Six mois déjà que le maréchal Pétain, à la tête de l’État français, dirige depuis Vichy la zone libre. Sa politique dite de la « Révolution nationale » cherche à susciter l’adhésion au régime de diverses composantes de la population, anciens combattants, travailleurs de la terre et bien sûr la jeunesse dont on va soigneusement contrôler l’éducation.
C’est ainsi qu’au début de l’année 1941, à Albens comme dans toute la zone libre, le salut aux couleurs devient une pratique régulière dans les écoles. Cette cérémonie « simple et touchante, » lit-on dans le Journal du Commerce du 15 février 1941, « s’est déroulée lundi dans la cour des écoles à l’occasion du premier salut aux couleurs ». Un photographe a saisi le moment des discours juste avant qu’un élève, au pied du mât, ne hisse le drapeau tricolore. Les grandes fenêtres des classes sont visibles au fond et dans la cour de récréation où se déroule la cérémonie, les arbres n’ont pas encore leurs feuilles.
Deux groupes occupent l’espace au premier plan : à gauche les scolaires avec leurs enseignants et à droite, derrière le porte-drapeau, disposés en rangs, têtes découvertes, les anciens du village avec les autorités. C’est ce que l’on peut lire dans le Journal du Commerce, où précise le rédacteur : « à l’heure de la classe du matin, tous les enfants avec leurs maîtres et maîtresses étaient rassemblés autour du mât ainsi que la municipalité et la Légion des Combattants ». Ce dernier apporte bien d’autres informations sur la cérémonie, notamment sur le message à l’adresse des élèves et sur le caractère solennel donné à ce premier lever des couleurs : « Le président de la Légion s’adressant aux enfants, dans une éloquente allocution dégagea le sens de cette manifestation et leur demanda de collaborer, par leur travail et leur discipline au relèvement de la France. Une sonnerie de clairons retentit et un élève hisse le drapeau au sommet du mât. À la demande du Président de la Légion une minute de silence est observée ».
Yves Bravard, dans un ouvrage sur « Les savoyards et Vichy » a publié un cliché d’une cérémonie semblable à l’école communale de Saint-Pierre d’Albigny.
La Légion des Combattants, création récente du régime de Vichy est avant tout pour le chef de l’État, une « courroie de transmission » destinée à diffuser son message et à faire appliquer sa doctrine. Surnommée par certains « les yeux et les oreilles du Maréchal », la légion va en être surtout « la bouche » dont l’action de propagande civique cherche à communiquer aux Français le « culte des valeurs nationales ». Le chef de la Légion des combattants d’Albens ne demande-t-il pas aux enfants de contribuer au relèvement de la France par leur travail assidu dans la plus grande discipline.
Un réseau serré de sections communales, d’unions départementales puis à partir de 1941 d’unions provinciales permet à la Légion d’être partout présente dans la zone libre. Elle rencontre souvent un écho immédiat écrit Yves Bravard dans son ouvrage, « particulièrement en Savoie, territoire convoité par l’ennemi italien et qui aspirait à participer à une renaissance morale dont on lui vendait les lendemains ». Elle va connaître un certain succès en 1940-41 sous la direction de Léon Costa de Beauregard avant que son évolution vers les horizons plus tragiques de la Milice n’amenuise ses effectifs.
Lors de fréquents rassemblements cantonaux, Costa de Beauregard rencontre les sections communales auprès desquelles il expose longuement le but de la Légion. C’est le cas le 4 mai 1941 lors de sa venue à Albens dont un article du Journal du Commerce nous donne un long compte rendu. Sur la place de l’Église ont été rassemblés la fanfare de La Biolle avec des éléments de la fanfare d’Albens que renforcent les clairons et les tambours des sapeurs-pompiers. Ils vont exécuter durant les cérémonies devant l’église puis au cimetière : les Allobroges, la Marseillaise et diverses sonneries. Près de 500 légionnaires des sections locales se massent aussi sur la place. Avec la population et les enfants des écoles, ils vont assister à l’arrivée de Costa de Beauregard vers 15h. La triple finalité de cette venue ressort bien de l’article de presse. C’est d’abord les honneurs rendus à un combattant de 1940 avec « la lecture de l’élogieuse citation et la remise de la médaille militaire et de la Croix de Guerre à un grand mutilé de guerre. » Puis, c’est le déplacement au cimetière avec dépôt d’une gerbe au monument aux morts où « après la minute de silence a lieu l’émouvante prestation de serment. » Enfin, écrit le journaliste « cette journée trouve son apothéose en même temps que sa signification la plus profonde dans la réunion qui a lieu salle du foyer où M. Costa de Beauregard expose le but de la Légion. Celui-ci le fait de façon paternelle et l’auditoire est conquis par sa simplicité et sa bonté. Son exposé fut vivement applaudi et lorsqu’il termine une ovation monta de toute la salle. La foule acclama le Maréchal, la Savoie et le Chef aimé de la Légion de Savoie. »
Comme l’écrit l’auteur de l’article « cette belle et réconfortante journée ne s’oubliera pas. » On peut supposer qu’elle avait surtout marqué les enfants des écoles. Dans le cas contraire, la Légion pourrait leur proposer des sujets de « devoirs patriotiques » en vue du concours qu’elle organisait alors auprès des écoles.
Jean-Louis Hebrard