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Départ du domicile mortuaire

Le temps n’est pas si éloigné que ça où (une lettre de mort), on l’appelle aujourd’hui avis de décès, se terminait presque toujours par ces quelques mots : « Départ du domicile mortuaire », dans nos communes rurales bien sûr !

Cette lettre de mort annonçant le décès d’une personne était la plupart du temps le seul moyen utilisé par la famille du défunt pour faire part à la population voisine de la mort d’un des leurs. La famille proche la recevait par le courrier. Elle était affichée dans tous les lieux de rencontre : les cafés, la boulangerie et surtout les postes à lait et les fruitières, hauts lieux s’il en était de la communication (comme on dirait de nos jours) dans nos campagnes. Un avis de décès était parfois publié dans Le Dauphiné et L’Agriculteur Savoyard, si la date de parution le permettait.

C’est ainsi qu’au début des années 50 nous apprenions le décès d’un cousin âgé « Fanfoué » comme on l’appelait, habitant une commune proche de Haute-Savoie.
Encore enfant à cette époque mais le connaissant, j’accompagnais mon père à son enterrement. Il faisait très beau ce matin-là ; c’était les premiers jours de mai.

Perché sur un grand vélo, je suivais mon père sur un chemin familier. En effet, nous l’empruntions souvent pour aller faire les foins, ou « mener » les vaches au pré. Mais le décor m’apparaissait différent des autres jours ; il est vrai que j’avais mes habits du dimanche et puis l’anxiété d’aller à un enterrement devait provoquer ce trouble.
Pourtant en passant à côté de l’étang, les canards et les poules d’eau étaient bien là. Les grenouilles répétaient déjà leur chant, préparant ainsi leur grand concert du prochain accouplement.

Le chemin se confondait parfois avec le pré qu’il traversait. Seules les ornières creusées par le passage des chevaux et des roues de chariot, et élargies depuis quelques années par celles des tracteurs, le traçaient encore. Elles nécessitaient la plus grande attention à la conduite du vélo, surtout en habits du dimanche.
Les pissenlits finissaient de jaunir les prés.

Sur un tronçon plus caillouteux, un garde-boue et un porte bagage durement secoués, dénichaient en passant quelques merles occupés à couver dans les buissons.
Je retrouvais le petit pont de dalles en pierre qui, parfois, provoquait chez moi la plus grande inquiétude lorsqu’il fallait le franchir avec le grand râteau à cheval, tant ce passage était étroit.

Plus loin, le chemin se perdait dans la cour d’une ferme. Une route prenait le relais. Les vélos appréciaient la différence. Un dernier petit bois traversé et nous arrivions au domicile mortuaire.

Il y avait déjà du monde. Les « bonvos e’ va tout ? » (les « Bonjour, est-ce que ça va ? ») fusaient de toute part. Des gens reconnaissaient mon père et du même coup je fis ma première tournée de poignées de mains.

Il n’était pas facile d’arriver à la maison du défunt, en raison d’arrêts fréquents auprès des nombreux rassemblements. À l’approche de cette dernière, les dialogues se faisaient avec retenue. Selon la coutume, la cour avait été balayée.
Craquant sous les pas de chaque visiteur, un vieil escalier en bois conduisait à l’habitation.

Sur le palier, deux neveux du mort, puisqu’il n’avait pas d’enfant, accueillaient les gens et les conduisaient dans la cuisine, là où reposait Fanfoé.

Le cercueil était posé sur deux chaises ; une gerbe de fleurs le recouvrait. De chaque côté un cierge allumé l’entourait, un crucifix et quelques plaques souvenir garnissaient une table, en léger retrait. Sur une autre, plus petite, un verre rempli d’eau bénite où trempait un rameau de buis servait de bénitier. Chacun, à sa façon !… signait le cercueil.
Le temps d’un recueillement et l’on se rendait dans la pièce voisine, le péle ou pèle (séjour) pour réconforter la veuve. Ici, les volets mi-clos, il fallait un peu de temps aux yeux pour s’habituer à cette quasi obscurité. Une vieille dame que j’avais toujours vue dans cette maison, mais je n’aurai su dire qui elle était, lui tenait compagnie. Toutes deux pleuraient.
Cette visite terminée, les gens se retrouvaient dehors, attendant l’arrivée de l’écroâ (le curé) et du corbillard.

Le chaud soleil de mai facilitait les conversations. Perché sur un muret du jardin et observant les allées et venues, j’écoutais ça et là les propos échangés en patois. Cette atmosphère de retrouvailles presque joyeuses me fit découvrir du même coup une ambiance toute différente de celle que je m’étais fabriquée à coups de ce qui se faisait, ou plutôt de ce qui ne se faisait pas quand la mort frappait une maison.

De plus en plus nombreux, venus des environs, hommes et femmes se saluaient. Vêtus de sombre, le noir dominait nettement. Certaines femmes avaient un voile à leur chapeau, laissant supposer qu’elles étaient de la famille ou bien qu’un deuil récent les avait frappées. Les hommes, pour la plupart, avaient sorti leur chapeau de feutre, quelques-uns avaient un béret ou une casquette. Je reconnus l’Djian (Jean) et l’Guste (Auguste) ; c’étaient nos voisins de terre. D’autres têtes me dirent quelque chose mais j’étais incapable de leur mettre un nom.

De l’écurie, un bruit de frottement de collier de vache sur la rêche (la crèche) en bois se fit entendre ; beaucoup durent le reconnaître tant il était coutumier des fermes de l’époque. Trois vaches formaient le troupeau de cette exploitation. Une poule qui venait de pondre chantait à tue-tête dans l’écurie, un coin avait été aménagé en poulailler.
Dans la région, l’étable a toujours été appelée « écurie » ou bôeu pour les bœufs, bové ou bova pour les vaches ; mais l’appellation « écurie » était la plus courante. Son origine devait puiser ses racines dans la cohabitation largement répandue à l’époque du cheval et des vaches.

Près du tas de fumier, un coq appelait ses polailles tout en égrabottant (gratter avec ses pattes) leur laissant croire qu’il avait trouvé un festin extraordinaire. Nombreux étaient les hommes qui allaient pchi ona gotte dans l’écurie, en attendant !

À deux pas de moi, un groupe échangeait sur le travail.
« On a pianta les tartiffie et les bondances » disait l’un d’entre eux.
« Nos tô parî la sman-n passâ » lui répondait l’autre.
« On a planté les pommes de terre et les betteraves » disait l’un. « Nous de même, la semaine passée », lui répondait l’autre.

Un beau cheval roux, tirant le corbillard arrivait à l’entrée de la cour. « L’écroâ » et un enfant de chœur avaient pris place sur la banquette à côté du cocher. Les gens se retiraient pour leur laisser le passage libre tout en les saluant.

Tandis que le prêtre et l’enfant de chœur se rendaient au domicile, le cocher manœuvrait son cheval pour placer son attelage dans le sens du départ. Une dizaine d’hommes s’approchèrent de ce dernier, pendant que le cocher finissait de serrer « le mécanique », le frein, à l’aide d’une roulette fixée au bout du siège.

Visiblement habitués au corbillard, quatre d’entre eux, les porteurs, prenaient dans un petit coffre une lingerie blanche. Sorte de large ceinture qu’ils nouèrent autour de leur taille. Puis, enfilèrent des gants blancs. Quatre autres, plus âgés, en firent autant : les teneurs de coins. La tradition voulait que ces derniers fussent des conscrits et de surcroît des proches du défunt. Leur choix s’avérait parfois délicat car certaines familles se vexaient si l’un des leurs n’était pas demandé pour tenir un coin.

Le cocher tendait une croix en bois, crêpée de noir, au plus jeune qui lui aussi ganté de blanc, s’était approché avec les autres. Quand le prêtre et son servant réapparurent sur le palier, les porteurs montérent à leur tour. Peu après, ils revenaient en portant le cercueil. L’escalier craquait de plus belle. Le silence régnait, chapeau à la main, la foule attendait que le cercueil soit hissé sur le corbillard. Lorsque tout fut prêt, le porteur de la croix ouvrit la marche, les femmes lui emboîtèrent le pas. Puis, le prêtre et l’enfant de chœur ainsi que deux chantres qui les avaient rejoints précédaient le corbillard. Ce dernier avait une certaine allure. Quatre plumeaux noirs ornaient le toit. La route trop étroite, par moment, ne permettait pas aux quatre teneurs de coins de prendre leur place. C’est en compagnie des porteurs qu’ils cheminèrent derrière l’attelage, juste devant la famille. La veuve et la vieille dame étaient restées à la maison, âgées, le parcours aurait été au-dessus de leurs forces.

Cousin éloigné, mais très lié au défunt, mon père s’était joint à la famille. L’Guste et l’Djian, aperçus tout à l’heure, étaient mêlés aux hommes qui formaient la queue du cortège. Je me plaçais à côté d’eux. L’Guste en imposait autant par son regard que par sa taille, chaque mot prononcé avec lenteur portait comme un emporte-pièce. L’Djian, petit et agité, était un bartavé, il avait toujours quelque chose à dire.

L’Fanfoé va bien manquâ diè l’carre. A poé sa fène va étre obligea d’vèvre les vasses, elle porra pas y’arvâ solette, disait l’Djian.
Oua é l’Albert qu’va tôt yu fére, é, travaillive déjo les terres à métia, fit remarquer l’Guste.

– Le François va bien manquer dans le coin, et puis sa femme va être obligée de vendre les vaches. Elle ne pourra pas y arriver seule, disait Jean.
– Oui, c’est Albert qui va tout y faire, il travaillait déjà les terres à moitié, fit remarquer Auguste.
Le cortège se dirigeait vers l’église sur une route empierrée. Une forte montée permettait aux derniers d’apercevoir les premiers. Parvenus à la hauteur d’un champ du Fanfoé, l’Guste et l’Djian reprirent leur dialogue.

é m’éton-nrai bin qu’l’Albert gardisse tôt r’lo pommis pè trvailli avoé l’tracteû diè chos grand fan ? dit l’Guste.
Oua ! t’a bin vîu Joset l’éfan du Mil, stron vsin, la vartoya qu’alla fôtu bas cf’ivé | l’Mil était pas trop d’acco, mé alla bin éta obligea diu passâ, atramè le Joset volè modâ. E Mil qu’mia dé saqui jo, affirmait l’Djian.
Oua ! tot los mémes r’los joénes ! … fau toltin alla pè vite, s’écriait l’Guste. Faut pas démanda si los pommis les ginnent pê saï, à poé, p’labora ; é la mêma chuse ! tote la vôrnâ a fon trin l’cul sur l’tracteû à pinne cé déchaident pè pich onna gotte.
Pè vite ! pè fêre qu’a ? p’alla à la corrate é z’on rèque la corrate diè l’vêtre, interrogeait l’Djian.

– Ça m’étonnerait bien qu’Albert garde tous ces pommiers pour travailler avec le tracteur dans ce grand champ, dit Auguste.
– Oui ! T’as bien vu Joseph, le fils d’Émile notre voisin, la quantité qu’il a mis par terre cet hiver. Émile n’était pas trop d’accord, mais il a été obligé d’y passer, autrement Joseph voulait partir. C’est Émile qui me l’a dit un de ces jours, affirmait Jean.
– Oui ! Tous les mêmes ces jeunes, il faut toujours aller plus vite, s’écriait Auguste. Il ne faut pas demander si les pommiers les gênent pour faucher, et pour labourer. C’est la même chose ! Toute la journée à fond, le cul sur le tracteur ; à peine s’ils descendent pisser une goutte.
– Plus vite ! pour quoi faire ? Ils ont rien que la « courrate » dans le ventre, interrogeait Jean.

Fais attéchon à tos pis, criait l’Guste.

– Fais attention à tes pieds, criait Auguste, à celui qui le précédait. Trop tard : les chaussures noires écrasaient un peu plus le crottin abandonné plus haut par le cheval qui tirait le corbillard. Compliquant ainsi la tâche des moineaux, qui très friands de ce festin offert à si bon port, attendaient impatiemment sur un arbre, les derniers marcheurs.

La fin de la montée coïncidait avec un virage très prononcé à gauche, ce qui permettait aux derniers d’avoir un coup d’œil sur l’ensemble du cortège. J’étais de ceux-là.

Plusieurs groupes attendaient sur les entrées de champs longeant le parcours. Les femmes étaient les premières à s’intercaler parmi toutes celles qui formaient la tête du cortège. Les hommes se découvraient sur le passage du corbillard, certains se signaient. Pêle-mêle, les femmes et les hommes membres de la famille s’intégraient à leur place, derrière ce dernier.
Ceux qui restaient au bord de la route vinrent gonfler les derniers rangs. Les salutations allaient bon train.

L’Guste, voyant arriver un gros bonhomme qui balançait ses bras sur son ventre en marchant, interrogea l’Djian.

Quouié chos Grou qu’fa é vagné ?
T’sé pas ! rétorque l’autre.

– Qui est ce gros qui fait en semant ?
– Je ne sais pas, rétorque l’autre.

La remarque était excellente car, à chaque pas, il ramenait ses bras sur son ventre, ce qui, effectivement, rappelait le geste du semeur.
Nous arrivions dans le hameau que la route traversait. Un rideau à demi tiré laissait apercevoir le visage d’une personne figée qui regardait derrière les carreaux.

La Phine é pas alla à l’intèrament avoué ses rhumatismes ! observait l’Djian.
Oua ! … R’guéta vi r’la mate d’faimé celle biè n’arrindjia, dit l’Guste, plus intéressé par l’alignement du tas de fumier d’à côté que par la Phine derrière sa fenêtre.

À la sortie du village, une descente assez prononcée avait accéléré la vitesse du cortège. Au bout de cette ligne droite, l’église s’offrait à notre vue.
Un petit air de bise ramenait une odeur de porcherie ; en effet, nous apercevions la fruitière en bas.
Tout à coup, les chapeaux de feutre se levaient avec délicatesse (avec plus de gognes) de manières que de coutume, visiblement un Monchu était présent dans le groupe qui attendait sur le côté. La présence de ce Monchu fut remarquée et même appréciée par la foule à en croire les commentaires qu’elle suscitait.

Arrivé à l’église, le cortège s’immobilisa, la demie de dix heures sonnait.

Une fois de plus chacun se découvrait. Le cercueil fut descendu du corbillard, les teneurs de coins occupèrent leur place et si les femmes et la famille rentraient en totalité dans l’église, il n’en fut pas de même pour les hommes. Nombreux étaient ceux qui se dirigeaient vers le café qui longeait la grande route.
Je perdais du même coup mes deux compagnons de marche.

La cérémonie religieuse terminée, tout le monde se retrouve à la sortie de l’église pour reconstituer le cortège, en direction du cimetière. Celui-ci, peu éloigné, fut très vite noir de monde. Le prêtre récitait les dernières prières qui étaient couvertes par le glas.
Le Fanfoé fut descendu en terre par les porteurs. Chaque participant ne voulait manquer un dernier adieu à celui qu’il venait d’accompagner. Défilant devant la tombe, se signant ou jetant une poignée de terre, c’était l’ultime moment d’une émotion vraie. Puis, ce fut les condoléances auprès de la famille.

Arvi ! disaient les uns et les autres en se séparant tout en souhaitant se revoir bientôt.
Nous étions quelques-uns à emprunter le même parcours pour retrouver nos vélos. Les propos échangés devenaient plus familiers, chacun invitait l’autre et sa famille à venir à la maison.
Chemin faisant ce groupe s’amincissait à vue d’œil. Nous fûmes peu nombreux à revenir jusqu’à la maison mortuaire. Une dernière visite s’imposait.

Il se faisait tard, il fallait penser à rentrer, après avoir salué l’Djian et l’Guste, nous grimpions sur nos vélos.
Le soleil dans les yeux, nous arrivions bien vite au tronçon caillouteux où, une fois de plus dérangés, les merles s’envolèrent en sifflant rageusement.
Midi et demi sonnait derrière nous, à Marigny.

René Canet
Article initialement paru dans Kronos N° 4, 1989

Intervention dans les écoles de Saint-Germain-La Chambotte

Le vendredi 24 juin après-midi, Jean-Louis Hebrard fera une présentation aux écoliers sur le thème « D’aujourd’hui à 1880, l’école en remontant le temps », avec support numérique et présentation d’objets anciens (encrier, plumes , buvards, cahier d’écriture, cahier de rédaction).

Buvard Picon
Buvard Picon

Cette présentation sera suivie le soir par une causerie avec les anciens, sur le thème « L’école d’antan », à partir de 20h30.

Assemblée Générale 2022

Kronos vous convie à son Assemblée Générale qui se déroulera le vendredi 3 juin à 20h00, à la salle des fêtes G. Clerc Renaud de Mognard.

Cette Assemblée Générale sera suivie par la conférence « Francoprovençal, patois, savoyard et sabaudismes », présentée par Jean-Baptiste Martin, professeur émérite de cultures et langues régionales et ancien doyen de la Faculté d’anthropologie et de sociologie de Lyon.

Nous vous rappelons que d’anciens numéros de la revue Kronos seront en vente à prix modiques afin que vous puissiez compléter votre collection.

Venez nombreux !

Don d’un ancien traîneau à Kronos

Ce vendredi 14 avril, la famille Matthiez a offert à Kronos un traîneau datant de la première moitié du XXème siècle, en présence de la maire déléguée d’Albens, Claire Cochet.

C’est un traîneau à neige de 2 à 3 places, avec le cocher à l’arrière sur un siège de cuir rembourré.

À quoi pouvait-il servir ? Provient-il d’une station de montagne, comme le Revard, avant la démocratisation de la voiture ? Appartenait-il au médecin de l’époque ?

Si vous avez une idée, n’hésitez pas à nous contacter !

Cataplasme et ventouses

Durant le mois de février 1956, la France et la Savoie subissent la plus sévère vague de froid de la décennie. Le 5 février, dans les rues de Chambéry, il fait -16° ; dix jours plus tard, à Belley, les platanes de la ville éclatent sous l’effet du gel. Nos chambres étaient glaciales, se souvient un témoin de Menthonnex qui conserve en mémoire la glace qui recouvrait les vitres au petit matin. Ces conditions polaires (-30° à Megève, -27° à Termignon) persistent jusqu’à la fin du mois entraînant de nombreux dégâts, tuant près de 200 personnes dans tout le pays.

L’hiver, qu’il soit très rigoureux ou supportable, est alors la saison du retour des cataplasmes. Ce remède faisait partie intégrante de la pharmacie familiale. Sa composition la plus classique était à base de farine de lin ou de farine de moutarde et quelquefois d’un mélange des deux. Malaxée avec de l’eau, on faisait chauffer le tout assez longtemps afin d’obtenir un emplâtre bien chaud qui était ensuite étalé dans un tissu de lin soigneusement plié. L’ensemble, posé sur la poitrine, souvent maintenu par une flanelle pour profiter de la chaleur, était gardé 10 à 15 minutes. « Et ça chauffait, dur même ! » écrit Magitte sur son blog (magitte.over-blog.com). « Souvenirs cuisants » poursuit-elle « plus on était rouge, mieux c’était… À rendre jaloux les homards… ce que je supportais en poussant des cris ». Une attitude plus que normale dans une société qui reste encore très doloriste, invitant les enfants à se montrer courageux. Le but de l’opération était de faire venir le sang pour atténuer le plus possible la congestion.

L’Ouataplasme, pansement (collection privée)
L’Ouataplasme, pansement (collection privée)

On soignait bien d’autres affections comme les furoncles, panaris, compère-loriot et autres à l’aide de pansements émollients aseptiques vendus en pharmacie sous le nom d’Ouataplasme. La notice qui accompagne le produit précise « une fois l’Ouataplasme imbibé d’eau tiède, il suffit d’étaler sur la mousseline la quantité nécessaire, selon l’âge du malade, d’une pâte épaisse obtenue en délayant de la farine de moutarde ordinaire dans un peu d’eau. L’Ouataplasme peut être laissé en place tout le temps nécessaire à la révulsion que le médecin veut obtenir. Il ne provoque aucune irritation ». Il n’en reste pas moins que le côté collant et désagréable de la médication est un fait, un ressenti passé dans le langage courant pour qualifier le fâcheux dont on dit « Oh ! Celui là, c’est un vrai cataplasme ». Comme les cataplasmes, la pose des ventouses, autre façon de soigner les refroidissements, est difficile à supporter. Cette façon de soigner à l’aide de petits récipients en verre était pratiquée par tous les foyers de France tant à la campagne qu’à la ville depuis fort longtemps. Dans les années 50, tout le monde possède un lot de ces petits pots en verre, le plus souvent entreposé dans une boite ou une mallette en bois.

Lot de ventouses (collection particulière)
Lot de ventouses (collection particulière)

De petite taille, la ventouse présente une ouverture rétrécie, un fond arrondi et un bord muni d’un bourrelet assez épais. On les appliquait côte à côte sur la peau pour attirer le sang, par révulsion. Leur pose exigeait que l’on ait au préalable chauffé l’air intérieur. Pour cela, une compresse, du coton ou un morceau de papier imbibé d’alcool à brûler était enflammé dans le récipient. La flamme éteinte, la ventouse était placée sur le dos du malade. En refroidissant elle produisait le puissant effet de succion attendu pour soigner les bronchites et autres problèmes respiratoires. Rangé dans la catégorie des « remèdes de bonnes femmes » à partir des années 60, l’usage des ventouses se perd peu à peu.

Pour les maux de gorge, on traitait avec un collutoire au bleu de méthylène. Découvert à la fin du XIXème siècle par un chimiste allemand, cet antiseptique est toujours employé dans les années 50. Enfant, on nous demandait d’ouvrir largement la bouche pour recevoir le badigeonnage. « Fais Ah ! » nous enjoignait-on. On s’y prêtait de bonne grâce, sachant que le collutoire allait calmer l’inflammation.

Boite d’ampoules (collection privée)
Boite d’ampoules (collection privée)

Si l’on avait recours à des produits issus de la chimie comme le mercure au chrome, cicatrisant pour les écorchures, ou les ampoules de teinture d’iode comme désinfectant puissant, c’était encore vers une médication par les plantes que l’on se tournait bien souvent.

Soigner les écorchures  (Manuel classe fin d’études, 1958)
Soigner les écorchures (Manuel classe fin d’études, 1958)

À la pharmacie d’Albens comme dans bien d’autres officines de Savoie, il était possible de trouver la camomille, l’aubépine, la chélidoine, le millepertuis et bien d’autres plantes nécessaires pour les tisanes et autres préparations. Sinon, pour tous ceux qui connaissaient les simples, la collecte dans la campagne et la culture dans le jardin fournissaient l’essentiel. Dans un article de la revue d’ethnologie Le monde alpin et rhodanien, dans le numéro 4 de 1976, on découvre les « Remèdes d’autrefois à Saxel ». Originaire de cette commune de Haute-Savoie, l’institutrice Julie Dupraz livre dans un bel article (consultable en ligne www.persee.fr) le fruit d’un long travail d’enquête sur les ressources médicinales des habitants de la commune dont elle était originaire.

La chélidoine contre les verrues (collection privée)
La chélidoine contre les verrues (collection privée)

Mises à macérer dans de l’alcool ou de l’huile, préparées en tisane c’est-à-dire en infusion comme en décoction, les plantes permettent de calmer, cicatriser, désinfecter, aider à guérir de la grippe, de la jaunisse ou de problèmes de peau. C’est l’usage que l’on fait alors de la chélidoine qui « fait passer » les verrues. La camomille en infusion est souveraine en cas de digestion difficile mais on l’utilise aussi pour le lavage des yeux.

L’eau de vie, désinfectant habituel dans les fermes, sert pour la macération du chèvrefeuille que l’on emploie pour faire mûrir panaris et mal blanc. L’aubépine comme le tilleul sont employés en infusion pour calmer les enfants auxquels on propose alors la célèbre « eau sucrée », un placébo très efficace. Melle Dupraz parle aussi de l’extraction des dents de lait à l’aide d’un bout de fil à coudre et aussi de l’importance du « rhabilleurs », le rebouteux qui soigne les foulures et remet en place vertèbres et articulations.

Les séniors d’aujourd’hui qui ont connu le temps où les antibiotiques étaient rares voient avec étonnement revenir au goût du jour l’usage des ventouses, des cataplasmes et des « médecines d’autrefois ».

Jean-Louis Hebrard

Une exposition de Kronos au centre administratif d’Entrelacs

En vous rendant à la bibliothèque, venez découvrir la nouvelle exposition « Albens 1900 : dix clichés retrouvés ». Des photographies surprenantes accompagnées de courts textes sur la vie du village il y a 120 ans. Des militaires stationnent devant l’église, une fanfare se met en marche, on processionne pour la Fête Dieu dans la Grand rue, femmes et hommes posent tranquillement dans le carrefour, à la gare, une énorme locomotive à vapeur s’apprête à partir.

En pleine installation dans l’escalier, vers la bibliothèque.
En pleine installation dans l’escalier, vers la bibliothèque

L’exposition devrait être visible durant quelques mois. L’association remercie la commune d’Entrelacs pour son accueil.

Bonne visite !

Fontaines qui coulent et trains qui se croisent

Dans tous les livres scolaires, on trouvait alors des exercices de bassins qui se remplissent, de fontaines qui coulent, de champs à clôturer ou de récoltes à vendre. Ce type de problème correspond alors à une France encore très rurale dans laquelle les paysans constituent une part importante de la population active. Aussi, le certificat d’études a-t-il pour fonction d’assurer à la majorité des jeunes qui le passent de solides bases de calcul ainsi qu’une bonne connaissance des unités de mesure dont ils auront un usage quotidien au village comme à la ferme.

Albens, la fontaine rue de la poste (collection particulière)
Albens, la fontaine rue de la poste (collection particulière)

De tous les exercices de calcul proposés, ceux qui concernent l’eau qui coule des fontaines, remplit les bassins, sont les plus courants. Ils sont en prise avec la vie des villages dans lesquels plus de 80% des logements ne possèdent pas l’eau courante, nécessitant de se rendre quotidiennement à la fontaine publique. Installée à l’entrée de la rue de la Poste, celle d’Albens a été réalisée en 1836 sous le règne du roi de Piémont-Sardaigne Charles Albert. Dans les années 50, son modeste débit peut faire écho au problème suivant : « Une fontaine donne 25 litres d’eau en 14 minutes. Une autre donne 41 litres en 21 minutes. Quelle fontaine débite le plus d’eau dans le même temps ? Au bout de combien de temps, la fontaine qui coule le plus vite aura-t-elle donné 100 litres de plus que l’autre ? ». Dans le village de Braille c’est le magnifique bassin qui peut entrer en résonnance avec cet énoncé : « Un bassin mesure 1m75 de large, 4m50 de long, et 1m80 de profondeur. On le remplit grâce à un robinet qui débite 82 litres par minute. Combien de temps faudra-t-il pour remplir ce bassin ? ».

Le bassin de Braille
Le bassin de Braille

Pour réussir tous ces problèmes et bien d’autres, il faut être capable de jongler avec les litres, hectolitres, ares et hectares, mètres et kilomètres, bien savoir que soixante secondes font une minute et soixante d’entre elles s’écoulent durant une heure. Le protège-cahier, avec ses illustrations, est là pour nous aider à mémoriser toutes ces unités. On y trouve par exemple la représentation des diverses mesures pour les liquides, en étain pour le vin, en fer blanc pour le lait ou pour l’huile.

Pour le vin, le lait et l’huile (collection particulière)
Pour le vin, le lait et l’huile (collection particulière)

Leurs formes sont alors familières aux enfants des régions céréalières comme de celles tournées vers la viticulture ou l’élevage laitier. De cette façon, on ne doit pas être surpris d’avoir à résoudre pour un éleveur le problème suivant : « Un cultivateur possède 5 vaches qui lui procurent en moyenne chacune 8 litres de lait par jour. De 2 litres de lait, on retire 20 centilitres de crème et 1 litre de crème donne 250 grammes de beurre. Si le beurre vaut 56 francs le kilo, calculez quelle somme rapporte au cultivateur en une semaine, ses 5 vaches ».

La rédaction de ces exercices demandait aux jeunes élèves d’effectuer une lecture très attentive. Avant de se lancer dans les calculs, il fallait bien avoir compris l’histoire racontée, bien identifier les différentes unités que l’on allait utiliser. Ensuite, il était temps de se lancer dans la résolution du problème en prenant bien soin d’écrire de façon lisible toutes les opérations avant, au final, de rédiger la réponse. Un exercice qui pouvait en perdre plus d’un.

Le système métrique illustré (dictionnaire)
Le système métrique illustré (dictionnaire)

Les histoires qui habillaient ces exercices se rapportaient le plus souvent au monde agricole. Tantôt il fallait calculer un volume de bois, d’autre fois clôturer un champ dont on devait calculer le périmètre, prévoir le nombre de piquets nécessaire, sans oublier l’installation d’une porte. Mais le plus souvent il était question des récoltes : « Un cultivateur a récolté 126 hectolitres de blé dont il a vendu la moitié au prix de 750 francs le quintal (100 kilos). Combien cette vente lui a-t-elle rapporté, si l’hectolitre de blé pèse 81kilogrammes ? ». Après avoir jonglé avec les hectolitres et les quintaux, un autre exercice vous plongeait dans des calculs de rendement et la valse des hectares, kilos, ares et quintaux. Dans celui-ci, il est question de récolte de pommes de terre : « Un cultivateur a planté en pommes de terre un champ de 2 hectares et demi. Le rendement moyen est de 180 kg l’are. Évaluer en quintaux le poids de la récolte. Cette récolte est vendue en trois fois : un tiers à l’arrachage à 12,50 F le quintal ; la moitié du reste au début de l’hiver à 150 F la tonne. Le reste des pommes de terre n’est vendu qu’au mois de mars à 17,40 F le quintal, mais le cultivateur constate un déchet de 10%. Quelle somme retirera-t-il de sa récolte ».

Géographie du cours moyen (collection privée)
Géographie du cours moyen (collection privée)

Tous les exercices ne tournaient pas autour des réalités agricoles. Avec les sujets portant sur la circulation des trains, le calcul nous faisait entrer dans le monde plus moderne des transports, la voie ferrée étant alors le moyen de transport le plus populaire.

La BB 9004, image album Kohler (collection privée)
La BB 9004, image album Kohler (collection privée)

C’est le temps où la SNCF se lance avec succès dans la modernité avec l’électrification de la traction et du réseau. Ces réussites sont célébrées par la presse enfantine : « Avec les CC 7107 et BB 9004 qui ont roulé à 330 km/h, la France détient le record du monde sur rail. Ce record absolu a permis d’améliorer la vitesse commerciale sur les lignes électrifiées, si bien que nous possédons les trains les plus rapides du monde sur des distances de plus de 500 km, notamment avec le « Mistral », qui relie Paris à Marseille ».

Dans nos livres de calcul, les trains ne roulaient pas aussi vite, jugez-en plutôt : « Un train quitte Grenoble à 6h. Il roule à 72km/h. Un autre train quitte Annecy à 8h. Il roule à 69 km/h. À quelle heure et à quelle distance de Grenoble vont-ils se rencontrer ? Grenoble et Annecy sont distantes de 87 kilomètres ».

À vos calculettes ou cahiers de brouillon pour trouver maintenant les résultats de tous ces exercices.

Jean-Louis Hebrard

La revue 37 est sortie !

Le numéro 37 vient de sortir, comme l’an dernier intégralement en couleurs. 

Au sommaire :

Vous pouvez la trouver aux points de vente suivants :

  • Maison de la presse à Albens (Entrelacs)
  • Maison de la presse à La Biolle
  • Maison de la presse à Saint-Félix
  • Boulangerie Challe à Bloye
  • Carrefour Market de Grésy-sur-Aix
  • Hyper U de Rumilly
  • Espace Leclerc de Drumettaz
  • Maison de la presse Avenue de Genève à Aix-les-bains
  • Maison de la presse du pont neuf à Rumilly

Bonne lecture !

Kronos sur Radio Grand Lac

À la fin de l’année dernière, Kronos a été invitée dans l’émission « Place aux associations » de Radio Grand Lac, aux côtés de la batterie-fanfare d’Albens et de l’association Zyg’O’matics.

Si vous l’avez ratée, vous pouvez ré-écouter ci-dessous les interventions de Jean-Louis Hebrard et de Bernard Fleuret :

Extrait de l’émission du 21 décembre

L’émission complète est disponible sur Youtube.

Assemblée Générale de Kronos, Une plongée dans l’histoire séculaire de la Savoie

Ce vendredi 1er octobre, Kronos pouvait enfin tenir son assemblée générale en présentiel à la salle des fêtes l’Ébène de La Biolle. Tout avait été mis en place pour assurer la mise en œuvre des mesures sanitaires requises.
Peu après 20h, le président de Kronos, Fabien Millioz ouvrait l’assemblée générale par la présentation du bilan moral faisant ressortir l’activité de l’association auprès du large public de l’Albanais, esquissant les projets pour les années prochaines. Dans un programme fourni on a pu relever la reprise prochaine des conférences, les animations dans les écoles à la demande des enseignants, la mise en ligne de l’ouvrage « L’Albanais 1900 » introuvable aujourd’hui mais aussi la poursuite des publications avec la sortie du numéro 37 de la revue et la préparation d’une brochure consacrée au centenaire de la rosière d’Albens. Ce bilan comme le bilan financier ont été adoptés à l’unanimité des adhérents et la liste des membres du conseil d’administration reconduite. Le président donne ensuite la parole à Claire Cochet, maire déléguée d’Albens, qui après avoir excusé Jean-François Braissand maire d’Entrelacs empêché, se félicita du rôle joué par Kronos dans la connaissance du passé local et sa diffusion la plus large.

Dans la salle de l'Ébène, le public et Claude Mégevant lors des échanges. (cliché B.Fleuret)
Dans la salle de l’Ébène, le public et Claude Mégevant lors des échanges. (cliché B.Fleuret)

Pour cette reprise de contact, l’association était heureuse de pouvoir bénéficier de l’intervention de Claude Mégevant, co-fondateur de la Société d’Histoire de la Salévienne. Adhérents de Kronos et simples spectateurs (60 personnes environ) ont découvert avec bonheur le film « Le royaume partagé ou l’histoire des États de Savoie ». Racontée par Clotilde Courau, comédienne et princesse de Savoie, avec l’appui et les interventions de nombreux universitaires, cette histoire multi-séculaire aborde en 52 minutes les grands moments des États de Savoie, présente les figures princières et royales incontournables de cette épopée. Le film inscrit aussi la Savoie dans le concert culturel de son temps la dotant d’un patrimoine prestigieux à l’image des belles églises baroques de Maurienne et Tarentaise. Un débat a poursuivi la projection, nourri de toutes les questions et remarques qu’un public connaisseur et intéressé n’a pas hésité à poser à l’intervenant. Un grand moment d’échange qui est inscrit dans l’ADN de l’association par ses contacts avec les sociétés voisines (Amis du Vieux Rumilly, Association des gorges du Sierroz, Société d’Art et d’histoire d’Aix), par l’ouverture des colonnes de sa revue à de nouvelles signatures, par ses relations avec les écoles du secteur.
Les conversations se sont poursuivies autour d’un verre et d’une petite collation offerte à la fin.
Une belle Assemblée Générale qui laissera certainement un bon souvenir.