-ci ; leur pente naturelle de ce coté en fait la preuve, joint au plus grand éloignement où elles se trouvent de tout autres et à leur peu nombreuse population, laquelle, avec celle de cette commune (Saint-Girod), en composerait une d’un nombre suffisant.
D’ailleurs l’Église en ce lieu est en très bon état, couvertes à tuiles et la plus vaste des trois. La pente par laquelle on arrive en ce lieu favorisant en outre le port des cadavres au cimetière.
Cette réunion, et même celle de Cusy qui est borné du côté d’Annecy par la rivière Le Chéran qui leur cause un chemin excessivement long pour aller au dit Annecy puisqu’ils sont obligés d’aller passer sur le pont d’Alby, au district de Chambéry, dont dépend cette commune de Saint-Girod ; ne diminuerait point notablement le dit canton d‘Alby qui est composé d’un grand nombre de communes.
Il parait aussi que le point central de la réunion des dites communes de Saint-Girod, Chainaz et La Frasse doit être Saint-Girod puisque les hameaux de celle-ci seraient beaucoup éloignés de Chainaz et La Frasse que ne le sont de Saint-Girod les hameaux de ces deux dernières.
La population de la commune de Saint-Girod arrive à trois cent soixante quatre(4), celle de Chainaz à deux cent cinquante environ et celle de La Frasse à environ cent individus.
Il y a dans cette commune le citoyen Michel Dupessey, prêtre, qui est curé institué, à Chainaz ; le citoyen Durhone aussi curé institué et le citoyen Perrin vicaire de Saint-Félix, font quelques fonctions de culte à La Frasse et il n’y a dans les trois communes ni religieux ni religieuse.
Les dits commissaires… ayant ouï sur tous les objets, le Conseil Général unanimement d’accord, ont déclaré provisoirement les dites communes de Chainaz et La Frasse réunies à celle de Saint-Girod.

Dans sa défense des intérêts spirituels et… matériels de la communauté dont elle a charge, la municipalité de Saint-Girod, par des arguments, dans lesquels apparaissent souvent le bon sens et toujours un sens remarquable de l’opportunité du moment, obtient provisoirement gain de cause.
Pour longtemps ?… À Paris, au culte de la « Raison » va succéder celui de « l’Être Suprême »…
À Saint-Girod-Les Vergers, la municipalité se réunit à nouveau le 6 ventôse de l’an II (25 Février 1794), soit trois jours après la délibération qui a vu l’annexion de Chainaz et de La Frasse, pour faire exécuter un arrêté du 7 pluviose an II signé par Albitte, représentant du peuple à Chambéry qui leur enjoint de :
démolir le clocher, briser la cloche subsistante et d’établir un état des tableaux… , costumes, linges, statues et autres machines religieuses contenues dans la ci devant église.
Une délibération du 25 Prairial an II (13 Juin 1794) constatera la réalisation effective de ces destructions. Le 29 prairial, le Conseil Général de Saint-Girod : établit dans la ci-devant cure de la commune le lieu de détention où seront conduits et retenus les délinquants qui auront été déclarés en état d’arrestation ainsi que les bestiaux saisis.
Et malgré son « patriotisme » » et le serment prêté aux nouvelles institutions et à la Constitution civile du clergé, le curé Dupessey sera arrêté comme suspect.
Son Église couverte de tuiles mais privé de son clocher et de la cloche dont l’appel « obligeait quelquefois les fidèles à doubler le pas », sans Curé et sans Cure, les arguments « annexionnistes » de la Municipalité de Saint-Girod s’effondrent sur l’essentiel… Et si la commune de La Frasse n’existe plus de nos jours, c’est qu’en des temps moins troubles, le 17 Novembre 1865, elle a été réunie à la commune de Chainaz.

Félix Levet

NDLR : Les plus vifs remerciements adressés à Monsieur Raymond Porcheron, maire de Saint-Girod qui a eu la gentillesse de mettre les archives de sa commune à la disposition de la Société Kronos.

Notes de l’auteur :
1) Le calendrier républicain a été adopté par la Convention à l’instigation du mathématicien Charles Romme. L’ère nouvelle commence le 22 Septembre 1792, jour de la proclamation de la République. L’année républicaine compte 12 mois de 30 jours plus 5 ou 6 jours (années bissextiles) « surajoutées », nommés poétiquement « sans culotides ». Il fut en vigueur jusqu’au 1ier janvier 1806, date à laquelle Napoléon rétablit le calendrier grégorien.
2) À la même époque, Saint-Germain devient simplement la Chambotte et Saint-Ours, la Forêt d’Ours.
3) Il s’agit, bien entendu, de l’ancienne église dont la situation est rappelée aujourd’hui par le village de « Vieille Église ». L’Église actuelle date du XIXième siècle. Elle abrite notamment deux statues d’apôtres en pierre, attribuées à Brecquessent ou Brescent, sculpteur du XIVième siècle et qui proviennent de la chapelle des princes de l’abbaye d’Hautecombe.
4) Nous avons vu que le recensement d’octobre 1793 donne 358 habitants.

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Délibération de la municipalité de Saint-Girod sur l’arrêté pris par Albitte, représentant du peuple, le 7 pluviose de l’an II (démolition du clocher)
(cliquer pour agrandir)

Article initialement paru dans Kronos N° 2, 1987