Le vendredi 29 septembre 20h30, salle Chantal Mauduit à Albens, Kronos vous propose la conférence « Histoire de la Poste dans l’Albanais », par Mr Louis Mermin, Président des Amis du Vieux Rumilly.
Entrée libre et gratuite !
Les 16 et 17 septembre derniers, dans le cadre des Journées européennes du patrimoine, l’association Kronos organisait deux circuits de découverte des vestiges gallo-romains d’Albens, l’antique Albinnum.
Sous la conduite de Rodolphe Guilhot, professeur d’Histoire-Géographie, ce sont deux groupes de personnes, tous âges confondus, qui le samedi et le dimanche sont partis sur les traces des habitants de l’antique vicus (petite agglomération) d’Albinnum. L’occasion de découvrir quelques fragments du passé gallo-romain, tel que le mur d’enceinte du hameau de La Ville, la colonne romaine de l’ancien cimetière (hameau du Paradis), l’inscription en l’honneur de l’empereur Trajan (devant la mairie) et bien d’autres vestiges conservés à l’Espace patrimoine. Au total, plus de 70 personnes ont participé à ces visites commentés sur deux jours : un vrai succès.
Proche du donjon, sur la colline de Montfalcon à La Biolle, on rencontre couchée au milieu d’un pré une belle inscription latine. Elle fut inventoriée en son temps par les archéologues dont Pierre Broise qui en donne un magnifique relevé après sa découverte vers 1967 dans un mur proche de la tour du château (voir le n°7 de la revue Kronos).
Le bloc de calcaire sur lequel elle fut gravée il y a 2000 ans est de belle taille (1m x 0,60 x 0,60) et même si l’inscription est fragmentaire, on suppose qu’il a fallu produire bien des efforts pour transporter ces 1700 kg d’Albinum la romaine jusqu’à ce château médiéval.
Quand ce transport a-t-il été effectué ? On l’ignore mais on peut en imaginer une des raisons, s’approvisionner en beaux matériaux prélevés dans les ruines du site romain d’Albens.
Une autre inscription a probablement suivi le même itinéraire, celle gravée en l’honneur de Caius Vibrius Punicus et découverte il y a fort longtemps au pied de la tour « des prisonniers » à Montfalcon. Ce sont les humanistes savoyards qui la font connaître et en offrent les premiers relevés. Ils se nomment E. Philibert de Pingon (1525-1582) et Alphonse Delbene (1558-1608). Le premier est né à Chambéry à l’époque du duc Charles III le Bon. Il fit de solides études classiques d’abord à Chambéry puis à Lyon, Paris et enfin Padoue où il fut reçu docteur en droit civil et en droit canon. Quand il revint à Chambéry vers 1550, ce fut pour s’y installer comme avocat avant de devenir syndic de la ville. C’est à ce moment qu’il réalise son périple épigraphique, relève avec beaucoup d’exactitude nombre d’inscriptions latines locales dont celle de Montfalcon.
Alphonse Delbene, de treize ans son cadet se consacrera aussi à de semblables recherches. Nommé par le duc Emmanuel-Philibert abbé de Hautecombe en janvier 1560, il allait se consacrer à la paléographie, à l’épigraphie mais aussi à l’histoire et à l’archéologie. Lui aussi allait effectuer des relevés d’inscriptions latines locales dont plusieurs à Montfalcon.
Ainsi ces érudits de la Renaissance font entrer l’inscription de Caius Vibrius Punicus dans le champ de la connaissance historique.
Nous perdons sa trace durant près de trois siècles avant que d’autres érudits, ceux du XIXème siècle, ne la portent à nouveau à notre connaissance. Tous travaillent dans le cadre de sociétés savantes, Académie de Savoie, Académie Florimontane, Société Savoisienne d’Histoire et d’Archéologie et se désolent de la destruction du patrimoine historique. « Comme tous les anciens châteaux abandonnés » écrit l’un d’eux en 1895 à propos de Montfalcon, « il est devenu pour les paysans une carrière à bâtir ; au risque de leur vie, ils ont descellé les pierres angulaires, arraché les poutres… ».
Ils se nomment Jules Philippe, le vicomte Lepic, le docteur Davat ou encore François Rabut. Ce dernier donne en 1861 dans les « Mémoires de la Société Savoisienne d’Histoire et d’Archéologie » une des premières études de cette inscription. « C’est un monument funéraire élevé par Caius Vibrius Punicus Octavianus à son père, affranchi d’Auguste, qui a été général de cavalerie, tribun militaire et chef des troupes romaines en Corse. Tout permet d’attribuer cette inscription au 1er siècle de notre ère : forme des lettres, style et détails ».
Dans le même article, il mentionne que l’inscription est visible dans le musée archéologique du docteur Davat à Aix-les-Bains. Ce dernier, au même titre que le vicomte Lepic est collectionneur d’antiquités et cette passion va le conduire à sauver cette inscription de sa triste situation. Lorsqu’il la découvre dans une ferme de La Biolle en réemploi dans la fosse à fumier, il l’achète et l’installe au sein de ses collections. Comme celles du vicomte Lepic, ses collections vont en partie se retrouver dans le musée lapidaire d’Aix-les-Bains. C’est là que Caius Vibrius Punicus coule aujourd’hui des jours heureux, dans le silence profond du musée, ne reprenant vie qu’au moment des visites intitulées « Aix à l’époque romaine ».
Terminons notre périple épigraphique en revenant sur Albens pour conter les tribulations d’une dernière inscription de belles dimensions (1,30m x 0,62 x 0,22) gravée sur un calcaire mouluré. Réalisée en l’honneur de l’empereur Trajan, cette plaque de calcaire fut découverte au XVIIIème siècle à Albens lors de la démolition d’une tour mal localisée aujourd’hui. Encore une fois le site antique d’Albens a dû servir de « carrière » aux bâtisseurs médiévaux lors de l’essor de la ville neuve d’Albens peu après 1300.
Dans la seconde moitié du XIXème siècle on retrouve sa trace au moment de la construction de la cure en 1874. L’épigraphiste allemand Otto Hirschfeld la publie alors dans le Corpus des Inscriptions Latines (CIL), sorte de collection générale des inscriptions latines anciennes rédigée en latin. Le curé d’Albens Joseph Lemoine la fait sceller dans un des murs de la cure donnant sur le jardin.
Il fait aussi installer une autre inscription moins lisible qui avait été trouvée dans un mur de l’ancienne église au quartier du Paradis (elle est actuellement visible à l’Espace Patrimoine d’Albens). Ces inscriptions vont rester là, bien protégées jusqu’à la démolition de la cure à la fin du XXème siècle.
Comme on le voit, les curés du XIXème siècle furent au même titre que les nobles et plus tard les instituteurs les seules personnes se préoccupant de la préservation du patrimoine ancien, aidés le plus souvent par le fait qu’ils lisaient le latin. C’est sans doute le cas du curé Lemoine, né à Saint-Pierre-d’Albigny, qui arrive à Albens après 1871 au moment de l’édification de la cure et reste à la tête de la paroisse jusqu’en 1891.
Bernard Rémy, professeur à l’université, allait réaliser une nouvelle étude de cette inscription qu’il publie dans différentes revues dont Kronos (n°8 – 1993). Aujourd’hui visible devant le centre administratif d’Albens, elle sera bientôt incorporée dans le circuit découverte du patrimoine de la commune. Les visiteurs pourront alors, grâce à une application, faire connaissance avec ce généreux donateur (le fils de Certus) qui offre vers 116/117 aux habitants du vicus d’Albens un temple en l’honneur de l’empereur Trajan.
Ainsi en ce début de XXIème siècle, la longue chaîne des amoureux des choses antiques a permis qu’elles parviennent jusqu’à nous. Pour en savoir encore plus, voyez l’article de Daniel Davier paru dans le dernier numéro de la revue Kronos.
Jean-Louis Hébrard
Notre voyage au temps des romains, débuté au cours d’articles précédents, passe une nouvelle fois par l’enclave de « La Paroy », entre Albens et La Biolle. Après ses colonnes romaines et quelques uns de ses vestiges disparus, nous évoquerons aujourd’hui son réseau hydraulique.
Du Vicus d’Albinnum, on connaît les inscriptions de Marigny-Saint-Marcel, présentes dans le mur de l’église de cette commune, qui indiquent un don de Caius Sennius Sabinus, riche citoyen romain, aux habitants d’Albens, afin que ceux-ci disposent de bains publics. Un aqueduc romain au départ de la source de la Bourbaz, aujourd’hui tarie, se chargeait de conduire l’eau à travers les marais jusqu’à Albinnum. Par aqueduc, il ne faut pas s’imaginer un monument comme le Pont du Gard mais plutôt une canalisation réalisée à base de tegulae (tuiles) et permettant l’acheminement de l’eau. Si cet aqueduc est le plus connu lorsque l’on évoque le passé romain d’Albens, d’autres théories évoquent un second aqueduc, à La Paroy.
C’est François de Mouxy de Loche, officier savoyard et historien régional connu, qui signale cet aqueduc le premier au début du XIXème siècle. Il indique, plan à l’appui : « … on a découvert en fouillant un champ les restes d’un bel aqueduc souterrain […] le morceau d’aqueduc qui a été découvert a 130 pieds de longueur (40 mètres) en ligne droite, sa direction est d’à peu près Nord/Est et sa pente paraît se diriger vers la ville d’Albens. Ce morceau d’aqueduc parait avoir fourni de l’eau à une et même deux fontaines sur le sol même […] ». Ce document, qui comprend bien d’autres indications, est beaucoup trop précis pour avoir été inventé. C’est également l’avis de Pierre Broise, archéologue du XXème siècle, qui admet l’hypothèse de deux aqueducs distincts : l’un au Nord, en provenance de Marigny-Saint-Marcel et alimentant le vicus d’Albinnum ; un second au Sud, à La Paroy, desservant la villa de Bacuz.
Au début du XXème siècle, un autre archéologue, Charles Marteaux, dans une étude de la voie romaine entre Seyssel et Aix-les-Bains en 1913, évoque « le village de Paron, au sud-ouest d’Albens, où s’élevait une belle villa à mi-côte, connue pour ses nombreuses substructions, ses colonnes, ses pierres taillées, ses inscriptions, ses vases rouges et noirs datant du Ier siècle (portant les inscriptions « SEVVOFE » et « OFEBRIIV »), sept amphores trouvées en 1882 (dont trois vendues immédiatement), ses monnaies, son étable, etc. ; elle jouissait d’une vue agréable sur le vicus et sur la plaine et était pourvue d’une source pure », ce que confirme une étude géologique et hydrogéologique effectuée en 1992 qui met en évidence la présence d’un aquifère et d’une eau de source riche en sels minéraux sur le secteur de La Paroy. Cette eau de source a été régulièrement utilisée par les habitants du hameau jusque dans les années 1990. Charles Marteaux, dans son étude, ajoute à propos des vestiges, qu’il « se peut que la pierre tumulaire du préfet de la Corse, L. Vibrius Punicus, ait été transportée plus tard de là au château de Montfalcon ».
Petit aparté concernant le nom de la Paroy : le lieu-dit s’appelait « Parroy » au XVIème siècle puis on le retrouve sous le nom de « Paron », « Paroir » et enfin « La Paroy » ou « La Parroy » dans les actes jusqu’à la seconde partie du XXème siècle. Une coïncidence surprenante concernant le terme de « Paron » : c’est le nom d’une petite commune de l’Yonne, d’origine romaine et qui possède des vestiges d’aqueduc, des murs gallo-romains et un site d’atelier métallurgique. Le nom qui a évolué au fil du temps découlerait du terme « Paroy » dont quelques villages alentours portent encore ce nom et viendrait du latin « paries » (la muraille). Sa signification serait « le lieu pierreux ou la paroi au pied de la colline ». Ailleurs, on indique que le terme « Paroy », viendrait du latin « petra » (la masse de pierre escarpée) et pourrait correspondre à des éléments de voie romaine lorsque le contexte permet de les situer dans un ensemble signifiant. Dans son manuscrit, De Mouxy de Loche indique que « cet aqueduc est à environ 300 pas au-dessous de l’ancienne route de Rumilly, soit la voie romaine ». De nos jours, une erreur orthographique commise sur le cadastre, « la Paroie », apparaît.
Mais revenons au témoignage de Charles Marteaux, outre l’intérêt pour les vestiges qu’il répertorie, qu’en est-il aujourd’hui de cette « source pure » ou de cet « aqueduc souterrain » dont nous parlaient les archéologues d’alors ?
Le village de La Paroy comprend deux puits antiques : l’un de section rectangulaire de plus de six mètres de profondeur, alimenté par un canal en pierres qui amène l’eau qui semble issue de la nappe phréatique des Marais du Parc. Le second puits fait également six mètres de profondeur ; à la sortie de celui-ci en direction de la fontaine du village, le canal est obturé par une plaque de plomb (40 x 40 cm environ) perforée par de nombreux trous circulaires. Cela rappelle sensiblement la plaque en plomb répertoriée d’époque romaine à Marigny-Saint-Marcel au niveau de la source de la Bourbaz et de l’aqueduc « officiel » d’Albens.
L’origine du bassin antique du village dans lequel se déverse l’eau du puits n’a jamais été établie. Cependant, des racines du saule centenaire de la fontaine obstruant l’arrivée d’eau, des travaux pour réparer le canal dans les années 1990 mirent en évidence une conduite en tegulae – cassée par les racines – alimentant le bassin en eau. C’est fort probablement la dérivation de l’aqueduc romain dont nous parlait De Mouxy de Loche. À noter la présence d’un second bassin répertorié romain au sein du village.
Malgré tous ces faits, aucune recherche archéologique n’a jamais été effectuée sur le secteur pour étudier les puits du village et son réseau hydraulique. Dans les années 1990, on indiquait pourtant que si l’aqueduc romain était confirmé, celui-ci serait le seul en Savoie encore en état de fonctionnement ! De la fin du XVIIIème siècle jusqu’aux années 1950, un simple labour des champs alentours avec des outils archaïques suivi de fouilles de surface permettait la découverte de nombreux vestiges. Ces trente dernières années, le secteur de Bacuz, malgré l’urbanisation, n’a, semble-t-il, permis aucune nouvelle découverte répertoriée. Il apparaît cependant nécessaire d’effectuer des recherches dans la zone La Paroy/Bacuz avant que l’étalement urbain ne vienne complètement recouvrir ces terres.
Benjamin Berthod
Les marcheurs de la ronde des fours d’Albens, le dimanche 30 juillet, furent nombreux à s’intéresser au stand de Kronos au bassin de Braille. Ils purent faire connaissance des revues, des livres et des flyers que leur distribuaient les membres de l’association annonçant le « parcours découverte » des vestiges d’Albinum (Albens dans l’antiquité) proposé dans le cadre des journées européennes du patrimoine les 16 et 17 septembre 2017.
À côté du stand de Kronos, toujours sous le bassin de Braille, se dressaient des moules flanqués de leurs fourches en bois en cours de fabrication. C’est ainsi que la plupart des marcheurs apprenaient l’existence de l’entreprise Édouard Verguin de Saint-Félix qui façonna des fourches en frêne jusqu’en 1949. Il fit son apprentissage chez Jean-Pierre Conversy de Saint-Girod qui lui aussi en fabriquait (voir revue Kronos n°1 article Maryse Portier). Sa formation terminée, il prit la succession de son père qui dans la foulée arrêta sa fabrication de râteaux en bois.
Il choisissait lui-même ses frênes sur pied. Une fois abattus, ils étaient découpés à la battante (scie) puis séchés, de la découpe naissait une planche d’environ 2,50 m de long sur 6 cm de large et 3 cm d’épaisseur. Deux coups de scie à une extrémité de 70cm donnaient naissance aux dents de la fourche. Le futur outil se dessinait déjà. La fourche était placée ensuite sur un moule équipé de 4 coins mobiles qui façonnaient la courbure du manche et des dents ainsi que leur écartement grâce à la souplesse que la vapeur et l’eau bouillante procuraient au bois. Les coins étaient poussés à l’aide d’un maillet, à la demande. Parvenu à sa forme définitive en état brut, cette fourche était retirée de son moule, on l’affinait à l’aide d’un « kté paryeu » (une plane) et une râpe à bois.
Édouard Verguin développa son entreprise. 6 à 7 employés fabriquaient ces fourches vendues non seulement dans les petites fermes de l’Albanais et les environs, mais même jusque dans le midi de la France où il effectuait des livraisons avec son camion. Cette entreprise, très connue à l’époque, s’arrêta brutalement le 30 novembre 1949. Une chaudière à gaz de bois explosa. Édouard Verguin, grièvement blessé, décéda 3 jours plus tard. Cet évènement tragique ne doit pas faire oublier que cet atelier a duré de nombreuses années et représentait un travail essentiel à l’activité paysanne de l’époque.
Ce fût, pour bon nombre de randonneurs, l’occasion de replonger dans leur enfance ou leur jeunesse passée dans la ferme des grands-parents ou des parents où les foins étaient tous fait à la fourche. Chemin faisant, ils remuèrent à la fourche leurs souvenirs des fenaisons d’antan.
Merci à Ninette, André, Christiane les enfants d’Édouard Verguin et à Bertrand son petit-fils de nous avoir rappelé ou fait connaître ce bel ouvrage artisanal.
René Canet
Il existe dans les collections archéologiques de l’Espace patrimoine à Albens une toute petite pièce de monnaie à laquelle le visiteur peut ne prêter qu’une attention fugace. Toutefois elle mérite que l’on s’y attarde un peu plus. En effet c’est la seule qui présente le profil d’une femme entourée par l’inscription bien lisible « JULIA AUGUSTA ».
Il s’agit de l’impératrice Julia Domna, épouse de l’empereur Septime Sévère, une femme qui allait « régner » en l’an 211 à la mort de son époux.
Sur cette monnaie trouvée à Albens (au lieu-dit Bacuz), l’impératrice arbore une coiffure compliquée dans laquelle son abondante chevelure est disposée en deux bandeaux séparés par une raie pour se terminer en chignon sur la nuque.
Julia Domna, originaire de Syrie (elle était native d’Emèse, actuellement Homs) avait introduit à Rome les nouvelles modes venues d’Orient, dont ces lourdes coiffures avec des postiches et des perruques. Désormais, la coiffure devient une opération complexe, c’est pourquoi les femmes sont aidées par des servantes appelées ornatrix. Elles avaient bien d’autres missions et disposaient pour cela d’un nécessaire de toilette bien fourni comprenant pots de parfum, miroir de bronze, pinces à friser, à épiler, peignes sans oublier les applicateurs de maquillage. Ainsi, ce beau profil d’impératrice nous fait-il entrer quelque peu dans le monde esthétique d’une romaine au tournant du IIème siècle. On peut imaginer que cette mode a pu être suivie par quelques riches romaines de l’Albanais comme pourrait le laisser penser ce miroir en bronze trouvé il y a longtemps à Albens.
Il fait partie aujourd’hui des collections du musée Savoisien à Chambéry.
La monnaie ne joue pas seulement un rôle économique elle a également une fonction politique. À partir de 211, à la mort de son époux, Julia Domna règne avec son fils Caracalla. Par cette frappe monétaire, l’impératrice se fait connaître de ses « sujets » et affirme son pouvoir en indiquant son titre d’Auguste (AUGUSTA sur l’inscription de la monnaie). Tout au long de son passage au pouvoir elle connaîtra drame sur drame, voyant son fils Caracalla éliminer son frère (Géta) et interdire à sa mère de porter le deuil.
Le règne avec Caracalla allait être marqué aussi par de terribles rumeurs à l’encontre de Julia Domna. Le fils et la mère se partageant efficacement le pouvoir, on fit rapidement courir le bruit qu’elle était une mère incestueuse.
Mais le tandem politique assure à l’empire une administration efficace. Tandis que Caracalla s’occupe de questions militaires, d’embellissement de Rome (les fameux thermes de Caracalla), d’accorder la citoyenneté romaine à tous les hommes libres de l’empire, Julia Domna gère les affaires courantes, fait une réforme monétaire et augmente les impôts.
Toutefois c’est une fin tragique qui attend l’impératrice. Lorsque Caracalla est poignardé en 217 par un des officiers de sa garde, le nouvel empereur Macrin pousse Julia Domna au suicide, la laissant mourir d’inanition.
L’autre face de cette monnaie (avers) apporte elles aussi d’intéressantes informations en nous faisant entrapercevoir les bouleversements religieux du moment. L’allégorie que l’on y découvre fait référence au culte d’Isis et à son introduction à Rome.
La déesse Félicité ou Isis pose le pied sur la proue d’un vaisseau tout en allaitant un enfant (Horus). Le gouvernail fait référence au destin(Fortuna) qui gouverne le monde. Julia Domna aime se comparer à Isis, protectrice des mères et de leurs enfants (allusion aux deux fils de l’impératrice). Ce revers de monnaie est le seul qui fasse spécifiquement référence au culte d’Isis dans le monnayage romain du IIème siècle durant lequel les cultes orientaux vont être très en vogue (Julia Domna appartient à une famille de prêtres d’Ephèse en Syrie).
Cette pièce de monnaie présente en plus un aspect insolite, celui d’être percée sur le côté. Cette belle perforation, bien visible, donne à penser que la pièce a pu être transformée en une sorte de médaille. Mais de récentes découvertes de ce type, effectuées sur des sites méridionaux de Rhône-Alpes, ont soulevé de nouvelles interrogations sur la signification de ces perforations volontaires. N’aurait-on pas affaire, par exemple, à des cas d’offrandes de monnaies percées ? Si tel était le cas, une interrogation supplémentaire vient à l’esprit en ce qui concerne la monnaie d’Albens. A-t-elle été choisie par hasard quand on sait que l’allégorie fait référence à Isis ?
L’archéologie ouvre encore sur bien des mystères.
N’hésitez pas, en attendant, à venir découvrir les collections archéologiques de l’Espace patrimoine, résidence le Berlioz, 177 rue du Mt Blanc à Albens ou à vous connecter sur le site www.kronos-albanais.org.
Jean-Louis Hébrard
À l’occasion des Journées Européennes du Patrimoine les 16-17 septembre 2017, Kronos vous propose une visite gratuite et commentée à partir de 14h30 (env. 2h).
Parcours découverte des vestiges d’Albinnum : Albens dans l’Antiquité
Le nombre de places étant limité, n’hésitez pas à contacter l’office du tourisme otpaysdalbens@free.fr ou à nous contacter pour inscriptions et renseignements !
Kronos sera présent au forum des associations d’Albens, le samedi 9 septembre 2017.
Venez nombreux !
Les vestiges du vicus d’Albinnum ne se limitent pas à ceux que nous pouvons observer à l’Espace Patrimoine d’Albens (www.kronos-albanais.org/). De nombreuses traces du passé romain d’Albens ont été répertoriées aux XIXème et XXème siècle, malheureusement, beaucoup d’entre elles ne sont aujourd’hui plus visibles car rangées dans les réserves des musées, ou vendues à des particuliers, ou perdues voire volées.
Les Musées d’Annecy et Chambéry ont vu transiter dans leurs archives de nombreux objets en provenance d’Albens : céramiques, cruches à anse, des fragments comportant un décor d’animaux courant sous une rangée d’oves, des coupes, des dessus de lampes à huile (en provenance de « La Sablière »), une carafe, une meule complète, des pièces de monnaie en bronze de Néron et de Commode, des tegulae, … À « La Tour », des pieds de biche, un miroir en bronze ou encore une anse en cuivre ont été découverts en 1905. Au Musée Savoisien (fermé pour rénovation jusqu’en 2019), on recense une cruche à anse, des bouteilles prismatiques en verre, des gonds de porte en os ou encore un vase en plomb marqué d’une croix.
La zone de « Les Coutres » a connu l’époque romaine du vicus, les vestiges en sa provenance sont nombreux. Parmi ceux qui ne sont plus visibles aujourd’hui car rangés dans les réserves des musées, on indiquera un grand vase représentant une scène de chasse, une panse de bol, une représentation de personnages, d’angelots et animaux courant dans des métopes, des fragments de tegula, des fragments de pots, de tuiles, des clous en fer… Un vase intact, trouvé en 1869, et portant l’inscription « CPIVLI », se trouve aujourd’hui en dépôt à Figeac, dans le Lot. À « Braille », avant 1860, on voyait dans le mur d’une maison une inscription ornée d’une moulure « à Caius Craxsius, fils de Troucilus, Julia… a fait (ce monument) ». Aujourd’hui, cette pierre a disparu.
Un autre secteur, longtemps occulté, mais dont le passé romain est établi, est l’enclave de « La Paroy », entre Albens et La Biolle. Outre ses colonnes romaines exhumées par le Révérend-Père Pierre MARTIN, que nous évoquions dans un article précédent, le lieu-dit possédait bien d’autres vestiges, aujourd’hui disparus. Une bague romaine en or – une intaille en cornaline – , représentant un joueur de flûte, a été trouvée sur les champs de la zone « La Paroy-Bacuz » au début du XIXème siècle : il ne reste aujourd’hui que l’empreinte en cire de cette bague, celle-ci ayant disparue du Musée annécien. À l’époque romaine, l’intaille en cornaline servait régulièrement de sceau ou de cachet, la cire chaude ne collant pas sur cette pierre. Les intailles comportaient généralement un décor, des inscriptions ou des armoiries. Pourquoi un joueur de flûte (« tibicen » en latin) ? Les romains se servaient de la flûte en presque toute occasion : les triomphes, les funérailles, les mariages, les sacrifices… C’est au son de la flûte que l’on chantait les louanges des dieux ou que l’on haranguait le peuple. Les joueurs de flûte pouvaient également accompagner au quotidien des hommes importants. À la même période, et sur les mêmes terres, est trouvée une épée romaine, laquelle a été rapatriée dans un musée de Turin et dont la trace a été perdue. Charles MARTEAUX, archéologue du XIXème siècle, dans une étude de la voie romaine entre Seyssel et Aix-les-Bains, évoque la même zone de « La Paroy/Bacuz », indiquant « une belle villa à mi-côte, connue pour ses nombreuses substructions, ses colonnes, ses pierres taillées, ses inscriptions, ses vases rouges et noirs datant du Ier siècle (portant les inscriptions « SEVVOFE » et « OFEBRIIV »), sept amphores trouvées en 1882 (dont trois vendues immédiatement), ses monnaies, son étable, etc. ; elle était pourvue d’une source pure et jouissait d’une vue agréable sur le vicus et sur la plaine ». Il ajoute même « Il se peut que la pierre tumulaire du préfet de la Corse, L. Vibrius Punicus, ait été transportée plus tard de là au château de Montfalcon ». Un anneau mérovingien en or massif est également trouvé dans cette zone.
Toujours à « La Paroy », Pierre BROISE, architecte de profession et reconnu par le milieu archéologue, répertorie en 1963 deux pierres de seuil, réemployées comme linteaux. Ces seuils de porte, qui rappellent bien ceux que l’on peut voir dans les sites romains avérés, disparaissent au cours des années 60, probablement jetés par méconnaissance totale de leur valeur historique et culturelle. À la même époque, une pierre romaine gravée est recouverte de ciment.
Enfin, dans un écrit du XIXème siècle, l’officier savoyard et historien régional, François DE MOUXY DE LOCHE, évoque « La Paroy », son aqueduc romain ainsi qu’une longue pierre de taille au niveau de la fontaine du village. C’est certainement la pierre plate dont se sont servies des générations d’habitants du lieu-dit et des alentours pour faire la lessive avant que l’eau courante ne desserve le secteur dans les années 60. Ce vestige est volé dans les années 80. DE MOUXY DE LOCHE indiquait « qu’en cas de fouilles en règle à « La Paroy », bien des antiquités seraient découvertes ».
Deux colonnes romaines provenant de la même zone de « Bacuz » (qui signifie « grand bassin », certainement en référence aux sources d’eaux souterraines non exploitées du secteur), sont répertoriées à « la Ville » chez M. ROSSET dans les années 1960 ; on en a perdu la trace de nos jours.
L’urbanisme et l’archéologie ont toujours entretenu des relations peu harmonieuses. Certaines communes ont fait le pari du tourisme archéologique là où d’autres ont misé sur l’urbanisation de leur territoire. De nombreux vestiges répertoriés ou non ont disparu soit par méconnaissance, soit par manque de conviction quant à la sauvegarde de notre passé ou par vols (par exemple, le bassin en pierre de l’ancienne cure d’Albens). Pierre BROISE, dans un courrier adressé au Maire de l’époque, le 4 novembre 1966, demandait à la municipalité en place de manifester un intérêt pour notre patrimoine culturel « en sauvegardant les pièces d’origine romaine d’un grand intérêt archéologique pour l’histoire d’Albens ». Dans les années 1980, il regrettait « que le site d’Albens n’ait pas été mieux considéré » et s’inquiétait pour la sauvegarde des vestiges romains face « aux travaux destructeurs à venir ». Qu’en est-il aujourd’hui ?
Benjamin Berthod
Depuis quelques années, nous assistons à un regain d’intérêt pour l’Histoire, qui tout naturellement, suscite une plus grande curiosité pour celle de nos communautés rurales.
Ce retour aux sources est dû sans doute, pour une large part, au besoin qu’ont les individus, les groupes et les peuples de reprendre racine dans une terre familière, dans un Monde où l’uniformité devient la règle et gagne peu à peu les derniers refuges épargnés jusqu’ici par le nivellement des techniques.
L’association KRONOS, archéologie, histoire, et témoignages sur l’Albanais, n’a pas plus la prétention que le désir de réunir des historiens professionnels.
Elle fait au contraire appel à des amateurs dévoués, prêts à consacrer une partie de leurs loisirs, à retrouver le passé de notre région et à conserver, pour le transmettre, ce qui existe encore dans les modes de vie, les instruments, les bâtiments et surtout dans les traditions orales, avant qu’il n’ait disparu ou soit devenu méconnaissable.
Les résultats que nous obtiendrons seront inégaux, mais nous savons qu’en sauvant de l’oubli des éléments de notre patrimoine commun, nous aurons contribué à renforcer les liens, qui au cours des âges et au fil des générations, ont donné leurs caractères spécifiques à nos communautés bien vivantes…
Alors, nous aurons fait que KRONOS, divinité allégorique du TEMPS, ne soit pas le destructeur mais l’artisan de notre DEVENIR.
Le Président, M. Félix LEVET.