Notre voyage au temps des romains, débuté au cours d’articles précédents, passe une nouvelle fois par l’enclave de « La Paroy », entre Albens et La Biolle. Après ses colonnes romaines et quelques uns de ses vestiges disparus, nous évoquerons aujourd’hui son réseau hydraulique.
Du Vicus d’Albinnum, on connaît les inscriptions de Marigny-Saint-Marcel, présentes dans le mur de l’église de cette commune, qui indiquent un don de Caius Sennius Sabinus, riche citoyen romain, aux habitants d’Albens, afin que ceux-ci disposent de bains publics. Un aqueduc romain au départ de la source de la Bourbaz, aujourd’hui tarie, se chargeait de conduire l’eau à travers les marais jusqu’à Albinnum. Par aqueduc, il ne faut pas s’imaginer un monument comme le Pont du Gard mais plutôt une canalisation réalisée à base de tegulae (tuiles) et permettant l’acheminement de l’eau. Si cet aqueduc est le plus connu lorsque l’on évoque le passé romain d’Albens, d’autres théories évoquent un second aqueduc, à La Paroy.
C’est François de Mouxy de Loche, officier savoyard et historien régional connu, qui signale cet aqueduc le premier au début du XIXème siècle. Il indique, plan à l’appui : « … on a découvert en fouillant un champ les restes d’un bel aqueduc souterrain […] le morceau d’aqueduc qui a été découvert a 130 pieds de longueur (40 mètres) en ligne droite, sa direction est d’à peu près Nord/Est et sa pente paraît se diriger vers la ville d’Albens. Ce morceau d’aqueduc parait avoir fourni de l’eau à une et même deux fontaines sur le sol même […] ». Ce document, qui comprend bien d’autres indications, est beaucoup trop précis pour avoir été inventé. C’est également l’avis de Pierre Broise, archéologue du XXème siècle, qui admet l’hypothèse de deux aqueducs distincts : l’un au Nord, en provenance de Marigny-Saint-Marcel et alimentant le vicus d’Albinnum ; un second au Sud, à La Paroy, desservant la villa de Bacuz.
Au début du XXème siècle, un autre archéologue, Charles Marteaux, dans une étude de la voie romaine entre Seyssel et Aix-les-Bains en 1913, évoque « le village de Paron, au sud-ouest d’Albens, où s’élevait une belle villa à mi-côte, connue pour ses nombreuses substructions, ses colonnes, ses pierres taillées, ses inscriptions, ses vases rouges et noirs datant du Ier siècle (portant les inscriptions « SEVVOFE » et « OFEBRIIV »), sept amphores trouvées en 1882 (dont trois vendues immédiatement), ses monnaies, son étable, etc. ; elle jouissait d’une vue agréable sur le vicus et sur la plaine et était pourvue d’une source pure », ce que confirme une étude géologique et hydrogéologique effectuée en 1992 qui met en évidence la présence d’un aquifère et d’une eau de source riche en sels minéraux sur le secteur de La Paroy. Cette eau de source a été régulièrement utilisée par les habitants du hameau jusque dans les années 1990. Charles Marteaux, dans son étude, ajoute à propos des vestiges, qu’il « se peut que la pierre tumulaire du préfet de la Corse, L. Vibrius Punicus, ait été transportée plus tard de là au château de Montfalcon ».
Petit aparté concernant le nom de la Paroy : le lieu-dit s’appelait « Parroy » au XVIème siècle puis on le retrouve sous le nom de « Paron », « Paroir » et enfin « La Paroy » ou « La Parroy » dans les actes jusqu’à la seconde partie du XXème siècle. Une coïncidence surprenante concernant le terme de « Paron » : c’est le nom d’une petite commune de l’Yonne, d’origine romaine et qui possède des vestiges d’aqueduc, des murs gallo-romains et un site d’atelier métallurgique. Le nom qui a évolué au fil du temps découlerait du terme « Paroy » dont quelques villages alentours portent encore ce nom et viendrait du latin « paries » (la muraille). Sa signification serait « le lieu pierreux ou la paroi au pied de la colline ». Ailleurs, on indique que le terme « Paroy », viendrait du latin « petra » (la masse de pierre escarpée) et pourrait correspondre à des éléments de voie romaine lorsque le contexte permet de les situer dans un ensemble signifiant. Dans son manuscrit, De Mouxy de Loche indique que « cet aqueduc est à environ 300 pas au-dessous de l’ancienne route de Rumilly, soit la voie romaine ». De nos jours, une erreur orthographique commise sur le cadastre, « la Paroie », apparaît.
Mais revenons au témoignage de Charles Marteaux, outre l’intérêt pour les vestiges qu’il répertorie, qu’en est-il aujourd’hui de cette « source pure » ou de cet « aqueduc souterrain » dont nous parlaient les archéologues d’alors ?
Le village de La Paroy comprend deux puits antiques : l’un de section rectangulaire de plus de six mètres de profondeur, alimenté par un canal en pierres qui amène l’eau qui semble issue de la nappe phréatique des Marais du Parc. Le second puits fait également six mètres de profondeur ; à la sortie de celui-ci en direction de la fontaine du village, le canal est obturé par une plaque de plomb (40 x 40 cm environ) perforée par de nombreux trous circulaires. Cela rappelle sensiblement la plaque en plomb répertoriée d’époque romaine à Marigny-Saint-Marcel au niveau de la source de la Bourbaz et de l’aqueduc « officiel » d’Albens.
L’origine du bassin antique du village dans lequel se déverse l’eau du puits n’a jamais été établie. Cependant, des racines du saule centenaire de la fontaine obstruant l’arrivée d’eau, des travaux pour réparer le canal dans les années 1990 mirent en évidence une conduite en tegulae – cassée par les racines – alimentant le bassin en eau. C’est fort probablement la dérivation de l’aqueduc romain dont nous parlait De Mouxy de Loche. À noter la présence d’un second bassin répertorié romain au sein du village.
Malgré tous ces faits, aucune recherche archéologique n’a jamais été effectuée sur le secteur pour étudier les puits du village et son réseau hydraulique. Dans les années 1990, on indiquait pourtant que si l’aqueduc romain était confirmé, celui-ci serait le seul en Savoie encore en état de fonctionnement ! De la fin du XVIIIème siècle jusqu’aux années 1950, un simple labour des champs alentours avec des outils archaïques suivi de fouilles de surface permettait la découverte de nombreux vestiges. Ces trente dernières années, le secteur de Bacuz, malgré l’urbanisation, n’a, semble-t-il, permis aucune nouvelle découverte répertoriée. Il apparaît cependant nécessaire d’effectuer des recherches dans la zone La Paroy/Bacuz avant que l’étalement urbain ne vienne complètement recouvrir ces terres.
Benjamin Berthod