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La veille du 11 novembre, les instituteurs feront une leçon à leurs élèves

Nous sommes en 1923 lorsqu’un long article du Journal du Commerce relate le programme de la célébration du 11 novembre à l’Arc de Triomphe. Tout y est précisé, du cortège des drapeaux à l’arrivée du Président de la République en insistant sur la préparation de la commémoration dans toutes les communes de France. Comme l’indique cet article, c’est le corps enseignant qui va être en quelque sorte mobilisé « pour commémorer le 5ème anniversaire de l’armistice » et, « sur le désir de M. Léon Bérard, ministre de l’instruction publique et des beaux-arts, il sera donné le 10 novembre prochain, par les professeurs, instituteurs et institutrices, une brève leçon, dans tous les établissements d’enseignement secondaire et primaire publics ».
Instruire la jeunesse, transmettre le souvenir de la Grande Guerre, éduquer à la paix, telles sont les orientations que trace alors le ministre Léon Bérard. Élu en 1919 sur la liste d’union des différentes sensibilités républicaines appelée « Concentration républicaine », Léon Bérard est alors proche des deux grandes figures politiques, Louis Barthou et surtout Aristide Briand, ardent partisan d’une politique de paix et de coopération internationale.

 Aristide Briand à la tribune de la SDN à Genève (collection privée)

Aristide Briand à la tribune de la SDN à Genève (collection privée)

Ministre dans le gouvernement de ce dernier de 1921 à 1924, Léon Bérard est resté célèbre pour l’introduction de l’étude du latin en 6ème et pour l’amélioration des rémunérations des instituteurs et des professeurs. Il a en charge les Beaux-Arts et l’Instruction publique. Instruction et non pas Éducation, l’intitulé de son ministère n’est pas innocent. L’éducation reste dévolue aux familles quand instruire, c’est-à-dire communiquer des connaissances, est la mission première de l’école.
Communiquer des connaissances pour faciliter « le devoir du souvenir… être fidèle à ceux qui tombèrent », pour cela l’école dispose, comme l’indique le ministre, de multiples moyens : les cérémonies, les lectures, les leçons d’histoire ou encore les héros pour édifier la jeunesse.
Élèves, instituteurs et institutrices sont toujours présents lors des inaugurations des monuments aux morts et des célébrations de l’Armistice, à Saint-Félix, Cessens mais aussi à La Biolle comme à Albens. Encore une fois ce sont les articles parus dans le Journal du Commerce qui constituent l’essentiel de nos sources. Nous voici fin septembre 1922 à Saint-Félix où le monument aux morts est inauguré, deux mutilés font l’appel des noms des 32 morts de la commune et « à l’appel de chaque nom, 32 jeunes filles… vinrent déposer au pied du monument une gerbe de fleurs en souvenir des glorieux disparus ». À La Biolle, la même année, c’est la participation du Sporting-club qui retient l’attention, on signale l’excellente tenue de cette « société de jeunes gens et d’enfants, admirablement organisée par M. Joannes Rosset et Bourbon, instituteurs ».
Quand en 1924 Cessens inaugure à son tour le monument aux morts, on félicite « les organisateurs de cette patriotique cérémonie et en particulier notre dévoué instituteur M. Mainier, ceux qui ont décoré le monument, les enfants des écoles… ». On retrouve le même type de participation pour le 11 novembre 1925 à Albens avec un monument « artistement fleuri par les soins des instituteurs et institutrices ».
De retour dans les classes, les maîtres et maîtresses d’école disposent d’ouvrages adaptés à l’âge des enfants, remplis d’histoires édifiantes. Parmi les succès de l’époque on trouve l’histoire du plus jeune poilu de France mais aussi les tribulations du jeune Peau de Pêche.

 Livre de lecture (collection privée)
Livre de lecture (collection privée)

Engagé à quinze ans, Jean Corentin Carré est l’exemple le plus fort que l’on puisse donner aux jeunes classes nées au début de la guerre. Un court texte, agrémenté d’une image couleur présente ainsi son parcours militaire : « Né au Faouët le 9 janvier 1900, engagé au 41ème RI le 27 avril 1915, mort au combat aérien le 18 mars 1918 ». Il est accompagné d’un extrait d’une lettre que le jeune poilu avait envoyée à son instituteur : « Je ne pourrais pas vivre sous le joug de l’ennemi, c’est pourquoi je suis soldat. Eh ! bien, ce sentiment de l’honneur, c’est à l’école que je l’ai appris est c’est vous mon cher maître un de ceux qui me l’ont enseigné ! Je souhaite que tous les petits écoliers comprennent les leçons qui leur sont données de la même manière que je les ai comprises. La vie en elle-même n’est rien si elle n’est bien remplie ». On peut imaginer toutes les leçons de « morale civique » qui furent alors données.
Cette instruction passe aussi par les nombreux livres de lecture courante que proposent les bibliothèques scolaires. Les enseignants des années 20 plébiscitent alors l’ouvrage de Gabriel Maurière, inspecteur de l’Enseignement primaire. Comme l’indique l’avant-propos, c’est l’histoire de Peau de Pêche « jeune enfant de votre âge. Recueilli par un de ses oncles, fermier champenois, il prend peu à peu goût aux travaux des champs. La guerre vient brutalement frapper la maisonnée et la mort du fils désespère les pauvres parents qui reportent sur l’enfant adopté le trop plein de leur affection ». Deux cent trente pages illustrées de gravures permettent d’instiller sans cesse ce « devoir du souvenir ».

Livre dghistoire Malet/Isaac, édition 1922 (collection privée)
Livre d’histoire Malet/Isaac, édition 1922 (collection privée)

Quant aux élèves qui ont alors l’opportunité de poursuivre des études au lycée, les nouveaux programmes d’histoire élaborés en 1920 prévoient d’aborder longuement la Grande Guerre. C’est probablement l’ouvrage d’un célèbre tandem d’historiens, Jules Isaac et Albert Malet, qu’ils utiliseront. Une équipe brisée par la Grande Guerre avec la disparition d’Albert Malet en 1915 sur le front d’Artois. Blessé la même année, Jules Isaac sera toutefois en mesure de rédiger le nouveau manuel qui sortira an 1921 en gardant la double signature « Malet-Isaac ».
Abondamment illustrées, les quarante pages consacrées à la guerre furent rédigées par un historien qui avait fait plus que de l’étudier.

Jean-Louis Hébrard

Dans l’Albanais, les familles rapatrient les corps, recherchent leurs disparus

Au début de l’année 1922, on peut lire très souvent dans les pages du Journal du Commerce de courts articles intitulés « Funérailles d’un poilu », « Retour au pays natal » mais aussi « En terre natale » ou encore « Ramené du front ». Le grand « remuement » des corps des soldats morts pour la France est encore en cours.
En effet, si le décès ou la disparition des soldats avaient bien été portés à la connaissance des familles, ces dernières ne savaient pas souvent grand-chose sur les derniers instants ni sur la sépulture de l’être cher. C’est souvent par des courriers expédiés par les camarades de combat que les familles obtiennent plus de précisions. « Une chose qui pourra adoucir quelque peu votre chagrin sera d’apprendre que votre fiancé a eu une très belle sépulture et qu’il repose actuellement dans le cimetière de Badricourt (Haute Alsace). Le service d’observation du régiment a acheté une pierre funéraire qui sera placée incessamment sur la tombe de son regretté chef », tel est le contenu d’une lettre expédiée à la fiancée du sergent Lyard, tué en mars 1917. La famille du sergent a pu connaître le lieu de son inhumation et possiblement organiser son transfert au début des années 20 mais ces conditions « humaines » n’ont pas toujours été possibles.
Dès le début du conflit, les belligérants sont débordés devant la masse monstrueuse des morts. Ils sont contraints d’avoir recours à la pratique des tombes collectives : fosses communes jusqu’à cent corps côté français, par groupe de six pour les Britanniques tandis que la tombe individuelle est immédiatement en vigueur chez les Allemands.

Tombe dans une tranchée vers 1915 (collection particulière)
Tombe dans une tranchée vers 1915 (collection particulière)

Toutefois, avec la montée en puissance de l’artillerie, l’intensité et la fréquence des tirs chamboulent totalement la surface du champ de bataille, disloquant ou enfouissant de nombreux corps avant qu’ils n’aient pu être inhumés. Un poilu de Cessens décrit en 1915 les paysages dévastés de la Marne « Ici tout est bouleversé. On voit qu’avant la guerre c’était un bois de pins, mais maintenant plus rien. Pas un arbre qui ne soit coupé, les uns à un mètre de la terre, les autres un peu plus haut ».

 Ce qu'il reste d'une forêt (collection particulière)

Ce qu’il reste d’une forêt (collection particulière)

Dans un tel chaos, il est souvent impossible et dangereux de s’occuper des morts.
La paix revenue, le ministre de la Guerre se pose rapidement la question de « l’exhumation des soldats morts pour la Patrie ». C’est le titre d’un court article du Journal du Commerce de février 1919 où l’on apprend que « le gouvernement se préoccupe d’un projet de loi réglant la question des exhumations et transport des restes mortels de nos soldats tombés au champ d’honneur ». On précise en outre qu’il « est indispensable de procéder au repérage définitif des sépultures… mission dont s’acquitte dès maintenant le service de l’état civil aux armées ».
On comprend que devant l’immensité de la tâche, le retour des corps des premiers poilus ne semble être effectif qu’à partir de 1922. Dès le début de l’année, de courts articles se multiplient dans la presse, informant les populations du retour d’un de leurs fils.
Avec le recul du temps, la description de ces cérémonies nous fait percevoir l’énorme impact émotionnel qui les entoure. À Cessens, Saint-Félix ou Albens c’est une « affluence nombreuse », une « foule énorme » ou encore « une foule nombreuse et recueillie » qui assiste aux funérailles. Le maire, l’instituteur ou encore un ancien combattant prononcent l’éloge du soldat et de l’homme. C’est l’occasion de dresser la figure du brave, du héros, en rappelant sa vaillance au combat, les terribles circonstances de sa mort au front, ses médailles et les citations qui les accompagnent ; s’y ajoute parfois l’évocation de son engagement passé dans la vie de la commune comme on peut le lire en mars 1922 pour le soldat Constant Ginet « Tel vous l’avez connu, alors qu’il dirigeait avec beaucoup de compétences et un dévouement inlassable notre chère fanfare, tel il est resté ; et le plus bel éloge que l’on puisse faire de lui est contenu dans la citation suivante qui accompagne son inscription au tableau de la médaille militaire : très brave au feu, grièvement blessé à la tête dans la nuit du 29 au 30 juillet 1915, n’a quitté son poste qu’à la fin de l’attaque ».
Parfois la cérémonie rassemble au-delà de la commune, comme à Cessens lors du retour de l’instituteur Pierre Jeandet pour lequel « toute la population de la commune, ainsi qu’une grande partie de celle des communes voisines, accompagnait au champ de repos cet enfant du pays. On remarquait dans le cortège les instituteurs du canton et des cantons voisins, la municipalité, la compagnie des sapeurs-pompiers au complet ».
De même à Albens en mai 1922 où « une foule nombreuse et recueillie était venue de toute part pour rendre hommage à ce jeune héros et pour témoigner sa sympathie à la famille ». Ici, le jeune héros n’était personne d’autre qu’Albert Phillipe, le fils du maire.
De nouveaux groupes participent de plus en plus à ces cérémonies, les enfants des écoles et les anciens combattants. Leur présence tout comme l’édification de monuments marquent la mise en place d’un nouveau culte républicain, celui des « Morts pour le France ».

De nombreux jugements déclaratifs y furent rendus (archive privée)
De nombreux jugements déclaratifs y furent rendus (archive privée)

Pour dresser la liste de ces poilus, il a fallu résoudre la question des 300 000 soldats français portés disparus dont le plus grand nombre n’a jamais été retrouvé. Parmi eux, 80 000 se trouvent encore aujourd’hui sur le champ de bataille de Verdun dans une zone de 10 000 hectares de forêts. Un drame immense pour les familles auxquelles une réponse juridique fut donnée. Pour la dizaine de disparus du canton d’Albens c’est le tribunal de Chambéry qui fixera tout au long de l’année 1921 par un jugement déclaratif la date du décès de ces soldats. Ils pourront eux aussi prendre rang dans la longue liste de nos monuments aux morts, au risque de n’être plus peu à peu « qu’un mot d’or sur nos places ».

Jean-Louis Hébrard

Fêtes des démobilisés et banquets des poilus dans l’Albanais

Presqu’une année après « l’explosion de joie » de l’armistice, partout dans les villes et villages des fêtes et des banquets réunissent tout au long des mois de septembre à décembre 1919 les hommes qui viennent d’être, après une longue attente, démobilisés. Ce moment est très particulier car, venant à peine de quitter la vie militaire, ces hommes vont bientôt renouer avec la vie citoyenne en étant appelés aux urnes pour choisir maires puis députés, élection d’où sortira la célèbre « chambre bleu horizon ».
C’est à ce moment que les « ex-poilus », s’organisant en associations et militant pour l’édification de monuments du souvenir, multiplient les occasions de se retrouver un dimanche lors d’une fête ou dans un banquet afin de célébrer le retour à la vie sans pour autant oublier les frères d’armes disparus.
Dès octobre à Albens, tout au long du mois de novembre à Saint-Ours, Gruffy ou Saint-Félix, fin décembre à Cessens, on fête les démobilisés. Partout, un banquet et au cœur d’une journée bien remplie. Les établissements qui les hébergent sont toujours mentionnés dans de petits articles du Journal du Commerce. Ainsi à Gruffy, en novembre c’est « l’hôtel de la poste, chez M. Guévin » qui sert aux 120 convives un banquet offert par la commune. Parfois les anciens combattants choisissent un établissement tenu par des hôteliers démobilisés. C’est semble-t-il le cas pour le banquet du canton d’Albens qui se tient au restaurant Lansard. À Saint-Ours, c’est le restaurant Brun qui a été choisi tandis que les anciens poilus de Cessens se retrouvent chez Coudurier pour célébrer leur démobilisation.

Un repas de mariage en 1908 (archives privées)
Un repas de mariage en 1908 (archives privées)

Les menus que l’on propose sont bien éloignés du « rata » des tranchées. Avec un regard actuel ils peuvent nous sembler plus que démesurés, toutefois ils témoignent d’un « art de la table » qui s’était peu à peu imposé à la Belle époque tout en restant réservés aux évènements exceptionnels comme les noces. Sur ce menu de 1908 on découvre un repas en trois temps : hors d’œuvres, plats de résistance, desserts. La partie centrale est la plus nourrissante avec deux volailles, un poisson, une viande rouge et une blanche, deux légumes et quelques quenelles.
Le repas servi par le restaurant Lansard le dimanche 5 octobre est construit sur le même modèle. Son menu, imprimé par la maison Ducret de Rumilly, a été publié par Kronos en 2014 dans le livre « Se souvenir ensemble ». Les desserts servis furent plus que copieux avec pièces montées, fromages, corbeille de fruits sans parler des boissons avec café, liqueurs et vins à volonté. Autant « d’ingrédients » qui contribuèrent, rapporte la presse « au succès de cette réunion » dont on note qu’elle se déroula dans la « gaieté la plus franche » avec les incontournables chants et la prise de parole au moment du dessert. C’est « le capitaine Charles Magnin, un glorieux poilu d’Orient » qui « remercia ses compatriotes d’être venus nombreux, puis après avoir évoqué quelques souvenirs de la grande guerre leva son verre et but à la France victorieuse et à l’union de tous ses enfants. Le toast fut couvert d’applaudissements ».

 Image illustrant les cartes postales de guerre (archives privées)
Image illustrant les cartes postales de guerre (archives privées)

Dix mois après la fin des combats, place est ainsi donnée à la gaieté à travers bals et chansons. « Ce fut le tour des chanteurs qui obtinrent un joli succès » indique-t-on pour Albens comme pour Cessens où « la parole est donnée aux chanteurs ». Ils captent très certainement les applaudissements en entonnant « la chanson du Pinard » et bien sûr « La Madelon », autant d’hymnes au gros vin rouge qui avaient servi à chasser le cafard.
Enfin ces banquets ne se terminent pas sans qu’un bal soit prévu, « très animé » à Saint-Ours, « avec orchestre » à Saint-Félix, où « le meilleur accueil est réservé aux jeunes filles de la commune et des environs » pour Cessens.
Mais si partout la gaieté, l’entrain accompagnent cette journée, si tous ces hommes retrouvent un instant encore la fraternité des tranchées, la fête terminée, ils vont être accaparés par les soucis du quotidien. Devant renouer avec un milieu qui les a oubliés ou se battre pour obtenir des pensions bien modestes, beaucoup s’enfermeront alors dans le silence.

Jean-Louis Hébrard

La nouvelle vie des femmes dans l’Albanais des années 20

Avec le retour de la paix, l’injonction faite aux femmes en août 1914 de remplacer « sur le champ du travail ceux qui sont sur les champs de bataille » devient caduque. Mais pour autant, tout peut-il recommencer comme avant ? Mères, épouses, jeunes filles qui ont traversé les terribles épreuves de ce long conflit aspirent tout d’abord à retrouver une vie familiale traditionnelle.
Le manque de confiance dans l’avenir qui avait poussé les couples à retarder leurs projets de conception pour éviter de faire des orphelins s’efface et partout les naissances sont plus nombreuses. Ainsi la commune d’Albens où de 1919 à 1922 on enregistre quatre-vingt-dix naissances soit exactement le double de toutes celles advenues durant le conflit.
Quant aux mariages, partout dans l’Albanais les « promises » qui avaient en accord avec le fiancé retardé leurs noces vont être nombreuses à convoler dès 1919. Durant les quatre années d’après-guerre, les unions représentent plus de 70% des mariages enregistrés depuis 1913.
Dans une société essentiellement rurale, encore proche des valeurs de la religion, fortement structurée par des élites masculines, le rôle de la femme doit être celui de la bonne épouse, de la mère attentive. C’est dans ce contexte rapidement brossé que s’inscrit en 1922 l’élection de la première rosière d’Albens. D’après les dictionnaires de l’époque, la rosière est « une jeune fille vertueuse à laquelle, dans certaines localités, on décerne solennellement une récompense, souvent une somme d’argent ». Celle que peut remettre en 1922 la commune d’Albens à la jeune fille choisie provient d’un legs que Benoît Perret a fait par testament quelques années auparavant. Reprenant les conditions du donateur, le conseil municipal fixe par une délibération « au jour de la fête patronale la remise de la somme de 1000 francs à une jeune fille de 18 à 25 ans née dans la commune et y habitant depuis sa naissance qui aura la meilleure conduite envers sa famille et la société ». C’est le conseil municipal qui choisit parmi quatre candidates Marie Félicie pour avoir, après le décès de sa mère en 1916, élevé ses sept frères et sœurs.
Le Journal du Commerce relate ainsi la cérémonie : « À onze heures eut lieu le couronnement de la rosière devant une grande affluence. La fanfare prêtant son concours, M. Philippe Charles remplaçant M. le maire empêché, entouré de tout le conseil municipal après avoir félicité en terme « délicat » Melle Rey, lui remit le legs. Celle-ci, en un compliment des mieux composé remercie le donateur et tout le conseil municipal de l’avoir choisie comme rosière. Le défilé en musique et un vin d’honneur clôturèrent cette simple et touchante cérémonie ».

Cette célébration de la « jeune fille méritante » très répandue à cette époque a souvent un notable ou une personne aisée à l’origine de sa création. Benoît Perret en est un bel exemple, lui qui construisit sa fortune à Paris dans les milieux boursiers où il avait été coulissier. C’est peut-être à ce moment-là de sa vie qu’il a perçu l’importance sociale de ces fêtes particulièrement nombreuses en région parisienne. Revenu dans sa région d’origine, il a pu également s’inspirer d’exemples proches comme ceux de l’Albenc ou Vinay en Isère.
Si l’image traditionnelle de la femme semble encore dominer, il est des domaines dans lesquels des éléments de modernité s’imposent peu à peu comme la mode.

Publicité parue dans le Journal du Commerce en 1919
Publicité parue dans le Journal du Commerce en 1919

Dans tous les villages et les petites villes on trouve de nombreuses couturières et modistes qui proposent à leurs jeunes clientes des modèles au goût du jour. Ainsi peut on à côté de chez soi pousser la porte de ces ouvrières du vêtement. Le choix est important puisqu’on dénombre neuf couturières à Grésy-sur-Aix, cinq à Albens où l’on trouve aussi deux modistes, un magasin de vêtement, l’établissement Jacquet. Rumilly n’est pas en reste avec la maison Janin-Gruffat dont les encarts publicitaires, publiés dans le Journal du Commerce, informent des dernières tendances. Il est loin le temps de la Belle époque avec ses tenues corsetant le corps, ses chapeaux immenses. Des vêtements moins contraignants, adaptés aux travaux que les femmes ont assurés durant la guerre, se sont imposés. Dès lors, il n’est pas surprenant de voir la maison Janin-Gruffat proposer à ses clientes des coupes droites, des robes confortables, plus courtes, la taille juste soulignée par une ceinture. Si les bottines à lacets rappellent encore la Belle époque, tel n’est pas le cas du chapeau porté bas sur le front et de la coupe de cheveux plus courte.
Le monde du spectacle va fournir une dernière figure de la modernité féminine en la personne de Marie Minetti née en 1892 à Albens où son père était ferblantier.

Deux photographies de l’actrice Marie Minetti en costume dans deux de ses rôles en 1916 et 1925  ( archives en ligne)
Deux photographies de l’actrice Marie Minetti en costume dans deux de ses rôles en 1916 et 1925
( archives en ligne)

En 1914, on la retrouve en Angleterre où elle fera une carrière d’actrice de théâtre et de music-hall. On parle souvent d’elle dans la presse britannique pour une interprétation de la Marseillaise sur scène en 1916 puis au sujet de ses nombreux rôles dans « Tina », « Carminetta » ou encore « Here comes the bride » qu’elle joue en 1925 au « Piccadilly theatre ». À travers ses tenues de scène, cette trentenaire illustre bien, loin de son « Albanais natal », la femme des années folles.

Jean-Louis Hébrard

Les hommes reviennent : la démobilisation automne 1918 / été 1919

Dans notre pays, faire revenir à la vie civile cinq millions d’hommes s’avère être une opération difficile qui provoque beaucoup de mécontentements car le processus s’étale dans le temps sur plus de dix mois.
Voici ce qu’écrit un poilu de Cessens à sa famille en juillet 1919 : « Heureusement que Mr Deschamp, le fameux secrétaire d’état à la démobilisation, prenait toutes les mesures nécessaires pour que toutes les classes de réserves, soient, une fois la paix signée, renvoyés dans leurs foyers, dans les plus brefs délais possibles ! il la copiera celle-là ».
Il est vrai que le gouvernement allait attendre jusqu’en juin 1919 que la paix soit signée avec l’Allemagne (traité de Versailles) pour franchement lancer la seconde vague de démobilisation, de juillet à septembre. La première démobilisation qui s’était déroulée entre novembre 1918 et avril 1919 n’avait permis de faire revenir au village qu’un petit nombre de soldats, soit pour des raisons familiales soit pour un impératif économique. Tel est le cas des cordonniers d’Albens, Favre et Garnier, qui font paraître dans le Journal du Commerce de petits encarts rédigés ainsi « démobilisé, a l’honneur de prévenir le public et son ancienne clientèle qu’il a repris son commerce ».
Dès février 1919, on peut voir l’annonce du médecin d’Albens « Le docteur J. Bouvier de retour des Armées a l’honneur de prévenir sa clientèle qu’il a réouvert son cabinet. Consultations : vendredi et samedi de 8h à 11h, les autres jours sur rendez-vous ».
Ce n’est qu’au long parcours que le soldat rentre chez lui, après avoir rejoint un centre de regroupement puis le dépôt le plus proche de son domicile. Quant aux jeunes classes 1918 et 1919, elles ne seront libérées qu’en mai 1920 et mars 1921.
Tout cela désorganise les régiments qui ne sont plus composés de façon homogène. Les anciens côtoient durant des mois les jeunes recrues. Pour ces vieux chevronnés, le temps est long comme s’en plaint l’un d’eux, en mai 1919, auprès de sa famille : « Aujourd’hui je n’ai pas grand-chose à faire, ce matin nous avons fait l’exercice. Inutile de vous dire si ça me déplaît, surtout qu’il faut manœuvrer avec les classes 18 et 19 ».

C’est à partir d’octobre 1919 qu’on va pouvoir dire que la plupart des poilus du canton d’Albens ont retrouvé familles et villages. Toutes ces années de guerre durant lesquelles ils ont vécu des heures terribles ne facilitent pas le retour à la vie civile. Il n’y a pas comme maintenant de cellule psychologique pour les aider à revenir dans le monde normal des « jours de paix ».
Bien vite ces hommes vont chercher à se regrouper en créant des associations « d’anciens combattants » et à se rencontrer en organisant des banquets. Dès octobre, novembre 1919, le Journal du Commerce annonce ceux qui se déroulent à Cessens, Saint-Ours, Albens, Gruffy, Saint-Félix. Ces banquets sont souvent précédés d’une cérémonie comme on peut le voir le 9 novembre à Saint-Ours : « Les poilus de la commune ont fêté leur retour. À 10 heures du matin, tous se réunissaient pour aller déposer une couronne sur la tombe de leurs chers camarades morts au champ d’honneur. M. Viviand, doyen d’âge prononça devant une foule considérable une patriote allocution. Il rappela en termes émus les évènements de la grande guerre et demanda à tous les assistants de ne jamais oublier ceux qui sont morts pour la France. Un délicieux banquet réunissait ensuite les poilus au restaurant Brun. Après un discours de M. Viviand François fils, la parole est donnée aux chanteurs. Un bal animé termina cette bonne journée. Une quête faite au profit des mutilés de la Savoie a produit la somme de 39F50 qui a été envoyée au trésorier ».
Dans cet article écrit un an après l’Armistice, on relève déjà bien des thématiques qui sont encore les nôtres aujourd’hui. On y parle de la « Grande Guerre », du « devoir de mémoire » et des « morts pour la France », des données qui furent abordées dans le livre « Se souvenir ensemble », publié par la société Kronos.

Si la vie reprend son cours avec un bon repas suivi de chants et d’un bal animé, on n’en oublie pas pour autant l’immense cohorte des mutilés. La France en dénombre plus de 380 000 dont environ 15 000 « Gueules cassées ». On peut se faire une idée de l’importance de ces souffrances dans le canton d’Albens en prenant pour référence les cinquante hommes de la classe 1915. Trois furent victimes des gaz, quatre gravement atteint à la face (nez, joue, mâchoire, perte de la vue) sans parler de cinq d’entre eux atteints d’infections (paludisme, bacillose, cystite) ni des amputés (main, jambe). Peu d’entre eux bénéficient d’une pension, l’État déjà impécunieux préfère distribuer des médailles ou leur laisser le soin de se procurer un casque Adrian avec sur la visière cette belle formule « Soldat de la Grande Guerre – 1914-1918 ».

Amputés de la jambe, de la main dans un hôpital en 1919 (archives privées)
Amputés de la jambe, de la main dans un hôpital en 1919 (archives privées)

On peut lire dans le Journal du Commerce en date du 27 avril 1919 un article expliquant « les modalités de la délivrance du casque-souvenir aux soldats de la grande guerre ». On y précise que « tout miliaire ou famille de tout militaire décédé ayant appartenu à une formation des armées, a droit au casque-souvenir et à une plaquette sur laquelle sont inscrits ses états de service ». De nombreuses familles de l’Albanais possèdent et conservent encore aujourd’hui de tels casques.
Il est toutefois une catégorie de combattants qui n’aura pas droit à ce casque-souvenir. Ce sont les prisonniers de guerre, tous ceux qui furent capturés dès les offensives de l’été 1914. C’est le cas pour trois soldats de la classe 1913 du canton qui se retrouvent en captivité dès la fin d’août 1914. Ils vont passer toute la guerre dans des camps à Stuttgart, Munster ou Leschfeld.

Bandeau d'un journal de camp (archives privées)
Bandeau d’un journal de camp (archives privées)

Un article du Journal du Commerce décrit en novembre 1918 le terrible état qui est celui de ces hommes qui regagnent alors le territoire national : « L’aspect physique de beaucoup de ces rapatriés porte le signe de longues souffrances. Les plus éprouvés sont ceux qui ont vécu de longs mois à l’arrière des lignes, soumis à de durs travaux… Après un court séjour à Nancy, les prisonniers vont être dirigés vers l’intérieur le plus tôt possible ».
Ils ne vont pas bénéficier de la reconnaissance de leurs épreuves souffrant de la comparaison avec les soldats héroïsés.

Jean-Louis Hébrard

Qui sont les soldats de 14-18 inscrits sur nos monuments ?

À la fin de la Grande Guerre, la plupart des communes de France, encouragées par l’État, construisirent des monuments aux morts. C’était l’occasion d’honorer les enfants du pays, de ne jamais oublier leur sacrifice et leur donner, à travers l’inscription de leur nom, la postérité pour leur contribution à la victoire de l’armée française. Pour certaines familles, le nom gravé est également, un siècle plus tard, la dernière trace de leur passage dans nos villages. L’inscription d’un soldat se justifie lorsqu’il est décédé au combat, est titulaire de la mention « Mort pour la France », qu’il est natif ou résident de la commune. Les soldats décédés après 1918 des suites de blessures ou maladies consécutives à la guerre n’ont généralement pas été considérés comme « Morts pour la France » et ne figurent pas sur les monuments.

Monument aux morts d'Ansigny
Monument aux morts d’Ansigny

C’est pourtant le cas à Ansigny d’Auguste Germain, le dernier nom gravé sur le monument aux morts de la commune. Après avoir effectué son service militaire dans l’Escadron du train des Équipages entre 1890 et 1891, il avait travaillé au sein de la Compagnie des Chemins de Fer d’Annemasse. Au moment de la mobilisation générale, à 45 ans, il rejoint les troupes en août 1914 puis entre avril 1915 et juin 1916. Il est finalement réformé à cette date pour une hémiplégie droite et rentre à Ansigny où il décèdera en janvier 1919, la mention « Mort pour la France » figurant sur le registre des décès.

À Albens, les plus attentifs ont certainement remarqué les noms de deux soldats de la commune décédés en 1914 et rajoutés plus tard en fin de liste sur le monument. Une carte postale du monument réalisée dans les années 20 confirme l’absence de leurs noms à ce moment-là. Qui étaient donc ces deux soldats ?

Il y a tout d’abord Antoine Martin, fils de François et Louise (née Genoux, originaire de Boussy). Né en 1874 à Albens, il effectue son service militaire à Lyon au sein du Régiment de Dragons puis de l’Escadron du Train des Équipages entre novembre 1895 et octobre 1898 avant d’en sortir avec son certificat de bonne conduite accordé. Revenu dans la vie active, il habite successivement à Rumilly, Alby-sur-Chéran, Annecy, Aix-les-Bains – et exerce durant un temps le métier de boucher – avant de revenir aider ses parents à la ferme, à La Paroy, où il retrouve son frère missionnaire que nous évoquions dans un article précédent (Hebdo des Savoie n°964 / revue Kronos n°33). Une semaine avant de fêter son quarantième anniversaire, la mobilisation générale est décrétée et il rejoint le 14ème Escadron Territorial du Train à Lyon en août 1914. Le 26 septembre suivant, il décède à l’hôpital Desgenettes des suites d’un accident survenu en-dehors du service, il est alors enterré au cimetière de la Guillotière de Lyon avec la mention « Non mort pour la France ». Pourtant, en 1957, lors de la création de la Nécropole Nationale de la Doua à Villeurbanne, Antoine Martin y est enterré avec une tombe portant la mention « Mort pour la France » (d’autres enfants d’Albens sont dans le même cas). Environ 100 000 soldats français sont déclarés « Non Morts pour la France », parmi ceux-ci on retrouve des soldats décédés des suites de maladie, de blessures, des suicidés, des fusillés, des accidentés, des décédés en prison, …

Les deux noms ajoutés sur le monument aux morts et la tombe d'Antoine Martin à la Doua.
Les deux noms ajoutés sur le monument aux morts et la tombe d’Antoine Martin à la Doua.

Le second nom rajouté tardivement sur le monument aux morts est celui de Guillaume Pianta, né en 1887 à Futenex. Petit-fils d’immigrés lombards plâtriers, Guillaume a déjà perdu ses deux parents lorsqu’il s’en va effectuer son service militaire en octobre 1908. Il fera également partie du 14ème Escadron du Train des Équipages avant de rejoindre le 99ème Régiment d’Infanterie jusqu’à la fin de son service en septembre 1910. En mai 1913, alors qu’il est désormais maçon, il se réengage dans l’armée au sein du 4ème Régiment d’Infanterie Coloniale au Maroc puis au 9ème Bataillon Colonial du Maroc et participe aux violents combats opposant l’armée française aux guerriers marocains « insoumis ». Lorsque la mobilisation générale est décrétée le 1er août 1914, « le journal des marches et opérations du bataillon » (consultable sur internet) permet de suivre au jour le jour le départ des troupes pour la France puis son entrée dans le conflit mondial. Le 28 août 1914, dans une citation du journal de marche, il est indiqué « Le bataillon se replie et prend position entre Dommery et la Fosse‑à-l’eau (Ardennes). Vif engagement, feu violent de l’artillerie allemande. Malgré de fortes pertes, le bataillon se maintient sur ses positions ». Le compte-rendu se poursuit avec le bilan des pertes, des blessés et des disparus. Guillaume Pianta fait partie de cette dernière catégorie. C’est dans un jugement transcrit en septembre 1921 qu’il est reconnu comme « Mort pour la France » le 28 août 1914. Les inscriptions sur le monument aux morts avaient-elles déjà été effectuées avant l’inauguration du mois en novembre 1921, d’où son rajout tardif ? Dans l’Église d’Albens, son nom est également rajouté en bas de liste sur les plaques commémoratives. La volonté de la famille qui espérait encore un retour du fils dont on avait perdu la trace ou un simple oubli ?

Un monument à la gloire de la division Marocaine à La Fosse-à-l'eau.
Un monument à la gloire de la division Marocaine à La Fosse-à-l’eau.

D’autres soldats originaires d’Albens, « Morts pour la France », figurant dans un registre envoyé par la commune au ministère des pensions dans les années 20, ne sont cependant pas présents sur le monument aux morts :
– Marius Abry, du 22ème Bataillon des Chasseurs Alpins, décédé à 33 ans à Wettstein (Haut-Rhin) en mars 1916. Son nom n’est a priori répertorié sur aucun monument de France.
– Léon Francisque Bel, 36ème Régiment d’Infanterie Coloniale, décédé à 32 ans en avril 1914 et enterré à la Nécropole Nationale de La Crouée dans la Marne. Son nom est présent sur le monument aux morts de la commune de Saint-Vincent-de-Barbeyrargues (Hérault) dont il était résident.
– Félix Joseph Buttin, militaire de carrière depuis son engagement à dix-huit ans. Lieutenant du 33ème Régiment d’Infanterie, décédé à 40 ans en avril 1916 et enterré à la Nécropole de Cerny-en-Laonnois dans l’Aisne. Son nom apparaît à Annecy sur une plaque commémorative à l’Hôtel de Ville.
Ces quelques éléments permettent de comprendre que tous les noms des soldats morts pour la France ne sont pas indiqués sur les monuments aux morts de nos communes.

Une dernière curiosité à propos du monument aux morts d’Albens. Le nom de Joseph Métral y figure, cependant, selon les recensements, aucune famille Métral ne vivait à Albens et aucun soldat de ce patronyme originaire d’Albens n’est présent dans les archives de l’armée. Absent de la plaque commémorative dans l’Église, il n’est pas non plus répertorié dans le document de la commune envoyé au ministère des pensions en 1929 ni même présent dans les registres d’état civil. Le mystère est entier concernant son identité.

Benjamin Berthod

Les nombreuses décorations de Clémence Brunet, infirmière de la Grande Guerre

Cette femme courageuse dont nous avons raconté le périple dans un précédent article allait être plusieurs fois décorée, en particulier pour son courage en Roumanie lors de la terrible épidémie de typhus qui frappe les armées tout au long de l’hiver 1917.
Clémence Brunet se trouve alors à Jassy dans le nord-est de la Roumanie. La ville est alors l’ultime réduit des forces roumaines qui ont dû abandonner successivement la capitale Bucarest puis les villes de Braïla et Galatz. Durant cette longue retraite notre infirmière major se signale par son courage comme l’écrit le préfet de Galatz « A rendu de très grands services dans les différentes évacuations et sous le bombardement, par son sang froid et son esprit d’initiative. A su accepter avec bonne grâce les difficultés d’installation matérielle très primitive en tirer parti pour l’organisation des services ».

Carte extraite de l'almanach Hachette 1918 (collection privée)
Carte extraite de l’almanach Hachette 1918 (collection privée)

Dans une longue lettre expédiée à sa tante, Clémence Brunet relate tous les épisodes de la retraite qu’elle effectue avec les membres de la Mission française employant successivement pour se déplacer des chars à bœufs, un bateau hôpital russe qui descend le Danube et enfin un train spécial munition pour arriver à Jassy.
Voici la situation dramatique qu’elle y trouve : « Deux jours de voyage et nous arrivons à Jassy. Là, que de mal pour nous loger… Nous tombons dans des logis infectés ; nous étions si lasses que nous acceptons n’importe quoi… Devant nos ennuis les sœurs nous recueillent et depuis nous sommes logées à Sion, fort bien car le lit est propre, nous avons des draps… Nous sommes six dans un couloir, mais nous sommes contentes car cette vie de réfugiées n’a rien de bien gai ».
Devenue capitale provisoire du royaume et base arrière des troupes françaises, la ville qui comptait 80 000 habitants a vu sa population quintupler au cœur de l’hiver 1917. Une épidémie capable de faire grimper le taux de mortalité à 20% explose alors car les gens sont entassés dans des lieux infestés de poux et que l’hygiène est insuffisante. La multiplication des hôpitaux et le dévouement du corps médical ne peuvent rien face aux terribles conditions qui entraîneront la mort de 60 000 soldats. Voici comment un médecin français décrit la situation dans son service : « Un matin, en entrant dans une des salles, j’éprouve la sensation que le plancher ondule sous mes pas. Me penchant, je le vois recouvert d’un épais tapis de poux, véhicule du typhus ».
Pour affronter ce typhus, les médecins donnaient aux infirmières la consigne de ne pas quitter leurs gants, de ne parler qu’en cas de nécessité, et de retenir, autant que possible, leur respiration. La mort touche malgré tout le personnel médical à l’image du docteur Jean Clunet dont le décès fait la une du Figaro en mai 1917.
Clémence allait vivre durant près de six mois dans cet enfer où l’on désinfecte tous les vêtements comme l’on peut. Dans le courrier qu’elle écrit à sa famille depuis Jassy, elle évoque aussi le manque de nourriture : « La vie ici est terrible, ainsi aujourd’hui, impossible de trouver autre chose que de la polenta – le plat national appelé mamaligua ici, si elle était préparée comme chez nous encore ce serait un rêve, mais simplement cette semoule délayée dans l’eau. Pas de pain aujourd’hui, espérons que demain ce sera mieux ».
Pour son courage, elle allait à deux reprises être distinguée par la France. Le 14 avril 1917 elle reçoit la médaille d’honneur des épidémies, avant d’être à nouveau décorée le 27 décembre de la médaille d’or des épidémies, insigne que lui décerne le sous-secrétaire d’état du service de santé militaire, M. Justin Godart avec la citation suivante : « En raison de la durée et de l’assiduité des soins que vous avez prodigués à nos soldats blessés ou malades et du dévouement de tous les instants dont vous avez fait preuve à leur égard pendant la guerre ». On dit que cette décoration est pour une femme l’équivalent de la légion d’honneur.
Elle allait enfin recevoir une distinction de la part de la reine de Roumanie, la croix de la « Regina Maria ».

La reine de Roumanie entourée d'infirmières à Jassy (archives en ligne)
La reine de Roumanie entourée d’infirmières à Jassy (archives en ligne)

Une médaille où l’on voit la reine en tenue de service de santé, celle-ci étant devenue dès 1914 infirmière volontaire de la Croix-Rouge pour aider les malades et les blessés. Sans doute une décoration dans laquelle Clémence Brunet devait bien se retrouver, elle qui dans sa lettre du 15 janvier 1917 écrivait à propos de la souveraine : « Nous rencontrons souvent la reine qui est très aimable, très simple, dans la rue, elle nous salue ; elle est venue nous voir dans notre petit coin à Sion où nous raccommodions nos bas. À Bucarest, elle nous avait reçu au palais, nous faisant visiter son hôpital et nous remerciant si gentiment ».
La guerre terminée, elle allait encore recevoir de nombreuses décorations, dont en 1920 la médaille de la Reconnaissance française décernée à titre civil envers tous ceux qui sans obligation légale ni militaire ont aidé les blessés et les invalides, et en 1938 la médaille d’honneur de l’Assistance publique.
Décédée en 1962, elle repose dans le cimetière d’Albens, à quelques mètres du monument aux morts de la Grande Guerre au pied duquel se dresse une belle statue de poilu. Elle a retrouvé la compagnie de ces soldats pour lesquels elle s’était tant dévouée un demi-siècle auparavant.

Jean-Louis Hébrard

Une conférence et une nouvelle salle

Le vendredi 21 décembre dernier, l’association Kronos présentait à l’Espace Patrimoine (Entrelacs) une conférence de Rodolphe Guilhot sur « Gautier, seigneur de Montfalcon et l’Albanais de l’an Mil ».
L’occcasion de revenir sur les origines du château de Montfalcon (La Biolle) et du prieuré de Saint Innocent (église actuelle de Brison-Saint-Innocent), aux alentours de l’an 1084.

La conférence fut l’occasion d’une « inauguration » de la nouvelle salle contigüe à l’Espace Patrimoine. Cette salle, qui jusqu’ici accueillait l’office de tourisme d’Albens, est désormais confiée à l’association Kronos qui se chargera de l’animer par diverses conférences et animations pour les scolaires autour de thématiques liées au patrimoine et à l’histoire locale.

La nouvelle salle était comble : une petite quarantaine de personnes étaient réunies pour l’occasion, en présence de Claude Giroud, maire délégué d’Albens et conseiller départemental. La soirée s’est achevée dans la bonne humeur autour du verre de l’amitié.

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Conférence : Une plongée dans l’Albanais de l’An Mil avec Gautier, seigneur de Montfalcon

Le vendredi 21 décembre prochain, l’association Kronos vous proposera une conférence animée par Rodolphe Guilhot (professeur d’Histoire-Géographie et membre de Kronos), qui vous emmènera dans « Une plongée dans l’Albanais de l’An Mil avec Gautier, seigneur de Montfalcon  ».

L’acte de fondation du prieuré de Saint-Innocent (1084) sera le point de départ permettant d’évoquer les origines de la seigneurie de Montfalcon, dont les ruines du château se trouve sur la commune de La Biolle. La famille de Montfalcon sera aussi replacée dans son contexte féodal entre un royaume de Bourgogne finissant, la suzeraineté des comtes de Genève et la cohabitation avec les comtes de Savoie.

En effet, si la châtellenie de Montfalcon des XIVème et XVème siècle est bien connue grâce aux travaux menés par l’Université Savoie-Mont-Blanc, les origines de cette seigneurie étaient restées jusqu’ici peu étudiées.

À 20h, à l’Espace Patrimoine, 177 rue du Mont-Blanc, à Albens (73410 Entrelacs). Entrée libre et gratuite.

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Le retour d’une infirmière de la Grande Guerre

Lorsqu’au milieu du flot des soldats démobilisés, l’infirmière major Clémence Brunet revient à Albens en 1919, il est vraisemblable que peu de gens sont alors en mesure d’imaginer le périple insensé que cette fille de commerçant du village a effectué durant les quatre ans de guerre européenne.
Certains ont alors possiblement en mémoire le court article paru deux ans auparavant dans le « Journal du Commerce » relatant son parcours de guerre sous le titre éloquent « Une infirmière deux fois citée à l’ordre de l’armée ». Les fidèles du journal pouvaient y lire ceci « Nous apprenons avec plaisir que la fille aînée de M. Joseph Brunet négociant à Albens, vient d’être l’objet de deux citations pour sa courageuse conduite : Mlle Clémence Brunet, infirmière major de l’Union des Femmes de France, débuta en 1914 en Belgique, à Bruxelles. La ruée teutonne l’obligea à se replier avec nos troupes ; elle soigna nos blessés à Epernay, Nancy etc…et fut désignée pour faire partie de la Mission militaire française en Roumanie, où elle reçoit la médaille d’honneur des épidémies le 14 avril 1917…Mlle Brunet est actuellement sur le front italien. Toutes nos félicitations à cette courageuse Femme de France ».
Clémence Brunet est une de ces figures féminines emblématiques de la Grande Guerre, l’ange blanc comme on surnomme alors les infirmières. Ces dernières côtoient dans l’imagerie de l’époque trois autres types de femmes, la munitionnette travaillant dans les usines d’armement, la marraine de guerre qui soutient le moral des soldats sans famille et enfin la douloureuse figure de la veuve murée dans son malheur sous ses voiles noirs.
Grâce aux archives que la famille Brunet a mis à notre disposition nous pouvons voir Clémence, en tenue d’infirmière, photographiée sans doute lors d’un de ses retours à Albens en 1916.

Clémence Brunet
Clémence Brunet

Cette femme de 31 ans est alors une infirmière confirmée qui a débuté dans le métier bien loin de son albanais natal en 1911 au Maroc à l’hôpital Saint-Martin de Casablanca. Elle a quitté son statut d’infirmière professionnelle dès août 1914 pour effectuer un service bénévole pendant toute la durée de la guerre. C’est à ce moment là qu’elle incorpore l’Union des Femmes de France, une des trois sociétés de la Croix rouge française, la plus populaire. Elle se démarque ainsi de la SSBM (Société de Secours aux Blessés Militaires) et surtout de l’aristocratique ADF (Association des Dames de France).
Son parcours d’infirmière de guerre va d’abord la conduire de 1914 à 1916 dans de nombreux hôpitaux du front occidental (Bruxelles, Lille, Nancy, Compiègne) où elle soigne la plupart du temps les contagieux. Partout on relève son zèle et son dévouement.
Est-ce ces qualités ou sa capacité à se retrouver à la tête d’unités de 80 à 100 lits qui la qualifie pour partir en Roumanie avec la Mission militaire française en octobre 1916.
Pourquoi un départ si loin de la France et que va faire cette mission en Roumanie ? Ce pays qui vient de rentrer en guerre à nos côtés se trouve aux prises avec les armées des empires centraux (Autriche-Hongrie et Allemagne). La mission française va apporter à l’armée roumaine une aide logistique indispensable d’autant plus indispensable que la Roumanie voit son front enfoncé. C’est au cours de cet épisode dramatique que Clémence Brunet va faire preuve d’un remarquable courage dont nous avons un aperçu à la lecture de la citation qui accompagne sa médaille d’honneur des épidémies en avril 1917 « A fait preuve d’un grand dévouement et d’une complète abnégation dans les différents services des hôpitaux de Bucarest, Braïla, Galatz et Jassy, où elle a été affectée. S’est particulièrement distinguée en prodiguant ses soins aux malades atteints de typhus exanthématique pendant l’épidémie qui a sévi à Jassy en février-avril 1917 ».
Le récit de son séjour effroyablement dangereux à Jassy mérite un plus long développement que nous nous proposons d’aborder une autre fois. Il suffit de savoir qu’elle ne quitte ce lieu qu’à la dernière extrémité pour partir terminer son service d’infirmière de guerre sur le front italien. Elle est envoyée en septembre 1917 à l’hôpital français de Livourne où elle va assurer le service de la salle d’opération et de pansements avec une compétence absolue, un dévouement de tous les instants toujours prête à rendre service et à seconder ses collègues. En 1919, elle est toujours en Italie et s’occupe d’une unité de 80 lits pour soigner les malades atteints de la grippe, la fameuse grippe espagnole qui allait faire plus de 274 000 morts dans la péninsule et toucher un italien sur sept. Le directeur de l’hôpital la voit partir à regret, appelée « chez elle par des raisons impérieuses ». De retour en Savoie, on la retrouve très vite en activité dans un hôpital temporaire n°103 de Chambéry où elle dirige une unité d’une centaine de lits.
Cette « courageuse Femme de France » comme on la nomme dans l’article du « Journal du Commerce » de février 1918 fait partie de l’immense cohorte des oubliées de l’histoire que sont les femmes de la Grande Guerre.
Clémence Brunet avait reçu de nombreuses médailles attestant de son courage et de son dévouement, un siècle plus tard on peut penser qu’il lui manque peut-être une dernière distinction, celle de voir une rue de son village natal porter son nom.

Jean-Louis Hébrard