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Faire son service militaire

Passés devant le conseil de révision au printemps, les conscrits sont appelés à rejoindre leur affectation à l’automne de la même année.
Il y a quelque temps que la récolte de céréales a été rentrée, les pommes de terre stockées, on se prépare à broyer les pommes pour le cidre lorsque Jean-Claude D. quitte Saint-Ours le 9 octobre 1911 pour rejoindre le 30ème RI à Rumilly.
Sur l’autre versant du canton, Alexandre F. s’apprête à en faire de même. Déjà les forêts de Saint-Germain ont revêtu leur parure multicolore, le raisin a été récolté dans les vignes de Challières, Alexandre fait mentalement le chemin qui va le conduire demain 10 octobre de sa ferme jusqu’à la caserne Curial à Chambéry pour être incorporé au 97ème régiment d’infanterie.

Comme eux, la moitié des conscrits de 1910 sont affectés dans les garnisons des Alpes, de Thonon à Bourg-Saint-Maurice et Briançon. Ils serviront dans l’infanterie alpine, l’artillerie de montagne ou le génie. Rien de surprenant à cela, la frontière avec l’Italie doit être protégée car notre voisin immédiat est membre de la Triplice depuis 1882 date à laquelle il s’est rapproché des empires centraux, Allemagne et Autriche-Hongrie.

CartePostaleChasseursAlpins
Carte postale illustrant un bataillon de chasseurs alpins

Formés durant deux ans, nos jeunes recrues participent aux manœuvres alpines qui se déroulent chaque été de la Tarentaise jusqu’au Briançonnais et au Queyras. « Toutes les batteries alpines – lit-on alors dans le Journal du Commerce – quitteront leurs garnisons début juillet. Dès leur arrivée dans leurs secteurs elles exécuteront des tirs réels de quatre jours, dans les hautes vallées ou montagnes, en présence de leur bataillon de chasseurs respectifs ».
Ceux qui ne sont pas envoyés défendre au plus près la frontière alpine se retrouvent dans les garnisons de Grenoble, Lyon et au camp de Sathonay.

CartePostaleSathonay
Carte postale du camp de Sathonay

Situé sur un vaste plateau au nord de Lyon, le camp de Sathonay est équipé pour accueillir 8000 hommes et 400 chevaux. Création du Second empire, au départ simple camp de toile, il s’est peu à peu transformé en une installation moderne avec baraquements en dur, approvisionnement en eau, poudrière, champ de tir, protection fortifiée et liaison ferroviaire avec le réseau national. Depuis 1901, les régiments de zouaves d’Afrique du nord envoient ici un bataillon, en particulier le 2ème zouaves d’Oran et le 3ème zouaves de Constantine. Ces régiments de Sathonay recrutent leurs effectifs dans tous les cantons de la métropole, c’est ainsi que trois conscrits d’Albens se retrouvent affectés au 3ème zouaves par le conseil de révision de 1911. Un beau matin du 11 octobre, partis de la gare d’Albens par le train de 4h46, ils se présentent donc aux portes du camp dans la matinée.
Jean-Claude G. d’Albens, François G. de Cessens et Georges Marcel G. de Mognard ne vont pas tarder à se familiariser avec l’uniforme si particulier qu’ils vont porter durant deux ans. Copié de la tenue des Kabiles d’Algérie, il se compose d’une chéchia comme couvre-chef, d’une veste courte et ajustée sans boutons, d’une large ceinture, de culottes bouffantes, de guêtres et de jambières. Dans toutes ces pièces vestimentaires c’est sans doute la ceinture de toile longue de trois mètres qui dû poser le plus de difficultés à nos jeunes recrues albanaises et les conduire à s’entraider pour pouvoir l’enrouler rapidement autour de sa taille.
Leur période d’instruction achevée ils partiront servir en Tunisie – alors protectorat français – de mai 1912 jusqu’au début de l’année 1913. On peut imaginer tout ce qu’ils eurent à raconter au retour dans leurs foyers respectifs le 8 novembre 1913.
Si l’un de vos ancêtres a lui aussi servi dans les troupes coloniales durant la Grande Guerre, vous pouvez nous en faire part en contactant l’association Kronos.

Jean-Louis Hébrard
Article initialement par dans l’Hebdo des Savoie

Albens… à la façon… virgilienne

Témoigner de son temps, de son époque constitue très souvent un exercice délicat. L’Art a ce pouvoir de convertir par son alchimie toute interrogation en appréciation flatteuse. Il en est ainsi du poème de Madame Jean Farnault qui s’inscrit parfaitement dans la « ligne » Kronos, en nous livrant une vision du village d’Albens à travers une sensibilité propre. Un témoignage plein de fraîcheur qui confirme les paroles de Shelley : « La poésie immortalise tout ce qu’il y a de meilleur et de plus beau dans le monde. »

Si du travail, du bruit, vous êtes fatigués,
Il est de jolis coins dans notre douce France ;
Je vous invite amis, êtes—vous décidés
Quand soleil et ciel bleu ont fait une alliance ?

Dans le vieux bourg d’Albens venez vous reposer ;
Ses maisons sont coquettes, au pied de la montagne
Qu’aucun bloc de ciment ne vient défigurer.
L’air est pur, embaumé, fertile sa campagne.

Oubliez un instant vos soucis, vos tracas ;
Il s’étale non loin de deux grands lacs limpides…
À votre place amis je n’hésiterais pas
Et pour y parvenir point n’est besoin de guides.

Bordant des bois épais où pousse le fayard
Vous y rencontrerez, sur des chemins tranquilles
Qui vous feraient aimer le pays savoyard,
De jeunes cavaliers sur des chevaux dociles.

L’orge mure courbant ses longs épis nouveaux
Que l’on voit osciller sous la brise légère,
Faisant aussi frémir les tiges des roseaux
Qui s’étirent le long de la proche rivière.

Vous y verrez aussi des champs de mais blond,
Des champs où le tabac nourrit sa large feuille ;
Le cœur du paysan s’attriste et se morfond
Si la grêle parfois et brusquement l’effeuille.

Des vaches au corps lourd, le pis de lait gonflé,
Encombreront peut-être un instant votre route
Pour aller lentement et d’un pas martelé
Jusqu’à l’herbe des prés qui très vite se broute.

Pour vous laisser charmer par le chant des oiseaux
Vous vous arrêterez au bord d’une clairière
Qui rafraîchit souvent l’eau pure des ruisseaux
Où viennent scintiller des taches de lumière.

Et le soleil couchant mettra des rayons d’or
Sur les monts reverdis, aux vitres des fenêtres ;
Vous pourrez admirer le merveilleux décor
Lorsqu’il nous dit bonsoir avant de disparaître.

Dans le vieux bourg d’Albens venez vous reposer,
La nuit, sur la colline, est bien silencieuse :
Pour dormir dans le calme, à l’ombre du clocher,
Vous n’aurez pas besoin d’une douce berceuse.

LICE

Article initialement paru dans Kronos N° 2, 1987

Visite de l’Accueil des Villes Françaises

Mardi 28 novembre, l’association Kronos recevait une vingtaine de membres de l’Accueil des Villes Françaises d’Aix-les-Bains. Venus par le train, ils ont rapidement rejoint le lieu de leur visite : l’Espace patrimoine où les attendaient la présidente de Kronos, Marie-Thérèse Michaud, ainsi que quelques membres de l’association qui allaient animer cette visite.
C’est avec grand intérêt que le groupe découvrit d’abord le lointain passé antique et médiéval d’Albens et de sa région. Beaucoup apprécièrent cette histoire contée et racontée à partir des objets exposés : réussite de la tuilerie Poncini, développement des fruitières, existence d’une fabrique de chaussures en raphia durant la seconde guerre mondiale. Quelques anecdotes firent revivre deux grandes figures locales, le général Mollard et l’académicien Michaud auteur d’une célèbre histoire des croisades.
Visite AVF

Un petit goûter fut offert en fin de visite. Au moment du départ nombreux furent ceux qui nous firent part du plaisir qu’ils ont eu à découvrir ce petit musée.
Une belle après-midi conviviale et enrichissante dont on peut retrouver les meilleurs moments ci-dessous.

René Canet fait revivre la vie rurale – un auditoire captivé
René Canet fait revivre la vie rurale – un auditoire captivé
Jean-Louis Hébrard raconte ensuite le passé antique du vicus d’Albens
Jean-Louis Hébrard raconte ensuite le passé antique du vicus d’Albens
Puis le groupe l’écoute relater quelques anecdotes sur les grandes figures dAlbens
Puis le groupe l’écoute relater quelques anecdotes sur les grandes figures dAlbens
Benjamin Berthod prend le relais pour raconter le passé antique de La Paroi
Benjamin Berthod prend le relai pour raconter le passé antique de La Paroi
Tout se termine par des photos de groupe.  Ici avec les trois intervenants.
Tout se termine par des photos de groupe. Ici avec les trois intervenants.
Le groupe a remercié notre présidente Marie-Thérèse Michaud pour la qualité de la réception.
Le groupe a remercié notre présidente Marie-Thérèse Michaud pour la qualité de la réception.

Conférence sur la Grande Guerre

Jeudi 30 novembre, à 18h15, se déroulera au musée de Rumilly la conférence que Jean-Louis Hébrard a consacrée à quelques hommes et femmes de l’Albanais.
Intitulée « Faire ressurgir des figures de la Grande Guerre, Clémence, Hector, Francisque et les autres », cette conférence insistera sur les moyens de recherche qui ont permis de retrouver ces destins étonnants.
Durée 1h – Tout public – Entrée gratuite
Contact au musée 04 50 64 64 18

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Les grands glaciers reculent, les premiers hommes arrivent

Du porche de la grotte qui domine le Chéran, on entend bien le fracas des eaux de la rivière. Claires, oxygénées et froides, elles abondent en belles truites aux couleurs arc-en-ciel. Ce sont probablement elles qui ont poussé le petit groupe de chasseurs-pêcheurs à venir s’installer ici, dans cette cavité qui plus tard portera le nom de grotte de Bange.

Le grand porche de la grotte de Bange
Le grand porche de la grotte de Bange

Un homme confectionne minutieusement son harpon ; il se prépare à descendre à la rivière bien visible à travers la maigre forêt de bouleaux et de pins qui depuis peu recouvre les pentes du défilé. Il met la dernière touche à une sagaie dont la pointe peut se détacher dans le corps du poisson. Elle est fixée à une courroie qu’on laisse filer et qui permet de ramener la prise comme avec une ligne de pêche. Longue et fine, à une rangée de barbelures, cette tête détachable taillée dans un bois de renne devrait lui assurer de belles prises.

Tête de harpon taillé dans un bois de renne
Tête de harpon taillé dans un bois de renne

Il fait encore froid, certes, mais cet homme et son groupe ont profité d’un réchauffement relatif du climat pour s’aventurer dans cette vallée alpine. Depuis quelques millénaires en effet la grande glaciation du Würm (dernière poussée glaciaire du quaternaire -70 000 à -12 000 environ) s’éteint progressivement. Les énormes glaciers qui partaient des grandes Alpes, étiraient leurs langues épaisses jusqu’aux terres lyonnaises et grenobloises, les grands glaciers lentement reculent.
C’est pourquoi, il y a 12 000 ans, ces chasseurs-pêcheurs magdaléniens (derniers représentants du paléolithique supérieur) ont lancé leurs premières incursions dans les Alpes.
Les magdaléniens partis de la grotte de Bange, les sédiments recouvrent les traces de leur passage comme celles de toutes les populations qui vinrent ensuite ici (paysans du néolithique, hommes des âges du bronze, du fer puis du Moyen-Âge). Au XXème siècle, la grotte est devenue un site touristique, des amateurs entreprennent des fouilles clandestines. C’est alors qu’est lancé en 1985 un chantier archéologique sous la direction de Gilbert Pion. Des niveaux d’occupation apparaissent successivement jusqu’à la couche magdalénienne (datée d’environ -10 000) qui livre un harpon presque entier taillé dans un bois de renne avec un rang de barbelure. Il devient alors célèbre dans les cercles archéologiques, fait l’objet d’une publication en 1986 dans la revue « Études Préhistoriques » car il se trouve être le seul exemplaire de harpon aussi ancien connu dans les Alpes du Nord. Quant à son auteur d’il y a des millénaires, il reste toujours dans l’anonymat.
Aux chasseurs-pêcheurs du défilé de Bange vont succéder bien des millénaires après les premiers paysans de l’Albanais. À cette époque (-4 000), un climat tempéré chaud et humide s’est installé profitant aux forêts de chêne, orme ou tilleul qui couvrent collines et versants de l’Albanais. Des forêts dont on sait que les habitants des grottes de Savigny exploitaient les ressources puisque d’importantes quantités de glands ont été retrouvées sur le site aux cours des fouilles du XIXème siècle. Les récents travaux de l’archéologue Jean Courtin confirment que les glands étaient récoltés et consommés dès le néolithique ancien. Dans un article consacré à la cuisine du néolithique il indique tout ce qui était nécessaire à leur préparation : « les glands contiennent beaucoup de protéines mais aussi 8 à 10% de tanin toxique ; on peut l’éliminer en les faisant bouillir dans plusieurs eaux, parfois additionnées d’argile ou de cendres, ou par grillage. Grâce à ces procédés, les glands, réduits en farine sur une meule à main, peuvent être consommés sans danger. On pouvait les consommer aussi sous forme de soupes, de bouillies, ou d’une sorte de polenta ».
Les glaciers qui recouvraient autrefois l’Avant-pays savoyard ont regagné les plus hauts sommets des Alpes tout en laissant derrière eux d’importants souvenirs de leur passage, dont un imposant lac glaciaire s’étendant sur plus de 8 kilomètres entre La Biolle et Braille en passant par Saint-Félix et Albens.

LeLes étangs de Crosagnys étangs de Crosagny
Les étangs de Crosagny

Les géologues estiment que son niveau a pu atteindre la cote 370 mètres. On peut ainsi mesurer l’importance de son volume quand on sait que l’altitude de la gare d’Albens est de 353 mètres. Ce lac long et relativement profond sera à l’origine des zones humides, étangs et marais qui caractériseront ultérieurement les environs d’Albens et La Biolle. Les paysans de la Grande Barme de Savigny ont dû en fréquenter les abords durant leur passage dans la grotte fouillée autrefois par le vicomte Lepic (voir précédent article dans l’Hebdo des Savoie). Avec eux va débuter la longue appropriation du territoire par toutes les populations sédentaires qui vont au fil des millénaires et des variations climatiques façonner les paysages qui nous entourent.

Jean-Louis Hébrard

Conférence histoire de la Poste en Savoie

Vendredi dernier, dans la salle Chantal Mauduit à Albens, Kronos recevait Louis Mermin pour une conférence consacrée à l’histoire de la poste en Savoie.
Président des Amis du vieux Rumilly , membre de l’Amicale philatéliste d’Annecy, ce marcophile passionné a puisé largement dans ses riches collections pour nous faire voyager avec les services des postes d’autrefois. Des services qui se mettent en place avec la création des Etats, se structurent tout au long des XVIIIème et XIXème siècles.
Louis Mermin a mis tout son talent d’historien pour nous faire suivre les tribulations d’une missive entre La Roche-sur-Foron et Chambéry pour un retour complexe en Haute-Savoie. Avec lui, on apprend la signification des oblitérations, du port dû et du port payé, à différencier un bureau communal d’un bureau de mandement (canton aujourd’hui), à suivre le parcours du pédon (facteur à pied).
À grands traits Louis Mermin nous a fait traverser le XIXème siècle qui voit l’apparition des premiers timbres (1851), l’arrivée du chemin de fer, l’installation des bureaux de poste (1834 à Albens) avant de toucher au XXème siècle et à la mise en place du circuit postal. En 1931 celui d’Albens faisait passer la voiture postale par Saint-Germain, Mognard, Épersy, La Biolle, Cessens, Ansigny, une voiture postale qui, se souviennent les anciens, était conduite d’une main de maître par Madame Nicolas. La conférence s’est terminée par une présentation de quelques objets remarquables amenés par Louis Mermin avant de profiter du pot offert par l’association. Une bien belle soirée.

Louis Mermin présentant quelques objets
Louis Mermin présentant quelques objets

François et Philibert Mollard : deux frères, deux destins

Cet article ne se veut en aucun cas exhaustif. Il s’inspire très largement d’un article écrit au début de ce siècle par le Général Bordeaux.
La vie des frères Mollard fera sans doute l’objet d’une étude plus fouillée en 1989 sous la double forme d’une conférence et d’une monographie.

Félix-Philibert Mollard est né au hameau de Futenex le 13 mai 1801 dans une famille de cultivateurs. Dans une société successivement marquée par le Consulat, l’Empire et la Restauration, l’ambition pouvait paraître totalement interdite à ceux qui n’avaient pas les avantages du rang social. Mais pourtant, cinquante-neuf ans plus tard, la Savoie, redevenue française, Philibert Mollard, tout fils de cultivateur qu’il fût, devenait général de division et aide camp de l’empereur Napoléon III.
Si nous connaissons assez bien l’histoire de Philibert Mollard, sa tombe à l’ancien cimetière et la plaque commémorative au fronton de la mairie la jalonnant quelque peu, nous ignorons très souvent qu’un autre Mollard, François, s’est également illustré sur les champs de bataille.
Deux frères, deux destins illustres qui au terme de leur vie prirent chacun une route différente.

La famille Mollard était fixée depuis plusieurs générations au hameau de Futenex. Jean-François Mollard, chef de cette famille à la fin du XVIIIème siècle, avait épousé Marie Michaud, d’Albens, dont le frère Pierre allait devenir le général baron Michaud. De cette union naquirent et grandirent huit enfants, quatre garçons et quatre filles. les deux fils ainés, Claude et Jean-Louis, engagés volontaires ou appelés par la conscription aux armées impériales disparurent en 1812 ou 1813, en Russie ou en Allemagne. Nous pouvons supposer que l’exemple des ainés fortifiés par une vocation personnelle conduisit les deux plus jeunes, Jean-François, né en 1795, et Félix-Philibert, né en 1801 à se diriger vers la carrière des armes.
Le père mourut en 1803. De l’inventaire de la succession, il semble résulter que la famille Mollard était une famille de cultivateurs aisés, propriétaires de terres et d’un moulin sur le territoire de la commune d’Albens, entretenant une douzaine de têtes de gros bétail. Madame Mollard, devenue veuve, privée également du secours de ses deux fils ainés, s’efforça d’élever les six enfants restants. Elle maria « modestement et honorablement » ses filles. Les deux fils cadets quittèrent bien vite la maison paternelle pour assouvir leurs goûts militaires. De fait, la famille se dispersa et le domaine se morcela. Mais Philibert, profondément attaché à son sol natal, se rendit quelques années plus tard, acquéreur de diverses parcelles sur lesquelles il fit construire une confortable maison de campagne.
François et Philibert s’engagèrent à 17 ans. Rien ne laissait présager un destin exceptionnel. Peu instruits, ils se formèrent sous les drapeaux par leur travail. Avec des tempéraments et des caractères très différents, ils suivirent au début des carrières parallèles.

Les deux frères débutèrent comme engagés en qualité de cadets aux Gardes du Corps du Roi de Sardaigne, François en 1816, Philibert le 1er mai 1819. Après un long stage de sous-officiers, tous deux étaient nommés sous-lieutenants, François à la Brigade de Savoie en 1819, Philibert aux Gardes en 1822, puis à la Brigade d’Acqui. Bien que l’avancement, soumis à des règles rigides, était très lent pour les officiers qui n’appartenaient pas à l’Etat-Major ou à la maison du Roi, Philibert se fit immédiatement remarquer par son aptitude au commandement. Ses qualités reconnues le conduisirent en 1834 au grade de capitaine et à une affectation à l’âge de 33 ans au 1er régiment de la Brigade de Savoie.
Au début de l’année 1848 qui allait ouvrir la première période des guerres du Risorgimento, François Mollard est colonel et commande le 2ème régiment de Savoie ; à quarante-sept ans, Philibert est encore simple capitaine. Cette première campagne militaire mettra en lumière leur valeur.

La Révolution de février 1848 à Paris émet une onde de choc dans l’Europe entière et notamment en Italie. Soumises à la domination autrichienne depuis 1815, les provinces de l’Italie se sentirent prêtes à conquérir leur indépendance en se révoltant contre l’Autriche. Après une lutte de cinq jours, Milan chassa l’armée ennemie. Le roi Charles-Albert prenant la tête de ce mouvement national déclara la guerre à l’Autriche. Dans une campagne qui dura cinq mois, l’armée sarde fit preuve de « discipline, de sobriété et de courage ». Mais la guerre qui avait débuté favorablement en avril se terminait par une série de défaites en juillet.
La Brigade de Savoie, aux ordres du major général d’Ussillon, faisait partie de la 3ème division, au 2ème corps d’armée, commandé par le général Hector de Sonnaz. L’armée sarde se porta au commencement d’avril sur la ligne de Mincio occupée par l’armée autrichienne. Après avoir occupé Borghetto et Monzambano, la 3ème division marcha sur Valeggio. Le 2ème régiment du colonel François Mollard força le passage sur ce point les 10 et 11 avril et s’installa sur la rive gauche. Dans un rapport, cité par M. du Bourget, le colonel François Mollard est reconnu comme « l’un des meilleurs colonels d’infanterie de l’armée ». Quant à son frère, le capitaine Philibert Mollard, il se fit également remarquer, si bien que, lorsqu’il fut nommé quelques jours plus tard au grade de major, l’Ordre général de l’Armée portait la mention : « pour s’être distingué à l’affaire du 26 avril près de Villafranca ».
Quelques temps plus tard, Philibert était nommé major et affecté au 5ème régiment d’infanterie, de la Brigade d’Aoste. Informé que l’armée autrichienne repassait à l’offensive, le roi résolut de prévenir l’attaque. Le 29 mai, le général Bava occupait Goito et Volta ; le 30, ce sont les autrichiens qui prenaient l’initiative. De l’avis unanime, le major Mollard à la tête de son bataillon fut le héros de cette journée de Goito. Les témoins le décrivent comme « magnifique de courage, d’énergie et de ténacité ». Pendant plusieurs heures, il maintint son bataillon sous un feu violent, et comme les soldats se plaignaient de n’avoir plus de cartouches : « Plus de cartouches, cria le commandant, en avant à la baïonnette et vive le Roi ! »
Le sabra à la main, Mollard montra l’exemple entraînant ses troupes dans l’offensive et rétablissant une situation compromise. L’Ordre général de l’Armée du 7 juin lui conféra la Médaille d’argent à la valeur militaire « pour s’être distingué dans l’affaire du 30 mai 1848 à Goito ».
Vers le milieu de juillet, le roi entreprit le siège de Mantoue et y consacra plusieurs divisions. L’armée royale s’étendit de Mantoue à Rivoli sur un front de 80 kilomètres. La Brigade de Savoie était placée entre Sona et Santa Giustina. Du 23 au 27 juillet, une lutte ininterrompue s’engagea. Le 23, la Brigade de Savoie reçut la principal choc aux abords de Sona. Le général d’Aviernoz, dans la confusion générale, fut blessé à la fois d’un coup de feu et d’un coup de baïonnette qui le livrèrent à l’ennemi. Le colonel François Mollard prit alors le commandement de la Brigade.
Au cours de ces cinq jours, les frères Mollard se firent encore remarquer par leur ardeur, leur énergie. Des témoins oculaires brossent le portrait de François : « Très droit, très brave, ardent, plein de cœur, il devenait rude et violent dans les moments de crise, sa voix était puissante, son langage devenait parfois terrible et menaçant ; son autorité s’augmentait alors d’une sorte de crainte qu’il inspirait et qui, la crise passée, faisait aussitôt place aux sentiments d’affection et de dévouement ».
Le 26 juillet, la bataille pour le village de Volta donna lieu à une lutte âpre et farouche qui dura dix heures. Contre des troupes croates endurcies, la Brigade de Savoie se battit à coup de crosses et de baïonnettes. Mollard animait la lutte de son énergie, « commandant, criant et sacrant comme un templier ». Malgré le tempérament de ce « lion de l’Albanais », le général Sonnaz ordonna la retraite le 27. La démoralisation s’empara de l’armée qui se repliait sur Milan. Par suite, des nombreuses pertes, il ne subsistait que deux officiers supérieurs dont le colonel Mollard. Avec le major Mudry, il rassembla la troupe en carrés qui passèrent la rivière sous les yeux d’un ennemi de plus en plus agressif. Des témoins rapportent que François Mollard avait mis pied à terre et qu’il s’était placé, le sabre à la main, non dans un carré mais au dehors. « Il ne cessa de courir autour du carré, comme un chien de berger, en assurant ses hommes, au milieu d’imprécations épouvantables, qu’il crèverait le premier qui ne tiendrait pas son rang ». Le général Baratieri di San Pietro dans ses Souvenirs de la Brigade de Savoie nous donne ici une idée du tempérament pour le moins fougueux de notre Albanais !
L’armistice fut signé le 9 août. Le 24 août, François Mollard se vit conférer la Médaille d’or à la valeur militaire « pour la valeur déployée sur les hauteurs de Rivoli, à Santa Giustina, à Sona et à Volta ». En 1849, il se voyait confirmé au commandement de la Brigade de Savoie avec le cadre de major général.
Son frère cadet, Philibert, qui acheva la campagne au 5ème régiment d’infanterie, fut nommé colonel le 11 novembre 1848 et affecté au commandement du 17ème régiment d’infanterie.

L’armistice était conclu par une période de six semaines dans l’attente de la signature de la paix. À la suite de tous ces évènements, le Piémont tomba dans l’agitation politique et révolutionnaire. Plusieurs mois s’écoulèrent sans prise de décision. On hésitait en s’appuyant sur une alliance avec la France. En définitive, Charles-Albert dénonça l’armistice le 12 mars 1849, les hostilités reprenant le 20 mars à midi. Cette nouvelle campagne qui ne dura que quatre jours ne s’engageait pas sous les meilleurs auspices, une certaine perte de confiance s’installant au sein de l’armée sarde. La Brigade de Savoie, stationnée depuis sept mois à Turin, partit le 14 mars, et sans grand enthousiasme.
La Brigade de Savoie du général François Mollard faisait partie de la 3ème division aux ordres du général Perrone di San Martino. Le 17ème régiment du colonel Philibert Mollard s’intégrait à la 2ème division commandée par le général Bès.
L’armée de Charles-Albert était rassemblée le long du Tessin avec l’intention de la franchir pour entrer en Lombardie. Mais ce sont les autrichiens du maréchal Radetsky qui le 20, à midi, passaient le Tessin, bousculant une division lombarde abandonnant sans combattre ses positions. L’armée sarde se résolut cependant à faire face à cette situation catastrophique en livrant le 21 deux combats.
Au nord, les troupes piémontaises se heurtèrent à la Sforzesca à un corps autrichien, repoussant l’ennemi et menant même une contre-offensive victorieuse. Une nouvelle fois, le colonel Philibert Mollard se signala ; bien que serré de près par l’ennemi faisant mine de l’attaquer, il se porta en avant l’arme au bras entraînant derrière lui deux bataillons. Devant l’intrépide albanais, les autrichiens choisirent le repli.
Au sud, à Mortara, la division de réserve, attaquée de front à la nuit, se replia en désordre sur Novare, laissant aux mains des autrichiens de nombreux prisonniers.
Le 23 mars devait marquer un changement radical à la fois dans l’histoire d’un pays, l’Italie, mais également dans celle des hommes, tout particulièrement pour les frères Mollard qui allaient pendre des options différentes.
Après la désastreuse bataille de Novare du 23 mars, Charles-Albert abdiquait dans la soirée au profit de Victor-Emmanuel II qui devait ouvrir une ère nouvelle le conduisant avec l’aide de Cavour à l’indépendance et à l’unité de l’Italie.

Le général François Mollard se rendit avec la Brigade de Savoie à Gênes qui lui était attribué comme garnison. En 1851, il obtient sa mise à la retraite. Célibataire, ayant pour maîtresse la seule armée, très attaché à Turin qu’il habita longtemps, il choisit de se fixer à Vigone, près de Pignerol. En 1864, il demeura italien, effectuant de nombreux séjours en Savoie. Il s’éteint le 21 novembre 1864 à Vigone.
Nomme officier de l’Ordre des Saints Maurice et Lazare par le roi et officier de la Légion d’honneur par Napoléon III, il laissa le souvenir d’un homme aux multiples facettes. Soldat jusqu’au bout des ongles trempé dans l’acier, ceux qui l’approchèrent le considéraient comme un homme loyal et droit, fidèle en amitié. Malgré la férocité du sabreur, il apparaissait bon et indulgent, souvent saisi d’une gaité imperturbable, d’un entrain étourdissant. Dans une notice manuscrite, son cousin, le Baron Michaud parle de lui en ces termes : « Il était impossible de ne pas rire en sa compagnie, car il avait un esprit naturel qui saisissait avec bonheur le côté plaisant des choses et savait tirer parti du moindre incident ». Celui que l’on avait surnommé « Clair-de-Lune » après son intervention auprès d’un groupe d’officiers responsables d’un tapage nocturne, repose en terre d’Italie. Son frère cadet allait quant-à-lui poursuivre son irrésistible ascension.

Au départ de son frère de l’armée, Philibert Mollard présidait aux destinées du 17ème régiment. La dernière campagne classait le cadet des Mollard parmi les meilleurs colonels.
La guerre d’Orient s’ouvre en 1854, la France et l’Angleterre prêtant secours aux turcs face à la Russie. Par un traité du 16 janvier 1855, le Piémont entrait dans l’alliance franco-britannique et s’engageait à envoyer en Crimée un corps de 18000 soldats.
Alphonse de la Marmora prenait la tête d’un contingent pourvu d’artillerie, de génie et de tous les services. Le corps piémontais se constituait de deux bataillons à deux brigades. Le colonel Mollard commandait une brigade de la 2ème division, aux ordres du général de la Marmora. Ce dernier mourut du choléra le 7 juin 1855 et fut remplacé par le général Trotti.
Arrivé en Crimée le 18 mai, le corps sarde fut affecté, non au corps de siège de Sébastopol, mais au corps d’observation, entre les français et les turcs. Le 1er août, le colonel Mollard se retrouvait major-général et se maintenait à la bataille de Traktir ou de la Tchernaïa. Une fois encore, Philibert s’illustrait en se joignant avec décision aux détachements français les plus avancés pour poursuivre les russes et achever leur défaite, soulevant les acclamations des troupes voisines aux cris de « Vive les Piémontais ». Une décision royale du 18 septembre conférant une série de récompenses permit à notre héros de recevoir une mention honorable « pour s’être distingué à la bataille de la Tchernaïa le 16 août 1855 ».
Le choléra ravagea les armées alliées, le contingent laissant pour sa part 2200 morts en Crimée. Signée en mars 1856, la paix permettait au corps expéditionnaire sarde de rentrer en Piémont en avril et mai. Chaque campagne militaire donnant lieu à une enquête sur ses évènements, le rapport sur la guerre de Crimée mit en évidence les capacités de l’enfant de Futenex. Sans doute enthousiasmé par son courage au côté de ses propres troupes, Napoléon III le nommait commandeur de la Légion d’honneur le 4 juin. Le 12 juin, le roi de Sardaigne le faisait à son tour commandeur de l’Ordre militaire de Savoie. Pour parachever le tableau, Mollard recevait le 26 juin le commandement de la brigade de Coni.
Ainsi, Philibert Mollard poursuivait inexorablement son ascension s’apprêtant à jouer bientôt un rôle décisif dans l’histoire de l’Italie.

Le 30 octobre 1857, Mollard se voit confier le commandement de la brigade de Piémont basée à Turin. C’est à sa tête qu’il débutera la guerre d’Italie, une guerre authentifiant sa valeur militaire et étayant sa renommée.
Grâce à son intervention en Crimée et à sa présence au Congrès de Paris, le Piémont a pris du poids sur l’échiquier européen et se sent capable de reprendre les armes pour, cette fois de façon définitive, repousser les autrichiens.
Alors que les rapports entre le Piémont et l’Autriche se distendent chaque jour un peu plus, Cavour obtient de Napoléon à la fameuse entrevue de Plombières en juillet 1858 la garantie de la France contre toute agression autrichienne. Le mariage du prince Jérôme-Napoléon avec la princesse Clotilde, fille du roi Victor-Emmanuel, cimente cette alliance.
En avril 1859, des éléments de l’armée autrichienne, commandée par le feld-maréchal Gyulai, franchissaient le Tessin et pénétraient en Piémont. Début mai, les troupes françaises entraient en Italie, le 14, l’empereur Napoléon III assurant le commandement en chef des armées alliées.
Placée sous le commandement suprême de Victor-Emmanuel, l’armée sarde se composait de 5 divisions d’infanterie et d’une division de cavalerie. La brigade de Piémont du valeureux Philibert s’intégrait à la 2ème division aux ordres du général Fanti.
Après la bataille de Magenta, le 8 juin, les alliés entraient à Milan. Le lendemain, d’importantes mutations intervinrent dans le haut commandement sarde. Le général Di Castelborgo, commandant la 1ère division devint gouverneur de la cité lombarde ; le général Durando passa de la 3ème à la 1ère. Le commandement de la 3ème devenait vacant. Le 10 juin, le major-général Mollard en prenait la tête avec ses quatre régiments d’infanterie, deux bataillons de bersagliers, deux escadrons de cavalerie, deux batteries de campagne, une compagnie du génie. Que de chemin parcouru depuis son engagement en 1818 !
De la concentration des deux partis, des reconnaissances faites, des ordres donnés de part et d’autres, résultèrent la trop célèbre bataille du 24 juin, connue sous le nom de Solférino. Une bataille transformée en boucherie qui incitera un certain Henri Dunand à créer la Croix-Rouge.
L’armée sarde, placée à gauche de l’armée française, livra une lutte sans merci à San Martino le même jour. Sans la victoire sarde à San Martino, le sort de la bataille de Solférino et par là de l’Italie changeait. Philibert Mollard devait ici affirmer à jamais sa valeur de chef et de soldat.
En face de l’armée sarde, les troupes autrichiennes avaient pour chef le feld-maréchal Benedeck, réputé pour sa science de la manœuvre militaire. Toutes les divisions de l’armée sarde prirent part à la bataille sous la 4ème de Cialdini. À San Martino même, furent engagées la 3ème de Mollard, la 5ème de Cucchiari et des fractions de la 2ème de Fanti.
Dés le matin, vers 6 heures et demie, des reconnaissances des 3ème et 5ème divisions partaient sur Pozzolongo et San Martino, rencontrant l’armée autrichienne en force. Elles durent se replier, Benedeck se hâta de faire occuper les hauteurs de San Martino et d’y installer de l’artillerie. Cette position va être le théâtre d’un combat sanglant.
Vers 9 heures, sans attendre que toute sa division fût disponible, Mollard se porta à l’attaque avec la brigade Coni, repoussa l’ennemi, prit pied sur le plateau, s’empara de quelques canons. Mais Benedeck intervint en personne et refoula les sardes jusqu’au pied des premières pentes. Cette lutte dura quatre heures. À trois heures de l’après-midi, Mollard recevait les ordres du roi qui mettait à sa disposition la brigade d’Aoste et lui signalait l’impérieuse nécessité de vaincre. Mollard avait ainsi sous ses ordres trois brigades, soit 27 bataillons, soit environ 15000 hommes.
Alors que l’armée française enfonçait le centre de la ligne autrichienne, Mollard se résolut à l’offensive. Il format en ligne les brigades d’Aoste et de Pignerol, avec la brigade Coni pour soutien. Au moment où il donnait le signal de l’attaque, un violent orage éclata interrompant la lutte. L’attaque fut reprise avec d’autant plus de vigueur. Vers 19 heures un renfort d’artillerie renforçait la pression sur les autrichiens. Vers 20 heures, les troupes sardes emportaient définitivement la position après 13 heures de combats.
Dans sa proclamation à l’armée le lendemain, Napoléon III pouvait bien reconnaître : « L’armée sarde a lutté avec la même bravoure contre des forces supérieures ; elle est bien digne de marcher à nos côtés ».
Quant à Philibert Mollard, il fut fêter en héros de cette bataille décisive pour l’avenir de l’Italie. Le soir même, le roi le nommait lieutenant-général. Reconnaissance normale pour un homme qui ne se contentait pas de donner des ordres en toute sécurité. Le major Plocchiù le confirmait en avouant « qu’il ne comprenait pas comment Mollard en était sorti vivant, car toujours en tête de ses colonnes, il avait littéralement vécu toute la journée sous une grêle de boulets et de balles ».
En 1910, l’Etat-Major de l’armée italienne publia le récit officiel de la campagne. Ce récit note que « … le véritable héros de la journée, nous devons le reconnaître, fut le Général Mollard ». Suprême hommage pour cet homme qui se trouva confronté au choix de 1860.

Après la campagne, Mollard conserva le commandement de la 3ème division. Par décret impérial du 12 janvier 1860, il fut nommé grand-officier de la Légion d’honneur et par décret royal du 16 janvier, grand-officier de l’Ordre militaire de Savoie « pour s’être distingué à la bataille de San-Martino le 24 juin 1859 ».
Après l’armistice de Villafranca du 11 juillet 1859 et des traités de Zürich d’octobre-novembre, se posait la question de l’annexion de la Savoie et de Nice à la France. Le 24 mars 1860, le traité de Turin prononçait cette annexion tout en réservant la volonté des populations. Le 22 avril, le plébiscite confirma cette volonté d’annexion.
Les deux tiers des officiers savoyards demeurèrent en Italie tandis qu’un tiers demanda son passage dans l’armée française. Philibert Mollard, après ses faits d’armes à San Martino, occupait une situation exceptionnelle. De plus, il était véritablement très attaché à l’armée sarde après quarante ans de bons et loyaux services. Son mariage le 15 décembre 1851 avec Elvire Gozzani di San Giorgio pouvait encore renforcer ses liens avec le Piémont.
L’appel de la terre natale l’emporta. Il adressa sa démission au roi de Sardaigne qui l’accepta le 17 juin. Le 5 juillet, il envoya au ministère de la guerre, à Paris, sa demande d’admission dans l’armée française, en le priant de la soumettre à l’empereur. Le 4 août, il fut admis dans la première section du cadre de l’Etat-Major général de l’armée française, avec le grade de général de division et le rang du 24 juin 1859.
Soldat dans l’âme, Mollard désirait poursuivre dans le service actif. Son vœu ne se réalisa pas. Il fut nommé aide de camp de l’empereur Napoléon III. Ses nouvelles fonctions ne détournèrent cependant pas ses pensées de sa véritable vocation. Soucieux de connaître sa nouvelle armée, il s’était mis à étudier à fond son histoire, son organisation, ses règlements. À la suite de quoi il demanda à recevoir un commandement temporaire à l’occasion des exercices annuels au camp de Chalons. Le 30 avril, il obtint satisfaction avec le commandement de la 2ème division d’infanterie du camp de Chalons. Au même moment, il fut nommé inspecteur général d’infanterie pour l’année 1861. On ne lui accorda que cette seule mission. De nouvelles demandes de sa part en 1864 et 1866 se heurtèrent à des refus.
Le 13 mai 1866, atteint par la limite d’âge de soixante-cinq ans, il devait passer automatiquement dans le cadre de réserve. Dans une lettre du 27 avril, le maréchal Randon, ministre de la guerre lui précisait : « Si plus tard le pays avait à vous demander de nouvelles preuves de dévouement, je ne manquerais pas de vous désigner à l’empereur comme disposé à répondre à cet appel avec le zèle et l’empressement que vous avez montrés dans les diverses circonstances de votre honorable carrière ».
Par décret impérial du 5 mai 1866, l’empereur élevait le général Mollard à la dignité de sénateur. Tout en passant dans le cadre de réserve, il conservait le titre d’aide de camp de l’empereur.
Le nouveau sénateur passa à Paris les dix années qui s’écoulèrent entre l’annexion et la chute de l’Empire en 1870. N’oubliant pas sa commune d’origine, il y passait de longs séjours, d’autant plus que ses compatriotes l’avaient élu au Conseil général, assistant régulièrement aux sessions.
À la déclaration de guerre en juillet 1870 avec l’Allemagne, Philibert Mollard demanda à être rappelé au service actif. Il ne reçut, de l’Empereur lui-même, que le service de garde et d’honneur auprès de l’impératrice. Sa fonction ne dura que trois jours une fois la défaite consommée.

Philibert Mollard, malgré les revers de l’Empire qu’il avait choisi de servir loyalement en 1860, fit des avances au nouveau régime et réclama un commandement au gouvernement de la Défense nationale. Tant son âge que ses activités sous l’Empire ne laissaient croire à un retour au service actif. Il se retira alors en Savoie, éprouvé par la chute de la dynastie impériale.
Partageant son temps entre sa propriété de Futenex l’été et son domicile chambérien l’hiver, le vaillant combattant de San Martino vieillissait très vite. Les déchirures morales pourfendaient sa robuste santé. La mort de Napoléon III le 9 janvier 1873 acheva de l’abattre. À ce deuil succéda celui du cardinal Billiet, archevêque de Chambéry, le 30 avril. Le général et le cardinal, tous deux sénateurs, entretenaient une amitié ancienne. Sollicité pour tenir un des cordons du drap mortuaire, le général tint à être présent. Par un temps froid et humide, il assista en habit à toute la cérémonie le 6 mai. La douleur prépara le terrain à une congestion pulmonaire qui le terrassa à Chambéry le 23 juin 1873 à l’âge de soixante-douze ans.
Ses obsèques solennelles eurent lieu à Chambéry le 26 juin. Les parents du défunt, le baron Alexandre Michaud et son fils, le capitaine Bontron de l’armée italienne, conduisaient le deuil en compagnie des Messieurs Canet et Orsat d’Albens. Le premier président de la Cour d’appel Dupasquier, le général de Rolland, le consul général d’Italie et le secrétaire général de la Préfecture tenaient les cordons du poële.
Le corps du général fut enseveli à Albens où il repose toujours au « Vieux cimetière ».

Le souvenir du général Philibert Mollard reste encore très présent dans les mémoires, à Albens bien sûr, mais également en Savoie dont il marqua l’histoire de son empreinte.
La famille Mollard donna à l’armée ses quatre fils. Les deux ainés, morts très jeunes, resteront dans l’anonymat. François et Philibert s’illustrèrent sur les champs de bataille ne devant qu’à leurs mérites titres et décorations.
À travers deux fers de lance, l’Albanais fut dignement représenté aux points stratégiques de l’Histoire savoyarde, italienne.

Le Général Bordeaux,
avec la complicité d’Alain Paget
Article initialement paru dans Kronos N° 3, 1983

Sources bibliographiques
– Le Baron du Bourget La Brigade de Savoie
– A. Anthonioz Généraux savoyards
– Général Borson Précis de la Campagne de 1859
– Le Courrier des Alpes des 28 juin et 1er juillet 1873
– Baron Michaud Notice inédite sur les deux Généraux Mollard

bataille de Solferino

Quand l’aqueduc de la Paroy alimentait la villa de Bacuz

Nous voici de retour sur les terres de « La Paroy », entre Albens et La Biolle, pour une nouvelle plongée dans le passé romain du vicus d’Albinnum, entamée lors de précédents articles. Nos différentes publications des derniers mois contant l’histoire romaine d’Albens se sont appuyées non seulement sur les vestiges découverts au fil du temps mais également sur des témoignages d’archéologues réputés de leur époque. Parmi ceux-ci, le comte François de Mouxy de Loche, lequel indiquait, plan à l’appui, la présence d’un aqueduc romain à « la Paroy ».
Qui était donc ce comte de Mouxy de Loche ? Né en 1757 à Grésy-sur-Aix, il était un major-général de l’armée sarde, un officier militaire du Duché de Savoie, un archéologue et historien régional. Il a été membre de nombreuses sociétés savantes à Turin, Genève, Paris… et est surtout l’un des fondateurs de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Savoie en 1820 dont il sera le président jusqu’à sa mort en 1837 à Chambéry. Ses recherches minutieuses ont permis de retracer l’histoire de Grésy-sur-Aix et d’Aix-les-Bains et ses écrits restent encore aujourd’hui une mine d’informations sur lesquels s’appuient de nombreux historiens ou entomologistes (spécialistes de l’étude des insectes).
Dans un manuscrit, il évoque le tracé de l’aqueduc de « La Paroy » qu’il a vu et imagine les fontaines qu’il a dû alimenter en plus de celle déjà existante dans le hameau. Il indique également une autre dérivation qui part de l’aqueduc principal en direction d’Albens. Si « l’eau de source pure », dont parlait l’historien et archéologue Charles Marteaux en 1913, est depuis des siècles la potion magique des irréductibles de l’enclave de « Parroy » (nom du hameau durant La Renaissance), quelle utilisation en faisait les romains ?
Pierre Broise, un archéologue du XXème siècle, imaginait l’aqueduc de « La Paroy » comme desservant la villa de « Bacuz », parcelle limitrophe, située au sud du vicus d’Albinnum. Des études indiquent que les noms en « y », reliés à l’ère gallo-romaine, indiquent souvent l’emplacement de « villæ » de l’époque : « La Paroy » ne semble pas échapper à cette particularité. Lorsque l’on parle de villa, il ne faut pas imaginer le sens qu’on lui donne aujourd’hui, mais celui d’une résidence principale appartenant au maître du domaine, accompagnée de bâtiments d’exploitation agricole. Ces « villæ » appartiennent souvent à des familles gauloises qui se sont romanisées et sont entourées de « casæ », des maisons aux simples murs de pierres permettant le logement de paysans pauvres travaillant dans l’exploitation.
Par aqueduc, il faut imaginer une succession de tegulæ (tuiles) romaines, alignées les unes au bord des autres et formant une canalisation permettant l’acheminement de l’eau. Vous trouverez ci-dessous un bel exemple de conduite romaine lors d’une fouille d’urgence réalisée en 2010 à Ville-en-Sallaz, en Haute-Savoie, lors de la découverte d’un complexe résidentiel romain de 1600m² avec thermes, patios, bassins et salle chaude au moment de sa destruction pour laisser place à un quartier résidentiel. Là où plusieurs mois auraient été nécessaires pour effectuer des fouilles dignes de ce nom, les archéologues n’eurent que deux semaines pour sonder le terrain avant de laisser place aux pelleteuses.

La conduite en tegulæ de Ville-en-Sallaz lors des fouilles d'urgence de 2010. Une tegula trouvée à Albens.
La conduite en tegulæ de Ville-en-Sallaz lors des fouilles d’urgence de 2010. Une tegula trouvée à Albens.

À Albens, on sait grâce à une inscription présente dans l’église de Marigny-Saint-Marcel (et d’autres archives) que des thermes ont été offerts par Sennius Sabinus, préfet des ouvriers, aux habitants du vicus d’Albinnum. Lors de la construction du gymnase actuel, on a découvert (et jeté…) en très grande quantité des « pilettes » (soutien du sol de la salle chaude) qui étaient fréquemment utilisées pour maintenir la chaleur de l’eau suivant le système d’hypocauste dans les thermes romains. Cela pourrait indiquer l’emplacement des thermes desservis par l’aqueduc en provenance de Marigny-Saint-Marcel, sans certitude, ces révélations ayant été faites une fois les travaux finis.
Mais revenons à la « Villa de Bacuz », que sait-on des habitations gallo-romaines présentes sur cette colline située au sud-ouest d’Albens ? Son emplacement n’est pas localisé avec certitude mais était probablement positionné entre le lotissement de Bacchus et La Paroy. On est sûr de la présence gallo-romaine sur cette colline, riche en vestiges : les colonnes de « La Paroy » proviennent de cette zone (d’autres également, portées aujourd’hui disparues), des fragments de tuiles, de multiples amphores, des pièces de monnaie, une intaille en cornaline, une épée, etc. Au cours de l’histoire, certains ont avancé l’hypothèse de la présence sur cette colline d’un temple romain dédié à Diane (déesse de la Lumière et de la Chasse) en plus d’une villa, mais nous ne pouvons l’affirmer, faute de recherches archéologiques. Charles Marteaux, s’appuyant sur les travaux d’historiens et nobles de la fin du XVIIIème/début XIXème siècle comme Charles Despine ou Claude-Antoine Ducis, indiquait, lui, la présence « d’une étable dont il ne restait plus qu’une excavation aux parois recouvertes d’argile ».
Jusque dans les années 1950, de nombreux vestiges, fragments de poteries, briques ou tegulæ étaient découverts sur ces parcelles de « La Paroy/Bacuz » lors du labour, les champs ressortant rouge d’éclats divers : un simple ramassage de surface suffisait pour garnir les musées alentours ou les collections de passionnés. Malheureusement, la majeure partie des pierres trouvées ont été jetées par brouettes entières ou utilisées dans les drains agricoles voire dans la construction de bâtiments par méconnaissance de leur importance quant à l’histoire d’Albens. L’urbanisation d’une partie du secteur ces dernières années n’a étonnamment permis aucune nouvelle découverte.

Ramassage de surface à « La Paroy/Bacuz »: anses d'amphores, éclats de colonnes, poteries, céramiques, tegulæ, briques…
Ramassage de surface à « La Paroy/Bacuz »: anses d’amphores, éclats de colonnes, poteries, céramiques, tegulæ, briques…

« Bacuz », qui signifie « grand bassin », tient-il son nom de la réserve d’eau qu’il était peut-être pour le vicus d’Albinnum via son aqueduc ? En effet, la colline de Bacuz regorge d’eaux souterraines tout comme celle de La Paroy qui compte un aquifère et « Les Prés Rus » (et non « Les prés rue » comme indiqué en bordure de route) qui indiquent dans leur nom la présence de ruisseaux dans cette zone. Les romains, contrairement à nous autres contemporains, se seraient donc servis de la richesse aquatique de ce secteur pour alimenter Albinnum par le Sud, pas si fous ces romains !
En période de grosse sécheresse, on observe dans un champ la présence d’un cercle net. Ce cercle, déjà visible dans la même zone il y a quelques décennies, pourrait-il correspondre à un puits dont le trop-plein alimentait l’aqueduc ? Sous ce cercle, toujours en période de sécheresse, apparaît dans l’alignement du puits de La Paroy, une ligne droite qui part en pente en direction de Bacuz à travers champs. Un drain agricole positionné à l’emplacement de l’aqueduc qui circulait en direction du vicus d’Albinnum ? Simple fantasme ou réalité enfouie ? À quelques mètres de là trônent les quatre platanes du site de « Bacuz » sous lesquels se trouveraient des constructions souterraines importantes selon plusieurs témoignages d’anciens habitants du secteur qui décrivaient une cave présente à cet emplacement et utilisée il y a encore une soixantaine d’années. Qui sait si cette cave n’était pas un héritage du passage des romains sur ces terres. Faute de recherches, il est cependant difficile de l’affirmer avec certitude. « Bacuz » pourrait-il donc finalement tenir son nom de « Bacchus », Dieu de la vigne et du vin, en référence à une activité viticole sur ce terrain argileux, activité encore existante dans tout le secteur quelques décennies avant l’urbanisation ? Toutes les hypothèses sont permises et chacun est libre d’imaginer ce à quoi devait ressembler la villa de Bacuz du temps de nos ancêtres romains (présence de pressoir à vin, de vignes, de bassins, d’écuries, …).
Si Pierre Broise indiquait « Bacuz » comme l’une des zones privilégiées d’Albens du fait des importants vestiges trouvés ici, « sans profit pour l’Histoire » regrettait-il d’ailleurs amèrement, le comte François de Mouxy de Loche affirmait lui que « si l’on faisait des fouilles en règle à La Paroy, on découvrirait ici bien des antiquités ». Les vestiges gallo-romains, mérovingiens ou burgondes trouvés çà et là sur les terres d’Albens témoignent de l’ancienneté de notre territoire, façonné par nos différents ancêtres, qu’ils soient allobroges, gaulois ou romains. Chaque nouvelle urbanisation, sans se soucier de la destruction de ce patrimoine, est un coup de pelleteuse donné à notre histoire. Dans les années 1980, Pierre Broise regrettait que le site d’Albens n’ait pas été mieux considéré au cours du temps et espérait que des fouilles seraient effectuées sur cette colline de « Bacuz/La Paroy » pour devancer des travaux destructeurs à venir. Des recherches sur ce secteur semblent aujourd’hui nécessaires afin d’en apprendre davantage sur notre histoire et la sauvegarder avant que l’étalement urbain ne vienne définitivement effacer toute trace d’Albinnum la romaine.

Benjamin Berthod