Chaque été, à partir de 1931, c’est le tour de France qui soulève la ferveur du public local. En effet, jusqu’en 1936 les champions vont s’affronter tout au long des 210 kilomètres de l’étape Évian-les-Bains à Aix-les-Bains avec ascension du col des Aravis et de celui de Tamié, descente sur Annecy puis traversée de l’Albanais par Alby-sur-Chéran et Albens pour une arrivée dans la station thermale savoyarde.
Sur ce dessin réalisé à partir d’une photographie prise en 1934 lors du passage du tour de France à Alby-sur-Chéran, les spectateurs massés le long du pont assistent à l’empoignade entre les huit coureurs échappés du peloton à 20 kilomètres de l’arrivée. Il y a ce jour-là du beau monde dont le maillot jaune, le célèbre Antonin Magne avec ses équipiers Vietto le meilleur grimpeur et Speicher portant son tout nouveau maillot de champion du monde. C’est lui qui remportera l’étape à Aix-les-Bains. Ce n’est pas « son jour » pour un autre français, le breton René Le Grevès qui va accumuler les ennuis. Il casse une pédale dans la montée du col des Aravis et doit attendre le secours du camion atelier pour repartir. Sa roue libre l’ayant lâché dans le col de Tamié, il doit à nouveau réparer. Une dernière crevaison, le voilà rétrogradé à la 43ème place du classement général, lui qui avait quitté Évian à la seconde place. Malgré tout, notre équipe nationale va particulièrement briller cette année là puisque ses coureurs remporteront la plupart des étapes. Interprétée par Jean Cyrano, une chanson de l’époque « Les champions de la route » campe ainsi l’engouement que provoque le tour : « On vient d’annoncer dans le patelin que le tour va passer, et dès le petit jour la foule accourt sur le parcours, pour saluer les gars du tour de France d’un encouragement plein d’espérance ». Plus loin, c’est la vaillance des coureurs que l’on évoque : « Et pendant des jours, luttant sans cesse, poussant toujours, ils vont affronter sans hésiter l’adversité, la poussière, les montées, les descentes, les Pyrénées, les Alpes puissantes… ». Interprétée à l’accordéon par Fredo Gardoni, cette chanson devient même la marche officielle du tour dont on peut aujourd’hui écouter une version en ligne. Le cinéma contribue lui aussi à faire revivre les péripéties de la « grande boucle ». C’est le cas fin décembre 1934 au « Foyer Albanais » où l’on projette en plus du grand film et en complément exceptionnel « Le Tour de France cycliste 1934 » édition complète, comme le précise le Journal du Commerce.
À l’époque, l’engouement pour la bicyclette auprès de la jeunesse peut être comparé à celui que provoque le foot aujourd’hui. Aussi voit-on fleurir partout en France mais aussi dans les grands pays cyclistes (Italie, Belgique, Suisse…) les clubs, les associations cyclistes. La Savoie, la Haute-Savoie, l’Albanais ne font pas exception. Les coureurs du Vélo Club de Chambéry se signalent particulièrement dans les compétitions locales suivis par ceux de l’Association cycliste aixoise, du Club cycliste d’Annecy et des coureurs du club d’Annemasse.
La presse locale se fait l’écho de ces compétitions cyclistes qui aux beaux jours animent les fêtes dominicales. C’est le cas pour la course organisée à l’occasion de la vogue d’Albens le dimanche 6 juin 1937. Trente-huit coureurs se sont inscrits au « Challenge Fontaine » qui se dispute sur un parcours de 60 kilomètres. Une épreuve organisée par l’Association cycliste Aixoise avec l’aide de l’Union sportive albanaise pour laquelle les engagés ont déboursé 5 francs. Après la remise des brassards à 14h, le départ est donné par le maire d’Albens une heure après devant la gare. Le peloton s’élance vers la Biolle , Grésy-sur-Aix et Corsuet. Là, les cyclistes vont se diriger vers la vallée du Chéran via Épersy, Saint-Ours, Cusy jusqu’à traverser la rivière au pont de Banges.
Le retour va s’effectuer par Gruffy, Alby, Marigny, Rumilly et Bloye. L’arrivée est jugée devant les écoles à Albens. Fiesch et Pesenti du club de Chambéry remportent la course en 1h40, suivi à une minute par Savi Dino d’Annemasse. Les prix seront remis vers 17h15 à la mairie. Les dix premiers vont empocher des sommes allant de 150 à 20 francs pour les derniers.
Les belles machines des coureurs font l’admiration de la jeunesse qui rêve de posséder un de ces engins perfectionnés avec dérailleur et vitesses multiples.
Et lorsque le jeune espoir local Louis Coudurier gagne « une superbe bicyclette de course… gros lot de la tombola de l’US Brison », le Journal du Commerce rappelle aussitôt ses « brillants débuts dans le Premier Pas Dunlop » et souhaite « le voir bientôt dans les épreuves régionales ».
L’usage quotidien de la bicyclette devient monnaie courante auprès des classes populaires de l’époque. Les congés payés mis en place en 1936 vont amplifier le phénomène. C’est au cours de ces années que la circulation des vélos sur les routes nationales atteint le chiffre record de 1100 par jour. Dans tous les bourgs et villes, associés ou non à un garage automobile, des magasins de cycles voient le jour. Ils offrent un grand choix de marques dont beaucoup sont d’origine française. Ce n’est pas par hasard si la bicyclette est alors surnommée de façon affective la « petite reine ». C’est elle que l’on retrouvera en service durant les années noires qui s’annoncent, dans le flux des populations qui se presseront sur les routes de juin 1940 puis durant toute l’Occupation. Avec les années 50 et l’entrée dans l’ère de la consommation de masse, son usage quotidien régressera. Aujourd’hui, avec assistance électrique ou pas, le vélo semble être à nouveau un mode de déplacement d’avenir.
Jean-Louis Hébrard